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EXPÉDITION
DU MEXIQUE
1861-1867
RÉCIT POLITIQUE ET MILITAIEE
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M..NT-0\^
IMPRIMERIE DE i. DUMAINE , RCE CHRISTINE
Ciz
EXPÉDITION
DU MEXIQUE
1861 -1867
RÉCIT
POLITIQUE & MILITAIRE
PAR
G. NIOX
CAPITAINE d'état-major
it
PARIS
LIBRAIRIE MILITAIRE DE J. DUMAINE
LIBRAIRE-ÉDITEUR
Rue et passage Dauphine, 30
1874
in}
Sept années à peine se sont écoulées depuis la fin
de l'Expédition du Mexique, mnis elles ont été si
remplies que l'on croirait être déjà beaucoup plus
éloigné de cette époque.
Avant que les péripéties d'un temps aussi troublé
que le nôtre nous aient emportés plus loin encore, il
a paru opportun de publier, sinon une étude critique,
du moins un récit d'ensemble de cette campagne, afin
de fixer les faits dont il conviendra de rechercher plus
tard le sens politique et la portée.
L'histoire, qui puise ses premiers éléments d'infor-
mation dans les écrits des contemporains , leur de-
mande , comme garantie de sincérité, de s'effacer
pour laisser parler les événements mêmes. La mé-
thode d'exposition était donc la seule qui pût con-
venir à ce récit, d'autant plus que les hommes ne s'y
montrant pas toujours conséquents et leurs actions
n'étant pas nécessairement logiques , des procédés
de déduction absolue auraient compromis la vérité
historique.
Les mouvements militaires ont servi de canevas
et les considérations politiques ont été développées
de manière à faire comprendre les causes, l'en-
chaînement et les conséquences des opérations de
guerre.
Les documents mis en œuvre sont conservés, pour
la plupart , aux archives des ministères de la guerre
et de la marine.
Aucune pièce, si délicate qu'elle fût, n'a été omise,
pour peu qu'elle ait paru de nature à éclairer une
situation. Plusieurs dossiers particuliers, entre au-
tres une précieuse collection de lettres de l'Empe-
reur Maximilien et de l'Impératrice Charlotte, ont
fourni d'intéressants renseignements ; enfin, un cer-
tain nombre de rapports militaires des chefs mexi-
cains et une très-importante correspondance diplo-
matique relative aux affaires du Mexique, ont pu
être consultés dans les pubhcations officielles du
gouvernement des États-Unis.
Paris, 7 juin 1874.
I
PREMIÈRE PARTIE
!
EXPEDITION DU MEXIQUE
186 1 — 1867
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER.
Préliminaires de l'expédition du Mexique.
Condition des Indiens après la conqui'te du Mexique et sous le régime colonial. — •
Émancipation du Mexique. — IturLide proclame l'indépendance ; plan d'Iguala
(24 fév. 1821). — Traité de Cordova (24 août 1821). — Iturbide empereur. —
République mexicaine ; les partis au Mexique. — Guerre ci«le. — Santa-Anna.
— Comonfort ; plan d'Ayolla (1"'' mars 1834). — Constilulion de 1837. —
D. Beiiito Juarez. — Plan de Tacubaya ■ Zuloaga. •— Juarez établit le gouverne-
ment constitutionnel à la Vera-Gruz. — Miramon. — Cbute de Miramon ; le parti
constitutionnel maître de Mtxico ; — Attitude des ministres étrangers pendant
la guerre civile. — M. de Saligny nommé ministre de France à Mexico. —
Suspension du paiement de la dette publique (17 juillet 1861). — Rupture des
Mr^ISTRES DE Fr.\NCE ET d'AnGLETERRE AVEC LE GOU\'ERXEMENT DE JuAREZ (23
juillet 1861). — Les étrangers au Mexique. — Premiers projets d'intervention,
— Convention DE Londres (31 octobre 1861). — Dispositions des États-Unis.
Depuis la conquête espagnole , la population qui habite Condition des
^ ^ r o ' I X 1 Indiens après la
le Mexique est partasjée en castes très-distinctes. , conquête
^ ^ o du Mexique et
Les Indiens ont subi le sort réservé dans l'antiquité aux , . =^o'"^ 1" . ,
^ ngimc colonial.
peuples vaincus; dépossédés du sol , ils ont été , la plupart
du temps, réduits à l'état de servage comme ouvriers des
mines ou cultivateurs des grandes haciendas , ou bien ils
ont été relégués dans des villages appelés piœblos de Indios,
1
2 l"^ PARTIE. — CHAPITRE l".
par la race conquérante qui se réservait orgueilleusement
la qualification de gente de razon. Leurs anciens chefs ou
caciques , auxquels les Espagnols conservèrent d'abord
quelques privilèges, ne tardèrent pas eux-mêmes à perdre
tout prestige et se confondirent dans la masse de leur na-
tion asservie.
Les missionnaires les baptisèrent de gré ou de force ; ils
se bornèrent le plus souvent à superposer aux anciennes
croyances du peuple les formes extérieures du culte catho-
lique et permirent même l'accès des temples chrétiens aux
emblèmes de l'idolâtrie. Ignorants et superstitieux, main-
tenus dans un état social qui était l'esclavage moins le nom,
les Indiens restèrent longtemps courbés, dans une obéis-
sance passive, sous la volonté de leurs dominateurs. Ils ne
se mêlèrent pas à eux, et les quelques rejetons provenant
d'alliances mixtes partagèrent le mépris dont ils étaient
l'objet.
De leur côté les créoles, descendants des conquérants ou
des premiers colons venus d'Espagne, formèrent une aris-
tocratie dont l'intluence alarma bientôt la métropole. Des
lois méfiantes les éloignèrent alors de tout emploi dans
le gouvernement et dans l'administration , et il ne fut
pas même permis aux fonctionnaires envoyés d'Europe
d'épouser des femmes nées dans les colonies.
Cette tutelle humihante et cette domination tyrannique
de l'Espagne ont été l'origine de haines terribles, dont
l'explosion devait ruiner sa puissance dans le Nouveau-
Monde. Les créoles se rapprochèrent de la masse in-
dienne, en exploitèrent les passions et vint un jour où ils
la lancèrent contre les Espagnols avec une implacable
fureur.
En 1810, lo curé Hidalgo jeta le premier cri do révolte
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITION. 3
et ce fut un désir de vengeance, non un besoin de liberté
politique, qui animales 40,000 Indiens accourus en quelques
jours sous sa bannière.
L'émancipation des colonies anglaises de l'Améri-
que du Nord, les idées nouvelles jetées dans le monde
par la révolution française, l'affaiblissement de l'Es-
pagne, résultat de ses guerres avec la France, doivent être
considérés comme autant de circonstances qui favorisè-
rent les premières tentatives d'indépendance du Mexique,
mais c'est au système oppressif du gouvernement colonial
qu'il faut faire remonter l'origine véritable de l'insur-
rection.
Les bandes indiennes, indisciplinées et mal armées, ne
purent lutter longtemps contre les régiments espagnols.
Quelquefois victorieux, le plus souvent battus, leurs chefs
Hidalgo, Bravo, Matamores, Morelos, furent successi-
vement faits prisonniers et passés par les armes.
Dix ans plus tard seulement, Iturbide formula le pro- Émancipaiion
' , . 'ij' 1 1 du Mexique;
gramme et assura le triomphe de la révolution qu Hidalgo ihubide proclame
avait commencée sans but parfaitement défini, et peut-être ''° ^^"" ^"^''
même sans en avoir pleinement conscience.
Colonel de milice provinciale, Iturbide avait été d'a-
bord l'ennemi acharné de l'insurrection , mais il était
créole et ses sentiments se modifièrent bientôt. Pendant
une expédition qu'il dirigeait contre Guerrero, un des der-
niers chefs de partisans restés encore en armes, il fit ac-
cepter par les officiers de sa division le plan d'indépen-
dance qu'il avait conçu ; Guerrero y donna lui-même son
adhésion et les soldats des deux partis vinrent fusionner
dans la petite ville d'Iguala. Tous jurèrent de lutter en-
semble pour l'émancipation de leur patrie.
Plan d'Ignala
(24 février 4 821).
4 l" PARTIE. — CHAPITRE l".
Les principes posés par Iturbide et proclamés sous le
nom de Plan d'Ignala se résumaient ainsi :
« La nation mexicaine déclarée indépendante ;
« La religion cotholique seule religion reconnue ;
« Les castes abolies et la nation une, sans distinction
d'Européens et d'Américains ». La nouvelle armée révo-
lutionnaire prit pour devise : « Indépendance, Religion,
Union, » et porta le nom de Tn'gamnte, c'est-à-dire des
trois garanties.
Il fut décidé que le gouvernement serait une monarchie
constitutionnelle, que la couronne serait offerte à Fer-
dinand VII et, en cas de refus, aux infants ou à un autre
prince des familles régnantes. Une assemblée de notables,
sous la présidence du vice-roi, devait être chargée du
gouvernement provisoire et de la convocation d'un congrès
national.
Le plan d'indépendance, ainsi établi dans des idées
vraiment sages et conciliatrices, répondait à un besoin gé-
néral de calme et de repos ; il rallia la plupart des esprits
et valut une immense popularité à Iturbide, que le pays
entier acclama du nom de « Conciliateur ».
Traité
de Cordova
(2i août iSU]
Ilurbide
empereur.
Le traité de Cordova, signé bientôt après avec le vice-
roi O'Donoju, consacra l'indépendance mexicaine (*), et
l'alliance formée entre Espagnols, Indiens et Créoles, dont
O'Donoju, Guerrero, Iturbide étaient les plus illustres re-
présentants.
Malheureusement l'ère des guerres civiles était encore
loin d'être fermée.
En 4822, le général Iturbide fut proclamé empereur
(') L'Espapiie ne nvonnul rinJépcndanri' Ju Mexique qu'en 1836.
PRÉLLMl>AIIiES DE l'exPÉDITION. 5
dans UR pronunciamiento populaire et militaire, qui éclata
à Mexico à la suite de dissentiments qu'il avait eus
avec le congrès, Iturbide n'avait ni les vertus ni les talents
d'un Washington ; voulant gouverner d'après les tradi-
tions des vice-rois qui avaient, il est vrai, donné au
Mexique de longues années de prospérité, mais ne répon-
daient plus aux idées de l'époque , il chercha de préfé-
rence ses appuis dans l'armée et dans le clergé, échoua, fut
renversé et dut se réfugier en Europe. Moins d'une année
après, le fondateur de l'indépendance du Mexique, voulant
rentrer dans sa patrie, fut arrêté au moment où il débar-
quait à Soto-la-Marina et fusillé sommairement en vertu
d'un récent décret du congrès qui le mettait hors la loi
(20 juillet 1824).
Après la chute d'Iturbide la république avait été pro- République mexi-
, , 1 • , / • l^ 1 / ' • 1 caine; les partis
clamée ; deux partis s étaient des lors tormes, qui par leur au Mexique.
désaccord allaient attirer sur le Mexique tous les fléaux
des dissensions intestines.
Les uns, ceux qui eussent préféré un gouvernement mo-
narchique, ne s'accommodaient de la forme républicaine
qu'en réclamant un pouvoir fortement centralisé; on les
désigna sous le nom de Conservateurs, et quelquefois de
réactionnaires.
Les autres s'appelèrent les libéraux ou les fédéraux. Ils
rêvaient une république fédérative sur le modèle de celle
des Etats-Unis, plan irréalisable avec une nation ignorante
et des hommes neufs dans l'art de gouverner.
De grandes différences séparaient, en effet, les deux na-
tions.
Les hommes qui avaient peuplé la Nouvelle-Angleterre
n'étaient pas des colons envoyés et soutenus par la Métro-
pole; c'étaient des proscrits qui émigraient en quelque
G l'" PARTIE. CHAPITRE l".
sorte contre la volonté de leur gouvernement, cherchant
une terre étrangère, où ils pussent vivre en paix et en
liberté ; par les traditions et les institutions de leur patrie
d'abord, et ensuite par les grandes luttes auxquelles ils
avaient assisté comme témoins et comme acteurs, ils
avaient le sentiment, les habitudes et les idées de la
liberté; ils étaient les représentants de ce principe, ils en
furent les or^^anes dans toutes ses manifestations, liberté
municipale , liberté civile , liberté politique, liberté reli-
gieuse. Lorsque l'heure de l'indépendance sonna, cette
société se trouvait déjà en république, les institutions,
les mœurs, les coutumes, la vie privée, tout était répu-
blicain.
Bien différente était la constitution des sociétés hispano-
américaines et particulièrement celle de la société mexi-
caine. Plies à l'obéissance absolue dans l'ordre poli-
tique comme dans l'ordre religieux, les hommes qui les
fondèrent représentaient le principe d'autorité ; ce fut le
seul qu'ils importèrent dans le Nouveau-Monde, le seul
qu'ils surent y développer.
La société mexicaine était monarchique par ses mœurs,
ses lois, sa religion et son éducation.
Le parti conservateur se compose de la plupart des
grands propriétaires et du haut clergé; bien qu'il soit
moins nombreux que le parti libéral, ses richesses et son
influence sur la population lui ont permis souvent de dis-
puter le pouvoir avec succès. On voit dans l'un et l'autre
camp des hommes de race indienne ; mais un très-petit
nombre seulement, émancipés par leur éducation, en com-
prennent les idées et en partagent les passions. La masse
reste assez généralement indifférente.
PRÉL13IINAIRES J)E l'eXPÉDITION. 7
Quant à l'armée, dont les soldats se recrutent exclusi-
vement parmi les Indiens, elle sert aveuglément l'ambition
de ses chefs. Appelée sans cesse à jouer un rôle politique,
elle jette son épée tantôt sur un des plateaux de la balance,
tantôt sur l'autre, et rompt à chaque instant l'équilibre,
qui aurait peut-être permis au pays de se reposer et de se
reconnaître. Il suffît de quelques officiers ambitieux pour
amener un pronunciamiento , renverser le gouvernement
et créer un pouvoir nouveau qui disparaîtra à son tour,
comme il s'est élevé. La nation a sans cesse été le jouet
ou la victime de ces personnalités vulgaires.
Parmi les nombreux présidents qui se sont succédé à la Gaene civile.
tête de la Piépublique mexicaine, il s'est trouvé des hommes
sincèrement désireux du bonheur de leur pays; mais
aucun n'a pu triompher des obstacles créés par l'esprit de
rébellion des troupes , l'intolérance et l'absolutisme du
clergé. Les vicissitudes de la guerre civile ont fréquemment
fait changer le pouvoir de mains ; les exagérations et les
erreurs du fédéralisme produisant presque toujours un
mouvement en sens contraire, puis les excès et les fautes
de la centralisation ramenant à la présidence les chefs du
parti fédéral,
A plusieurs reprises eurent également lieu quelques ten-
tatives de réaction monarchique. En 1845, le général
Paredes alors chef du gouvernement, indiquait, comme
seul remède à la situation, l'étabKssement d'une monar-
chie avec un prince étranger soutenu par les puissances
européennes (').
(0 A celle époque on parla, dit-on, d'offrir la couronne au duc de Mont-
pensier.
8 l" PARTIE. CHAPITRE l".
Santa-Anno. Plus tard le général Santa-Anna, une des personnalités
les plus marquantes et les plus remuantes de la révo-
lution mexicaine, après s'être fait connaître comme répu-
blicain, manifesta à son tour des tendances monarchiques.
En 1833, porté à la présidence pour la seconde fois, il
n'osa pas affronter le sort d'iturbide et se contenta du
titre d' Altesse Sérénissime ; mais il se composa une cour,
rétablit l'ordre de Guadalupe et fit revivre de nombreux
privilèges oubliés; pendant quelque temps, il eut en réalité
l'autorité et le faste d'un roi absolu, il craignit d'en
prendre le nom.
Au mois de juillet 1854, il chargea son agent en Europe,
M. GuttierrezdeEstrada, d'entamer avec les cours de Paris,
de Londres et de Vienne des négociations dans le but
d'obtenir « leur concours pour l'établissement d'une mo-
narchie au Mexique avec un des membres des familles
régnantes d'Europe (*). »
comonfori; Le parti libéral réagit contre ces tendances.
plan (l'Avolla
{i"m.irs483i). Le 1" mars 1854, un pronunciamiento, provoqué par
le colonel Comonfort, avait eu lieu à Ayotla. Plusieurs
états s'y rallièrent ; Santa-Anna fut renversé et le général
Alvarez, gouverneur de l'état de Guerrero, qui avait éner-
giquement appuyé cette révolution, fut appelé à la prési-
dence ; mais il se démit bientôt en faveur de Comonfort de
celte charge trop lourde pour ses forces.
Comonfort assigna pour but aux efforts de son parti la
ruine de l'influence politique du clergé et des chefs mi-
litaires, il clicrclia à faire appliquer un système de gouver-
<•) Lctlro ilu général Santa-Anna à M. GuUierrez de Estrada, du 1" juill'^t
1854.
(47d6c. 18o7.)
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITION. 9
nement fédéralif et s'occupa activement de la réunion d'un
congrès national.
Une nouvelle constitution, résultat des travaux de cette consiituiion
.,.,.._ij_. de i 857.
assemblée, fut promulguée au mois de février 1857. Au d. Beniio Juarrz.
mois de novembre suivant, Comonfort était régulièrement
élu président constitutionnel et Don Benito Juarez (*) ,
avocat distingué, connu pour ses idées avancées, était
nommé président de la cour suprême, charge qui lui
donnait le droit de remplacer le président de la république,
le cas échéant.
Cependant le parti militaire et clérical ne tarda pas à pian
relever la tète. Le 17 décembre 1857, Zuloaga, chef de la ^ zuioagr'
brigade de Tacubaya, fit afficher dans Mexico un plan gou-
vernemental nouveau, dans lequel il demandait que la
mise en vigueur de la constitution fût ajournée.
Comonfort, esprit sincère et modéré, éloigné également
des excès de tous les partis, se rallia au plan de Tacubaya
dans un désir de conciliation ; Juarez protesta et fut
arrêté ; mais un certain nombre de provinces refusèrent
leur adhésion à la politique nouvelle du président et pri-
rent les armes pour défendre la constitution.
Comonfort venait de faire un véritable coup d'Etat
contre sa propre autorité; bientôt impuissant à dominer la
situation, il fut renversé par les auteurs mêmes du plan de
Tacubaya, qui ne partageaient ni sa modération ni ses
idées conciliatrices, et fut obligé de quitter le Mexique;
quant à Juarez, il réussit à sortir de prison, revendiqua le
pouvoir que la constitution lui conférait en cas d'absence du
(1) Ne en 1809, dans l'état de Uajaca, de race indienne, pauvre el obscur,
Juarez s'éleva, à force de travail et de persévérance, aux premières charges du
pays.
10 r" l'AUTIÏÏ. CIIAl'ITRE l".
président, et se déclarant chef intérimaire du gouvernement
constitutionnel, il en transporta successivement le siège à
Queretaro, à Guanajuato et à Guadalajara.
juarez établit Ghassé de cette dernière ville, il gagna la côte du Pa-
'coasSuitronner cifiquc , prit la mcr et peu de temps après reparut à la
vefa-cru. Vcra-Cruz (^4 mai 1838).
(-24maH8o«). g^^ autorité fut rccounue par plusieurs états voisins de
la mer ou de la frontière américaine ; ceux du centre,
Mexico, Puebla, Tlaxcala, Queretaro et la plupart des
grandes villes obéirent au pouvoir établi à Mexico ; quel-
ques autres se tinrent en dehors du conflit et se constituè-
rent en état d'indépendance sous leurs gouverneurs par-
ticuliers.
Jamais le désordre n'avait été si général, l'anarchie
aussi grande.
Miramon. Dans la Capitale même tout n'était que trouble et con-
fusion. Zuloaga, qui avait pris la place de Gomonfort fut h
son tour déposé par une sédition militaire. Les conserva-
teurs modérés appelèrent alors au pouvoir Miramon, jeune
général de vingt-six ans, auquel ses succès militaires, son
ambition, plutôt que ses capacités politiques, avaient fait un
renom et donné une certaine popularité.
Miramon, alors dans l'intérieur du pays, se rendit
aussitôt à Mexico ; il commença par rétablir Zuloaga dans
ses fonctions, et se fit ensuite nommer président substitut
et commandant en chef de l'armée. Gette combinaison
mettait entre ses mains toute l'autorité effective et ne lais-
sait à Zuloaga qu'un titre sans pouvoir.
Au mois de février 1860, Miramon, à la tête de ses
meilleures troupes, se dirigea sur la Vera-Gruz où se
trouvait Juarez ; mais le capitaine Jarvis, commandant
l'escadre américaine, prenant parti pour ce dernier, s'em-
l'RÉLIMINAIBES DE l'eXPÉDITION. 11
para dans les eaux mexicaines d'Anton-Lizardo de deux
navires, qui apportaient de la Havane le matériel de guerre
des assiégeants. Privé des moyens sur lesquels il comptait,
Miramon échoua dans ses attaques contre la place et fut
forcé de rétrograder.
Zuloaga crut alors le moment favorable pour ressaisir
l'autorité, mais Miramon l'arrêta, l'emmena avec lui et le
fit garder au milieu de son armée. Il s'échappa bientôt
et la discorde rentra de nouveau dans le camp des con-
servateurs accablés déjà sous le poids des revers mi-
litaires et des embarras résultant d'une extrême détresse
fmancière.
Les revenus des douanes étaient en majeure partie à la
disposition des libéraux , les impôts difficiles à recouvrer,
les emprunts forcés actuellement impossibles, les contrats
ruineux passés avec des maisons de banque étrangères
avaient épuisé tout crédit; enfin, le clergé ne comprenait
pas que pour sauver son influence il fallait sacrifier ses
richesses. A bout d'expédients Miramon en vint aux
mesures de violence ; il fit enlever dans la maison du
chargé d'affaires anglais par le général Marquez, le plus
audacieux de ses lieutenants, 600,000 piastres déposées
sous le sceau de la légation britannique et destinées
au paiement des conventions anglaises (17 novembre
1860).
Mais la dernière heure du gouvernement réactionnaire ^jjjjjf. î'p^;[f
sonnait ; une armée libérale, victorieuse déjà dans plusieurs j^^^a/J^f 'J^'^i"^^^^^
rencontres, arrivait du nord sous les ordres d'Ortega. (24 -léc. iseo).
Miramon, s'étant porté au-devant d'elle, fut complètement
battu, le 22 décembre 1860, près de San-Miguel Galpulal-
pan, et forcé de fuir. Il gagna la côte avec quelques amis,
qui favorisèrent son passage à la liavani;.
12 1'* PARTIE. CHAPITRE l".
Le 24 décembre, Ortega prit possession de Mexico, et
le 28. il publia les lois dites de réforme, édictées par le
gouvernement de Vera-Cruz les 12, 13 et 23 juillet pré-
cédent. Elles proclamaient :
La tolérance des cultes,
L'abolition des ordres religieux,
La nationalisation des biens ecclésiastiques,
Le mariage civil.
Juarez arriva à Mexico le 11 janvier 1861. Ses pre-
mières mesures témoignent de l'irritation qui l'animait.
Le lendemain même il fit adresser à M. Pacheco, ambas-
sadeur d'Espagne, la note suivante :
« S. Exe. le Président intérimaire constitutionnel ne
peut vous considérer que comme un des ennemis du gou-
vernement, en raison des efforts faits par vous en faveur
des rebelles usurpateurs qui ont occupé cette ville durant
les trois dernières années. En conséquence , il décide que
vous quittiez cette capitale de la république sans autre délai
que le temps strictement nécessaire pour les préparatifs de
votre vovac'e. »
Des notiticalions de même nature furent faites au nonce
du Saint-Siège et au ministre du Guatemala.
L'archevêque de Mexico et la plupart des évêques fu-
rent expulsés, les revenus du clergé confisqués. Juarez
croyait nécessaire de protéger par ces mesures rigoureuses
un pouvoir encore mal assis. En effet, de nombreuses
bandes de partisans réactionnaires parcourant la cam-
pagne sous les ordres de Marquez, de Mejia, de Vicario, de
Cobos, de Lozada, continuaient une guerre sans merci,
signalée déjà de part et d'autre par des exécutions san-
glantes et de cruelles vengeances.
PRÉLIMINAIRES I<E l'eXPÉDÎTION. 13
Juarez allait se trouver, en outre, aux prises avec les
embarras des réclamalions étrangères. Pour faire face aux
dangers qui l'environnaient, il contint le clergé par une
rigueur excessive , mit hors la loi les chefs conserva-
teurs ('), suspendit le paiement de la dette publique et
dédaigna les menaces de l'Europe.
Les ministres étrangers avaient successivement reconnu Attitude
^ ^ . Jes ministres
les gouvernements de tait, maîtres de la capitale. étrangers
pendant la guerre
Après la chute de Gomonfort, les représentants des puis- f'^''^-
sances étrangères étaient donc entrés en rapport avec
Zuloaga, seule autorité qui existât alors ; car il était dif-
ficile d'attribuer le caractère de chef d'un gouvernement à
Juarez, errant de ville en ville, puis passant à l'étranger
avant de pouvoir revenir à la Vera-Gruz.
Cependant, lorsque le gouvernement constitutionnel fut
proclamé dans cette ville, le ministre des Etats-Unis ne
tarda pas à s'y rendre ; les autres restèrent à Mexico. Les
Américains du Nord avaient naturellement plus de sympa-
thie pour Juarez qui, se faisant le champion des idées
fédéralistes et libérales, se rapprochait de leurs principes
politiques. Le représentant américain apporta donc son
appui moral au gouvernement constitutionnel, et les bâti-
ments de guerre des Etats-Unis le protégèrent, comme nous
l'avons vu, contre les entreprises de Miramon ; bientôt aussi
ils lui offrirent une assistance plus directe, en échange de
concessions importantes. M. Mac-Lane conclut un traité qui
(•) Ocampo, un des hommes les plus influents du parti libéral, ayant été
fusillé le 3 juin sur Tordre de Marquez, le gouvernement de Juarez déclara aus-
sitôt Marquez, Mejia, Cobos, Vicario, Cajique, Lozada hors la loi ; il promit une
récompense de 10,000 piastres et une amnistie complète, pour n'importe qui'l
crime, à ceux qui en délivreraient le pays.
i4 1'^ PARTIE. CHAPITRE l".
est connu sous son nom, par lequel le Mexique concédait
aux Etats-Unis le droit de passage à travers l'isthme de
Tehuantepec et certaines parties des provinces du nord,
avec la faculté de protéger ce transit par des forces mili-
taires, dans le cas oii la république mexicaine ne se trou-
verait pas en élat d'y suffire elle-même. Le traité ne fut
pas ratifié par le Sénat américain ; mais il indique néanmoins
les dispositions de Juarez à accepter, dès cette époque,
le protectorat que les Etats-Unis cherchent volontiers à
étendre sur les républiques de l'Amérique du Sud, tandis
qu'il repoussait au contraire les offres de médiation faites
par les puissances européennes.
M. deSaiigny La luttc cutrc Mïramon et Juarez touchait à sa fin,
nommé ministre , . . »
iif lorsque M. de Sali^nv, récemment nommé ministre de
FrancL' à Mexico. .
France au Mexique, arriva à Mexico (12 décembre 1860).
Au moment où tomba le gouvernement de Miramon, il n'a-
vait pas encore présenté ses lettres de créance. En se con-
formant aux traditions de ses prédécesseurs, il devait donc
reconnaître le président Juarez, alors maître de la capitale ;
il y était disposé ; mais , avant de soUiciter une récep-
tion officielle, il voulut arrêter avec le nouveau gouver-
nement une convention qui stipulât les indemnités pé-
cuniaires et les réparations auxquelles la France pré-
tendait.
Ce traité signé, il fut reçu par le président le 16
mars 1861.
Juarez, en prenant possession du palais présidentiel de
Mexico, n'avait pu tout d'un coup remplir les caisses pu-
bliques vidées depuis longtemps. Demander de l'argent à
un gouvernement tellement appauvri était aussi injuste
qu'inutile. Le faire consentir à un traité était encore pos-
sible, car un débileur insolvable souscrit toujours assez fa-
PRÉLIMINAIRES DE L'EXPÉDITION. 15
cilement aux exigences de ses créanciers, bien qu'il sache
d'avance qu'il ne pourra pas tenir ses engagements; mais
il était bien évident, à priori, que ce traité resterait lettre
morte. L'empereur Maximilien , soutenu pendant cinq ans
par les soldats et le trésor de la France, a été impuissant à
relever l'état financier du pays. On peiit juger par là quelle
devait être la position de Juarez au moment de son arrivée
à Mexico, lorsque l'ennemi se montrait journellement aux
portes de la ville, et que l'argent faisait même défaut pour
les nécessités quotidiennes de l'administration ; il essaya
d'obtenir une sorte de concordat des trop nombreux
créanciers de l'État, mais ces démarches échouèrent et l'on
prétendit alors que l'influence de M. de Saligny n'y fut pas
étrangère. La banqueroute était donc, à cette époque, la
seule solution qui restât à Juarez. Elle était fatale.
Les emprunts ne donnent que des ressources passagères suspension
^ , ^ , . dii paiement de la
et insuffisantes ; les impôts ne se recouvrent réa^ulièrement «lette publique
qu'après le rétablissement de l'ordre ; son gouvernement,
comme tout autre à sa place, allait donc être obligé d'arrêter
le paiement de la dette publique. C'est ce qu'il fit en effet ;
le paiement de la dette intérieure fut d'abord suspendu ,
puis, le 17 juillet 1861, le congrès vota l'ajournement à
deux années du paiement des conventions étrangères.
En droit, le cabinet de Mexico ne pouvait certainement
pas s'affranchir lui-même d'obligations solennellement
contractées, mais en fait, c'était le seul parti qu'il eût à
prendre, à moins d'abandonner le pouvoir à d'autres qui
se fussent trouvés dans la même impasse.
Le décret de suspension des paiements avait pour résultat
immédiat de lui permettre de saisir 4 à 500,000 piastres
déjà prélevées sur les douanes el mises de côté pour le
service de la dette extérieure.
(17 juillet -1861
16 f PARTIE. CHAPITRE l".
(lesmiSresde ^^^ iTiinistres de France et d'Angleterre réclamèrent le
et d'AngSerre retrait de la loi du 17 juillet; ne l'ayant pas obtenu, ils
le gouvernement empirent Icurs relations diplomatiques avec le cabinet
(:>5ju3";£). niexicain(») (25 juillet).
En ce moment du reste, Juarez s'inquiétait médiocrement
du mécontentement des puissances européennes ; pour lui,
les ennemis à craindre étaient ceux dont on apercevait les
bandes dans la vallée de Mexico, les chefs réactionnaires,
Marquez , Mejia, Vicario ou Cobos, bien plutôt que les
armées éloignées des puissances européennes. Il appré-
hendait donc peu la guerre étrangère et ne fit rien pour
l'éviter.
Les étrangers La Francc, l'Angleterre et l'Espacjne ayant depuis lonff-
au Mexique. . ! . . .
temps à se plaindre des mauvais traitements infligés à
leurs nationaux, la question d'mtervention avait été déjà
posée antérieurement.
Les étrangers établis au Mexique ne s'étaient pas tenus à
l'écart des luttes des partis. Les négociants, les consuls
eux-mêmes avaient au contraire souvent favorisé les
révolutions sur lesquelles un grand nombre spéculaient, et
ils en avaient parfois profité pour accroître rapidement leur
fortune, soit au moyen de prêts et de transactions usu-
raires, soit au moyen d'arrangements de douanes. Cepen-
dant après chaque crise, les ministres des puissances
étrangères, interprètes trop complaisants parfois des
plaintes exagérées de leurs nationaux, présentaient au nou-
veau gouvernement une longue liste de dommages à ré-
parer, qui se traduisaient toujours par un chiffre excessif
d'indemnités pécuniaires. Quelquefois ausoi, ils prenaient à
(') M. (Il' Salii.'iiy ;iu ministre des niïairps ('trangères, 27 juillet ISGl.
PRÉLIMINAIRES T.E L EXPEDITION. 17
l'égard des présidents delà République une attitude quel-
que peu hautaine et leurs communications diplomatiques
affectaient trop souvent un caractère comminatoire.
Ils s'immisçaient volontiers dans les actes intimes de
l'administration intérieure, critiquant, approuvant, blâ-
mant telle ou telle mesure, et s'occupaient de questions
parfaitement étrangères à leurs missions diplomatiques.
Ainsi M. de Saligny faisait un grief au gouvernement
mexicain du brigandage qui désolait le pays, des vols
commis journellement dans la capitale et le rendait respon-
sable du désordre qui régnait au Mexique, de l'insécurité
des chemins, des violences commises à l'autre extrémité
du territoire sur les négociants étrangers (^).
Dans un pays déchiré par les guerres civiles, où les ci-
toyens n'ont aucune sécurité pour leurs biens et leurs
personnes , il est impossible que les étrangers puissent
jouir d'une immunité particulière, surtout lorsque le grand
commerce et une forte partie de la richesse publique sont
entre leurs mains. Au mois de décembre 1861, le général
La Llave, gouverneur de la Vera-Cruz, répondant à la
sommation de l'amiral espagnol, pouvait cependant dire
avec raison : « Les étrangers ont jusqu'ici joui de tels avan-
tages et ont été si respectés, que je puis vous assurer que
la condition de citoyen mexicain est un désavantage, si on
la compare avec celle d'étranger. »
Toutefois, malgré les efforts de leurs ministres, les
emprunts forcés pesaient lourdement sur eux, mais les
maisons de banque étrangères, qui disposaient de capitaux
importants, tiraient très-habilement parti de la situation en
(0 Lettre tlf M. de Saligny an Ministre des att'aires étrangères, 13 mars
1862.
18 I" PARTIE. CHAPITRE l".
les prêtant à des conditions qu'elles savaient fort bien pro-
portionner aux risques à courii\
L'affaire Jecker (^) est un des exemples les plus connus
de ces contrats usuraires, dont les intéressés ne craignaient
pas de réclamer l'exécution par voie diplomatique et que
les ministres étrangers soutenaient sans s'inquiéter suffi-
samment peut-être de la dignité de leur pavillon; on
voyait même certains consuls favoriser la contrebande
des métaux précieux sur la côte du Pacifique et couvrir ce
trafic déshonnête du drapeau de leur nation (^). A côté de
réclamations justement fondées, il en était d'autres mé-
diocrement dignes de protection, aussi l'appui qu'elles
trouvaient près des agents diplomatiques ne paraissait pas
toujours désintéressé.
Cependant certains griefs des puissances européennes
paraissent très-justifiés. Ceux de l'Espagne étaient les plus
nombreux et les plus anciens. Le Mexique n'avait rempli
aucun de ses engagements vis-à-vis d'elle et les sujets
espagnols se plaignaient chaquejour de nouvelles violences.
Premiers projets En 1858, cllc avait déjà le désir d'intervenir dans les
u intervenlioii. ^^ . . .
affaires intérieures du pays; plus tard, en 1860, son am-
bassadeur, M. Pacheco faisait de vives instances auprès du
capitaine général de Cuba pour obtenir de lui une démons-
O Voir à l'Appendice.
(2) Nous traduisons ce qui suit d'un ouvrage anglais publié à Londres en
1862, — Noies sur le Mexique par Lemprière : Un membre du congrès de Mexico
ayant signalé les infâmes transactions des consuls anglais sur le Pacifique, la
légation anglaise le poursuivit ; une indemnité pécuniaire fut obtenue, tandis que,
dans tout autre pays, le crime ainsi dénoncé eût refu la plus sévère réprobation.
Les faits de ce genre sont nombreux ; c'est l'histoire de nos consulats et de notre
diplomatie dans les trente dernières années. Les rcprésentmts des autres nations
ont du reste rivalisé avec les nôtres La protection diplomatique est de-
venue un trafic ; elle s'étend la plupart du temps sur des personnes qui n'y ont
aucun droit et qui en profilent pour couvrir leurs spéculations.
PRÉLIMINAIRES DE L'EXPÉDITION. 19
Iralion militaire contre Juarez, alors installé àlaVera-Cruz;
mais le maréchal Serrano s'était prudemment abstenu de
peur d'engager son gouvernement dans des complications
avec les Etats-Unis. Le Cabinet de Madrid avait approuvé
sa réserve et s'était efforcé dès ce moment de s'entendre avec
l'Angleterre et avec la France afin d'agir collectivement
contre le Mexique. Le ministre des relations extérieures
d'Espagne, M. Galderon-Collantes, parlait même alors,
en termes fort positifs, de l'opportunité d'établir dans ce
pays un gouvernement monarchique (*-».
Plus tard les ministres français et anglais n'ayant pas
obtenu de Juarez les satisfactions qu'ils réclamaient ,
avaient formellement sollicité leurs gouvernements d'en
venir aux mesures coercitives; M. Matthew écrivait « qu'à
moins d'une intervention étrangère, le démembrement du
Mexique et une banqueroute nationale lui paraissaient iné-
vitables C^). »
Sir Gh. Wyke, son successeur, faisait valoir à l'appui de
celte demande d'intervention l'importance des intérêts an-
glais engagés au Mexique etle développement ultérieur qui
pourrait leur être donné à l'abri d'un gouvernement hon-
nête, si l'on encourageait le parti modéré à relever la
tête (^). « Tous les Mexicains sensés approuveraient, disait-
il, une mesure qui mettrait un terme aux excès commis
chaque jour sous un gouvernement aussi corrompu qu'im-
puissant à miaintenir l'ordre et à faire exécuter ses propres
(') Correspondance diplomatique de l'Espagne avec la France, notamment une
lettre du 10 janvier i859, de M, Calderon-CoUanles à l'ambassadeur de la reine
à Paris, et une lettre du 2 juin 1860, de l'ambassadeur français en Espagne au
Ministre des affaires étrangères à Paris.
(î) Dépèche de M. Matthew, 12 mai 1861.
(3) Dépêche de sir Ch. Wyke. 27 mai 1861,
20 l""* PARTIE. CHAPITRE l".
lois (^). » Il ne voit aucun espoir d'amélioration en dehors
d'une intervention étrangère ou de la formation d'un gou-
vernement raisonnable composé des principaux membres
du parti modéré (^).
Du reste, les Puissances européennes étaient sollicitées
d'intervenir au Mexique bien moins encore par leurs na-
tionaux que par un parti nombreux d'émigrés mexicains
avides de ressaisir le pouvoir et partisans plus ou moins
éclairés de la monarchie. « Ce sont les émigrés mexicains à
Paris, qui ont fait les ouvertures actuelles au gouvernement
autrichien comme ils les avaient déjà faites en 1846, » écri-
vait lord Bloomfield, ambassadeur d'Angleterre à Vienne,
au mois de février 1862 (^).
En 1854, M. Guttierrez de Estrada avait été, comme on
l'a vu, officiellement chargé par Santa-Anna d'ouvrir des
négociations à ce sujet, mais les guerres de Grimée et
d'Italie n'avaient pas permis aux cabinets européens
d'écouter ces propositions.
En 1860, les circonstances parurent plus favorables ;
tout porte à croire qu'à cette époque déjà des offres for-
melles avaient été faites à l'archiduc Maximilien qui,
cédant aux désirs de la princesse Charlotte, sa femme, et
aux conseils du roi des Belges, son beau-père, les avait
éventuellement acceptées.
L'empereur Napoléon se montra favorable à ce projet,
dont la réalisation lui était représentée comme facile ; le
parti monarchique nombreux et influent verrait, lui di-
sait-on, ses rangs grossis par tous les hommes modérés,
avides de repos. Les agents diplomatiques confirmaient
<•) Dépêche de sir Cli. Wyke, 25 juin 1861.
(2) Dépêche de sir Ch. Wyke, 28 octobre 1861,
<3) Lord HloumCicId à lord Russell. 6 février 1862,
PRÉLIMINAIRES DE l' EXPÉDITION. 21
ces assertions. D'après leurs dépêches, l'anarchie était au
comble, une nouvelle révolution imminente ; le gouverne-
ment de Juarez foulait aux pieds toutes les conventions,
une intervention armée pouvait seule sauver le Mexique
et assurer les satisfactions que les puissances récla-
maient.
Les Etats-Unis verraient sans doute avec déplaisir une
intervention européenne, mais, absorbés par leurs discordes
intérieures, il leur sérail impossible de la contrarier. Un
empire pourrait être créé au Mexique, une digue opposée à
leur marche envahissante vers le centre de l'Amérique, le
passage entre les deux océans soustrait à leur monopole
avant que fût terminée la crise au milieu de laquelle ils
se débattaient.
L'occasion semblait donc favorable. Une régénération
des races latines, poursuivie et protégée par la France dans
le nouveau comme dans l'ancien monde, les relations com.-
merciales étendues, un grand progrès humanitaire con-
sacré par le réveil d'un peuple entier et son entrée dans
le courant de la civilisation moderne, tel était le mirage sé-
duisant que présentait l'avenir. Les émigrés, toujours dis-
posés à présenter les choses telles qu'ils les désirent et non
pas telles qu'elles sont en réalité, avaient soin d'entretenir
les plus dangereuses illusions. Ils ne cessaient d'affir-
mer que le pays tout entier aspirait à une restauration
monarchique ; à force de le dire ils avaient sans doute
fini par le croire eux-mêmes et, de bonne foi peut-être, ils
cherchaient à persuader ceux de qui dépendait la réalisa-
tion de leurs espérances.
Santa-Anna était un des plus ardents partisans de la
monarchie; le 15 octobre 1861, il écrivait à M. Guttierez
de Estrada à Paris :
22 r" PARTIE. CHAPITRE l".
« J'avais déjà quelques données à l'égard de la résolution prise
par les trois puissances maritimes relativement au Mexique.
« Ce que vous me mandez aujourd'hui me démontre qu'il ne
saurait subsister de doute quant au prochain changement de sa
situation.
« Ce qui conviendrait actuellement serait de profiter d'une si
heureuse occurrence pour Taccomplissement de nos anciens sou-
haits, en vertu de cette règle, que l'occasion n'a qu'un cheveu et
ne se présente pas deux fois. Combien ne serait-il pas opportun
de vous approcher de ces gouvernements et de leur rappeler nos
anciennes sollicitations !
« Et surtout de leur faire connaître que le Mexique n'aura pas de
paix durable tant qu'on n'aura point radicalement guéri le mal.
« Le remède doit se borner h substituer h cette bouffonnerie
qu'on appelle la république, un empereur constitutionnel. Les
trois puissances pourraient l'élire d'un commun accord. Faites
leur aussi savoir qu'aujourd'hui plus que jamais, je suis résolu h
accomplir celte idée et que je travaillerai sans relâche h en amener
la réalisation; aussi peut-on compter sur moi...
Plus tard, en 1863, après les premiers insuccès des ten-
tatives du parti monarchique, il répétait encore :
« Quant à l'opinion de la majorité du pays, je ne doute pas
qu'aussitôt les démagogues chassés de la capitale, elle ne se déclare
pour la monarchie constitutionnelle, comme la forme du gouverne-
ment la mieux appropriée au bien des peuples. Ceux qui préten-
dent qu'il n'y a pas au Mexique un parti monarchique jugeront
de leur erreur, lorsqu'on pourra manifester sa pensée sans nul
péril.
« Entre ces partisans de la monarchie, on me rencontrera, moi,
qui fus l'inaugurateur de la République, péché que j'ai du reste
expié suffisamment!
« En résumé, si l'Empereur ne retire pas sa protection aux bons
Mexicains, l'œuvre de salut aura pour notre pays son accomplisse-
ment.
« Le Mexique constitué jouira d'une paix constante et, à la
faveur de la sécurité publique, il pourra donner essor h tous les
éléments de richesse que renferme son sol privilégié, et remplir ses
engagements.
PRÉLDIINAIRES DE L'EXPÉDITION . 23
« Dieu nous conserve l'existence pour voir se lever l'aurore de
cette régénération et s'en réaliser une partie ! '^) »
En prêtant son concours au parti monarchique, l'Em-
pereur pouvait donc croire que ce parti représentait l'opi-
nion de la majorité du pays ; et il est difficile d'admettre
qu'il ail cru possible d'imposer aux Mexicains un gouver-
nement contre leur gré. Du reste, fidèle à sa théorie du
suffrage universel, il exprima formellement l'intention
d'appeler la nation mexicaine à se prononcer elle-même,
sans indiquer toutefois quels procédés permettraient d'ap-
pliquer le système plébiscitaire à un pays aussi vaste et
aussi décentralisé.
Les rapports de M. de Saligny contribuèrent encore à
augmenter l'obscurité et la confusion au miheu desquelles
se développaient les projets interventionnistes ; d'un autre
côté, avec des vues et des intentions différentes, les per-
sonnes qui entouraient l'Empereur le poussaient également
dans cette voie périlleuse. L'Impératrice accueillait les émi-
grés mexicains, les entretenait dans leur langue, s'inté-
ressait à leurs malheurs ; émue des souffrances de l'Église
catholique, elle était disposée à considérer l'expédition pro-
jetée comme une pieuse croisade. M. de Morny pressentait
une spéculation colossale. ïl avait des intérêts importants
dans les affaires du banquier suisse Jecker ; il soutenait per-
sonnellement et faisait soutenir par la diplomatie française
les revendications de cette maison. C'était lui qui avait
fait envoyer M. de Saligny au Mexique, et les soins que le
ministre de France devait donner aux intérêts de son pays
se compliquaient singulièrement de ceux que réclamaient
('> Lettre à M. GuUifrez de Estrada, 13 février 1863.
24 r*" PARTIE. — CHAITIKE l"\
les intérêts particuliers de ce puissant protecteur (*) .
L'Empereur ignorait sans doute les détails déplorables
de ces intrigues financières; mais l'influence exercée sur
lui par M. de Morny n'en était pas moins au service d'in-
térêts fort peu recommandables C^).
C'est ainsi qu'une grande nation, malheureusement
traitée en mineure, put être lancée contre son gré dans une
expédition d'aventure. L'opinion publique en France s'y
montrait fort opposée. Les affaires Jecker et les intrigues
des partisans de la monarchie sur lesquelles un secret absolu
n'avait pu être gardé, n'étaient pas de nature à exciter ses
sympathies. La situation politique du Mexique était géné-
ralement peu connue, mais quelqu'incomplets que fussent
leurs renseignements, beaucoup d'esprits sages jugeaient
sainement des dangers de l'avenir. De plus les dépenses
de l'expédition devaient être certainement très-élevées
et cependant le déficit des budgets s'accroissait chaque
année.
O Des correspondances de la maison Jecker, interceptées et publie'es dans le
recueil des documents soumis au congrès des Etats-Unis, ne laissent aucun doute
à ce sujet. Ces correspondances paraissent avoir tous les caractères de l'authen-
ticité. Voir à l'Appendice.
<*) Un agent des Etats-Unis à La Haye appréciait ainsi les motifs qui gui-
daient la politique de l'Empereur dans la question mexicaine :
0 Dans les cercles bien informés, on considère l'expédition du Mexique comme
étant de la part de l'Empereur le développement d'un plan qui consisterait à aug-
menter son prestige et celui de la dynastie en paraissant le soutien de l'Eglise
dans ce pays. Bien que n'étant pas en faveur près des catholiques, il se rend né-
cessaire à eux à Rome et il aimerait, paraî(-il, jouer un rôle analogue à Mexico. . .
« Il est en harmonie avec ses plans de mettre de l'argent dans les poches des
soutiens inlluents de l'empire en donnant, sous un régime nouveau, une valeur
aux litres d(î lu diille mexicaine qui sont en leur possession et n'en ont aucuni'
acluellemL'ut.
« Ces vues me paraissent plus raisonnables que l'idée souvent émise, que
l'invasion de cette malheureuse contrée aurait pour objet le rétablissement de la
monarchie en faveur d'une des familles royales déchues en Europe. » (M. Pike ;i
.M. Seward. La ll.iyo, 23 mai 1862.)
PRÉLIMIA AIRES DE L'EXPÉDITION. 2o
L'Empereur ne tint aucun compte de l'opinion publique ;
il s'engagea dans cette entreprise sous sa seule responsa-
bilité. Toutefois il faut reconnaître que ni les spéculations
financières, ni les projets de restauration monarchique, ni
les idées de régénération des races latines ou d'équilibre
américain n'ont été, comme on l'a dit, les raisons déter-
minantes de la guerre du Mexique. Il suffit pour le prouver
de rappeler la part que l'Angleterre et l'Espagne prirent
aux opérations militaires du commencement. Il faut donc
rechercher la cause réelle de la guerre dans les griefs,
dont ces puissances ne pouvaient obtenir le redresse-
ment.
Lorsque le paiement de la dette étrangère fut suspendu,
les représentants de la France et de l'Angleterre agirent
en complet accord (^) ; leur rupture avec le gouvernement
de Juarez fut approuvée par leurs ministres respectifs, et
des instructions identiques leur prescrivirent de quitter
Mexico, s'ils n'obtenaient pas le retrait de la loi et l'éta-
blissement dans les ports de la Vera-Gruz et de Tampico
de commissaires désignés par eux, ayant mission d'assu-
rer la remise entre les mains des puissances des fonds à
prélever à leur profit sur les douanes maritimes (^). Ils
étaient avisés l'un et l'autre que des forces navales seraient
envoyées pour soutenir ces demandes.
M. Mon, ambassadeur d'Espagne à Paris, prévenu de ces
dispositions, avertit son gouvernement par le télégraphe.
« On paraît, disait-il, ne se soucier en rien de nous » (6 sept.
1861). Une dépèche du cabinet de Madrid, qui se croisa avec
la sienne, lui prescrivait au même moment « de vérifier si
le gouoernement français avait V intention de faire une démons-
(•) M. de Saligny au Ministre des affaires étrangères, 27 juillet 18G1.
(2) M. Thouvenel à M. de Saligny, 5 septembre 1861.
26 l""' PARTIE. . — CHAPITRE l".
tration contre le Mexique. » Par une seconde dépêche du
même jour, le ministre espagnol lui faisait savoir que
l'ordre était donné 9u capitaine général de Cuba d'opérer
contre les ports de Tampico et de Vera-Gruz :
« Si l'Angleterre et la France convenaient d'agir d'accord
avec l'Espagne, les forces des trois puissances se réu-
niraient tant pour obtenir la réparation des outrages reçus,
que pour établir un ordre régulier et stable au Mexique...
Mais si ces puissances laissaient l'Espagne de côté, le
gouvernement de la reine obtiendrait les satisfactions qu'il
avait le droit de réclamer, en se servant des forces qu'il
possédait et qui étaient supérieures à celles nécessaires
pour réaliser une entreprise de ce genre 0). »
Ces dépêches montrent quelle était alors la communauté
de vue des trois puissances au sujet de la nécessité d'une
démonstration militaire contre le Mexique. M. Mon ayant
fait part à M. Thouvenel, ministre des affaires étrangères,
des intentions de l'Espagne, le gouvernement français ré-
pondit qu'il accueillerait son concours avec plaisir (^).
Le cabinet de Madrid commença aussitôt ses préparatifs ;
il y mit une certaine hâte , comme si, maintenant que
l'appui de la France et de l'Angleterre lui était assuré, il
eût voulu les devancer. Le 11 septembre, des instructions
étaient adressées au capitaine général de Cuba pour lui
prescrire d'envoyer une escadre et des troupes de débar-
quement sur les côtes mexicaines et de réclamer au nom de
l'Espagne :
1° Une satisfaction publique et solennelle pour l'expul-
(1) M. Calderon-Collantes à M. Alon, o septembre 1801.
(») M. Mon il .M. Calderon-Collantes, 9 septembre 1861.
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITIOjN". 27
sion de l'ambassadeur et l'envoi à Madrid d'un représen-
tant chargé d'en exprimer le regret ;
2" L'exécution du traité Mon-Almonte O ;
3^ Des indemnités aux Espagnols victimes de certains
crimes, et la punition exemplaire des coupables ;
¥ Le remboursement de la valeur du trois-mâts Con-
cepcion, capturé par les navires de Juarez.
Conditions « sine qiianon » dont le rejet devait entraîner
l'ouverture immédiate des hostilités.
Cependant, comme les cabinets de Londres et de Paris
appréciaient d'une façon différente le développement à
donner à l'action contre le Mexique, Lord Paissell pria
l'Espagne de ne pas prendre de résolution définitive avant
que la France et l'Angleterre se fussent mises d'accord (^).
Le gouvernement français avait exprimé la pensée (^), que
(1) Un traité signé à Paris entre M. Mon, ambassadeur d'Espagne, et le général
Almonte, représentant du gouvernement de Miramon, avait réglé les difficultés
pendantes entre l'Espagne et le Mexique. Juarez ne voulait pas en reconnaître la
validité.
(2) Dépêche du 23 septembre 1861.
(3) M. Thouvenel à lord Gowley, 2 octobre 1861 ;
Extrait d'une dépêche de M. Thouvenel à l'ambassadeur de France à Londres,
11 octobre 1861 :
« L'ambassadeur d'Angleterre est venu m'entretenir des affaires du
Mexique et des moyens de combiner l'action de nos deux Gouvernements pour
atteindre le but commun que nous nous proposons. Le Gouvernement de la Reine
est prêt, m'a-t-il dit, à signer avec la France et l'Espagne une convention à l'effet
d'obtenir la réparation des torts commis envers les sujets des trois pays et d'assu-
rer l'exécution des engagements contractés par le Mexicpie, vis-à-vis de ces Gou-
vernements respectifs, pourvu qu'il soit déclaré dans cette convention que les forces
des trois puissances ne seront employées à aucun objet ultérieur quelconque, et
surtout qu'elles n'interviendront pas dans le gouvernement intérieur du Mexique.
Le cabinet de Londres propose d'inviter les États-Unis à adhérer à cette con-
vention , sans toutefois attendre leur réponse pour commencer les opérations
actives,
« J'ai répondu que j'étais complètement d'accord avec le Gouvernement anglais
sur un point, que je reconnaissais que la légitimité de notre action cocrcitive à
28 l" l'ARTlE. CHAPITRE l".
l'arrivée des alliés sur les côtes du Mexique, détermi-
nerait un mouvement en faveur de la monarchie ; il était
disposé à en faciliter le succès et manifestait le désir de
l'égard du Mexique ne résultait évidemment que de nos griefs contre le gouverne-
ment de ce pays, et que ces griefs, ainsi que les moyens de les redresser et d'en
prévenir le retour, pouvaient seuls, en effet, faire l'objet d'une convention osten-
sible. J'adnieUais également que les Parties contractantes pourraient s'engager à
ne retirer de leur démonstration aucun avantage politique ou commercial à l'exclu-
sion les unes des autres, ou même de toute autre puissance, mais qu'il me sem-
blait inutile d'aller au delà et de s'interdire à l'avance l'usage éventuel d'une
participation légitime dans les événements, dont nos opérations pourraient être
l'origine. Pas plus que le Gouvernement de la Reine, celui de l'Empereur ne veut
assumer la responsabilité d'une intervention directe dans les affaires intérieures du
Mexique, mais il pense qu'il est de la prudence des deux cabinets de ne pas décou-
rager les efforts qui pourraient être tentés par le pays lui-même pour sortir de
l'état d'anarchie où il est plongé en lui faisant connaître qu'il n'a à attendre en
aucune circonstance aucun appui ni aucun concours. L'intérêt commun de la
France et de l'Angleterre est éWdemment de voir s'établir au Mexique un état de
choses qui assure la sécurité des intérêts déjà existants, et qui favorise le déve-
loppement de nos échanges avec l'un des pays du monde le plus richement
doué. Les événements dont les États-Unis sont en ce moment le théâtre donnent
à ces considérations une importance nouvelle et plus urgente.
<. Il est permis de supposer, en effet, que si l'issue de la crise américaine con-
sacrait la séparation définitive du Nord et du Sud, les deux nouvelles confédéra-
tions chercheraient l'une et l'autre des compensations , que le territoire du
Mexique, livré à une dissolution sociale, offrirait à leurs compétitions. Un semblable
événement ne saurait être indifférent à l'Angleterre, et le principal obstacle
qui pourrait, selon nous, en prévenir l'accomplissement, serait la constitution au
Mexique d'un gouvernement réparateur assez fort pour arrêter sa dissolution
intérieure. Que les éléments d'un semblable gouvernement existent au Mexique,
c'est ce que nous ne saurions certainement assurer. Mais l'intérêt qui s'attache
pour nous à la régénération de ce pays ne permet, ce nous semble, de négliger
aucun des symptômes qui pourraient faire espérer le succès d'une pareille tenta-
tive. A l'égard de la forme de ce gouvernement, pourvu qu'il donnât au pays
et à nous-mêmes des garanties suffisantes, nous n'avions et je ne supposais à
l'Angleterre aucune préférence, ni aucun parti pris. Mais si les Mexicains eux-
mêmes, las de leurs épreuves, décidés à réagir contre un passé désastreux, pui-
saient dans le sentiment des dangers qui les menacent une vitalité nouvelle; si
revenant, par exemple, aux instincts de leur race, ils trouvaient bon de chercher
dans un établissement monarchique le repos et la prospérité qu'ils n'ont pas
rencontrés dans les institutions républicaines, je ne pensais pas que nous dussions
nous interdire absolument de les aider, s'il y avait lieu, dans l'œuvre de leur
régénération, tout en reconnaissant que nous devions les laisser entièrement
libres de choisir la \oic qui leur paraîtrait la meilleure pour les y conduire.
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITTON. 29
voir le choix des Mexicains et l'assentiment des puissances
se porter sur l'archiduc Maximilien.
L'Espagne ne répondit pas à ces ouvertures O ; la can-
didature d'un prince autrichien ne pouvait en aucune façon
avoir ses sympathies ; si un trône s'élevait dans ses an-
ciennes colonies d'Amérique, elle souhaitait que ce fût au
profit d'un prince de sa maison, mais ce désir ne fut posi-
tivement exprimé que plus tard. Le 9 décembre, le ministre
des affaires étrangères d'Espagne écrivit en effet à l'am-
bassadeur de la reine à Paris :
« Le gouvernement de la reine verra avec plaisir l'éta-
blissement au Mexique d'un pouvoir solide et stable ; mais
soit qu'il se constitue sons la forme monarchique , qui est la
préférable incontestablement, soit sous une forme moins sûre,
l'Espagne désire que le choix soit l'œuvre exclusive des Mexi-
cains. On devra leurlaisserla même large libertépour choi-
sir le souverain qui devra les gouverner s'ils préféraient la
monarchie à la République ; mais le gouvernement de Sa
Majesté ne pourra cacher que , dans ce cas, il croirait
conforme aux traditions historiques et aux liens qui doivent
• Poursuivant le développement de ces idées dans la forme d'une conversation
intime et confiante, j'ai ajouté que, dans le cas où la prévision qae j'indicpiais
viendrait à se réaliser, le Gouvernement de l'Empereur, dégagé de toute préoc-
cupation intéressée, écartait d'avance toute candidature d'un prince quelconqur
de la famille impériale, et que, désireux de ménager toutes les susceptibilités, il
verrait avec plaisir le choix des Mexicains et l'assentiment des puissances se
porter sur un prince de la maison d'Autriche.
« Pour revenir au point de départ de cet entretien et pour le résumer, j'ai
dit enfin que la convention projetée devait, selon moi, indiquer le but de l'en-
lente des Parlies contractantes et les moyens combinés pour l'atteindre, dire en
un mot, tout ce que nous ferions, mais qu'il paraissait conforme à la prudence
et à l'usage de s'abstenir de dire ce que nous ne ferions pas dans l'hj'pothèse
d'événements incertains et auxquels il serait temps d'aviser quand ils se produi-
raient Signé : Thouvenel.
<•) Discours de .M. Mon auv Corlès espagnoles. 7 et 8 janvier 1863.
30 l"' PARTIE. — CHAPITRE l".
unir les deux peuples, que l'on préférât un prince de la
dynastie de Bourbon on intimement uni à elle (*). »
Il semble donc résulter de cette dépêche que si l'Espagne
avait un candidat différent de celui de la France, elle était
du moins d'accord avec elle pour souhaiter le rétablis-
sement d'un gouvernement monarchique et cependant, à
la même époque, le maréchal O'Donnel, chef du cabinet
de Madrid, disait au ministre anglais que l'idée d'éta-
blir une monarchie constitutionnelle au Mexique à l'aide
d'une intervention étrangère lui paraissait tout à fait chi-
mérique (^) ; quelques mois plus tard, il traitait ce projet
de « si extravagant qu'il méritait à peine d'être dis-
cuté (^). »
Le gouvernement anglais, de son côté W , déclarait
qu'en principe il était opposé à toute intervention armée et
il exprimait l'opinion qu'au Mexique surtout une inter-
vention ne saurait remédier à l'anarchie ; qu'une armée
étrangère ne parviendrait jamais à établir dans ce pays une
autorité stable et prépondérante, et qu'il était imprudent
d'exciter le mécontentement des Etats-Unis sans avoir
devant soi un but important et une certitude suffisante de
réussir.
Si l'effet indirect d'opérations navales et militaires était
(*) M. Perry, ministre des Élats-Unis à Madrid, informait son gouvernement,
le io mars 1862, que l'on agitait un projet de mariage entre le comte de
Flandre et la fille aînée du duc de Montpensier, et que l'on s'occupait de poser
leur candidature au trône du Mexique. — Le 31 janvier, lord Crampton, ministre
d'Angleterre à Madrid, avait déjà prévenu lord Russell qu'il avait été questionné
pour savoir si l'Angleterre serait disposée à soutenir la candid.ilure du comte de
Flandre, et qu'il avait répondu que l'Angleterre ne soutiendrait personne.
W Dépùdie de sir John Crampton, 13 septembre 1801. — Discours de M. Ber-
mudez de Castro, 18 décembre 1862.
(3) Dépêche de sir John Crampton, 30 janvier 1862.
(M Dépêche de sir John lUissell, 30 se]»tcinl)re 1862.
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITION. 31
de déterminer les Mexicains à instituer un gouvernement
plus en état que les précédents de conserver les relations de
paix et d'amitié avec les puissances étrangères, le gouver-
nement anglais s'en féliciterait, mais il pensait « qu'on
aurait plus de chances d'arriver à ce résultat par une con-
duite soigneusement conforme au respect dû à une nation
indépendante, que par une tentative d'améliorer par une
force étrangère les institutions intérieures du Mexique. »
Il entendait n'aller au Mexique que pour recouvrer les
sommes qui lui étaient dues. Inquiet des projets de la
France, il tenait avant le départ de l'expédition à faire
stipuler dans une convention formelle le but et les limites
de l'intervention.
Les ministres anglais, ne partageant ni les espérances ni
les illusions de l'empereur Napoléon, conservaient à la po-
litique de la Grande-Bretagne le caractère pratique qui l'a
toujours distinguée. Ils présentèrent à la France et à
l'Espagne un projet de convention, dans lequel il était
expressément dit que l'action demeurerait limitée aux côtes
et que les forces alliées n'interviendraient en rien dans les
affaires du pays (*).
L'Espagne et la France ne voulurent pas se lier les mains
par une déclaration aussi catégorique, ni « décourager
par avance les efforts que le Mexique pourrait tenter de
lui-même avec l'appui moral de la présence des flottes
alliées sur ses rivages ('^); » leur intention était que le
corps expéditionnaire put s'avancer dans l'intérieur, soit
pour atteindre le gouvernement de Juarez, si l'action sur
les côtes était inefficace, soit pour se soustraire aux in-
(1), Discours de M. Bermudez de Castro aux Certes, 17 décembre 1862.
(2) Lettre de M. Thouvenel à M. de Flahaut. 11 octohrp 1861.
32 i^" PAniIE. CHAPITRE l".
fluences d'un climat meurtrier. Elles repoussèrent donc
la rédaction proposée par l'Angleterre (*). M. Galderon
Collantes, ministre des affaires étrangères à Madrid,
ajoutait qu'il valait mieux s'abstenir que d'aller au Mexique
dans les conditions du projet anglais.
En résumé, la France avait le dessein d'intervenir au
Mexique d'une manière effective et d'appuyer le prince
Maximilien. L'Angleterre ne voulait pas s'occuper des
affaires intérieures du pays ; elle avait exclusivement en
vue la protection des sujets et des intérêts anglais.
Quant à l'Espagne, bien que le président du conseil
trouvât chimérique le projet d'établir un gouvernement
monarchique au Mexique, le cabinet, admettant la possi-
bilité qu'un mouvement se produisît dans le pays, exprimait
le désir qu'il eût lieu « en faveur d'un prince de la dynastie
de Bourbon ou intimement uni à elle » ; il s'éloignait donc
ainsi du projet de l'Angleterre, sans se rapprocher de
celui de la France.
Telles étaient les dispositions apportées par chacune des
puissances à la signature de la convention de Londres, le
81 octobre 1861 (-).
Convention 11 fut expliqué daus ce traité, que les gouvernements de
(31 od. 4861). France, d'Angleterre et d'Espagne se proposaient d'obtenir,
par une action commune sur le Mexique, le redressement
des griefs nombreux dont ils avaient à se plaindre, des
garanties plus efficaces pour les personnes et les propriétés
de leurs nationaux, enfin l'exécution des obligations con-
tractées par la Uépublique mexicaine.
(>) M. Ijarrot à iM. TliouvencI, 21 octobre 1861.
^2) Le texte de la convention est donné au Moniteur universel du 22 no-
vembre 1861. Voir ;i rAippcndicf.
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITIOX. 33
Ils s'engageaient à envoyer sur les côtes du Mexique des
forces de terre et de mer suffisantes pour saisir et occuper
les différentes positions militaires et les forteresses du litto-
ral, soit sur le golfe du Mexique, soit sur l'océan Pacifique,
sans s'interdire toutefois les autres opérations qui seraient
jugées sur les lieux les plus propres à réaliser le but pour-
suivi en commun et notamment à assurer la sécurité des
résidents étrangers.
Ils promirent de ne rechercher pour eux, dans l'emploi
de mesures coercitives, aucune acquisition de territoire, ni
aucun avantage particulier, et à n'exercer dans les affaires
intérieures du Mexique aucune intluence de nature à porter
atteinte au droit de cette nation de choisir et de constituer
librement la forme de son gouvernement.
Il fut convenu que tout en invitant sans retard le gou-
vernement des États-Unis, qui avait aussi des réclamations
à faire valoir, à accéder à cette convention, on ne s'expo-
serait pas, dans la seule vue d'obtenir cette adhésion, à
manquer le but à atteindre, et que par conséquent on ne
retarderait pas le commencement des opérations au delà
de l'époque à laquelle les forces combinées pourraient être
réunies dans les parages de la Vera-Cruz.
Bans ce traité, que l'on dirait fait à la hâte, rien n'est
spécifié d'une manière précise ; les gouvernements n'étaient
pas d'accord avant la signature, et l'on ne voit aucun article
qui fasse disparaître leurs divergences de vue ; au contraire
il semblerait qu'au lieu de chercher à résoudre les diffi-
cultés, on eût voulu éviter de di.^cuter les points sur les-
quels les opinions différaient.
Après, comme avant, chacun conserve la liberté de
suivre une ligne politique particulière ; les termes vagues
du trnité ne s'y opposent pas, de môme qu'ils n'obligent
34 ]" PARTIE. CHAPITRE l".
aucun des gouvernements à étendre ou à restreindre son
action dans la même mesure que ses alliés.
Les plénipotentiaires ne se communiquent même pas la
note des réclamations de chaque puissance ; on se décide
à agir en commun sans déterminer d'avance les réparations
à obtenir et sans examiner si les prétentions de l'un sont
de nature à être soutenues parles autres. Bien plus, comme
on le verra par la suite, le gouvernement français ne savait
même pas exactement quelles satisfactions il exigerait, de
sorte que si Juarez, dans le but d'arrêter l'intervention eu-
ropéenne, se fût déclaré prêt à accepter toutes les conditions
des alliés, le cabinet des Tuileries n'eût pas été à même
de formuler des réclamations pour l'établissement des-
quelles il manquait d'éléments d'appréciation. Ceci est
d'autant plus grave à signaler que, plus tard, le refus des
Anglais d'appuyer les demandes des commissaires français
sera la cause première de la rupture de la triple alliance.
Les hostilités allaient donc s'ouvrir sans que le cabinet
des Tuileries eût arrêté les bases d'un ultimatum. Ce soin
était laissé à un agent diplomatique dont les sentiments
(on l'a reconnu depuis et on pouvait le savoir dès cette
époque) manquaient de mesure.
M. de Saligny avait cependant communiqué à son gou-
vernement une liste de griefs 0) ; mais il suffira d'en lire la
nomenclature pour se rendre compte qu'un certain nombre
n'étaient pas de nature à motiver des réclamations diplo-
matiques et qu'il n'était pas juste de faire remonter au
gouvernement la responsabilité de brigandages commis
sur les grandes routes, dans des lieux isolés et souvent
en dehors de son rayon d'action.
M. de Saligny a dit aussi qu'on avait attenté à ses jours ;
(') Voir à l'Apppn(îic.\
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITION . 3o
ce fait a été contesté par le gouvernement mexicain, et l'en-
quête, à laquelle il a donné lieu, n'a pu avoir de résultat
certain (^).
Pour d'autres actes de violence on avait au contraire le
droit et le devoir de demander impérieusement justice. Le
vice-consul de France à Zacatecas avait été emprisonné pour
s'être refusé à payer une taxe illégale ; le vice-consul de
Tepic était mort des suites d'odieux traitements ; une in-
demnité avait été accordée à sa famille, mais l'auteur prin-
cipal de ces excès, le colonel Piojas, avait été, après une
punition illusoire , réintégré dans l'armée et investi d'un
commandement important à Tepic même.
Venaient ensuite les réclamations pécuniaires et le
règlement des indemnités auxquelles les dommages causés
pouvaient donner lieu ; cette question paraît du reste do-
miner toutes les autres.
Tandis que le gouvernement français évaluait à environ
dix millions de francs la somme due par le Mexique C"),
M. de Saligny devait plus tard réclamer douze millions de
piastres, chiffre que les commissaires alliés trouvèrent
exorbitant et que M. Thouvenel lui-même ne pouvait s'em-
pêcher « de croire exagéré (^). »
Enfin, indépendamment de ces indemnités, il prétendait
(1) Une manifestation avait eu lieu devant Thôtel du ministre de France; un
coup de feu partit, dit-il , d'un des groupes et la balle pénétra dans ses appar-
tements. — L'agent du gouvernement de Juarez à Paris , M. de la Fuente, dé-
clara au Ministre des affaires étrangères qu'à la suite d'une enquête judiciaire, on
avait reconnu l'erreur dans laquelle était tombé M. de Saligny, que les cris ima-
ginaires de mort qui auraient été proférés étaient en réalité des acclamations en
faveur de la France et en réprobation des assassinats commis contre les étrangers ;
le groupe duquel les cris étaient partis était composé de Mexicains et de Fran-
çais échangeant entre eux des sentiments réciproques d'amitié. (?) ( Lettre de M. de
la Fuente à M. Thouvenel, 7 mars 1862.)
(2) Note sur les griefs remise à l'amiral Jurien.
(S) M. Thouvenel à M. de Saligny, 28 février 1862.
36 l" PARTIE. CHAPITRE l"'.
exiger du gouvernement de Juarez l'exécution du contrat
passé par Miramon avec la maison Jecker.
Le ministre des affaires étrangères à Paris n'était pas
très au courant de cette dernière question encore obscure,
et qui fut élucidée plus tard seulement ; il en avait, comme
pour tout le reste, réservé la solution à M. de Saligny.
Dispositions Ainsi au'il en avait été convenu, les puissances sisfna-
des Etats-Unis. ^ . . ^ .
taires de la convention de Londres invitèrent les Etats-Unis
à donner leur adhésion à ce traité ; le cabinet de Washing-
ton, loin d'être disposé (on le savait parfaitement) à fa-
voriser une intervention européenne, répondit qu'il ne
croyait pas devoir, pour le moment, donner à ses propres
réclamations l'appui de la force et qu'il avait même enta-
mé des négociations avec le Mexique en vue de lui fournir
les moyens de satisfaire aux demandes des puissances (^).
En effet, M. Corvin , ministre des États-Unis à Mexico,
conclut des arrangements financiers avec Juarez, afin de lui
procurer neuf millions de piastres et neutraliser les effets
de la convenlion de Londres en désintéressant les créan-
ciers (^). Toutefois ces traités ne furent pas approuvés par le
Sénat américain.
Les opérations militaires allaient donc commencer.
Outre les satisfactions pécuniaires, l'empereur Napoléon
poursuivait, comme nous Pavons dit, la réalisation de
certains plans politiques, dont le but était surtout de con-
trebalancer rintluence des États-Unis sur l'Amérique
centrale.
Cette idée était en définitive conforme aux principes qui
(') Dépèche du 4 décembre 18G1.
(2) M. Seward à M. Corvin, 5 décembre 1861. Voir Lemprién-, Londres,
1862.
PRÉLIMINAIRES DE l'eXPÉDITION . 37
ont souvent dirigé et dirigent encore la conduite d'un
grand nombre d'hommes d'État. La doctrine qui enseigne
que l'intérêt crée le droit, et que les règles banales de
justice et d'honnêteté, pratiquées dans les relations d'in-
dividu à individu, ne sont pas applicables aux rapports in-
ternationaux, a, depuis de longs siècles, préparé des excuses
pour tous les abus de la force.
En raisonnant ainsi, on pouvait soutenir que l'intérêt
de l'Europe étant de s'opposer au développement mena-
çant des États-Unis, elle avait le droit de prendre pied au
Mexique si elle le jugeait nécessaire, et cette prétention
pouvait paraître d'autant plus acceptable, que l'on avait
trop légèrement conçu l'espérance de voir l'intervention
européenne acclamée par la grande majorité du peuple
mexicain.
Le point de départ ainsi posé, on s'inquiéta peu du gou-
vernement qui siégeait à Mexico ; le vent qui, soufflant
d'Europe, pousserait les flottes alliées vers les rivages
mexicains, renverserait, à n'en pas douter, ce pouvoir
éphémère, et quelques milliers d'hommes paraissaient une
force bien suffisante pour tout mener à bonne fin.
Qu'était donc le Mexique ? et n'avait-on pour le connaître
que les rapports intéressés des émigrés, ou d'agents diplo-
matiques mal éclairés ou peu sincères ? L'histoire était-elle
oubliée , ou croyait-on que quarante années de guerre
civile avaient complètement épuisé la sève du pays?
« Le Mexique avait secoué la domination monarchique t ^
de l'Espagne, domination séculaire et profondément enra-
cinée ; lui, qui n'avait pas voulu de son libérateur pour roi,
accepterait-il aujourd'hui un monarque étranger? Cette
monarchie difficile à créer ne serait-elle pas plus difficile à
maintenir? Ruineuse et terrible pour les Mexicains, cette
38 l'* PARTIE. CHAPITRE l".
entreprise ne le serait pas moins pour leurs ennemis. Les
Mexicains étaient faibles sans cloute en comparaison des
puissances qui allaient envahir leur territoire, mais ils
combattraient sur le sol même de leur patrie pour la dé-
fense de leurs droits outragés. Le patriotisme décuplerait
leurs forces et la patiente ténacité des races indiennes
lasserait toutes les armées de l'Europe. »
Tel était le langage d'un certain nombre d'hommes con-
sidérables, de M. de la Fuente entre autres, agent de Juarez
en Europe , et dont les assertions auraient dû obtenir
autant de créance au moins que celles des réfugiés bannis
de leur pays et désireux d'y rentrer par tous les moyens,
fût-ce même avec l'appui des baïonnettes étrangères.
CHAPITRE DEUXIÈME.
Commandement du contre-amiral Jurien de la Gravière.
Organisation des forces expéditionnaires, — Désignation des plénipotentiaires ;
le général Prim. — Instructions données à l'amiral Jurien ; — aux commis-
saires anglais ; — au général Prim. — Formation du corps expéditionnaire
français; départ de l'escadre. — Réunion de l'escadre à Sainle-Groix-de-
Ténériffe. — L'amiral complète l'organisation du corps expéditionnaire. —
Arrivée de l'escadre à la Havane. — Première réunion des trois comman-
dants des troupes alliées. — Les émigrés mexicains à la Havane. — Juarez
se prépare à la résistance. — Débarquement des Espagnols à la Vera-Cruz.
— Achat de chevaux à la Havane. — L'escadre française quitte la Havane.
— Effectif de la division espagnole. — Manifeste des plénipotentiaires à
la nation mexicaine. — Description topographique sommaire. — Occupation
de la Tejeria. — Occupation de Medelin. — Première conférence. — Ultimatum
des plénipotentiaires français. — Deuxième conférence. — Envoi de délégués
à Mexico. — Arrestation de Miramon. — Retour des délégués. — Réponse du
gouvernement mexicain. — Deuxième note des commissaires alliés. — Loi du
23 janvier 1862. — Organisation du corps expéditionnaire. — Réponse de
Dohlado à la deuxième pote. — Troisième note. — Le général Zaragosa rem-
place le général Uraga. — Convention delà Soledad (19 février 1862). — Orga-
nisation du convoi. — Départ des troupes françaises pour Tehuacan (2o février
1862). — Réorganisation des moyens de transport. — Situation de la Vera-
Cruz et de l'escadre. «
Après avoir signé la convention de Londres, les puis- Organisation
des forces expé-
sances alliées arrêtèrent en commun que le corps expèdi- ditionnaires.
tionnaire à diriger sur le Mexique se composerait d'environ
6,000 Espagnols et 3,000 Français, l'Angleterre concouiant
40 l'' l'ARTJE. CHAPITKE II.
^^^' à l'opération par l'envoi d'une forte division navale, 2
vaisseaux, 4 frégates, un nombre proportionnel de bâti-
ments plus légers et un détachement de 700 soldats de
marine destinés à être momentanément débarqués sur les
côtes (^).
Désignation Le contre-amiral Milnes reçut le commandement des
des
piénipoteniiaircs. forcos anglaises, le contre-amiral Jurien de la Gravière
celui des troupes françaises ; le général Prim, comte de
Reus, fut désigné pour commander les troupes espagnoles.
Des commissaires devant être chargés de régler les
diverses questions de réparations à demander au Mexique
et d'indemnités à en obtenir, l'Angleterre désigna à cet
effet sir Gh. Wyke, son chargé d'affaires à Mexico, qui était
au courant des hommes et des choses du pays et le contre-
amiral Milnes, commandant l'escadre anglaise.
Pour les mêmes raisons, le cabinet des Tuileries se
fit représenter par M. de Saligny et par l'amiral Jurien.
Quant à l'Espagne, elle remit au général Prim la direction
politique et militaire de l'expédition.
Le pénérai rrira. Le chiffrc relativement élevé des forces qu'il comman-
dait, l'illustration qui entourait son nom, la bienveillante
sympathie qu'il avait rencontrée près de l'empereur Napo-
léon et dont il avait reçu des témoignages publics, devaient
donner au général Prim une influence prédominante au
sein de la conférence. Bien que les commissaires français
ne lui fussent nullement subordonnés, il leur était recom-
mandé d'avoir pour ses avis une certaine déférence ; l'avenir
de l'expédition était donc en grande partie entre ses mains
et le succès allait dépendre de la ligne de conduite qu'il
suivrait.
<•) Le Ministre des aiïaires élrangèrps au Minisire de la marine, 4 novembre
1861. — Le contre-amiral Jurien au Ministre de la marine, 22 décembre 1861.
l'amiral .lURIElV DE LA GRAVIÈRE. 41
Une grande ambition appuyée sur un fonds d'idées li-
bérales, un besoin incessant de nriouvement et d'agitation,
quelque inconséquence dans Tespril, paraissent être les ca-
ractères distinctifs du comte de Reus(*^ Il avait épousé
une riche Mexicaine, mademoiselle Aguero, et se trouvait
par alliance le neveu de Gonzales Etcheverria, alors mi-
nistre des finances de Juarez.
En 1808, lorsque l'Espagne voulait déclarer la guerre
au Mexique, il avait proposé et soutenu au Sénat l'amen-
dement suivant à Tun des paragraphes de l'adresse à la
Reine :
« Le Sénat a vu avec peine que les différends avec le
Mexique subsistent encore. Ces différends, Madame, auraient
pu avoir une solution pacifique, silegouvernementdeVotre
Majesté eût été animé d'un esprit plus conciliant et plus
juste. Le Sénat comprend que la source de ces dissensions
(') Le général Prini était jugé de la façon suivante par un officier allemand
qui l'avait connu en Turquie pendant les années 1833-54, et au Maroc en
1860 (Spanisch und marokanisch Krieg. Brockhaus, Leipzig, 1863) :
« Le général Prim, originaire de Catalogne, est personnellement très-brave;
il ne manque pas de talents ; il manie parfaitement la parole et il y a dans son
commerce un attrait qui gagne les cœurs ; mais c'est un homme sans caractère ,
sans consistance morale et d'une vanité souvent des plus ridicules. Cette vanité
et le désir de faire parler de lui se sont traLis pendant son séjour dans le camp
de Uarmée turque en 1833-34 , de la façon la plus comique, au point que le
général, malgré toutes ses qualités, était devenu une sorte de plaisant et provo-
quait souvent des mouvements d'épaules de la part des Turcs, graves et sérieux,
qui estiment qu'il est inconvenant de parler toujours de soi. — Dans le récit de
ses actions d'éclat et plus encore des exploits qu'il projetait, le général Prim
montrait une confiance sans bornes dans la crédulité de ses auditeurs
Il n'avait pas la moindre notion de théorie militaire ni de mathématiques, ne
gavait ni l'histoire ni la géographie. C'était un soldat de fortune, brave, adroit,
risquant tout et jouant sa dernière pièce sur une carte. Les caprices de la fortune
l'avaient singulièrement favorisé Il a débuté comme simple soldat dans
un bataillon catalan de l'armée des Crislinos au commencement de la guerre
civile entre les Gristinos et les Carlistes. Il gagna rapidement le grade d'officier,
conduisit avec succès plusieurs expéditions hardies et se trouva à la fin de la
:.uerre parmi les jeunes chefs de brigade de l'armée victorieuse de Christine. »
\86L
1861.
42 l" PARTIE. CHAPITRE II.
est peu honorable pour la nation espagnole et par cela
même il voit avec peine les préparatifs de guerre que fait
votre gouvernement, car la force des armes ne peut nous
donner la raison que nous n'avons pas. » (^) Cet amende-
ment n'avait obtenu d'autre voix que la sienne.
Depuis cette époque, s'était-il produit dans l'esprit du
comte de Reus un revirement tel qu'il pût approuver les
motifs et le but de l'expédition actuelle, et si ce revirement
avait eu réellement lieu, ne pouvait-on craindre un nou-
veau changement dans un esprit aussi versatile? Sa con-
duite n'allait-elle pas être influencée par quelque mobile
secret, peut-être difticile à préciser, mais vraisemblable-
ment en désaccord avec les intentions des gouvernements
alliés?
La suite de ce récit montrera que cette crainte eût été
justifiée.
Il avait sollicité lui-même le commandement de l'expé-
dition ; ce n'est donc ni par déférence pour un désir de la
Reine, ni par obéissance aux ordres de son gouvernement
qu'il est parti pour le Mexique. On a dit qu'il avait rêvé une
couronne ; ses amis et les journaux qui lui étaient dévoués
répétaient qu'il en était digne et il ne fit rien pour arrêter
les bruits qui circulèrent à ce sujet.
Une feuille, VEco de Europa, qui se publia plus tard au
Mexique, dans le camp et sous les inspirations du général
Prim, contribua beaucoup à accréditer cette supposition.
« Au moyen âge, disait-on, ce héros aurait été le fonda-
teur d'une dynastie de rois. » Mais sans doute, il n'est
permis de voir dans ces expressions qu'une exagération de
style.
(1) Séance du 13 ilccombro 1858.
l'aMIKAL JUKIEN JjK LA GKAVIÈRE. 43
D'autre part, on sait qu'une partie des hommes politi- ^sei.
ques de l'Espagne espéraient voir la monarchie rétablie au
Mexique en faveur d'un prince de la maison de Bourbon;
le nom du jeune duc de Parme avait été prononcé ; cette
éventualité venant à se réaliser, la régence devait-elle être
réservée au comte de Reus? Etait-ce là que tendait son am-
bition? Cette hypothèse ne peut encore être acceptée qu'a-
vec une extrême réserve et comme une des explications
possibles des anomalies de sa conduite. Quoi qu'il en soit,
les conditions dans lesquelles s'engageait cette expédition
étaient en tout si confuses, qu'il eût été fort à désirer de
voir à sa tête un homme plus dégagé d'ambition et d'un
caractère mieux défini que ne l'était le général Prim.
En désignant un amiral comme commandant des troupes
françaises, l'empereur Napoléon ne supposait pas évidem-
ment que les opérations militaires dussent prendre un
grand développement ; au début, il avait même Tintention
de n'envoyer que des troupes de marine ; il pensait donc
que le général Prim avec ses Espagnols suffirait à la tâche
et agirait conformément à ses vues. La composition du
corps expéditionnaire français indique, en effet, qu'il ne pou-
vait être destiné à une opération de guerre indépendante.
Les instructions données à l'amiral Jurien (^) caractéri- instructions
sent le but que se proposait alors le cabinet des Tuileries : à ramiraiJurien.
Occuper les ports sur le golfe du Mexique et les conserver
jusqu'à solution complète des difficultés pendantes, y per-
cevoir les droits de douane au nom des trois puissances.
Dans le cas probable où les autorités locales n'oppose-
raient pas de résistance et où le gouvernement mexicain
refuserait d'entrer en rapport avec les alliés , ne pas se
(') Instructions du 11 novembre 1861.
44 l'® PARTIE. CHAPITRE II.
486-1. laisser tenir en échec par un tel expédient; un intérêt de
dignité, non moins que les dangers résultant d'un séjour
prolongé sous le climat malsain de la côte, commandaient
d'obtenir un résultat prompt et décisif; c'était dans ce but
qu'un corps de troupes de débarquement était mis à la
disposition de l'amiral, afm qu'il pûi, de concert avecles
alliés, étendre le cercle de l'action commune.
Le gouvernement français admettait qu'il pouvait être
nécessaire de s'avancer jusqu'à Mexico.
Les puissances alliées , était-il dit , ne se proposaient
aucun autre but que celui indiqué dans la convention;
elles s'interdisaient d'intervenir dans les affaires inté-
rieures du pays et notamment d'exercer aucune pression
sur les volontés des populations quant au choix de leur
gouvernement; il pouvait arriver cependant que la présence
des forces alliées sur les côtes déterminât la partie saine de
la population à tenter un effort pour constituer un gouver-
nement présentant des garanties de force et de stabilité,
qui ont manqué à ceux qui se sont succédé depuis l'éman-
cipation. Il ne faudrait pas décourager des tentatives de
cette nature ni leur refuser un appui moral si la position
des hommes qui en prendraient l'initiative et la sympathie
qu'elles rencontreraient dans la masse du pays leur pro-
mettaient quelques chances de succès.
Ces instructions officielles étaient nécessairement com-
plétées par des instructions confidentielles. L'amiral eTurien
était au courant des projets de restauration monarchique en
faveur de l'archiduc Maximilien ; il devait appuyer un mou-
vement dans ce sens, mais non leprovoquer. Le gouver-
nement français, fidèle à son programme, restait donc dans
les dispositions dont il était animé avant la signature de la
convention de Londres.
l'amiral JURIKN de la C7RAVJERE, 4o
Le Cabinet anglais ne se montra pas moins conséquent 'isat.
avec lui-même. Lord Piussell écrivait à, sir Ch. Wyke(r'" insirucUoDs
ij • 1 ] 1 données
novembre) « d observer avec rigueur 1 arlicle de la con- aux commissaires
1 ) 11 anglais,
vention, qui contenait 1 engagement de n exercer, dans les
affaires intérieures du Mexique, aucune influence de nature à
porter atteinte au droit de la nation mexicaine de choisir et
de constituer librement la forme de son gouvernement. » En
lui faisant connaître que le gouvernement français enjoignait
à ses représentants de marcher sur Mexico, dans certaines
éventualités prévues, il lui rappelait (15 novembre) que la
force et la composition du corps expéditionnaire anglais,
limité à 700 soldats de marine, ne comportait pas qu'il fût
employé à une opération de cette nature ; du reste les ré-
clamations devaient toujours être présentées au gouver-
ment mexicain d'un commun accord et au nom des trois
puissances.
La crainte d'une collision avec les États-Unis, à la suite
d'une violation de neutralité commise par un bâtiment fé-
déral sur un paquebot anglais, détournâtes préoccupations
de l'Angleterre et ne fit qu'augmenter la réserve qu'elle
avait toujours montrée à l'égard de l'expédition mexicaine.
Elle restreignit le nombre des navires à envoyer dans le
golfe du Mexique ; le contre-amiral Milnes fut maintenu
au commandement spécial de la station anglaise des côtes
des États-Unis et remplacé par le commodore Dunlop.
L'Espagne paraissait au contraire s'engager plus réso- insiruciion?
lûment. Le gouvernement français ayant manifesté le désir au général Prim.
que les troupes espagnoles fussent autorisées à s'avancer
jusqu'à Mexico, le Cabinet de Madrid y adhéra immédia-
tement (').
(1) L'ambassadeur à Madriil à M. Tliouveiiel, G noveml.re 18G1.
46 - l" PARTIE. CHAPITRE II.
486<. Dans les instructions données au général Prim, on
trouve reproduite la recommandation, faite à l'amiralJurien
par le gouvernement français, « de ne pas attendre que le
climat et tous les inconvénients, qui accompagnent les expé-
ditions lointaines décimassent les troupes et prolongeassent
indéfiniment cette entreprise si importante.... et d'aller
chercher le gouvernement mexicain, en quelque lieu qu'il
fût, pour lui imposer ses conditions. » Le comte de Reus
eut Tordre de formuler les réclamations, conformément à
l'ultimatum envoyé le 14 septembre au capitaine général
de Cuba, et aux termes duquel les hostilités devaient com-
mencer énergiquement si le Mexique n'acceptait pas pu-
rement et simplement les conditions posées.
Il est donc bien établi que l'Espagne entendait porter
la guerre dans l'intérieur du pays.
Le général Prim fut confidentiellement informé des pro-
jets de restauration monarchique que l'on attribuait au
Cabinet des Tuileries ('), mais on ne put lui recommander
d'y prêter son concours, puisque la candidature d'un prince
autrichien ne plaisait pas à l'Espagne ; cependant, comme
nous l'avons dit, les instructions officielles lui prescrivaient
« de ne pas contrarier » les tentatives que pourraient faire
des personnes sages pour établir un gouvernement qui
fût la véritable expression des besoins du pays. Celui de
Juarez était qualifié « d'insensé. »
Formation du Dans le principe, le corps expéditionnaire, mis sous les
corps expédiliou- i i v • i t • l -t -» ' J
naire français, ororcs dc 1 amiral Juricn, ne devait être compose que de
troupes de marine : un régiment d'infanterie de marine,
une batterie d'artillerie de marine et les compagnies de
débarquement de l'escadre; mais peu de jours après la
(') Discours du iti-iuTnl Prim :iu\ Cortis, i86:{.
l'a3IIRAL JURIEiN DE LA GRAVIÈRE. 47
signature du traité de Londres, on jugea opportun de leur ^86i.
adjoindre un bataillon de zouaves et un peloton de chas-
seurs d'Afrique; le ministre de la guerre mit en outre à la
disposition du département de la marine , spécialement
chargé d'organiser l'expédition, des détachements du train,
du génie et d'ouvriers d'administration. Le corps expédi-
tionnaire se trouva définitivement constitué de la manière
suivante :
A. — Le régiment d'infanterie de marine, commandé
par le colonel Hennique, était composé de neuf compagnies
du 2^ régiment de l'arme et de trois compagnies du 1" ré-
giment. Six compagnies étaient en France, trois à la Mar-
tinique et trois à la Guadeloupe. Le ministre de la marine
fit envoyer 600 fusils nouveau modèle pour les contingents
des Antilles, qui n'en étaient pas encore pourvus. Ces
troupes allaient donc entrer en campagne munies d'un ar-
mement avec lequel elles n'étaient pas familiarisées.
B. — La batterie d'artillerie de marine devait être for-
mée au moyen du personnel de canonniers de marine se
trouvant à la Guadeloupe. Les six canons rayés de 4, le ma-
tériel de la batterie et un approvisionnement de 480 coups
par pièce étaient fournis par le département de la guerre ;
ils devaient être directement expédiés à la Vera-Cruz,
où seraient réunis les cadres d'officiers et les canonniers.
On pensait pouvoir se procurer les attelages au Mexique
même, ou tout au moins dans les Antilles; on n'expédia
de France que les harnachements. On ne s'occupa pas non
plus des canonniers conducteurs, supposant qu'il serait
facile d'y suppléer soit par des volontaires pris dans les
colonies de la Martinique et de la Guadeloupe, soit par
des auxiliaires d'infanterie de marine. Cependant un
48 l" PAmiE. — CHAPITBE II.
^^^' détachement du train d'artillerie fut envoyé avec les ani-
maux nécessaires pour le transport des caisses de munitions.
L'instruction des canonniers et des conducteurs, le dres-
sage des chevaux sont d'ordinaire l'objet de soins mi-
nutieux, et souvent si l'une de ces conditions a été négligée,
l'artillerie, loin d'être un appui, perd toute action efficace;
il y a donc lieu de s'étonner de la manière dont fut orga-
nisée la batterie destinée à l'expédition. Que serait-il arrivé
s'il avait fallu opérer sur la côte du Mexique un débarque-
ment de vive force ? Los canonniers de la marine ne con-
naissaient pas le service d'une batterie montée ; ils n'avaient
jamais eu entre les mains de pièces de 4 rayées; de plus
on verra combien il fut long, difficile et surtout dispen-
dieux de se procurer les attelages ; enfin le bâtiment sur
lequel furent embarqués les canons et le matériel, quitta les
côtes de France douze jours après le départ de l'amiral Jurien
et arriva à la Vera-Cruz vingt-deux jours après lui.
c. — Le bataillon de zouaves fut pris dans le ^^ régi-
ment et formé à six compagnies de guerre.
D. — Le peloton de chasseurs d'Afrique fut fourni par
le 2^ régiment de l'arme.
E. — Un détachement de cent hommes du train des
équipages fut adjoint aux troupes expéditionnaires, il devait
être plus particulièrement affecté au transport d'une sec-
tion d'ambulance légère, dont le personnel se composait de
3 médecins, 2 officiers d'administration et 24 infirmiers.
F. — Une section de 21 ouvriers d'administration fut
chargée d'assurer les services administratifs; elle emportait
une réserve de matériel et 3 fours de campagne.
{;. — Un détachement de vingt sapeurs du génie fut
fourni par le 3' régiment.
l'amiral jurien de la gravière. 49
H. — Enfin l'amiral pouvait disposer des compagnies de -isci.
débarquement de l'escadre. L'intention du ministre n'était
pas de les réunir en corps spécial ; cependant, pour qu'elles
fussent à même de suivre les colonnes expéditionnaires, le
cas échéant, il fit embarquer 500 manteaux d'infanterie de
marine et 500 havre-sacs pour leur être distribués.
Un approvisionnement de trois mois de vivres pour un
corps de 3,000 hommes fut mis à bord des vaisseaux de
l'escadre, et un approvisionnement semblable envoyé à la
Vera-Gruz sur des bâtiments du commerce.
L'escadre se composait de 14 bâtiments à vapeur. , pépari
'^ ^ de 1 escaiJre.
Un vaisseau : le Masséna ;
Cinq frégates : Montezuma, Ardente, Guerrière, Astrée,
Foudre ;
Trois avisos : Berthoiet, Chaptal, Marceau;
Deux canonnières : Eclair, Grenade ;
Trois transports : Aube, Meuse, Sèvre.
La Foudre, qui faisait pai'tie de la division navale des
côtes d'Amérique, se rendit directement à la Vera-Cruz,
011 elle arriva le 17 novembre, et se mit à la disposition de
M. de Saliffnv.
L'Éclair et la Grenade étaient déjà sur les côtes ou dans
le voisinage du Mexique. Le Berthoiet quitta le port de Brest
dès le 9 novembre, afin de précéder l'escadre à Ténériffe
et à la Havane, de faire préparer dans ces ports les re-
changes nécessaires , d'acheter des chevaux et des mulets
à la Havane, enfin de se procurer des renseignements précis
sur l'organisation de l'expédition espagnole et l'effectif des
troupes destinées au Mexique. Les autres bâtiments furent
expédiés successivement des divers ports de guerre ; l'ami-
ral fixa pour lieu de rendez-vous général Sainte-Croix de
Ténériffe (la Meuse et /a Sèvre exceptées).
4
50 I™ PARTIE. — CUAPITRE H.
-1801. L'Ardente, la Guerrière, VAstrée et le Montezuma re-
çurent à leur bord les compagnies d'infanterie de marine.
Le Masséna et l'Aube se rendirent de Toulon à Oran pour
embarquer les troupes d'Afrique. Le Masséna, portant le
pavillon de l'amiral, embarqua les zouaves et le détache-
ment du génie (543 hommes).
L'Aube reçut les divers autres détachements formant un
effectif de 10 officiers, 254 soldats, 248 chevaux et mulets.
L'amiral adressa au bataillon de zouaves, qu'il reçut à
bord de son vaisseau, l'ordre du jour suivant:
ï Soldats du 2« régiment de zouaves, soyez les bienvenus ù bord
de nos vaisseaux. Le prestige qui s'attache à votre nom nous est
cher. C'est une des gloires de la France.
« L'Empereur, en vous associant à ses marins dans l'expédition
du Mexique, a voulu vous donner une nouvelle preuve de son es-
time et de sa confiance. Vous connaissez déjà vos futurs compa-
gnons d'armes. Ce sont les soldats qui ont gravi à vos côtés les
hauteurs de l'Aima. Ce sont les canonniers qui ont partagé avec
vous les épreuves d'un long siège, les marins qui, au prix de tant
de fatigues et de veilles périlleuses, vous ont adouci les rigueurs
d'un terrible hiver. Depuis la campagne de Crimée et la campagne
d'Italie, il n'y a plus qu'une armée en France. Le débarquement
d'Old-Fort, l'attaque des batteries de Sébastopol, Toccupation de
la mer d'Azoff" et la prise de Kinburn sont des souvenirs qui appar-
tiennent à la fois à nos légions et à notre flotte. L'expédition du
Mexique associera plus étroitement encore ces deux éléments., in-
complets l'un sans l'autre, de la puissance nationale.
« Soldats du S^ régiment de zouaves, je n'ai plus qu'un mot ;i vous
dire : Dans cette nouvelle campagne, soyez dignes de vous I Que
vos frères d'armes, vos alliés et vos ennemis reconnaissent encore
à votre discipline, comme à votre courage, les premiers soldats du
monde ! »
Réunion L'amiral appareilla le 17 novembre se diric^eant sur Té-
de rcscadic , .^
à Sainte-Cinix- neritïe. Le Masséna mouilla en rade de Sainte-Croix de Té-
(Je-Ténéril!u. , .
nerilic, le zo novembre. Le lendemain, les frégates la Guer-
rière^ ï Ardente, VAstrée. le Montezuma, les avisos le Marceau,
l'amiral JURIEN de la GRAVIÈRE. 51
le Chaptal et le transport ÏAuhe étaient réunis autour du 48ai,
pavillon de l'amiral, qui adressa l'ordre du jour suivant
aux troupes du corps expéditionnaire :
« Marins et soldats,
tt Nous allons au Mexique. Nous n'avons pas seulement à y pour-
suivre, comme la vaillante escadre, dont plusieurs d'entre vous
ont fait partie, la réparation de nombreux et récents griefs; nous
aurons avant tout à réclamer pour le respect de notre drapeau,
pour la sûreté de notre commerce, pour l'existence de nos compa-
triotes, des garanties plus sérieuses que celles qui nous sont offertes
aujourd'hui.
« Nous n'entretenons aucune animosité contre le peuple mexi-
cain. Nous savons ce qu'il faudrait attendre de cette noble et géné-
reuse race, si elle pouvait mettre un terme à ses éternelles discordes ;
mais des gouvernements, impuissants à maintenir la paix inté-
rieure, protégeront toujours mal, quelle que soit leur bannière, la
sécurité des étrangers.
« Notre véritable ennemi au Mexique, ce n'est pas telle ou telle
faction politique, c'est l'anarchie ; l'anarchie est un ennemi avec
lequel il est inutile de traiter.
a Marins et soldats,
« Dans la nouvelle campagne que vous allez entreprendre, vous
avez pour juges de votre bon droit l'opinion sympathique de votre
pays, le concours ou Tassentiment du monde civilisé ; vous aurez
bientôt, au Mexique même, les vœux de tous les gens de bien.
« Comprenez donc les devoirs que cette situation vous impose.
Donnez aux populations l'exemple de l'ordre et de la discipline;
apprenez-leur à honorer le nom de notre glorieuse patrie, à envier
la prospérité et la paix dont nous jouissons, et vous pourrez alors
répéter avec un légitime orgueil ces paroles que vous adressait il
y a quelques mois notre Empereur: « Partout où se montre le dra-
« peau de la France, une cause juste le précède, un grand peuple le
« suit ! »
La division navale quitta Ténériffe le 25 novembre ;
les bâtiments, naviguant en route libre, se dirigèrent sur
la Martinique , à l'exception du Monteziima , qui devait
52 l" PARTIE. CHAPITRE II.
^^^' d'abord toucher à la Guadeloupe pour y prendre trois
compagnies d'infanterie de marine et le personnel de la
batterie de 4.
L'amiral corn- L'amiral Compléta en mer l'orsjanisation de son corps
plete 1 organisa- r o r
lion du corps expéditionnaire , gui avait été si sommairement préparée
expedilioiinaire. ^ ' ^ r r
avant son départ d'Europe. Prévoyant les difficultés que
rencontreraient la formation et la mise en état de sa bat-
terie d'artillerie, il ordonna la création d'une batterie de
montagne de six obusiers pris sur les bâtiments de la
division, servie par des marins canonniers et commandée
par un lieutenant de vaisseau, un enseigne et trois aspirants.
Il affecta au service de cette batterie légère approvisionnée
à 16 coups par pièce et à 32 coups de réserve, la moitié du
détachement du train d'artillerie (^) qui lui avait été donné
pour transporter l'approvisionnement de la batterie de 4.
L'effectif de cette batterie fut fixé à 100 hommes.
Une section de 12 rayé, également servie par des marins
et constituée au moyen des ressources de l'escadre, devait
former une petite réserve de grosse artillerie.
Pour équiper ces marins, on fit confectionner sur les
bâtiments des havre-sacs en toile et des tentes, avec des
rechanges de voiles.
Les marins de débarquement furent organisés en un ba-
taillon de six compagnies de 80 hommes sous le comman-
dement d'un capitaine de frégate. On leur distribua des
ustensiles de campement, des manteaux et des sacs.
Ce bataillon, les compagnies d'infanterie de marine et
le bataillon de zouaves furent mis à terre à la Martinique
et installés au bivouac pendant quelques jours, afin de
(•) Ce (lûtachcmenl se composait do 1 oflicier, 2 sous-uniriers, tifi conducteurs,
40 mulots de bât.
l'amiral jurien de la gravière. o3
permettre aux marins débarqués et aux soldats d'infanterie ^sgi.
de marine, d'acquérir au contact des troupes d'Afrique un
peu des connaissances pratiques de la vie de campagne.
Afin de combler en partie les vides ainsi produits dans
les équipages des bâtiments, l'amiral prit à la Martinique
des matelots créoles provenant de l'inscription maritime
des Antilles et qui, n'étant pas sujets à la fièvre jaune,
devaient lui rendre d'utiles services sur les côtes du
Mexique. Le gouverneur de la Martinique mit en outre à
sa disposition un peloton de gendarmes à cheval et un déta-
chement de 25 ouvriers du génie indigène, avec les engins
de guerre de première nécessité. Ces ressources delà colo-
nie étaient précieuses; elles permirent à l'amiral d'amého-
rer notablement l'organisation de son petit corps expédi-
tionnaire.
Les services administratifs, à la tète desquels on plaça
soit des commis de marine, soit des adjudants d'adminis-
tration, furent centralisés entre les mains du commissaire
adjoint de l'escadre. Un capitaine de frégate fut désigné
pour remphr les fonctions de commandant du parc et
de grand prévôt ; il fut en outre chargé du soin de réunir
et d'organiser le convoi que l'amiral avait le désir de for-
mer-pour transporter à la suite des colonnes 45 jours de
vivres et des effets d'habillement pour six mois ; le dé-
tachement de gendarmes et soixante marins destinés au
service d'escorte furent placés sous ses ordres (^).
L'amiral Jurien partit de la Martinique le 17 décembre ; Arrivée
(Jg l'ëscQdrc h In
il arriva le 27 à la Havane, presque en même temps que le __ Ba^^'n«j
Commodore Dunlop. Le général Prim, qui les avait pré-
^'') Voir l'appendice pour l'organisation du corps expéditionnaire.
27 dcc. 1«6i.
54 l'" PAhTIE, CHAPITRE II.
^881. cédés de quelques jours, avait été reçu avec de grandes dé-
monstrations d'enthousiasme et aux cris de : Viva el vice-^ey
de Mexico, viva el nuevo Hernan Cortez ! (*)
Première réunion A la Havauc, l'amiral Juricn apprit , non sans surprise ,
(les trois . ^.^ . .
commandants que Ics troupcs cspagnolcs étaient deja parties et que depuis
des Iroupes • i tt /^ t i i •
alliées. le 17 décembre elles occupaient la Vera-uruz. Le lendemain
de son arrivée, il eut une entrevue avec le général Prim et
le Commodore Dunlop; de très-bons rapports s'établirent
aussitôt entre eux ; le général Prim témoigna un vif regret
du malentendu qui, selon lui, avait amené le départ anticipé
des troupes espagnoles; il fut le premier à manifester le
désir que les escadres anglaise et française se réunissent à lui
et aux bâtiments qui l'accompagneraient afin de seprésenter
simultanément devant laVera-Gruzet faire, dès ce moment,
succéder l'action combinée des trois puissances à l'action iso-
lée des troupes espagnoles. Il exprima hautement l'intention
de s'avancer dans l'intérieur du Mexique, dès qu'il le pour-
rait ; l'amiral Jurien déclara, de son côté, qu'aussitôt l'arrivée
du bâtiment qui portait son artillerie, il seraità même de se
mettre en marche ; il ajouta que les termes de la convention
de Londres ne lui laissaient aucun doute sur l'intention des
puissances contractantes de prévoir et d'autoriser au besoin
cette extension de l'intervention européenne. Le commodore
Dunlop fit observer que ses instructions lui interdisaient
tout mouvement de ce genre, mais que désireux de ne pas
se séparer de ses collègues, il allait solliciter de nouveaux
ordres. Quelques jours après, à la suite d'une seconde réu-
nion, l'amiral Jurien ne se dissimula plus combien étaient
diiïérentcs les vues des trois puissances alliées et quels
sérieux germes de dissentiment existaient entre elles.
(') Rapport fJu commandant du Milan, 28 décembre.
l'aJIIRAL JURIEN de la GRAVIÈRE. 5S
L'intention du cabinet anglais de se renfermer, aussi ^s_^^-
étroitement que possible, dans les limites de la convention
de Londres ressortait clairement des instructions données
au Commodore Dunlop.
D'un autre côté, la conduite du général Prim, ses rela-
tions avec plusieurs personnages du Mexique, le départ pré-
cipité de l'escadre espagnole faisaient craindre que le
cabinet de Madrid, et particulièrement son représentant, ne
poursuivissent un but tout différent de celui de la France;
les nombreux émigrés mexicains du parti conservateur,
alors réunis à la Havane, en étaient vivement alarmés (*).
Les plus considérables parmi ces émis^rés étaient : Les émigrés
■^ ^ ^ ^ _ mexicains
Don Haro y Tamaris, le général Soto, le général Miramon, à la Havane.
récemment arrivé d'Europe et le Père Miranda, homme
exalté du parti clérical extrême, désigné par M. Guttierrez
de Estrada, comme devant être le directeur politique du
gouvernement provisoire qui serait constitué après le dé-
barquement des forces alliées; Santa-Anna, réfugié à Saint-
Thomas, s'occupait aussi d'une façon très-active des évé-
nements qui se préparaient ; mais des rivalités mesquines
avaient déjà semé la discorde parmi les conservateurs.
Le Père Miranda , représentant accrédité du parti qui
avait suscité et soutenu en Europe la candidature du prince
Maximilien, était hostile à Santa Anna et mal vu lui-même
de ceux qui ne partageaient pas les idées réactionnaires les
plus accentuées.
Santa Anna avait promis d'appuyer la prochaine révo-
lution monarchique, et proposait de se mettre à la tête du
gouvernement provisoire ; mais son caractère indécis et sa
(1) L'amiral Juricn au ministre de la marine, 28 décembre 1861, 2 janvier
1862.
56 l" PARTIE. CHAPITRE II.
4864, personnalité ambitieuse n'inspiraient qu'une médiocre
confiance.
Le général Miramon, mécontent du rôle secondaire qui
lui était échu, aurait voulu, disait-on, reconquérir le pou-
voir suprême ; ses ennemis l'accusaient même d'aspirer à la
couronne. Irrité de se voir en quelque sorte mis de côté,
il disait que Marquez et les autres chefs conservateurs n'agi-
raient que d'après ses inspirations ; il avait écrit à plusieurs
d'entre eux « que l'intervention n'était qu'un prétexte pour
envahir le pays ; qu'il s'agissait d'une domination étran-
gère et que par conséquent il offrirait son épée aux démo-
crates ; et ce fut peut-être cette lettre qui détermina plusieurs
des généraux du parti conservateur restés au Mexique à se
rallier à Juarez, en profitant de l'amnistie qui leur était of-
ferte. Dans la suite, les dispositions de Miramon parurent se
modifier ; cependant, comme il voulait se rendre à la Vera-
Gruz, plusieurs membres du parti conservateur monar-
chiste résolurent de partir avec lui , « parce que , s'il ne
pouvait leur être utile, ils voulaient l'empêcher de leur être
nuisible ».
Les émigrés de la Havane avaient pensé que l'Espagne
appuierait sérieusement un mouvement en faveur de la mo-
narchie ; mais, ni les discours, ni l'attitude du commandant
de l'expédition espagnole n'étaient de nature à entretenir
celte espérance. Ils comptaient aussi sur une complète
coopération de la part de la France ; or l'amiral Jurien dé-
clarait n'avoir d'autre mission que de demander au Mexique
satisfaction pour ses offenses, et il refusait péremptoirement
de se mêler à toute intrigue politique. Celle réserve, con-
forme aux instructions du gouvernement français, contribue-
rail à faire croire que, si l'Empereur était disposé à appuyer
un mouvement en faveur du prince Maximilicn, il ne voulait
l'aJIIRAL JURIEN DE LA GRAVlÈKi:. S7
cependant pas en prendre l'initiative. Que les Mexicains fis- ''sei.
sent eux-mêmes leur révolution, l'appui moral et matériel
de la France ne leur manquerait pas ; mais il ne convenait
ni à sa politique, ni à ses intérêts d'édifier de ses mains un
trône qu'elle serait ensuite forcée de défendre indéfiniment.
Tel était, à n'en pas douter, le programme que l'Em-
pereur s'était proposé de suivre. Les fautes commises au
début, le manque de franchise de l'Espagne, les revers
militaires, qui nécessitèrent l'envoi de forces beaucoup plus
considérables qu'on ne l'aurait voulu, enfin un enchaîne-
ment de circonstances imprévues ont entraîné le gouver-
nement français bien au delà de la limite qu'il s'était pro-
bablement fixée et qu'il aurait fallu ne pas dépasser.
L'Empereur n'avait sans doute jamais supposé que la
France se verrait obligée de jeter plus de 40,000 hommes
sur les côtes du Nouveau-Monde et que cette guerre, au lieu
d'être terminéeen une campagne, durerait plusieurs années.
Juarez, ému tout d'abord des préparatifs de guerre des juarez se prépare
,, r » /. •. pp ' 1 • i> à la résistance.
puissances étrangères, s était enorce de conjurer 1 orage
en faisant rapporter la loi qui suspendait le paiement de
la dette étrangère (28 novembre), et en présentant au
congrès une révision des tarifs de douane, avantageuse pour
le commerce étranger ; il avait essayé aussi de négocier avec
les Etats-Unis des arrangements financiers, qui lui auraient
permis de satisfaire aux réclamations des puissances euro-
péennes ; mais lorsqu'il vit la guerre inévitable, il déploya
toute son énergie pour organiser la résistance. Il fit appel
au sentiment national , toujours facile à surexciter lors-
qu'il s'agit de repousser une invasion étrangère. Des
hommes, que leurs occupations éloignaient d'ordinaire du
métier des armes, vinrent offrir le secours de leurs bras
et de leur intelligence; une amnistie, dont furent exceptés
58 T' PARTIE. CHAPHRE II.
4861. seulement les chefs du parti réactionnaire, rallia un grand
nombre d'oificiers des anciennes armées conservatrices; les
provinces les plus éloignées fournirent des contingents;
enfin, cette guerre, dont le but était de ruiner l'influence
de Juarez, eut au contraire pour premier résultat de donner
à son gouvernement une plus grande popularité, et de
grouper autour de lui beaucoup d'hommes politiques im-
portants, que leurs idées, leur ambition personnelle ou
tout autre motif avaient jusqu'alors tenus dans l'éloi-
gnement. La plupart cédèrent à l'impulsion patrioti-
que qu'avait donnée au pays l'annonce d'une prochaine
agression de la part de trois puissances européennes, dont
l'une était l'Espagne, si abhorrée par ses anciennes colo-
nies.
Doblado, gouverneur de l'État de Guanajuato, person-
nage riche, influent, d'un esprit très-délié et très-apte
aux intrigues diplomatiques, accepta le portefeuille des
affaires étrangères, bien qu'il eût, jusqu'à cette époque,
témoigné peu de sympathie pour l'administration de
Juarez.
Ne sachant quelles étaient les intentions précises des
puissances alliées, pouvant craindre que l'indépendance et
la souveraineté de leur pays ne fussent menacées, un grand
nombre de chefs réactionnaires se joignirent à l'armée li-
bérale. Les plus compromis, ceux qui n'avaient aucune
grâce à espérer , continuèrent à tenir la campagne; mais
leurs partisans, flétris du nom de traîtres, ne tardèrent pas
à les abandonner en grand nombre.
Débarqueracni L'cffervosccnce dcs csprits augmenta encore lorsqu'on
Espa^-nois vit Ics Espaguols sc préscutcr les premiers sur les côtes du
à 1.1 Vcra-Cruz. \^ , ^ . ^
ndécisei. Mexique. La présence simultanée des forces anglaises et
l'amiral jurien de la gravière. 59
françaises eût paru sans cloute une garantie de respect
pour la nationalité mexicaine, tandis que les idées de con-
quête, que l'on attribuait à l'Espagne, réveillèrent la haine
contre les anciens dominateurs du pays. Le débarquement
anticipé des troupes espagnoles était donc, à tous les points
de vue, un fait extrêmement regrettable.
Il n'est guère possible d'attribuer cette précipitation à un
malentendu. Il semble, au contraire, que l'Espagne ait
voulu paraître la première devant la Vera-Gruz afin d'affir-
mer le rôle prépondérant qu'elle entendait prendre dans
l'expédition.
En effet, comme nous l'avons dit, dès le H septembre,
l'ordre avait été donné au capitaine général de Cuba de
préparer et de faire partir les forces destinées à agir contre
le Mexique ; sur les instances de l'Angleterre, l'Espagne
avait consenti à surseoir à son expédition jusqu'à la signa-
ture d'une convention préalable ; elle attendit cependant
jusqu'au 11 novembre pour donner le contre-ordre, qui
arriva naturellement trop tard (*).
L'amiral Rubalcoaba était parti pour la Vera-Cruz le
1" décembre avec 15 bâtiments portant 0,300 hommes.
Son escadre était réunie devant ce port le 10 décembre et
le 14, après avoir demandé aux commandants des station-
naires français et anglais s'ils voulaient lui prêter leur
concours , proposition que ces officiers déclinèrent , il
somma le gouverneur de la Vera-Gruz de lui remettre la
place dans les vingt-quatre heures.
Les autorités mexicaines avaient déjà pris toutes leurs
précautions pour abandonner la ville et fait transporter
dans l'intérieur les canons qui armaient l'enceinte et le fort
(1) Discours do M. Mon au Sénat espagnol, 7 et 8 janvier 186.1.
-fSG'l
60 l'" PAHTli:. CHAPITRE II.
-1861. de Saint-Jean-d'Ulloa. Elles avaient répondu à l'apparition
de l'escadre espagnole par un acte de défi en incendiant
le trois-mâts Concepcion, capturé l'année précédente et l'une
des causes des réclamations de l'Espagne (^).
A la sommation de l'amiral, le général La Llave, gou-
verneur de la place, se contenta de protester et se retira,
ne laissant à la Vera-Cruz que les autorités locales et une
simple garde de sûreté.
Le 17, les Espagnols débarquèrent donc sans résis-
tance.
Le général Uraga, commandant l'armée mexicaine, dite
d'Orient , établit aussitôt autour de la Vera-Cruz une
ligne d'avant-postes qui bloquèrent étroitement la ville ; il
interdit, sous les peines les plus sévères, toute communica-
tion avec les points occupés par l'ennemi, déclara que tout
individu trouvé au delà de ses lignes serait traité comme
espion, que tous ceux qui fourniraient des vivres à l'en-
nemi seraient considérés comme traîtres et leurs biens
confisqués ; il fit éloigner de la côte tous les troupeaux,
les chevaux et les mules que les Espagnols auraient pu
utiliser.
En même temps, le président Juarez lança un manifeste
dans lequel, après avoir exposé les faits sur lesquels disait-
il, l'Espagne s'appuyait injustement, pour faire la guerre,
il déclarait « qu'il repousserait la force par la force ; que,
disposé à satisfaire à toutes les réclamations fondées sur la
justice et l'équité, il n'accepterait jamais des conditions qui
offenseraient la dignité de la nation ou compromettraient
son indépendance. »
") Happorl (lu commandant do la Foudre, stationmie devant la Vera-Cruz.
li décembre.
l'amiral jurien de la gravière. Cl
« Mexicains, si d'aussi justes dispositions sont mé- 'i^'-
connues, si l'on est décidé à humilier le Mexique, à dé-
membrer son territoire, à s'ingérer dans son administra-
tion intérieure et dans sa politique, peut-être à éteindre
sa nationalité, j'en appelle à votre patriotisme; je vous
conjure d'oublier les haines et les inimitiés; sacrifiant
votre fortune et votre sang, unissez-vous avec le gouverne-
ment pour la défense de cette cause, la plus grande et la
plus sacrée pour les hommes comme pour les peuples , la
défense de la patrie. » « Dans cette
guerre à laquelle vous êtes provoqués, observez strictement
les lois et les usages établis au bénéfice de l'humanité.
Laissez vos ennemis inoffensifs auxquels vous donnez une
généreuse hospitalité , vivre tranquilles et en sûreté sous la
protection de nos lois ('). »
Le port de Vera-Gruz fut déclaré fermé au commerce et
les contingents des États appelés sous les armes , ce qui
devait permettre d'organiser une armée d'environ 30,000
hommes.
Aussitôt les Espagnols débarqués, le vide s'était fait au-
tour d'eux. Ils ne pouvaient vivre qu'en tirant toutes leurs
ressources de la mer, et ce n'était qu'à grand'peine qu'ils
avaient pu réunir environ 200 mulets de charge.
Tel était le premier épisode de la campagne, et l'amiral Aciiatdeciievaiu
Jurien, parti de France sans voitures et sans animaux, se
trouvait dans la plus grande perplexité ; le commandant
du Bertholet , arrivé à la Havane plusieurs jours avant lui,
n'avait pu se procurer que 234 mulets et 39 chevaux. Le
maréchal Serrano, capitaine général de Cuba , avait bien
(') Trarluit de l'anglais. — Lemprioro, Londres, 18(52.
62 l" PARTIE. — CHAPITRE H.
i862. voulu lui faire céder en outre 50 chevaux de selle prove-
nant d'un régiment de cavalerie en garnison dans l'île (^),
au prix moyen de 900 fr.
Dans l'impossibilité de fréter des navires du com-
merce (-), l'amiral dut faire embarquer ces animaux sur
les bâtiments de sa division, déjà trop encombrés ; mais le
prix des voitures était si élevé, qu'il ne put se décidera
en acheter ; il espérait encore en trouver au Mexique.
Enfin, on se mit en route à la grâce de Dieu ; le général
Santa-Anna , en voyant l'expédition organisée de cette
façon, se demandait si. dans cet équipage, l'on songeait
arriver jusqu'à Mexico et si l'on s'imaginait que les Mexi-
cains étaient « armés de flèches et de casse-tètes. »
L'escadre Lg ^ janvier 1862, l'escadre française et trois bâtiments
Irançaise quilie ' J *
2 ■ in^ 'iS» espagnols portant le général Prim et quelques troupes de
renforts quittèrent la Havane ; le commodore Dunlop était
parti quelques jours avant.
Le 7 janvier, les bâtiments français et espagnols mouil-
lèrent devant la Yera-Gruz, en rade de Sacrificios.
Les troupes françaises, à l'exception de l'infanterie de
marine, débarquèrent le 9 au matin (^).
Aussitôt leur arrivée à la Vera-Cruz, les commandants
des forces anglaises et françaises se concertèrent avec Sir
<i) L'amiral Ju rien au minisLre delà marine, 2 janvier 1802. — Le comman-
«Jant du Derlliolet au ministre, 6 janvier.
Ces animaux coûtèrent :
89 chevaux 96,936 fr.
234 mulets (bâts compris) 200.838
Frais de garde et de nourrituro 11,203
Total 308,969 fr.
(2) Us demandaient 40,000 fr. pour un seul voyage.
(3) La division espagnole, déjà arrivée à la Vera-Cruz et commandée par le
l'a3IIRal jitrien de la gravière. 63
Gh. Wyke et avec M. de Saligny ; les cinq commissaires -1862.
représentant les puissances européennes adressèrent ensuite
à la nation mexicaine la proclamation suivante rédigée par
le général Prim :
c Mexicains,
« Les représentants de l'Angleterre, de la France et de l'Espagne
remplissent un devoir sacré en vous faisant connaître leurs inten-
tions à l'instant même où ils entrent sur le territoire de la Répu-
blique.
« Le respect des traités, foulés aux pieds par les divers gouver-
nements, qui se sont succédé parmi vous, la sécurité de nos com-
patriotes continuellement en péril, ont rendu notre expédition
1" brigade, l
général Gasset , sous les ordres du général Prim, se composait de :
un bataillon de chasseurs de l'Union. 831 h^*.
deux bataillons du régiment du Roi. 1,737
un bataillon de chasseurs de Baj len. 872
■'2^ brigade. ] un bataillon du régiment de Naples. i,007
un bataillon du régiment de Cuba. . 891
Gendarmes 33
3,373 h".
(un escadron du Roi ) ,„^
Cavalerie. ■.],-,,, } 173
( un peloton d escorte j
Génie j Deux compagnies 208
Trois compagnies à pied, sans chevaux ni mulets. 344
destinées au service de :
8 pièces de 12 rayées,
2 obusiers de 21 rayés.
Artillerie.. ./ -, .- j m ■
2 mortiers de 27 rayes,
lune batt. de 8 pièces de 8,
une batt. de 6 pièces de montagne , avec G4 mules. 136
\ Total. . 20 pièces rayées. Total 0,234 h*^^.
et en outre une centaine d'ouvTiers d'administration.
Cette petite division était bien armée, bien équipée et présentait un bel aspect ;
toutefois elle n'avait, comme on le voit, ni transports ni attelages pour l'artillerie.
Les soldats étaient légèrement chargés, mais ils eurent cruellement à souffrir
de l'insuffisance de leur équipement et de leur organisation de campagne.
Le climat les éprouva fortement. Le 18 janvier, on comptait déjà 22 officiers
et 603 soldats malades.
64 l" PARTIE. CHAPITRE II.
4862. nécessaire, indispensable. Ceux-là vous trompent, qui osent vous
~ dire que derrière de si justes et de si légitimes réclamations, se
cachent des projets de conquête, de restauration ou d'interveation
dans votre organisation politique et administrative. Les trois
puissances, qui ont loyalement accepté et reconnu votre indépen-
dance, ont droit à n'être pas soupçonnées d'arrière-pensée illégitime,
mais bien h vous inspirer confiance dans leurs nobles sentiments
de grandeur et de générosité.
« Les trois nations, que nous venons représenter, et dont il
semble que le véritable intérêt soit d'obtenir satisfaction des ou-
trages dont on les a frappées, ont une ambition plus élevée, pour-
suivent un but d'une utilité plus grande encore et plus générale,
Elles viennent tendre une main amie au peuple qu'elles voient avec
douleur consumer ses forces, éteindre sa vilalité sous la funeste
action dos guerres civiles et de perpétuelles convulsions.
« Voici la vérité, et ceux qui ont pour mission de vous la faire
connaître n'y veulent joindre ni cris de guerre, ni menaces, mais
bien vous aider à reconstruire l'édifice de votre grandeur, qui nous
importe à tous. A vous seuls, exclusivement à vous, sans inter-
vention étrangère, il appartient d'établir une constitution sur une
base solide et durable. Votre œuvre sera une œuvre de régénéra-
tion, que tous respecteront, car tous y auront contribué, les uns
matériellement, les autres par leur concours moral. Le mal est
profond, le remède est urgent ; maintenant ou jamais vous pouvez
assurer votre bonheur.
1 Mexicains I Ecoutez la voix des alliés, ils vous apportent l'ancre
de salut dans la tourmente perpétuelle qui vous épuise. Ayez con-
fiance dans leur bonne foi, dans leurs intentions loyalement bien-
veillantes. Ne craignez rien des esprits inquiets et brouillons ; s'ils
viennent essayer de vous troubler, votre attitude courageuse et
résolue saura les confondre, tandis que nous, impassibles, nous
présiderons au grand spectacle de \otre régénération^ enfin assurée
par l'ordre et par la liberté !
« Ainsi le comprendra, nous en sommes sûrs, le gouvernement
mexicain lui-même ; ainsi le comprendront les hommes distingués
du pays, auxquels nous nous adressons. Ces esprits élevés ne pour-
ront méconnaître qu'à cette heure, ils doivent laisser les armes en
repos, et n'agir que par l'opinion publique et la raison, ces deux
triomphants souverains du dix-neuvième siècle! »
Quelques phrases de celte proclamation en résument
l'idée toute entière. En foulant aux pieds les traités, lesdi-
l'amiral JURIEX 1)E la GRAVIÈRE. Go
vers gouvernements qui se sont succédé, ont rendu notre i862
expédition indispensable ; mais ni menaces ni cris de
guerre, était-il dit, nous venons vous aider à reconstruire
l'édifice de votre grandeur, présider « impassibles » au
grand spectacle de votre régénération, et nous espérons que
le gouvernement mexicain le comprendra et laissera les
armes en repos.
On se rend difficilement compte de l'utilité d'un pareil
manifeste et de sa juste signification. Il était en désac-
cord complet avec la politique anglaise ; les commissaires
anglais n'étaient donc pas autorisés à l'approuver ; de leur
côtelés plénipotentiaires français ne s'y associèrent, dirent-
ils, que pour ne pas se séparer de leurs collègues. Les ca-
binets de Paris, de Londres et de Madrid le blâmèrent
formellement. Par suite delà trop grande initiative, qui lui
avait été laissée, le général Prim engagea ainsi la politique
de la France et de l'Angleterre dans une voie qui ne con-
venait ni à l'un ni à l'autre gouvernement.
Ce manifeste lancé, les commissaires jugèrent opportun
d'entrer en relations avec le gouvernement mexicain ; tout
d'abord, ils demandèrent au général Uraga un sauf-conduit
pour les délégués que l'on devait envoyer à Mexico.
Le général Prim dirigeait toute cette affaire, car, selon
ses propres expressions, il recevait de la part de ses col-
lègues « d'éclatants témoignages de déférence ». (^) Ce-
pendant les divergences de vues entre les commissaires s'ac-
centuaient de plus en plus, tant au sujet des réclamations
à faire valoir qu'à l'égard de la ligne politique à suivre.
Les commissaires anglais inclinaient vers une solution
pacifique et influençaient dans ce sens le général Prim,
(') Leltic du général Prim à son crouvomement. 13 janvier 1862.
66 l"" PARTIE. CHAPilT.E II.
18G2. qui s'y trouvait déjà, personnellement fort disposé; les
" commissaires français pensaient au contraire que le temps
des ménagements était passé, qu'il fallait prendre vis-à-vis
du Mexique une attitude ferme, ne pas faire traîner les
choses en longueur par des négociations illusoires et
surtout marcher en avant pour ne pas laisser le corps expé-
ditionnaire se consumer dans la zone malsaine.
Doscripiion En partant de Vera-Gruz, cette zone a une largeur
Tmmair?."'^ d'cnvirou viugt lieucs ; on l'appelle la terre chaude. C'est
un pays presque plat, sans culture et qui, pendant la saison
des pluies, du mois de mai au mois de septembre, se trans-
forme en marécages ; leurs émanations pestilentielles sont
l'origine de fièvres dangereuses, connues dans le pays
sous le nom de vomito negro et aussi redoutables pour les
Mexicains des hauts plateaux que pour les Européens.
Le Rio Chiquihuite, qui coupe la route d'Orizaba à vingt
lieues de Vera-Gruz, est considéré comme la limite de la
terre chaude.
Les derniers contre-forts du pic d'Orizaba, dont la cime
couverte de neiges perpétuelles s'élève à 5,400 mètres au-
dessus de la mer, s'arrêtent sur la rive droite du Chiqui-
huite ; lorsque l'on a gravi leurs pentes, la physionomie du
pays change ; on entre dans la terre tempérée, dont la tempé-
rature moyenne est de 18*^ à SO*', et varie peu pendant toute
l'année. Gordova, la ville la plus importante de cette région,
est à une altitude de 900". On rencontre alors de vastes
champs de cannes à sucre, des bananiers, des caféiers ;
au lieu des villages misérables et des cases en bois des
terres chaudes, on trouve de vastes et belles haciendas; au
lieu d''un pays désert, des campagnes peuplées et de riches
plantations. Le plateau d'Orizaba, qui succède à celui de
Cordova, est à 1,200 mètres environ au-dessus du niveau
l'amiral .lURlEN DE LA GllAVlÈRE. G7
de l'Océan ; il s'étend sur un plan incliné jusqu'au pied 1862.
des Cambres d'Acultzingo (ISIO""), mur gigantesque qui
soutient le grand plateau d'Anahuac. Orizaba est encore
dans la zone tempérée, mais son climat est moins chaud
que celui de Gordova.
Au centre du plateau d'Anahuac est situé Puebla ; on y
cultive le blé et le maïs ; l'air est vif et le climat, générale-
ment sain, se rapproche de celui de l'Europe; c'est la
zone des terres froides, dont la température moyenne
est de 17°. Le plateau d'Anahuac est à 2,200"" au-dessus
de la mer, à la même altitude à peu près que la vallée
de Mexico ; il en est séparé par l'énorme massif du Po-
pocatepelt et de l'Ixtaccihualt, montagnes neigeuses dont
les sommets sont à 5,4 10" et à 4,790" au dessus de l'Océan,
Il était d'un intérêt majeur pour le succès de l'expédition Occupation
1,1111 ''" '^ Tejf-iia.
de s'éloigner tout d abord de la côte, où l'agglomération ^-i janv. -1862.
des troupes ne pouvait que hâter l'apparition de la fièvre
jaune, et d'aller chercher, soit sur le plateau de Gordova,
soit sur celui de Jalapa, dont les conditions sont analogues,
des cantonnements salubres et un climat plus supportable.
Malheureusement les troupes n'étaient pas à même d'en-
trer en campagne ; elles n'avaient aucun moyen de trans-
port ; l'artillerie et le matériel de campement de la colonne
française, embarqués sur la Meuse et sur la Sèvre, n'étaient
pas encore arrivés ; cependant l'amiral Jurien, ne voulant
pas rester bloqué à Vera-Gruz, décida, de concert avec
le général Prim et le commodore Dunlop, qu'on occuperait
le petit village do la Tejeria, à 12 kilomètres de Vera-
Gruz sur la ligne du chemin de fer en voie d'exécution.
Le 1 1 janvier (') , une colonne de troupes des trois
(0 L'amiral Jurkn au ministre de la marine. 12 janvier 1802,
68 l'" PARTIE. — CHAPITRE II.
4862. nations quitta Vera-Cruz pour aller prendre position sur
ce point.
L'amiral Jurien avait fait emporter cinq jours de vivres
aux troupes; en outre, la colonne qui marchait sur la chaus-
sée du chemin de fer, était suivie d'un petit approvisionne-
ment chargé sur les trucs, traînés à grand'peine par les
mules à demi-sauvages qu'à défaut de locomotives on
avait été obligé d'y atteler.
Le poste de la Tejeria était gardé par un détachement
mexicain du corps du général Uraga. Le général Prim,
l'ayant fait prévenir courtoisement des projets des alliés,
espérait qu'il n'y mettrait pas obstacle.
Malgré de fréquents repos, les troupes supportèrent dif-
ficilement la fatigue de cette première marche ; les hommes,
épuisés par une chaleur accablante, se couchaient sur les
bords du chemin ; à huit heures (deux heures après le dé-
part) on fut obligé d'ordonner une grande halte pour faire
le café.
Le général Prim reçut alors l'avis que le général Uraga
était momentanément absent, que sa réponse arriverait
seulement dans la soirée, et qu'en attendant ses ordres
les détachements stationnés à la Tejeria se disposaient à
résister. Le général Primetl'amiralJurien n'en décidèrent
pas moins de poursuivre leur marche, et l'annonce faite aux
troupes qu'on allait rencontrer l'ennemi releva rapidement
leur moral.
L'avant-garde signala bientôt un groupe d^ cavaliers
mexicains sur la route ; l'ordre fut donné au peloton espa-
gnol, qui tenait la tète de la colonne, de ne pas tirer sans
avoir essuyé le premier feu et de se borner à pousser de-
vant lui les troupes ennemies ; mais les Mexicains se reti-
rèrent et évacuèrent la Tejeria sans résistance.
l'amiral JCRIEN de la GKAVIÈRE. 69
Les troupes françaises et espagnoles, placées sous le ^862.
commandement supérieur du colonel Hennique, s'établirent
dans cette position, et les trois commandants en chef
revinrent le même jour à Vera-Gruz. A la Tejeria, ils
avaient reçu la visite d'un aide de camp du général Zara-
gosa, ministre de la guerre, qui s'était présenté en parle-
mentaire pour s'enquérir de leurs intentions. Le général
Prim, servant d'interprète à ses collègues, protesta de
leurs dispositions tout amicales et le pria d'inviter le général
Zaragosa à venir, en personne, conférer avec les comman-
dants des forces alliées.
L'amiral Jurien ayant manifesté l'intention de concen- occupation
trer toutes les troupes françaises à la Tejeria, le général
Prim désira également réunir tout le corps espagnol sur
un point plus salubre que Vera-Gruz ; il fit choix de la
petite ville de Medelin, située à l'embouchure du Pdo
Jamapa, à quatre lieues au sud du port de Vera-Gruz, avec
lequel elle est reliée par un chemin de fer. Le 13 janvier,
les trois commandants en chef allèrent en prendre posses-
sion avec des détachements des trois nationalités.
Le même jour, dans la soirée, eut lieu la première réu- Première
m • ^^ 1 • • ii- -i conférence.
mon officielle des commissaires alliés ; il y régna beau- Ultimatum des
, pléiiipoten-
COUp de confusion W. tlaires français.
L'amiral Jurien communiqua à ses collègues le projet
d'ultimatum, préparé par M. de Saligny, qui étant malade
n'avait pu assister à la conférence ;
43 janv. -1862.
ULTIMATUM.
Art. i'^^. — Le Mexique s'engage à payer à la France une somme
de douze millions de piastres à laquelle est cvakié l'ensemble dos
réclamations françaises, en raison des faits accomplis jusqu'au
(') L'amiral Jurion au ministre de Li marine, lo janvier.
^
70 l'" PARTIE. ClfAI'lTl'.E II.
4862. 31 juillet dernier, sauf les exceptions stipulées dans les articles 2
"~ et 4 ci-dessous. En ce qui touche les faits accomplis depuis le 31 juil-
let dernier, et pour lesquels il est fait une réserve expresse, le
chiffre des réclamations auxquelles ils pourront donner lieu contre
le Mexique sera fixé ultérieurement par les plénipotentiaires de la
France.
Art. 2. — Les sommes restant dues sur la convention de 1853,
qui ne sont pas comprises dans l'article l^^" ci-dessus, devront être
payées aux ayants droit dans la forme et en tenant compte des
échéances stipulées dans ladite convention de 1853.
Art. 3. — Le Mexique sera tenu h l'exécution pleine, loyale et im-
médiate du contrat conclu au mois de février 1859 entre le gouver-
nement mexicain et la maison Jecker.
Art. 4. — Le Mexique s'oblige au paiement immédiat des onze
mille piastres formant le reliquat de l'indemnité qui a été stipulée
en faveur de la veuve et des enfants de M. Ricke, vice-consul de
France à Tepic, assassiné en octobre 1839.
Le gouvernement mexicain devra, en outre, et ainsi qu'il en a
déjà contracté l'obligation, destituer de ses grades et emplois et
punir d'une façon exemplaire le colonel Rojas, un des assassins de
M. Piicke, avec la condition expresse que Rojas ne pourra plus être
investi d'aucun emploi, commandement, ni fonctions publiques
quelconques.
Art. 5. — Le gouvernement mexicain s'engage également à re-
chercher et à punir les auteurs des nombreux assassinats commis
contre les Français, notamment les meurtriers du sieur Davesne.
Art. 6. — Les auteurs des attentats commis le 14 août dernier
contre le ministre de l'Empereur et des outrages auxquels le repré-
sentant de la France a été en butte dans les premiers jours du mois
de novembre 1861, seront soumis h un châtiment exemplaire, et le
gouvernement mexicain sera tenu d'accorder à la France et à son
représentant les réparations et satisfactions dues en raison de ces
déplorables excès.
Art. 7. — Pour assurer l'exécution des articles 5 et 6 ci-dessus
et le châtiment de tous les attentats qui ont été ou qui seraient com-
mis contre la personne de Français résidant dans la République,
le ministre de France aura toujours le droit d'assister en tout
état de cause, et par tel délégué qu'il désignera ù cet effet, à toutes
instructions ouvertes par la justice criminelle du pays.
Il sera investi du môme droit relativement à toutes poursuites
criminelles intentées contre ses nationaux.
Art. 8. — Les indemnités stipulées dans le présent ultimatum
l'amiral jlrien de la ghavière. 71
porteront de droit, à dater du 17 juillet dernier et jusqu'à parfait 1862.
paiement, un intérêt annuel de six pour cent. ~
Art. 9. — En garantie de l'accomplissement des conditions finan-
cières et autres posées par le présent ultimatum, la France aura le
droit d'occuper les ports de Yera-Cruz et de Tampico et tels autres
ports de la République qu'elle croira à propos, et d'y établir des
commissaires désignés par le gouvernement impérial, lesquels
auront pour mission d'assurer la remise entre les mains des puis-
sances qui y auront droit, des fonds qui doivent être prélevés à leur
profit, en exécution des conventions étrangères, sur le produit des
douanes maritimes du Mexique, et la remise entre les mains des
agents français des sommes dues à la France.
Les commissaires dont il s'agit seront, en outre, investis du
pouvoir de réduire soit de moitié, soit dans une moindre propor-
tion, suivant qu'ils le'jugeront convenable, les droits actuellement
perçus dans les ports de la République.
Il est expressément entendu que les marchandises d'importa-
tion ne pourront en aucun cas, ni sous aucun prétexte que ce soit,
être soumises par le gouvernement suprême ni par les autorités des
Etats à aucun droit additionnel de douane intérieure ou autre,
excédant la proportion de quinze pour cent des droits payés à l'im-
portation.
Art. iO. — Toutes les mesures qui seront jugées nécessaires pour
régler la répartition entre les parties intéressées des sommes pré-
levées sur le produit des douanes, ainsi que le mode et les époques
de paiements des indemnités stipulées ci-dessus, comme pour ga-
rantir l'exécution des conditions du présent ultimatum, seront ar-
rêtées de concert entre les plénipotentiaires de la France, de l'An-
gleterre et de l'Espagne.
Les commissaires anglais, s'appuyant sur la solidarité
qui liait les trois puissances engagées au Mexique, crurent
de leur droit d'exercer leur contrôle sur ces réclamations,
dont ils trouvèrent le chiffre exorbitant, et s'opposèrent à
ce qu'il fût donné suite à cet ultimatum. Cependant le sauf-
conduit demandé au général Uraga était arrivé ; il fallait se
résoudre à quelque chose. Une deuxième réunion fut dé- Deuxième
cidée pour le lendemain. M. de Saligny y assista. Après de Emoi
, - . 11/- - • ' • '^^ délégués
vives discussions, les plénipotentiaires convinrent que le do- à Mexico.
72 l" PArxllE. CllAFlTRli II.
<862. tail des réclamations ne serait pas envoyé au gouvernement
de Mexico. L'amiral Jurien proposa à ses collègues le texte
d'une note par laquelle on demanderait l'accès du plateau
de Jalapa, avec la menace, en cas de refus, de prendre de
vive force les cantonnements dans l'intérieur ; les autres
commissaires, le général Prim surtout , s'opposèrent à ce
que cette communication eût un caractère comminatoire.
Ils présentèrent alors aux plénipotentiaires français une
autre note, déjà revêtue de leurs signatures, et que l'ami-
ral Jurien finit par accepter après avoir obtenu la modifi-
cation de plusieurs passages qui lui semblaient trop favo-
rables à Juarez.
Cette note se bornait à réclamer, en termes vagues, des
satisfactions pour le passé, des garanties pour l'avenir, et
insistait sur les intentions bienveillantes des alliés. Les
commissaires anglais et espagnol n'avaient pas voulu que
l'on y insérât la demande de cantonnements dans l'inté-
rieur du pays ; il fut convenu que cette question serait traitée
verbalement par les délégués envoyés à Mexico.
L'amiral Jurien, avec le consentement de ses collègues,
rédigea aussitôt les instructions suivantes, qui devaient leur
tenir lieu de lettre de créance.
« Les représentants des trois hautes puissances, signataires de
la convention du 31 octobre, ont chargé MM. le brigadier Milans,
le capitaine de vaisseau Tatham, le capitaine de frégate Thomas-
set, chef d'état-major de l'escadre française, de se rendre à Mexico
pour y remettre au gouvernement mexicain une note collective,
dans laquelle se trouvent exposées les intentions des alliés. En
retour de leurs déclarations toutes pacifiques et de leurs desseins
sincèrement bionvcillants, les représentants des trois hautes puis-
sances attendent du gouvernement mexicain qu'il comprendra la
nécessité d'assurer aux armées alliées un campement salubre, pen-
dant h' temps que dureront les négociations ot jusqu'au momoni
où le Mexique aura achevé sa réorganisation intérieure. »
l'amiral JURlEiN DE LA GRAVIÈKE. 73
Ces officiers quittèrent Vera-Gruz le même jour, l 'i^ is62.
janvier, et se rendirent à la Tejeria, où les attendait une
escorte mexicaine ; ils firent aussitôt une visite au général
Uraga, à son quartier général de San Juan de la Estancia.
Le commandant en chef de l'armée mexicaine les reçut
avec une grande affabilité et témoigna tout particulièrement
au commandant Thomasset sa sympathie pour la France.
Il promit de faciliter l'arrivée des vivres au camp de la
Tejeria 0).
Ainsi, dès le début des conférences, la bonne entente
entre les commissaires des trois puissances avait été com-
promise. La distinction et l'esprit élevé de famiral Jurien
pouvaient encore maintenir une certaine aménité dans leurs
*') Le commandant Thomasset à l'amiral Jurien, lo janvier.
Le gênerai Uraga tint sa promesse. L'amiral le fit remercier par M. lo capitaine
d'état-major Capitan, qui se rendit le 18 janvier à l'iiacienda de la Estancia, sa ré-
sidence habituelle, et lui offrit, de la part des commandants des troupes françaises
et espagnoles, quelques présents consistant en caisses de vin et de cigares.
La visite de l'aide de camp de l'amiral avait en outre un but politique ; nous
résumons le récit de l'entrevue qu'il eut avec le général Uraga :
Après avoir affirmé au général Uraga les dispositions bienveillantes de la
France , le capitaine Capitan ajouta que ; « lorsque la France voulait faire la
guerre en un point quelconque du globe, elle avait toujours une armée prête à
partir et une flotte disponible pour la transporter, et que pour Lien établir la
nature de ses intentions pacifiques, elle n'avait envoyé au Mexique que la garde
de son drapeau. •
Le général Uraga, que l'on croyait ennemi juré de l'intervention espagnole, se
montra au contraire très-sympathique au général Prim ; il lui attribuait le carac-
tère pacifique donné à l'expédition. La conversion du général mexicain paraissait
récente et semblait être le résultat des efforts de Sir Gh. Wyke, qui corres-
pondait presque quotidiennement avec lui.
Bien qu'il parlât de Juarez avec peu de déférence , il disait que le président
était le représentant du pays et que, par amour-propre national, on voulait
qu'il fût respecté. — <■ Sauvez cette question de forme , ajouta-t-il, et toutes les
affaires s'arrangeront facilement. »
« Juarez n'est qu'un nom ; nous gouvernons derrière lui , Doblado et Etchcvcrria
sont déjà à la tCtc des affaires ; moi-même je suis destiné à prendre le portefeuille
74 l" PAlîTIE. — CliAPlilŒ II.
4862. relations personnelles, mais leurs relations diplomatiques
devenaient chaque jour plus difficiles, et une rupture pro-
chaine de l'alliance se laissait déjà entrevoir.
On ne peut manquer d'être surpris de cette attitude de
Sir Ch. Wyke, en la rapprochant des dépêches par les-
quelles il exposait au gouvernement anglais l'urgence d'une
intervention armée dans les affaires mexicaines (*) ; aujour-
d'hui, au contraire, il employait tous ses efforts à obtenir
une solution pacifique des difficultés pendantes. Le com-
modore Dunlop s'était rangé à son avis, et le général Prim
n'inclinait que trop dans ce sens ; tous trois étaient d'avis
d'appuyer le parti qu'ils appelaient libéral modéré et de
considérer le gouvernement de Juarez comme un gouver-
nement légal.
do. la gnerre lorsque ma présence ne sera plus nécessaire dans l'Etat de Vera-
Cruz. Dites à l'amiral que nous nous entendrons avec les puissances étran-
gères, mais qu'il faut aller doucement et prudemment ; avec du temps on peut
arriver à tout, et qui plus est , en conservant les formes légales ; la présidence à
vie, la monarchie môme, rien n'est impossible si l'on veut nous laisser conduire
les affaires et attendre. »
Le général Uraga partageait l'antipathie générale contre les Espagnols, mais
il faisait toujours une exception pour le général Prim.
M. Capitan dit dans son rapport : « Je crois que le général Uraga est complè-
tement gagné au parti libéral, dont Doblado est le chef. Ce parti obéit à l'im-
pulsion de Sir Ch. Wyke, et le général Prim lui-raôme n'est qu'un instru-
ment que l'on flatte et que l'on cherche peut-être à séduire en lui faisant con-
cevoir des espérances personnelles Le général Zaragosa commande sous
les ordres d'Uraga une division placée à la Soledad ; Zaragosa appartient au
parti libéral le plus avancé , et le général Uraga le considère comme un espion
du président .luarez ; il déclare formellement qu'il est-décidé à le faire fusiller
à la plus légère apparence de trahison. >>
(•) Le 25 juin 1861, Sir Ch. Wyke avait écrit : « La lecture de mes précédentes
dépêches aura fait voir à Voire Excellence que l'on ne peut avoir aucune con-
fiance dans les promesses ni même dans les engagements les plus formels du
gouvernement mexicain. Le capitaine Aldliam, qui, durant trois ans, a bien étu-
dié le caractère mexicain et la manière d'éluder ses engagements, est d'avis que le
temps de la douceur est passé et que si nous voulons protéger la vie et les intérêts
des sujets britanniques, il faut employer des mesures coercitives. »
l'amiral JURIEN de la GRAVIÈRE. 75
Un incident faillit cependant compromettre cet accord. -1862.
L'ariivée du général Miramon était annoncée à Vera- Airestaiion
de Miramon.
Gruz. On se rappelle que, pendant sa présidence, il avait 27 juuv. isoi
lait enlever les sommes déposées sous le sceau de la légation
britannique et destinées au paiement de la dette anglaise.
Les commissaires anglais ayant, pour cette raison, mani-
festé l'intention de le faire arrêter à son débarquement, les
commissaires français déclarèrent, que le drapeau français
flottant à Yera-Gruz, ils protestaient contre cet acte de
violence ; pour écarter toute difficulté, il fut alors décidé
que l'arrestation aurait lieu à bord même du paquebot
anglais. En effet, le 27 janvier, à Tarrivée du paquebot,
les autorités anglaises se saisirent de la personne de l'ancien
président et le transférèrent sur un bâtiment de guerre.
Le frère de Miramon, le Père Miranda et quelques autres
émigrés mexicains, qui l'accompagnaient, eurent la liberté
de débarquer.
Le général Miramon était venu avec l'assentiment du
général Prim et avait reçu, sous un nom supposé, un passe-
port des autorités espagnoles de l'île de Cuba O. Son
arrestation, dit l'amiral Jurien, causa une émotion violente
au général Prim, qui se trouva personnellement blessé.
L'amiral se hâta d'interposer ses bons offices pour calmer
le différend qui s'élevait entre ses collègues C^) ; mais
ceux-ci revinrent bientôt d'eux-mêmes à leur intimité
('») Miramon avait fait un voyage en Espagne. Le 13 octobre 1861, .M. Seiiurlz,
chargé d'affaires des Etats-Unis à Madrid, informait son gouvernement des de-
marches que le général faisait auprès do MM. Narvaez et Calderon-Coliantcs; il le
supposait d'accord avec le gouvernement espagnol. (Executive documents, 1801-
1862.)
(*) Le général Prim a dit, de son côté, qu'il avait dû employer toute son
influence pour que l'incident Miramon ne fût pas Toccasion d'une rupture com-
plète entre les Anglais et les Français. (Lettre du gérerai l'rini à M. Caideron-
CoUantes, 2« janvier 1862.)
76 l"^*" l'AiniE. — CHAPITRE 11.
1862. des premiers jours. Il fut convenu entre eux que le com-
modore Dunlop renverrait Miramon à la Havane et que
le général Prim s'opposerait à son retour au Mexique (').
Dès ce moment, les relations devinrent de plus en plus
intimes entre les commissaires anglais et espagnol, qui pa-
raissaient ne « s'entendre que trop bien » pour combattre
en toute circonstance l'influence des plénipotentiaires
français.
Retour Les délégués revinrent de Mexico le 28 janvier. Ils avaient
28 jimv.^<862. été bicu rcçus, mais n'avaient obtenu que des réponses
évasives. D'après l'opinion du commandant Thomasset,
Sir Ch. Wyke, dont la politique était d'ailleurs désapprou-
vée par le commodore Dunlop, négociait un arrangement
particulier avec Doblado ; celui-ci, confiant dans l'appui
des Anglais, travaillait à renverser Juarez, et les Espagnols
cherchaient également à obtenir des avantages particuliers.
Il faisait un triste tableau du désordre qui régnait dans
l'intérieur du pays, du brigandage qui désolait les routes
et de l'insécurité de la ville même de xMexico ; il pensait
qu'il était utile de marcher de suite vers l'intérieur et que
l'idée monarchique avait de nombreux partisans (^).
Réponse M. de Zamacona, envoyé par Doblado, arriva le jour sui-
^^ mcxS™''"' vant porteur de la réponse officielle. Le ministre des affaires
étrangères mexicain insistait sur la popularité croissante
qui entourait le gouvernement actuel ; il assurait que si
les intentions des trois puissances étaient bienveillantes,
leurs réclamations seraient assurément acceptées, et il invi-
tait les plénipotentiaires à faire de suite rembarquer leurs
H) F>'amir;il au ministre do la marine, 29 janvier 1862.
'2) Rapport (lu commandanl Thomasset.
l'amiral JURIEN de la GTIAVIÈRE. 77
troupes et à se rendre à Orizaba avec une escorte d'honneur 18G2.
de 2,000 hommes pour y conférer avec les commissaires
mexicains. La singularité de cette proposition choqua
tellement l'amiral Jurien, qu'il voulait laisser M. de Zama-
cona retourner à Mexico sans réponse écrite, et annoncer
à son gouvernement que, de gré ou de force, les alliés
prendraient les cantonnements qui leur plairaient.
Cette opinion n'ayant pas prévalu, il proposa à ses col-
lègues la note collective suivante, qui fut adoptée et remise
à l'envoyé mexicain.
« Les soussignés, etc. en réponse à la note de Son Exe, ont Deuxième note
l'honneur de lui exposer que, venus au Mexique pour y remplii' ^'^^ commssaires
une mission civilisatrice, ils ont conçu le plus vif désir d'accomplir
cette mission sans verser une goutte de sang mexicain. Ils croi-
raient cependant manquer à tous leurs devoirs envers leurs gou-
vernements et envers leurs pays, s'ils ne s'occupaient d'assurer le
plus tôt possible un campement salubre k leurs troupes. En consé-
quence, ils ont l'honneur de prévenir Son Exe. de la nécessité où
ils se trouveront vers le milieu du mois de février de se mettre
en marche pour Orizaba et pour Jalapa, où ils espèrent qu'il leur
sera fait un accueil sincèrement amical y> ^^K
Juarez ne s'y disposait guère ; le 25 janvier, il avait fait Loi du 25 jauvici-
paraître une loi de terreur, prononçant la peine de mort
contre les étrangers qui avaient envahi le territoire sans
déclaration de guerre, et contre les Mexicains qui les secon-
deraient de quelque manière que ce fût, assisteraient à des
juntes, ou accepteraient des emplois donnés par eux ou par
leurs délégués (^).
(') L'amiral au ministre de la marine, 3 février 1862.
(2) Les articles de cette loi furent invoqués dans l'acte d'accusation dressé contre
l'empereur Maximilien et les généraux Miramon et Mejia, faits prisonniers avec
lui à Queretaro. (Lettre du général Ignacio Mejia, ministre de la guerre de Juarez,
au général Escobedo ; San Luis de Potosi. 21 mai 18G7.) D'ailleurs, des décrets
78 l*"^ PARTIE. CHAPITRE II.
^862. Depuis longtemps, du reste, les armes dont Juarez se
servait étaient employées par les partis qui déchiraient le
pays,
Orpiiisoiion Pendant ces pourparlers, l'amiral poursuivait activement
(lu corps ...
exi.édiiionnaire. l'organisatiou de son petit corps d'armée. Il trouvait de
grandes difficultés à constituer des moyens de transports.
Dans l'impossibilité de se procurer des voitures, il avait dû
se décider à en faire construire et mettre les ouvriers de
la flotte à la disposition des entrepreneurs ; on avait com-
mandé à la Havane les roues, les essieux, les harnais ; on
achetait à des prix excessifs tout ce que l'on découvrait en
fait de mules, de chevaux, de bâts, de harnachements ;
mais les Espagnols et les Anglais, dont la pénurie n'était
pas moins grande, faisaient une véritable concurrence.
Les Espagnols, désespérant de pouvoir utiliser les mules
sauvages qu'ils avaient achetées au Mexique, s'étaient
vus obligés de demander des attelages à l'île de Cuba.
Les troupes se trouvaient heureusement dans des condi-
tions relativement assez bonnes au camp de la Tejeria.
L'amiral, désirant y envoyer les compagnies d'infanterie
de marine restées jusqu'alors à Vera-Cruz, pria le géné-
aussi barbares avaient éLe plus d'une fois rendus au Mexique; nous citerons les
deux suivants :
« Ordre adressé par le général Miramon au général Marquez après la bataille
de Tncubaya. Mexico, 11 avril 1801 : — Dans l'après-midi de ce jour et sous votre
plus stricte responsabilité, vous donnerez l'ordre de fusiller tous les prisonniers
du grade d'officier, et m'informerez de leur nombre. »
« Le général Marquez au peuple de Mexico : — En vertu des pouvoirs dont je suis
investi, je décrète : 1° B. Juarez, et ceux qui reconnaissent son f,^ouverneiiient et
lui obéissent, sont déclarés traîtres au pays, ainsi que tous ceux qui l'aident
directement ou indirectement, quelque peu que ce soit.
« 2" Tous les individus compri? dans une des catégories ci-dessus spéci-
fiées seront immédiatement fusillés sans autre formalité que la constatation de
leur identité, ■.
l'amiral JURIEN de la GRAVIÈRE. 79
rai Prim d'en retirer les détachements espagnols, afin ^8C5.
d'éviter l'encombrement. Il saisissait ainsi cette occasion
de séparer les troupes des deux puissances, entre les-
quelles ne s'étaient pas formées de bonnes relations de
camaraderie ; de plus, les Espagnols, malgré une disci-
pline sévère, ne s'étaient pas concilié les sympathies des
Mexicains, qu'une haine traditionnelle éloignait d'eux, et les
bons rapports qui tendaient à s'établir entre nos soldats et
les gens du pays auraient pu souffrir de leur voisinage (*).
Comme les puits de la Tejerîa menaçaient de tarir, l'a-
miral fit demander au général Uraga s'il verrait avec dé-
plaisir les troupes françaises s'avancer jusqu'au petit village
de San Juan de la Loma, à 13 kilomètres plus loin. Le gé-
néral mexicain y consentit volontiers, et ce point fut occupé
le 27 janvier par les corps du camp de la Tejeria, tandis
que les compagnies d'infanterie de marine les remplaçaient
dans leur ancien campement. Le matériel destiné à ces
compagnies n'étant pas encore arrivé, l'amiral fit installer
des tentes avec des voiles de rechange et des bouts de mât,
et les bâtiments prêtèrent leurs chaudières pour remplacer
les marmites et les bidons.
Enfin, le 30 janvier, la Meuse apporta le matériel de la
batterie de 4 et le matériel de campement si impatiemment
attendu. La section de l!2 des marins, qu'on n'était pas par-
venu à organiser d'une manière satisfaisante, fut licenciée.
L'amiral allait donc se trouver bientôt à même de faire
mouvoir ses troupes. Il n'avait cessé, du reste, d'affirmer
à ses collègues son intention bien arrêtée de s'avancer dans
l'intérieur dès qu'il le pourrait. Ceux-ci, malgré leurs dis-
positions pacifiques, étaient forcés de reconnaître que l'atti-
i*) L'amiral au ministre de lu maiirn', 24 janvier.
80 1"" PARTIE. CHAPITRE II.
4862. lude du gouvernement mexicain les obligerait peut-être à
prendre de vive force les cantonnements salubrcs qu'ils
avaient cru plus opportun d'obtenir de sa condescendance,
et le général Prim manifesta l'intention de faire venir de la
Havane un renfort de quatre bataillons qui se tenaient prêts
à partir (').
De son côté le commodore Dunlop prit sur lui, malgré
la rigueur de ses instructions, d'ordonner à l'île de Cuba
l'achat des tentes et des mulets nécessaires, pour que le
contingcînt anglais pût suivre les troupes franco-espagnole?.
La nécessité de s'éloigner d'une côte aussi malsaine se
faisait en effet vivement sentir ; le 2 février, le général Prim
avait déjà dû renvoyer à la Havane 800 hommes malades, et
le corps expéditionnaire français comptait à la même époque
335 indisponibles sur un effectif total de 3073 homme?.
Les maladies n'avaient cependant pas abattu le moral
des troupes ; l'amiral s'en assura en allant visiter les camps
de la Tejeria et de San Juan (6 février), mais il était à
craindre que les hommes qui avaient été atteints par les
fièvres n'eussent plus assez de forces pour porter leurs
sacs. Les soldats d'infanterie de marine, dont la santé était
déjà épuisée par un long séjour dans les pays chauds, étaient
les plus éprouvés; ils résistaient moins bien que les zouaves
et que les matelots aux influences pernicieuses du climat (^).
La batterie de montagne se rendit de Vera-Gruz à la Te-
jeria, et deux des chariots que l'on avait fait construire
allèrent porter des vivres à San Juan. Le mouvement qui
avait lieu dans les camps français et la visite de l'amiral
firent craindre au général Uraga que les troupes ne se dis-
posassent à marcher en avant. Il envoya de suite un de
(1) L'amiral au ministre do la marine, 21 janvier 1.S02.
(2) L'amiral au minisire de la marine, 7 février.
l'amiral jurien de la gravière. 81
ses officiers à l'amiral Jurien, pour le prier d'attendre i8G2.
quelques jours encore, car on ne pouvait, disait-il, tarder
à recevoir la réponse du gouvernement aux dernières com-
munications des alliés.
Cette démarche du général mexicain témoignait de ses
bonnes dispositions personnelles ; tous les officiers mexi-
cains avec lesquels on avait été fortuitement en rapport
montraient de même une grande sympathie pour les Fran-
çais, mais ils ne dissimulaient pas leur haine contre
les Espagnols. Ces sentiments faisaient espérer à l'amiral
qu'un certain nombre d'hommes du parti conservateur se
grouperaient volontiers autour du drapeau français, lorsque
les troupes s'avanceraient dans l'intérieur ; mais il était
cependant obligé de reconnaître que la masse de la popu-
lation semblait incliner plutôt vers la réforme que vers
le parti réactionnaire, et déjà, avant le commencement des
hostilités, des guérillas à la tète desquels se mettaient des
chefs libéraux, la plupart indiens ou métis, surgissaient dans
la terre chaude, faisaient le vide autour des troupes étran-
gères et battaient le pays pour arrêter les émigrés récem-
ment débarqués (particulièrement le Père Miranda) (*).
La réponse de M. Doblado à la deuxième note des com- Réponse
. , ,j. p in'"-. do Doblado à la
missaires allies arriva a Vera-Cruz le 9 levrier. douxieme noie.
ï Le gouvernement mexicain ignore encore, disait-il, quelle
peut être la mission que les commissaires alliés viennent remplir
au Mexique, parce que, jusqu'à ce moment, ils ont seulement indi-
qué des promesses vagues et dont personne ne comprend le véri-
table objet; il ne peut permettre que les troupes envahissantes
s'avancent, à moins que l'on ne règle avec clarté et précision cer-
taines bases générales qui feront connaître les intentions des alliés
(1) L'amiral au ministre de la marine, 7 février.
82 l" PARTIE. CHAPITi.E II.
4862. ''t qiic l'on ne négocie ensuite avec prudence au sujet des intérêts
— importants qui doivent être discutés.
« Le citoyen président m'ordonne de dire pour plus ample ex-
plication, que si Vos Seigneuri(;s envoient promptement àCordova
un commissaire pour discuter avec un autre commissaire du gou-
vernement les bases mentionnées, on donnera l'ordre de permettre
d'avancer jusqu'aux points dont on conviendra. »
Troisième noie. Les comiTiissaires alliés répondirent que la note de
M. Doblado ne modifiait en rien leurs déterminations, et ils
l'invitèrent à se rendre le 18 février à la Purga (à moitié
chemin de la Tejeria et de la Soledad), pour y conférer avec
le général Prim .
^ . , , Au môme moment, le général Uraera, de la courtoisie
Le gênerai .
zaragosa rem- duciuel l'amiral Juricn n'avait qu'à se louer, fut rappelé par
place le gênerai '^ ^ ? j. i j.
Uraga. \q gouvernement de Juarez, qui l'accusait de trop de sympa-
thies pour les Européens, et remplacé dans le commande-
ment de l'armée d'Orient par le général Zaragosa, homme
exalté et animé de dispositions très-hostiles à l'intervention
étrangère (^).
Dès son arrivée, le nouveau commandant de l'armée
mexicaine adressa au général Prim, qu'il feignait de consi-
dérer comme le chef de l'expédition, une lettre injurieu-
sement hautaine pour le prévenir qu'il tolérait que les alliés
conservassent les cantonnements de Medelin, de la Tejeria
et de San Juan, mais que loccupation de tout autre point
serait considérée comme un acte d'agression de leur part.
Cette déclaration était évidemment à l'adresse du général
espagnol qui venait récemment d'envoyer un bataillon à
Santa Fé entre San Juan et Vera-Gruz.
Le général Prim fut vivement offensé des termes de cette
communication; mais Sir Ch. Wyke le calma peu à peu,
(•) i,';miiral au mini>tre îles affaircf» élrangores, Iti février 18G2.
l'amiral JURIEN DE LA GRAVIÈRE. 83
atténua les expressions et modifia le sens de la réponse qu'il 48G2.
voulait tout d'abord envoyer au général mexicain. Les com-
missaires alliés se contentèrent de se plaindre à M. Doblado
de l'étrange procédé du général Zaragosa (^).
L'amiral Jurien eût désiré qu'une démonstration mili-
taire vînt mettre un terme à tous ces atermoiements et aux
procédés tour à tour rusés et hautains du gouvernement de
Juarez, mais il ne pouvait se séparer complètement de ses
alliés. Le général Prim se montrait parfois disposé à com-
mencer les opérations militaires ; il discutait alors un plan
de campagne avec le commandant en chef des troupes
françaises, demandait à la Havane les quatre bataillons qui
se tenaient à sa disposition et acceptait l'offre de l'amiral
Jurien de les faire transporter sur les frégates françaises
alors mouillées dans ce port ; mais bientôt il voyait surgir
devant lui toutes les difficultés inhérentes à une marche à
travers un pays désert, dans lequel ses troupes ne se-
raient pas suivies d'un convoi suffisant; les conseils de Sir
Gh. Wyke l'amenaient à faire toutes les concessions possibles
pour arriver à une solution pacifique. On se demandait, en
outre, si certaines considérations personnelles n'exerçaient
pas quelque influence sur sa conduite pohtique. L'arrivée
à Vera-Gruz(14 février) de la comtesse de Reus sa femme,
parente, comme on le sait, d'un des ministres de Juarez,
n'était peut-être pas étrangère aux projets ambitieux qu'on
lui supposait.
Le général Zaragosa établit son quartier général à la
Solerlad, occupa la route d'Orizaba et confia au général La
Llave le soin de défendre celle de Jalapa en prenant pour
points d'appui les fortes positions de Puente-Nacional et de
(*) L'amiral au ministre des affaires étrangAres, 15 février 1862.
84 l"" PARTIE. CHAPITRE IF.
4862. Gorral-Falso, sur lesquelles on avait transporté quelques-
unes des grosses pièces provenant du château de Saint-Jean
d'Ulloa. Au même moment le général Prim, craignant que
la haine des Mexicains n'amenât une démonstration contre
les Espagnols cantonnés à Medelin, pria ses collègues d'y
envoyer quelques forces françaises et anglaises afin de pré-
venir une attaque (').
La compagnie de débarquement de la Foudre et une
compagnie anglaise s'y rendirent le 13 février; elles en
revinrent le 15, aucune tentative hostile n'ayant été faite
par les Mexicains,
Convention Les commîssaires alliés reçurent alors la réponse de
■19 fév. I8G2. ^^' Doblado à leurs dernières notes. Il acceptait pour le 19,
à la Soledad, la conférence qui lui avait été offerte avec le
général Prim.
Cette entrevue eut lieu au jour fixé ; M. Doblado de-
manda tout d'abord que les commissaires opposassent une
dénégation précise aux projets monarchiques attribués à la
France et à ceux de restauration de la domination espa-
gnole que l'on prêtait au cabinet de Madrid ; il voulait
obtenir une reconnaissance formelle du gouvernement ac-
tuel du Mexique et la remise des douanes de Vera-Cruz
entre les mains de l'administration mexicaine.
Cédant sur quelques points, résistant sur d'autres,
disposé d'ailleurs à négocier plutôt qu'à combattre , et
se sachant appuyé dans ce sens par les représentants
de l'Angleterre , le général Prim signa des prélimi-
naires, devenus célèbres sous le nom de Convention de la
Soledad.
(•) L'amiral au niinislre des aiïairos i-trangi'Tos, \o février 1861.
l'amiral JDRIEN de la GRAVIÈRE. 85
CONVENTION. '•SSÎ.
Article 1". — Etant admis que le gouvernement constitution-
nel, qui régit actuellement la Piépublique du Mexique, a déclaré
aux commissaires des puissances alliées, qu'il n'a pas besoin du
secours que ces commissaires ont offert avec tant de bienveillance
au peuple mexicain, attendu qu'il possède en lui-même les éléments
de force et d'opinion nécessaires pour se maintenir contre toute lé-
olte intestine, les alliés se placent dès à présent sur le terrain des
traités pour formuler toutes les réclamations qu'ils ont à faire au
nom de leurs nations respectives.
Art. 2. — Dans ce but , les représentants des puissances al-
liées protestant, comme ils protestent, qu'ils n'ont aucune intention
de porter atteinte à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité
du territoire de la République, des négociations s'ouvriront à Ori-
zaba, où devront se réunir MM. les commissaires et deux des mi-
nistres du gouvernement de la République, h moins que des deux
côtés on ne convienne de se faire représenter par des délégués.
Art. 3. — Pendant la durée des négociations , les forces des
puissances alliées occuperont les trois villes de Cordova, Orizaba
et Tehuacan avec leurs rayons naturels.
Art. 4. — Afin qu'il ne puisse entrer dans la pensée de per-
sonne que les alliés ont signé ces préliminaires pour se procurer
le passage des positions fortifiées qu'occupe l'armée mexicaine, il
est stipulé que si, malheureusement, les négociations venaient à se
rompre, les forces alliées évacueraient les villes susdites et retour-
neraient se placer sur la ligne qui est en deçà desdites fortifications,
sur le chemin de la Yera-Gruz; les points extrêmes principaux en
étant celui de Paso-Ancho, sur la route de Cordova et celui de Paso
de Ovejas, sur la route de Jalapa.
Art. 5. — S'il arrivait malheureusement que les négociations se
rompissent et que les troupes alliées se retirassent sur la ligne in-
diquée dans l'ai'ticle précédent, les hôpitaux qu'elles auraient éta-
blis resteraient sous la sauvegarde de la nation mexicaine.
Art. 6. — Le jour où les troupes alliées se mettront en marche
pour occuper les points indiqués dans l'article 3, le pavillon mexi-
cain sera arboré sur la ville de la Yera-Gruz et sur le château de
Saint-Jean d'Ulloa.
Soledad, le 19 février 1862.
Ces préliminaires furent approuvés et signés dans la nuit
môme par les compiissaircs français et anglais.
86 l'^ PARTIE. — CHAPITRE II.
4862. Ils furent ratines le 23 février, par le président Juarez.
La Convention de la Soledad avait pour résultat immé-
diat de permettre aux alliés d'occuper, sans coup férir,
des positions salubres lorsque déjà leurs effectifs étaient
considérablement affaiblis par la maladie et qu'il paraissait
impossible d'entreprendre avec des chances de succès une
campagne sérieuse. (')
Pour Juarez, elle avait l'avantage d'impliquer de la part
des puissances alliées une sorte de reconnaissance de son
gouvernement ; elle lui faisait gagner du temps pour orga-
niser la résistance et attendre l'éclosion des germes de dé-
saccord dont il pressentait l'existence chez ses adversaires.
Organisation La convcntiou de la Soledad avait ouvert aux troupes
d'un convoi. n- , • ,,,.,. ,
alhees 1 accès des provinces de 1 niterieur ; au moment de se
mettre en marche, l'amiral Jurien appréciait mieux encore
les difFicultés dont sans doute il ne lui aurait pas été pos-
sible de triompher, si au lieu de s'avancer pacifiquement,
il lui avait fallu combattre. La grosse question était tou-
jours celle des transports et de l'organisation d'un convoi,
susceptible de suivre les troupes avec les vivres néces-
saires, pour la traversée des vingt lieues de pays inculte
et sans ressources , qui séparent Vera-Gruz du Chiqui-
huite.
Le commerce local emploie ordinairement, outre les
bêtes de somme très-nombreuses au Mexique, deux sortes
de voitures : de petites charrettes à deux roues, attelées de
quatre mules de front, ou préférablement de gros chariots
à quatre roues traînés par huit ou dix mules, quelquefois
(') Sur un cfTeclif de 6,000 hommes, les Espagnols n'avaient que 4,000
liommcs on titat de combaUre; — les Français coiiiplaicnt 400 à 500 malades.
(L'amiral au ministre des affaires étrangères, 15 février.)
I
l'amiral JDRIEN DK la GUAVIÈUE. 87
par seize ou vingt-quatre, selon le poids du chargement
qui excède parfois 3,000 kilogrammes.
Ces voitures, d'importation américaine, dont la construc-
tion est appropriée au mauvais état habituel des routes du
pays, ne peuvent être conduites que par des hommes fort
adroits et habitués à ce métier. Un seul arriero, monté sur
la mule de derrière, suffit alors pour diriger ces longs at-
telages. Les chariots voyagent ordinairement par groupes
ou partidas de 10 à 12, sous les ordres d'un majordome et
de deux aides à cheval. La partida se compose donc généra-
lement de 15 hommes et de 150 à 1 GO animaux. Chaque soir
elle campe, et les mules sont parquées entre les voitures du
convoi. On évaluait en temps ordinaire à 450 fr. environ la
dépense journalière d'une partida de 12 voitures, et à 40,000
francs le fret de cette partida de Vera-Cruz à Mexico (^).
Ce trajet d'un peu moins de 100 lieues se fait en moyenne
en vingt jours ; mais, pendant la saison des pluies, il arrive
souvent que les voitures restent embourbées des mois en-
tiers sans pouvoir avancer ni reculer.
C'était sur ces données que l'amiral devait se baser
pour organiser ses transports. Le mieux était évidemment
d'affréter ou d'acheter un certain nombre de partidas;
mais jusqu'alors le gouvernement mexicain les avait empê-
chées de descendre vers la mer. Le commandant Lagé,
chargé de créer le convoi, était sérieusement embarrassé.
En réparant deux vieux chariots abandonnés aux environs
de Yera-Cruz, en faisant des commandes à la Havane et
à des entrepreneurs de Vera-Cruz même ; en payant le
double de leur valeur (^) quelques voitures trouvées à
(1) Rapport du commandant Lagé. (Archives de la marine.)
(2) Le prix normal d'un chariot à 4 roues avec son alteluKe est d'environ
7,000 francs.
1862.
bo l'^ PARUE. CHAPITRE II.
4862. grand'peine, il était enfin arrivé, lorsque furent signés les
préliminaires de la Soledad, à réunir:
11 chariots à quatre roues portant. . , . . 30,000 kil.
30 charrettes à deux roues. . . , 20,000 kil.
3 voitures d'ambulance pour 22 malades.
Ce petit convoi pouvait porter huit jours de vivres pour
3,200 hommes, sans comprendre le fourrage des animaux,
dont l'effectif était alors d'environ 1,100, y compris 300
bêtes de trait du convoi.
Pour atteler ces voitures, on n'avait que des mules
presque sauvages, et pour les conduire, un détachement
de 120 matelots créoles, que l'amiral avait fait débarquer
dans ce but, hommes mous, sans énergie et qui n'étaient
nullement aptes à ce service. Le commandant Lagé n'avait
pu recruter que neuf arriéres mexicains (*).
L'organisation de la batterie de montagne et surtout
celle de la batterie de 4 avaient également présenté de
grandes difficultés. Le matériel de cette dernière, embar-
qué sur la Meuse, n'était arrivé à Vera-Gruz que le 30 jan-
vier. Les ouvriers avaient dû travailler jour et nuit afin de
le mettre en état, faire les réparations nécessaires et ajus-
ter les harnais beaucoup trop larges pour les mules achetées
aux Antilles ou au Mexique. Les conducteurs, pris en
grande partie parmi les indigènes de la Guadeloupe, étaient
aussi inexpérimentés que ceux du convoi, et les canonniers
d'artillerie de marine affectés à ces pièces n'étaient pas
familiarisés avec ce nouveau service. Enfin, la batterie de 4
put sortir de Vera-Gruz le 19 février ; elle alla bivouaquer
le môme jour à Santa Fé et se rendit le lendemain au camp
de la Tejeria. Le parc y arriva à son tour le 22 février.
(') Rapport du couinuindant L;i;,'é, 20 février.
l'amiral JUlUEi\ J)E LA GRAVIÈUE. 89
A la suite de la Convention de la Soledad, il avait été ar- 18G2.
rêté que les troupes françaises seraient cantonnées àTehua- Déi'art
, . . _ des troupes fran-
can, petite ville à 45 lieues de Yera-Cruz et à 38 lieues caiscs
pour Teluiacan.
au sud-est de Puebla, et que les Espagnols iraient occu- 26 février.
perOrizaba etCordova. Les Anglais devaient partager avec
les Espagnols l'occupation de cette dernière ville , mais les
ordres que reçut le commodore Dunlop lui défendirent
de s'éloigner de la côte.
Le 24 février, l'amiral ayant terminé ses préparatifs, ou
plus exactement voyant qu'il lui était impossible de se
créer de nouvelles ressources à Yera-Cruz, fit prévenir
ses collègues que, sans attendre la ratification de la Con-
vention de la Soledad par le président Juarez, mais per-
suadé qu'aucune entrave ne serait apportée à la marche de
ses troupes, il les mettrait en mouvement le 2G février.
Malgré quelques objections soulevées par le général Prini,
qui n'était pas encore, disait-il, en mesure de le suivre,
et parle commodore Dunlop, il maintint sa résolution. Le
25 février, il se rendit lui-même à la Tejeria et y fit con-
centrer les troupes du camp de San-Juan ('\
Il devenait urgent, en effet, d'éloigner les soldats des
parages malsains de la Yera-Cruz. La fièvre jaune, qui
d'ordinaire n'apparaît qu'au mois de mai, avait déjà fait
plusieurs victimes, et leur nombre allait grossissant chaque
jour. Les conditions climatériques de l'année avaient été
exceptionnellement mauvaises ; les communications fré-
quentes avec la Havane, l'agglomération des troupes étaient
en outre autant de circonstances malheureuses qui venaient
s'ajouter aux conséquences d'une chaleur excessive.
La traversée des terres chaudes inspirait de grandes in-
(') L'amiral Jurien au ministre de la marine, 24 février 1862.
90 f PAUTIE. — CHAriTllE II.
'1862. quiétudes à l'amiral, qui se rappelait les fatigues de la pre-
mière étape de Vera-Cruz à la Tejeria. Gomment les sol-
dats, affaiblis par six semaines de séjour dans des camps
insalubres, lourdement chargés, puisqu'on était forcé de
leur faire emporter quatre jours de vivres, pour la plupart
peu habitués à la marche, et dépourvus de cette expérience
de détails qui s'acquiert seulement après quelques jours de
campagne, résisteraient-ils aux épreuves qui les atten-
daient?
On avait deux jours de marche pour arriver à la Soledad ,
le premier village (si l'on peut donner ce nom à 3 mai-
sons en pierre avec quelques cases en bois) que l'on ren-
contre en partant de la Tejeria. Pour se rendre à Gordova,
la première ville où l'on pût trouver quelques ressources,
l'amiral comptait faire sept étapes de 14 à 15 kilomètres
en moyenne. Jusqu'à la Soledad et à cette époque de l'an-
née la route est bonne, mais le pays est désert ; les endroits
portés sur certaines cartes avec les noms de Mata Gordera,
Santa Ana, La Purga , Arroyo de Piedras , Mata India,
indiquaient seulement l'emplacement de cases misérables,
abandonnées la plupart du temps et auprès desquelles, à la
suite de grandes pluies, on trouve un peu d'eau au fond
de trous bourbeux ; mais les habitants de ces pauvres abris
sont ordinairement obligés d'aller chercher l'eau qui leur
est nécessaire, soit au Pdo Jamapa, qui coule à quelques ki-
lomètres à gauche de la roule, soit au Rio San Juan, qui
est à peu près à la même distance, à droite. G'est là aussi
que vont se désaltérer les nombreux bestiaux de l'hacienda
de San Juan de la Estancia, qui vivent en liberté dans
la campagne. L'amiral décida que la colonne irait, le pre-
mier jour, bivouaquer sur le bord du Rio Jamapa à 3 kilo-
mètres à gauche de la Purga et que le lendemain on ga-
l'amiral jcrien de la gravièue. 91
gnerait la Soledad; la première étape étant ainsi de
18 kilomètres et la deuxième de 15.
Un officier fut envoyé, le 25 au soir, reconnaître la route
en avant de la Tejeria ; il fut bientôt arrêté par les avant-
postes mexicains et forcé de rétrograder. Les troupes mexi-
caines paraissaient donc disposées à barrer le passage, et
l'amiral en fit aussitôt prévenir le général Prim, en lui con-
firmant du reste son intention de se mettre en mouvement
le lendemain. Le général Prim parut vivement contrarié de
cette détermination. Il finit cependant par répondre : « Que
l'amiral marche donc ; je ne suis pas prêt, mais je le sui-
vrai !>(').
M. de Saligny, prétextant le mauvais état de sa santé,
resta à Vera-Cruz. Il n'existait pas de relations très-sympa-
thiques entre lui et l'amiral, avec lequel il différait souvent
de manière de voir, et dont il ne partageait ni la prudence
ni la modération.
Le 26 février au point du jour, c'est-à-dire vers six
heures, les troupes françaises quittèrent le camp de la Te-
jeria ; on y laissa seulement un petit détachement pour
garder une ambulance provisoire.
Après quelques pourparlers avec les avant-postes mexi-
cains, la route fut laissée libre ; pendant un instant l'amiral
avait cru qu'ils essaieraient de s'opposer à son passage, mais
la ratification des préliminaires ayant été apportée dans
la journée même, les troupes mexicaines se replièrent.
La tête de la colonne française n'arriva au bivouac que
vers midi, et encore les officiers n'amenaient-ils avec eux
que le tiers de leur effectif. L'amiral, remontant de suite à
cheval, revint sur ses pas se faisant suivre par les mulets
<*) Rapport (lu commandant Thomasset à l'amiral, 26 février 1862.
-186?.
92 l'^ PARTIE . CHAPITRE II.
<862. d'ambulance et par les cavaliers de la colonne, portant des
bidons remplis d'eau ; le spectacle dont il fut témoin était
navrant.
Les soldats, épuisés, haletants, se traînaient sur la route ;
les mulets, couchés à terre ou se roulant avec leurs charges,
ne voulaient plus avancer. Cependant peu à peu les traî-
nards, auxquels on apportait à boire, purent se remettre en
marche et rejoignirent successivement le bivouac ; à la nuit
tombante, les mulets d'ambulance ramenèrent les derniers.
Deux soldats d'infanterie de marine succombèrent à une
insolation. Le soir, pour donner de la viande aux troupes,
on abattit à coups de fusil quelques taureaux sauvages qui
erraient autour du camp. Il avait été impossible d'amener
le troupeau jusqu'à l'étape (^).
Quant au convoi, il resta en chemin. Les conducteurs,
manquant d'expérience, avaient eu besoin de toute la ma-
tinée pour harnacher et atteler les animaux ; les voitures ne
s'étaient mises en route qu'à 2 heures du soir, et à 8 heures
elles n'avaient encore fait que 4 kilomètres. Il fut évident
que jamais elles ne parviendraient à suivre les troupes.
L'amiral se décida à les laisser marcher à petites jour-
nées, comme elles le pourraient, sous l'escorte de la com-
pagnie de débarquement de la Foudre.
La seconde étape fut moins pénible. La colonne, étant
partie de la Purga à 2 heures du soir, arriva à la Soledad
une heure après le coucher du soleil. Elle y resta deux
jours ; le lendemain, les voitures d'artillerie allèrent cher-
cher 76 hommes malades laissés à la Purga, et le surlende-
main des mulets furent encore envoyés au-devant du convoi,
pour ramener des voitures de vivres.
(') L'amiral au luiuislro de la marine, 27 février 1862.
l'a-Miral jurien de la GRâVIÈRE. 9'i
L'histoire de la campagne du Mexique ne présente 1862.
aucun épisode comparable à ces premières étapes. Bien
des fois les troupes exécutèrent, dans les terres chaudes,
des marches plus fatigantes et surtout plus longues ;
on ne saurait attribuer les accidents survenus à d'autre
cause qu'à l'inexpérience des officiers et des soldats,
nullement préparés par leur éducation antérieure aux
fatigues d'une campagne de cette nature. C'est qu'on
ne peut sans inconvénient, souvent même sans danger,
changer la spécialité de chaque troupe ; la valeur morale
ne supplée pas à tout : aussi aurait-il mieux valu laisser
les soldats de marine dans les colonies, les marins à bord
de leurs vaisseaux et envoyer au Mexique une petite bri-
gade de vieilles troupes aguerries par un séjour en Afrique,
quatre-vingts malades et deux cents hommes hors d'état
de marcher restèrent à la Soledad , et en quatre jours la
colonne n'avait fait que huit lieues. Que serait-il advenu si
l'ennemi avait voulu lui barrer la route et si les guérillas
étaient venues harceler ces malheureux soldats épuisés par
la fatigue et la fièvre ?
L'amiral, ne voulant pas être rejoint par les Espagnols,
quitta la Soledad le 2 mars. Il avait formé un convoi léger
de six voitures pour porter une petite réserve de vivres. Ces
charrettes à peine chargées ne purent cependant faire plus
de deux kilomètres le premier jour. On dut encore les
abandonner, comme on avait fait du grand convoi. Heu-
reusement des vivres frais avaient été préparés sur le Chi-
quihuite par les soins de l'administration française. La
colonne y arriva le 4 mars.
Le Rio Chiquihuite est la limite de la terre chaude.
Il coule à onze Heues de la Soledad, au pied de fortes
positions, formées par les contreforts inférieurs du pic
94 i'" PARTIE, CHAPlTIiE II.
d'Orizaba, et sur lesquelles les Mexicains avaient com-
mencé des fortifications et élevé des batteries.
Dans de profondes déchirures, coulent trois ruisseaux, le
Rio San Alejo, le Rio Ghiquihuite et le Rio Atoyac. Des
ponts de pierre d'une seule arche donnent passage à la route,
dont les lacets sont tracés sur les berges rapides et escarpées
des ravins. L'eau n'est pas profonde, et les ruisseaux se-
raient la plupart du temps guéables si des rampes praticables
étaient ouvertes aux voitures. Bien qu'il fût possible de les
tourner au sud par le chemin de San Juan de la Punta, les
Mexicains attachaient une grande importance à ces posi-
tions, etc'est pourquoi Doblado avait stipulé, dans les préli-
minaires de la Soledad, qu'en cas de rupture des hostilités,
les troupes alliées rétrograderaient au delà de cette ligne de
défense.
Le 5 mars, les troupes françaises entrèrent à Gordova.
Leurs misères étaient finies , car elles devaient trouver dé-
sormais des ressources suffisantes et une température plus
supportable.
Le 7 mars, après avoir gravi le cerro Cacalote, escalier
gigantesque de 300 mètres de hauteur, qui sépare le pla-
teau de Gordova de celui d'Orizaba, elles arrivèrent dans
cette ville. Elles y séjournèrent le 8(*) ; le 9, un peu avant
l'arrivée de la colonne des troupes espagnoles, elles repar-
tirent avec un convoi de 23 chariots mexicains, que l'on
avait enfin pu se procurer.
(•) Un immense dc'saslrc venait d'atteindre le corps d'armée du général Zaragosa.
Une brigade de la division Ignacio Mejia était logée à San Andrès dans un cou-
vent abandonne. Une explosion des approvisionnements de poudre qu'on y avait
placés lit écrouler ce bâtiment. Sur un cffeciif de 1,450 honuues, l,Of>D furent
écrasés sous les ruines. Selon la coutume des troiipes mexicaines , 400 femmes
accompagnaient celte brigade ; 200 furent tuées. On releva 2G0 hommes et
25 femmes blessés. I/amiral envoya deux médecins de sa colonne porter secours
à ces victimes.
l'amiral JURIEN liE LA GRAVIÈRE. 95
Les Espagnols, marchant en deux colonnes, avaient suivi '802.
de près les troupes françaises. Le 7 mars, une de leurs
brigades s'était installée à Gordova ; l'autre prit ses canton-
nements à Orizaba le 9.
Le 10 mars, la colonne française campa près d'Acultzingo,
au pied des Gumbres, qu'elle franchit le lendemain sans
de trop grandes difficultés (').
Deux jours après, les troupes, remises de leurs premières
épreuves, marchant bien et présentant un bel aspect mili-
taire, arrivèrent à Tehuacan.
La marche du convoi avait été bien plus pénible. Il est Réorganisation
douteux qu'il fût parvenu à franchir les défilés du Ghiqui- ,ie transVort.
Imite, si l'amiral ne lui eût envoyé des attelages frais, et
s'il ne lui était venu de Vera-Gruz un renfort d'une
quarantaine de mules récemment arrivées de la Havane.
Enfin, grâce à des efforts continuels, les dernières voi-
tures furent réunies à Tehuacan, le 21 mars, vingt-cinq
jours après leur départ de la Tejeria (^).
Un deuxième convoi arriva le 24 mars. G'était celui que
le Commodore Dunlop avait réuni à grands frais pour ses
troupes. Le gouvernement anglais, désapprouvant sa con-
(*) Les Gumbres d'Acultzingo sont formées par deux contre-forts étroits et
aljruptes fjiii se détachent du pic d'Orizaba. Les grandes Gumbres ont une hau-
eur de OSO mètres au-dessus d'Acultzingo. La route les gravit en traçant vingt-
rois lacets d'un développement de plus de sept kilomètres. Les petites Gumbres
s'élèvent sur une ligne parallèle, prescpie aussi âpres et aussi difficiles, bien
qu'elles ne soient qu'à 150 mètres d'élévation au-dessus de la vallée du Puente
Colorado, qui les sépare des grandes Gumbres.
La route de Mexico franchit les petites Gumbres ; celle de Tehuacan , que
devait suivre la colonne frani;aise, longe la vallée du Puente Colorado et n'offre
plus d'obstacles.
(^) Rapport de M. Devarenne. — Le commandant Uoze au ministre de la marine
11 mars.
9() l" PARTIE. CHAPITRE II.
^862. duite, avait laissé ce matériel à sa charge, et l'amiral Jurien,
autant pour l'aider à sortir d'embarras que pour augmenter
ses propres ressources, le lui avait acheté au prix coû-
tant O.
Ces voitures étaient parties de la Tejeria le 8 mars, sous
les ordres de M. le commandant Alleyron, qui avait em-
mené avec lui presque tous les hommes restés sur ce point
et avait rallié en passant ceux que l'on avait laissés à
la Soledad (ensemble environ 600 hommes). Mais les res-
sources trouvées dans l'intérieur permettaient maintenant
à l'amiral de modifier l'organisation de ses transports et de
supprimer le convoi, qu'il avait eu tant de peines à cons-
tituer et surtout à faire mouvoir. Un marché fut conclu
avec un entrepreneur qui prit à sa charge tout le matériel
en état de servir. Quel que dût être l'avenir de l'expédi-
tion, les plus grandes difficultés étaient vaincues ; on avait
désormais la certitude de pouvoir faire suivre les troupes
par des transports convenablement organisés, condition
indispensable de toute opération militaire et qui certaine-
ment n'aurait pu être remplie si la Convention de la Sole-
dad n'eût ouvert le pays (^).
(0 Le convoi anglais, qui fut paye environ 3,000,000 de francs, se compo-
sait de :
o chariots à 4 roues ;
2 dili^'encos ;
i voiture d"ambulance ;
14 charrettes ù 2 roues;
Une certaine quantité de matériel de toute nature ;
54 chevaux ;
200 mules avec les harnachements et les accessoires.
26 arriéres mexicains avaient été engagés pour la conduite des mules de Lût
et des voilures.
(2) Une des causes qui assurèrent le succès de l'expédition des Américains en
1847 fut certainement la bonne organisation de leurs convois. Ils avaient amené
ù Vera-Cruz 3,0(iO rhnriois et l.j.OOO mulets.
l'amiral JURIEN DE LA GRAYIÈRE. 97
En quittant Vera-Gruz , les commandants des troupes i3G2.
alliées avaient décidé qu'il y serait laissé une garnison mixte
de cent hommes de chaque nation. M. le capitaine de vais-
seau Roze fut désigné par l'amiral pour commander à la
fois l'escadre et les troupes à terre, mission périlleuse qui
exigeait une énergie peu commune. Le 28 février, en effet,
vingt-neuf hommes étaient déjà morts, 159 malades étaient
à l'hôpital de Vera-Cruz et 122 à l'ambulance de la Te-
jeria. En rade, l'état sanitaire était assez satisfaisant, mais
les équipages des bâtiments, réduits à un eff"ectif insuffi-
sant, étaient soumis aux plus rudes fatigues ('). Outre le
service du bord et celui de la rade, ils avaient à fournir des
infirmiers pour les hôpitaux et des corvées pour garder et
soigner les bêtes de somme et de trait que l'on rassemblait
en prévision de l'arrivée probable de renforts : aussi l'ami-
ral demandait-il au gouverneur de la Martinique de lui
envoyer des soldats d'infanterie de marine, des artilleurs,
des gendarmes, des ouvriers du génie et surtout 250 ma-
telots noirs, les seuls qui pussent être employés sans dan-
ger aux travaux du port sous le soleil brûlant de Yera-
Gruz.
Plus obscurs peut-être que les services des troupes dé-
barquées, ceux des équipages de la flotte étaient non moins
(') On avait débarqué :
430 hommes pour le bataillon de uiariiis fusiliers;
80 — pour la batterie de montagne ;
20 — comme auxiliaires du génie ;
100 — attachés au convoi ;
70 — de la compagnie de débarquement de la Foudre.
Tolal. . 720 hommes, sans compter les ordonnances des officiers.
Tons ces hommes étaient des marins de choix, dont le départ affaiblissait
sensiblement les équipages.
98 l" PARTIE. CMAPITRE II.
-1862. importants; nos marins y montrèrent une constance,
une abnégation, une fidélité au devoir dignes d'admi-
ration. (')
(1) L'amiral au ministre de la marine, 20 février ; — L'amiral au gouverneur
de la Martinique, 15 février : — Le commandant Roze au ministre de la marine,
28 février.
CHAPITRE TROISIÈME.
SOMMAIRE.
Impressions des gouvernements anglais et français en apprenant le débarquement
des Espagnols à Vera-Cruz. — Envoi au Mexique d'une brigade de renfort
sous les ordres du général de Lorencez. — Le général Almonte. — Exécu-
tion du général Roblès. — Débarquement et mise on route des renforts. —
Les troupes cantonnées à Tehuacan rétrogradent. — Instructions envoyées par
les trois gouvernements à leurs commissaires, motivées sur les divergences qui
s'étaient produites entre eux. — Jugement porté sur l'ultimatum proposé par
M. de Saligny. — Conférence du 9 avril. — Rupture de l'alliance. — Echange
de notes avec le gouvernement mexicain. — Proclamation des commissaires
français à la nation mexicaine. — Décret de Juarez. — Dispositions des chefs
du parti conservateur. — Plan de Cordova. — Départ des troupes anglaises
et espagnoles. — Le général de Lorcncez à Cordova. — Lettre du général
Zaragosa relative aux malades laissés à Orizaba. — Le général de Lorencez se
décide à marcher sur Orizaba. — Combat du Fortin (19 avril). — Proclama-
lion du général de Lorencez. — Le Gouvernement français désapprouve la
convention de la Soledad. — Rappel de l'amiral. — Jugement porté sur la
convention de la Soledad par les gouvernements alliés. — Politique adoptée
par les trois puissances à la suite de la rupture de l'alliance.
En apprenant que les Espagnols avaient pris possession impressions
1 TT ^ 11 1 1 • 1 p "^t'* fe'ouverne-
de vera-Cruz sans attendre les escadres anglaise et iran- ments anglais et
,. français
çaise, les gouvernements de France et d Angleterre ne dis- en apprcnnm
^ ° ^ le .lébannumcnt
simulèrent pas leur mécontentement. des Espagnols
Aux explications qui lui furent demandées, le cabinet de
Madrid répondit qu'il regrettait fort ce malentendu, que
à Vera-Crui.
100 T" PARTIE, — CHAPITRE III.
'iscâ. le contre-ordre n'était sans doute pas arrivé à temps à la
Havane, que du reste l'Espagne ne poursuivait aucun but
particulier.
Or, dès le 23 septembre, nous l'avons déjà dit, les minis-
tres anglais avaient exprimé le désir que l'Espagne ajour-
nât le départ de ses troupes, jusqu'au moment où les trois
puissances se seraient mises d'accord; on le leur avait
promis et cependant, jusqu'au 12 novembre, aucune nou-
velle instruction n'avait été envoyée à cet égard au capi-
taine général de Cuba. « Les explications qu'on m'a don-
nées relativement au départ anticipé des troupes de la
Havane ne me satisfont pas, répondit lord Russell, mais je
veux bien croire cependant que le gouvernement espagnol
n'a pas voulu violer le traité. »
L'empereur Napoléon ne se montra pas plus convaincu
par les raisons que lui apporta l'ambassadeur d'Espagne, et,
selon les expressions mêmes de M. Mon, « il resta dans son
esprit ridée que l'Espagne avait eu quelque plan particulier
en hâtant le départ de l'expédition (^). »
Il fit immédiatement savoir au cabinet anglais(^) (15 jan-
vier 1862) qu'il jugeait nécessaire d'envoyer au Mexique de
nouvelles troupes de terre, parce que la précipitation des
Espagnols aurait nécessairement pour résultat d'augmenter
les difficultés de l'expédition, et qu'on se trouverait sans
doute dans la nécessité de s'avancer dans l'intérieur du
pays. L'effectif des troupes expéditionnaires ne lui pa-
raissait plus suffisant, et l'expédition elle-même, pensait-il,
pouvait prendre un caractère tel qu'il ne lui convenait pas
de voir les troupes françaises, dont le chiftVe était trop in-
(I) Discour;; de M. Won aux Corlùs espagnoles, 7 janvier 1803.
W M. de Flaliaul à loni Uupscll, lo janvier 1802.
l'aîIIR. JURIEN UE la GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 101
férieur à celui des forces espagnoles, courir le risque d'être 1862.
compromises (*).
LordRussell répondit que, de son côté, le gouvernement
anglais ne croyait pas opportun d'augmenter le chiffre de
ses forces, mais que du reste il ne pouvait faire aucune op-
position à la détermination prise par l'Empereur, si regret-
table qu'elle lui parût.
L'Espagne, dissimulant sans aucun doute ses impressions,
trouvait, disait-elle, que cette mesure était sage et qu'elle
contribuerait assurément au succès de l'expédition (-).
Cet incident fut toutefois l'occasion d'un rapprochement
entre les gouvernements anglais et espagnol, qui s'alar-
mèrent de la politique dans laquelle la France paraissait
vouloir s'engager de plus en plus ; ils convinrent de nouveau
qu'ils s'abstiendraient, formellement, de toute ingérence
dans l'établissement d'un gouvernement nouveau au
Mexique (').
Déjà, au commencement du mois de janvier 1862, l'Em- Emoi au Mexique
. ,, nr • £ d'une brigade
pereur avait eu 1 mtention d envoyer au Mexique un rentort de renfort
de 500 zouaves W; mais, lorsqu'il reçut la nouvelle du dé- du^ générai
barquement anticipé des Espagnols, il donna l'ordre d'or-
ganiser une brigade complète, dont il confia le commande-
ment au général de Lorencez. Il se proposait ainsi
d'augmenter l'influence des commissaires français dans le
sein de la conférence et de « leur permettre de suivre une
ligne de conduite indépendante, » si. comme il le craignait,
de Lorenccz.
(') Lord Russell à lord Cowley, 20 janvier 1862.
(2) Discours de M. Bemmdezde Castro au Sénat espagnol, 17 décembre 1802.
(') C'est à cette occasion que le maréchal O'Donneli exprima l'opinion précé-
demment citée, que le projet d'établir une monarchie au Mexique sous un prince
européen, même sous un prince espagnol, lui semblait « si exlravagant qu'il
mérilait à peine d'être discuté « ,
(<) Le ministre de la marine au ministre de la guerre, 0 janvier 1862.
102 l""* PARTIE. CHAPITRE III.
4862. la politique de l'Espagne n'était pas en harmonie avec ses
vuesC*).
Il faut observer que les dépêches de l'amiral Jurien au
sujet des divergences d'opinions des commissaires alliés
n'arrivèrent à Paris que postérieurement à cette décision.
La brigade de Lorencez fut composée de la manière sui-
vante :
Un bataillon du 2*' zouaves 1143 hommes.
Deux bataillons du 99^ de ligne 1544
Le l''* bataillon de chasseurs à pied. . . 720
Une batterie du 9« d'artillerie 203
Une compagnie du génie 158
Un escadron du 2" chasseurs d'Afrique. 173
Un escadron du train des équipages. . 269
Troupes d'administration et infirmiers. 216
Etat-major et intendance 48
Total 4,474 hommes.
Et 616 chevaux et mulets.
Elle fut transportée au Mexique sur huit bâtiments de
guerre (^).
En envoyant un officier général de l'armée de terre
prendre le commandement des troupes de l'expédition,
l'Empereur avait réservé la direction des affaires politiques
à M. de Saligny et au contre-amiral Jurien, qui fut élevé au
grade de vice-amiral.
Cessant toute action directe sur les troupes expédition-
naires, le rôle de l'amiral devait désormais se borner à in-
diquer, de concert avec M. de Saligny, « la portée et le but
des opérations militaires à entreprendre. »
<') Le minislrt' à raniiral Jurien, irj janvier.
(2) Situations d'cnibarqucinent. (Voir à l'Appendice le détail du Iransporl),
l'aMIR. JURIEN de la GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 103
Le ministre de la guerre remit au général de Lorencez 1862.
les instructions suivantes :
« L'amiral reste chef de l'expédition au point de vue politique,
maritime et commercial : c'est lui qui aura à fixer, le cas échéant,
les points de débarquement, la portée des opérations de guerre à
accomplir. Ce principe établi, c'està vous que,sur terre, appartiennent
le commandement et l'action; c'est vous qui maintiendrez l'ordre
entre les troupes débarquées, qui aurez à prendre les précautions
nécessaires pour assurer leur existence et leur santé ; c'est vous qui
aurez à les mettre en mouvement, à les diriger, à les faire agir pour
obtenir le but indiqué.
«■ Ces deux parts de commandement ne sauraient être définies
d'une manière assez précise pour éviter les embarras et les tiraille-
ments, si vous et l'amiral n'apportiez pas dans vos relations l'esprit
conciHant et facile que les circonstances vous imposent, et que
votre dévouement à l'Empereur et au pays vous inspireraient au
besoin.
« L'amiral Jurien, qui a déjà, dans cette opération, donné plus
d'une preuve de son excellent esprit, ne prendra certainement
aucune résolution importante, en ce qui concerne sa part d'auto-
rité, sans s'accorder avec vous. De votre côté, tant que vous serez
à sa portée, vous ne réglerez pas l'emploi de vos moyens d'action
sans les lui avoir fait connaître et sans lui en expliquer le but et la
portée.
« Dans certains cas ces communications pourront vous fournir
d'utiles lumières; elles seront toujours un témoignage de déférence
pour l'amiral, qui y a droit sous tous les rapports, »
Le général de Lorencez, accompagné de son état-major et
du sous-intendant chef des services administratifs, partit de
Cherbourg le 28 janvier. Il arriva à Vera-Cruz le 6 mars.
Les colonnes française et espagnole venaient à peine de
se mettre en mouvement, et n'avaient pas encore dépassé
Corde va.
Le général de Lorencez était loin de s'attendre à la situa-
tion qu'avait créée la convention do laSoIedad. « II s'est
] 04 l" PARTIE. — CHAPITRE III.
1862. passé et il se passe ici des choses étranges, dont l'Empereur
est aujourd'hui informé , écrivait-il au ministre de la
guerre (^). De facile qu'elle était, la situation est devenue
compliquée et difficile. J'ai vu M. de Saligny et le général
Almonte. »
Le général Le général Almonte C^) remplissait h Paris les fonctions
de ministre du Mexique pendant la présidence de Miramon.
Il n'avait joué qu'un rôle assez effacé dans les luttes poli-
tiques de son pays, et n'avait pris qu'une part éloignée aux
intrigues de restauration monarchique. Pour cette raison
même, il avait paru plus propre que tout autre à ménager
la transition entre la République et la Monarchie ; d'un ca-
ractère froid, n'ayant pas une influence personnelle dont on
pût prendre ombrage, vu avec une certaine sympathie par
l'empereur Napoléon, il avait été choisi par les émigrés
pour représenter officiellement leur parti et préparer
l'avènement de l'archiduc Maximilien. L'Empereur l'avait
beaucoup engagé à se rendre au Mexique, et il devait s'em-
barquer sur le même bâtiment que le général de Lorencez,
dont le départ avait été retardé de deux jours pour l'at-
tendre ; diverses circonstances l'en ayant empêché, il prit
passage sur le paquebot de la correspondance régulière et
arriva à Vera-Cruz quelques jours avant le nouveau com-
mandant du corps expéditionnaire. Les lettres de l'Empe-
reur, dont il était porteur, lui donnaient en quelque sorte
une position semi-officielle. Les commissaires français
étaient invités à l'aider de leur influence et à lui prêter
l'assistance pécuniaire dont il aurait besoin.
(') Le général de Lorcncez au ministre, 6 mars 1862.
(2) Né vers 1812, de race indienne, le général Alinonle passe pour être le lils
du cure Morelos. 11 fut élevé aux Etats-Unis, servit comme aide de camp auprès
de Santa-AnnapiMidant la campagne du Texas en 1836, et représenta le Mexique
succcisivemciit aux Etats-Unis et en Fran:c.
l'aMIR. JL'RIEN de la GRAVlÈIiE ET LE GÉN. DE LORENCtZ. 105
Mais, à son arrivée, il avait été fort désagréablement sur- i862.
pris de l'état dans lequel se trouvaient les affaires. Il avait
espéré que le gouvernement de Juarez serait déjà renversé
ou près de l'être; et loin de là, il se voyait en présence
d'un pouvoir considérablement fortifié, depuis qu'il avait
été reconnu par les puissances européennes, résultat impli-
cite des conventions diplomatiques récentes. Son premier
mouvement fut de retourner en Europe, mais M. de Sali-
gny l'en dissuada. Quant au général de Lorencez, il accepta
d'abord avec peine l'obligation imposée par la conven-
tion de la Soledad, de ramener les troupes en deçà du
Chiquihuite avant de commencer les hostilités.
A la vérité, M. de Saligny « se prétendait en mesure
d'établir qu'il n'y avait pas lieu de se préoccuper des
préliminaires de la Soledad. Il était d'avis qu'on ne
devait plus tenir aucun compte du gouvernement mexi-
cain , harcelé de toutes parts , qui avait déjà violé lui-
même les préliminaires et qui était sur le point de suc-
comber ».
Cependant l'amiral Jurien prévenait au contraire le gé-
néral de Lorencez, que des incidents nouveaux l'amène-
raient sans doute à vouloir reprendre sa liberté d'action et
que pour se conformer aux préliminaires de la Soledad, il
se disposait à rétrograder. « Cette résolution était blâmée
à tous les points de vue par M. de Saligny » : aussi le gé-
néral de Lorencez, déjà disposé à entrer dans ces idées,
se hâta de se rendre à Tehuacan , espérant faire revenir
l'amiral sur sa détermination (*).
« M. de Saligny et l'amiral Jurien ont des appréciations
fort opposées sur les choses et les hommes du Mexique, »
f) Le colonel Valaze, chef d'etat-major gcnerul, au ministre, 22 mars.
106 l" PARTIE. CUAPITKE III.
^^- écrivait au ministre le colonel Valazé, chef d'état-major du
général de Lorencez (0 ; « les affaires sont compliquées à
plaisir » par suite du manque d'accord entre les plénipo-
tentiaires ; « elles me paraissent au fond si simples depuis
que je les vois de près, que je ne doute pas d'une prochaine
solution favorable à l'établissement d'un gouvernement
monarchique, vivement désiré par la majorité du pays et
que la minorité est déjà résignée à subir. Il ne faut qu'un
peu d'appui au parti modéré toujours lent à se prononcer
et dépourvu d'initiative au Mexique, comme dans tous les
pays. Les sympathies pour la protection de l'Empereur sont
incontestables, et l'on est tout préparé à accepter la solu-
tion à laquelle on soupçonne qu'il est disposé à donner la
préférence. »
De son côté, le général de Lorencez appréciait la situa-
tion de la manière suivante C^) : « L'arrivée de la deuxième
portion des troupes du corps expéditionnaire est providen-
tielle. Le général Prim a dû renoncer immédiatement à
poursuivre ses desseins, dans lesquels il n'avait aucune
chance de réussir ; mais l'action de nos Français arrivés les
premiers eût été paralysée et leur situation eût été pleine
de difficultés. Le général Prim sera rappelé avant le 1 5 avril ;
les conférences n'aboutiront à rien, nous marcherons en
avant, nous arriverons à Mexico et le prince Maximilien
sera proclamé souverain du Mexique, où son gouverne-
ment ferme et sage sera facilement maintenu pour le bon-
heur et la régénération du plus démoralisé des peuples. »
Le 31 mars, le colonel Valazé écrivait encore : « M. de
Saligny se sépare de plus en plus de l'amiral, et je suis très-
porté à lui donner raison. 11 préfère les moyens énergiques,
(') Lo colonel Vaiazii au luiuisUi:, 22 mars.
(2) Le g(5ncral de Lorencez au ministre, 10 mars.
l'a3IIR. JDRIEN de la GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LOREXCEZ. 107
se montre toujours d'un caractère décidé et repousse avec ^862.
hauteur tout projet d'arrangement, tandis que l'amiral
semble avoir mis toute sa confiance, jusqu'à présent, dans
les menées diplomatiques et s'étudie peut-être trop à ne frois-
ser personne, cherchant à négocier avec tout le monde sans
jamais y réussir. Le mouvement rétrograde que l'amiral
et le général Prim imposent évidemment au général de Lo-
rencez, parti d'ici avec le projet fort arrêté de l'empêcher,
va produire un effet déplorable. Malgré tout, le gouverne-
ment de Juarez se décompose tous les jours davantage. Il
n'est plus entouré que de gens disposés à l'abandonner.
Ses forces militaires se débandent. Les chefs delà garnison
de Mexico sont tous dans la voie de la trahison. Je suis
persuadé qu'une force armée, si minime qu'elle soit, peut
s'emparer de la capitale, sans autre difficulté que celle de
s'approvisionner de vivres pendant la route. »
Il est à craindre que ces dépêches, écrites sans doute
avec quelque hâte, et dans lesquelles se reflètent, comme
on le voit, les idées de M. de Saligny, n'aient contribué à
entretenir le gouvernement français dans les dangereuses
illusions qu'avaient pu faire naître les rapports antérieurs
de son représentant.
Le 20 mars, le général de Lorencez partit de la Vera-Gruz
pour se rendre àTehuacan, où il arriva le 26. Il voyagea
sans escorte, avec quelques officiers de son état-major.
Lorsque le général de Lorencez rejoignit l'amiral, la
rupture de la triple alliance était déjà prévue.
Le retour au Mexique du général Almonte avait pro-
duit une grande effervescence dans le pays. Le 13 mars,
l'amiral avait reçu du général Prim communication d'une
dépêche de Doblado, par laquelle le gouvernement mexi-
cain prévenait les plénipotentiaires alliés que l'ordre
108 l" PARTIE. CHAPITRE III.
4862. était donné d'arrêter « les traîtres et les réactimnaires » qui
voudraient se prévaloir de la protection des alliés et se ren-
draient dans les districts de Tehuacan , de Gordova et
d'Orizaba (*). Cette dépêche, sans nommer le général
Almonte, le désignait très-clairement.
Le général Prim ajoutait, du reste, que Sir Gh. Wyke et
lui, regardaient comme juste et raisonnable la prétention
émise par Doblado et qu'ils demandaient l'assentiment de
l'amiral et celui de M. de Saligny pour répondre dans ce
sens au nom des cinq commissaires.
Il ne pouvait convenir aux commissaires français d'ap-
prouver un décret par lequel tous ceux qui se montraient
disposés à accepter ou à soutenir l'intervention européenne
étaient mis hors la loi. Sir Gh. Wyke oubliait sans doute
que les ministres anglais avaient qualifié « d'abominable »
la conduite des hommes actuellement au pouvoir, et que
lui-même avait réclamé avec insistance l'emploi de mesures
de rigueur contre eux.
Le général Prim semblait ne plus se souvenir que, dans
ses instructions, il lui était recom.mandé « de se servir de
toutes les personnes influentes du pays et de tous ceux qui
voudraient travailler à l'établissement d'un gouvernement
solide approprié aux nécessités et aux croyances du
peuple mexicain. » Il appartenait au plénipotentiaire es-
pagnol , moins qu'à tout autre, de repousser le général
Almonte, qui avait, peu de temps auparavant, consenti au
nom du gouvernement de Miramon un traité fort avanta-
geux pour l'Espagne.
Quant à l'amiral Jurien, il se montra plus logique, plus
d'accord avec les idées qui avaient donné lieu à la conven-
(') L'amiral au ministre des affaires étrangères, 15 mars. — Le général Prim
a Taniiral, 12 mars.
l'amir. jl'rien i>e la gkavière et le gén. de lorencez. 109
tion de Londres, et il ne cessa de réclamer du gouverne- ''862.
ment mexicain une amnistie générale, que celui-ci persista
du reste à refuser.
L'amiral répondit donc au comte de Reus qu'il différait
essentiellement d'opinion avec lui et avec Sir Ch. Wyke O,
et il demanda la réunion de la conférence pour discuter les
points sur lesquels on ne s'entendait pas. Il écrivit aussitôt
à M. de Saligny pour le prier de venir le rejoindre.
Les manifestations hostiles du gouvernement mexicain
ne se bornaient pas à la publication du décret ou bando
dont nous venons de parler. Doblado réclamait la remise
aux fonctionnaires mexicains des douanes de Vera-Cruz,
alors administrées parune commission des trois puissances;
en cas de refus, il menaçait de fermer les communications
commerciales avec ce port.
D'autre part, on exigeait des étrangers résidant à Mexico
l'acquittement d'un droit de 2 1/2 p. 0/0 sur le capital ;
six maisons de commerce, parmi lesquelles la maison dans
laquelle le général Prim avait ses intérêts, étaient taxées
à 500,000 piastres.
Cette mesure impressionna vivement le plénipotentiaire
espagnol, qui écrivit aussitôt à Doblado pour lui demander
des explications ; Sir Ch. Wyke lui-même ne se montra pas
indifférent à ces molestalions, qui se traduisaient par d'im-
portants dommages financiers.
Doblado répondit d'une façon hautaine, ce qui mil le
comble à l'exaspération du général Piim. Le 20 mars, il
écrivait à l'amiral :
« En voilà trop pour des puissances comme nous sommes ici.
En voilà assez pour brûler nos papie»i'S et marcher en soldats. Réu-
!') L'amiral au ministro des afTairos otran^'iTCs, 15 mars.
110 l'' PARTIE. — CHAPITRE III.
4861 nissons-nous ici le plus tôt possible el agissons. J'ai déjà prié
— M. de Saligny de venir; venez vous-même; le commodore arrivera
aussi. Sir Ch. Wyke est d'accord avec moi. Réunissons-nous donc
et que cela finisse. »
Le lendemain, il lui disait encore :
« Pouvons-nous permettre que, pendant que nous restons tran-
quilles dans nos cantonnements, le gouvernement continue ses vexa-
tions contre nos nationaux?.... Pouvons-nous permettre que l'on
exige un emprunt forcé de 500,000 piastres sur six maisons [dont
trois sont espagnoles? Voilà, cher ami, une raison pour nous mon-
trer. Sir Cil. Wyke et moi, dans une attitude plus énergique que
celle que nous avions quand nous nous sommes séparés. Je vous
remets ci-inclus la lettre de M. Doblado et vous jugerez, dans
votre noble orgueil, si une pareille sécheresse peut nous convenir.
Vous trouverez donc dans la lettre de Doblado, et dans mes ex-
plications le véritable motif de notre humeur belliqueuse, et ne le
cherchez pas ailleurs, vous ne le trouveriez pas. » <*^
Ces dispositions répondaient aux désirs de l'amiral ;
il eût voulu depuis longtemps qu'une action militaire éner-
gique mît fin aux manœuvres diplomatiques par lesquelles
Doblado, en alliant habilement la finesse à l'arrogance, at-
tendait, pour rompre définitivement et forcer les alliés à
reculer dans les terres chaudes, la saison de la fièvre jaune,
qui devait en rendre le séjour meurtrier pour les Européens.
L'amiral répondit :
0. Je regrette comme vous les vexations dont vous vous plaignez,
je les trouve odieuses et suis décidé à en exiger une juste satisfac-
tion; mais ce ne sont pas nos seuls griefs. Ce dont vous vous plai-
gnez n'est que la continuation de l'ancienne conduite de Juarez et
de ses anciens attentats. Vous avez consenti à entamer de nouvelles
négociations diplomatiques; la continuation de nos griefs suftit
pour les rompre; qu'il en soit ainsi; quant à moi, j'y suis prêt;
depuis que nous soiumes ici , je vous ai demandé d'imposer au
gouvernement de Juarez une amnistie formelle, sincère. Nous
voulons voir la volonté du peuple mexicain se manifester légale-
(1) Lo général Friiii h l'amiiMl. 21 mars.
l'amir. jdrien m: la oravière et le géx. de lorencez. \ \ {
mont; demandons à Jiiarez qu'il iTy mcUo pas obstacle: deman- 1862.
dons-lui de révoquer ses édils de mort; qu'il laisse ses amis ~
comme ses adversaires exprimer leur opinion, et alors, si le peuple
mexicain, délivré de cette pression et de ses perpétuelles menaces
de condamnation à mort, vote pour la république, sous le com-
mandement de Juarez, à la bonne heure; il sera dans son droit;
mais imposez ou pour le moins demandez à Juarez une am-
nistie. » ^'>
Mais les dispositions belliqueuses du général Prim ne
furent pas de longue durée; comme toujours Sir Gh.Wyke
calma son irritation, et tous deux en revinrent à appuyer le
gouvernement mexicain dans son décret contre les émigrés,
accusés de revenir au Mexique avec l'intention de renverser
les institutions actuelles C^).
On venait alors d'apprendre que le général Almonte, le
Père Miranda et quelques autres avaient quitté Yera-Gruz
sous la protection d'un bataillon français récemment dé-
barqué. En effet, le général Almonte avait demandé au
général de Lorencez une escorte pour s'éloigner de la côte,
où la fièvre jaune commençait à sévir avec une grande vio-
lence , et M. de Saligny ayant appuyé cette demande, il fut
autorisé à suivre un bataillon de chasseurs à pied , qui
se dirigeait vers l'intérieur. Profitant de cette autorisation,
il emmena avec lui quelques personnes parmi lesquelles, à
l'insu du général de Lorencez, se trouvait le Père Miranda (^) .
La présence de ces personnages au milieu des soldats
français occasionna dans le pays une extrême irritation.
Le gouvernement mexicain, les commissaires anglais et
espagnol considéraient ce fait comme une violation du
traité de la Soledad ; l'amiral comprit dès lors que la rup-
(1) L'amiral au général Prim, 22 mars.
(«) Le général Prim à l'amiral, 23 mars.
(*) Le général de Lorencez au ministre. 12 avril.
H2 l" PARTIE. — CHAPITRE III.
'ises. ture était inévitable ; il écrivit au général de Lorencez pour
lui exprimer le regret que le général Almonte eût quitté
Vera-Gruz avant qu'on eût obtenu une amnistie du gouver-
nement mexicain, et pour le prier d'arrêter son bataillon à
Cordova, afin de ne pas fermer d'une façon absolue toutes
les voies de conciliation. Il le prévint et prévint aussi le
général Prim et Sir Ch. Wyke que, le 1" avril, il quitterait
Tehuacan pour rétrograder jusqu'à Paso Ancho, afin de se
dégager des obligations que lui imposaient les prélimi-
naires de la Soledad et pouvoir, sans manquer aux traités,
couvrir du drapeau français ceux qui recherchaient sa
protection (*).
Le général Almonte s'arrêta donc à Cordova, le 23 mars ;
le commandant du bataillon de chasseurs fut obligé de
prendre des mesures de sûreté pour le soustraire aux vio-
lences des libéraux, qui voulaient, disaient-ils, l'enlever au
milieu même des baïonnettes françaises.
Exécution Un acte odieux, digne des plus mauvais jours de la guerre
général Robiès. civilc. Venait de s'accomplir au camp du général Zaragosa,
et prouvait que ces mesures n'étaient pas superflues.
Le général Pioblès, un des hommes d'opinions modérées,
les plus honorables et les plus considérés du parti conser-
vateur, avait été arrêté le 21 mars sur la route de Tehuacan,
où il se rendait pour se mettre en relations avec l'amiral.
Conduit au quartier général du général Zaragosa à San
Andrès Chalchicomula, il avait été immédiatement passé
par les armes, comme traître à son pays. Sa mort était à
la fois un défi jeté aux commissaires alliés, et une terrible
menace pour tous ceux qui seraient tentés de soutenir l'in-
tervention étrangère.
(') L'amiral ;iu gi'iiéral do Lon-ncrz, 22 mars.
l'amir. jurien de la gravière et le gén. de lorencez. 113
L'amiral protesta énergiquement contre cette exécution i86?.
sommaire; il écrivit aussitôt au général Zaragosa qu'il se
considérerait comme dégagé de toute convention anté-
rieure, si la moindre atteinte était portée à la sûreté des
personnes placées sous la protection de la France (il faisait
ainsi allusion au général Almonte), et si le moindre acte
hostile était dirigé contre ses troupes. Il fit connaître au
gouvernement de Mexico sa résolution de quitter Tehuacan,
le 1'' avriL pour ramener ses forces au delà duChiquihuite
et reprendre la liberté de ses mouvements.
L'amiral, loin de partager les idées de M. de Saligny,
n'admettait pas la possibilité de ne pas exécuter la conven-
tion de la Soledad (') et il invita le général de Lorencez
à prendre immédiatement ses dispositions pour le mouve-
ment rétrograde , qu'il était urgent d'exécuter avant la
saison des pluies.
La brigade de renfort était alors complètement arrivée Débarquement
. ,, . , ^^ Et mise en route
au Mexique, à 1 exception de ooO zouaves, embarqués sur Jes renforts.
le Fontenoy, qu'une avarie avait arrêté à Cadix.
Le premier bâtiment, le Canada, avait mouillé à Yera-
Cruz, le 12 mars; VAsmodée, le 17 ; /e Darien, le Finistère et
le Turenne, le 23 et le 24 ; l'Amazone, le 29 mars. Aussitôt
débarqué, chaque détachement était organisé en colonne
et dirigé sur l'intérieur par les soins du chef d'état-major ;
des voitures portant un approvisionnement de 20 jours de
vivres (vin compris), et pouvant recevoir, en outre, pen-
dant la traversée des Terres chaudes, tous les sacs des sol-
dats et un certain nombre d'hommes fatigués, suivaient
chacune de ces colonnes.
Les troupes, ne restant pas exposées aux influences perni-
(*) Le général de Lorencez au ministre, i-2 :ivril.
8
H 4 l'* PARTIE. — CHAPITRE III.
^862. cieuses du climat de la côte, supportaient bien les fatigues
de la marche et ne laissaient aucun traînard.
Les circonstances s'étaient heureusement modifiées de-
puis l'arrivée de l'amiral; les nouvelles troupes, mieux
pourvues de matériel, pouvant disposer de convois nom-
breux et bien organisés, assistées par un personnel admi-
nistratif expérimenté, que le sous-intendant Raoul diri-
geait d'une manière fort remarquable O, ne connurent
aucune des misères de la première colonne.
Une commission de remonte se procurait assez facile-
ment les chevaux et les mulets nécessaires pour combler les
pertes assez nombreuses faites pendant la traversée. Le prix
des mules était descendu à 15 piastres (80 fr. environ).
Lorsque commença le mouvement rétrograde, prélude
des hostilités prochaines, le petit corps expéditionnaire
était donc en parfait état et inspirait la plus grande con-
fiance à son commandant en chef.
Les troupes L'amiral avait recommandé au général de Lorencez de
cantonnées »i ,, ^ n \ i_ i \ t\
à Tehuacan régler SCS etapes de laçon a concentrer ses troupes a Paso-
rerogra en. j^jj^j^q^ |g |g avril, jour fixé pour l'ouvcrture des confé-
rences d'Orizaba et qui serait vraisemblablement celui du
commencement des hostihtés. Le général de Lorencez par-
tit de Tehuacan le 1" avril. A son passage à Orizaba, il
laissa dans un hôpital, sous la protection de l'art. 5 de la
convention de la Soledad, non-seulement les hommes gra-
vement malades, mais encore ceux qui, trop fatigués, eus-
sent pu devenir une gêne dans la suite. Us étaient au
nombre de 340 avec 3 médecins et 30 infirmiers (^).
(') Le général de Lorencez au ministre, 10 mars. — Le colonel Valazé au
ministre, 22 mars.
(2) Le général (la Loronnfz nu minisire, 12 aviil.
l'aMIR. JURIEN DE LA GRAVIÈRE ET LE GÉ^•. DE LOKENCEZ. 115
Le mouvement se continua sans incident jusqu'à Cordova, ^862.
où la colonne s'arrêta le 8 avril, pour attendre le résultat
d'une dernière conférence entre les plénipotentiaires alliés.
Le 23 mars, en réponse à la dépêche par laquelle l'ami-
ral leur faisait connaître son intention de se délier des
obligations contractées à la Soledad, le général Prim et
Sir Ch. Wyke lui avaient immédiatement adressé une note
collective. Ils déclaraient que la nouvelle attitude prise
par les commissaires français leur paraissait en opposition
avec les stipulations du traité de Londres et qu'ils regar-
daient comme indispensable une réunion des plénipoten-
tiaires alliés , afin de faire constater, dans un procès-
verbal, la rupture de la triple alliance, conséquence inévi-
table des résolutions des représentants de la France O.
Sur ces entrefaites (3 avril), l'amiral reçut de nouvelles instructions
instructions datées du 28 février ; ces instructions étaient tro?s^gouverne-''
1 / 1 T 1 • iv I 1 M . mentsàleurs
basées : sur les divergences de vues, qui , des le début commissaires,
s'étaient manifestées entre les plénipotentiaires, sur l'er- divergences ^
reur dans laquelle ils étaient tombés en adressant un ïuitese'ntreeux!
manifeste au peuple mexicain et en entamant des négo-
ciations avec le gouvernement de Juarez, enfin sur l'op-
position faite par les commissaires anglais et espagnol à
l'ultimatum préparé par M. de Saligny.
Les gouvernements anglais et espagnol avaient égale-
ment envoyé des instructions à leurs représentants. Dans
les diverses dépêches échangées à cette époque, se trouvent
exactement formulées les appréciations des cabinets de
Paris, de Londres et de Madrid.
Au sujet du manifeste, Lord Russell écrivit à Sir Ch.
Wyke le 25 février (-) :
(1) Le général Prim à l'amiral, 23 mars 1862.
(') Discours de M. B.!rmud.z île Castro au Sénat espagnol, 17 décembre 1862,
116 l" PARTIE. CHAPITRE III.
/I862. « l^e gouvernement de S. M. ne peut approuver et en vérité,
~ il désapprouve fortement cette proclamation Une fois Vera-
Cruz évacuée par les forces mexicaines, les alliés auraient dû en-
voyer à Mexico les conditions qu'ils exigeaient pour la réparation
des griefs énumércs dans le préambule de la convention. Les me-
sures ultérieures devaient dépendre de la réponse que l'on aurait
reçue; mais s'il était nécessaire, pour des raisons sanitaires ou
militaires, d'aller camper hors de Yera-Gruz ou de s'avancer vers
Jalapa, cela aurait dû se demander en termes qui inspirassent le
respect, et non d'une manière qui excitât la résistance. »
M. Thouvenel exprimait la même opinion à l'ambassa-
deur anglais, qui était venu lui communiquer les vues de
son gouvernement. Il se proposait, disait-il, « d'écrire dans
le même sens à M. de Saligny, bien qu'il ne pût le faire
d'une manière aussi forte, parce que les commissaires fran-
çais s'étaient opposés à la proclamation et qu'ils ne lui
avaient donné leur adhésion que pour ne pas se séparer de
leurs collègues » (^).
L'ambassadeur de France à Madrid fut chargé de faire
connaître cette appréciation au gouvernement espagnol (^).
« Le manifeste adressé au peuple mexicain donne à l'expédition
un tout autre caractère que celui que lui assignaient les puissances
alliées et qui les avait amenées à conclure la convention de
Londres Elles n'eussent pas envoyé leurs escadres et leurs sol-
dats h la Vera-Cruz, s'il y avait eu la moindre chance d'avoir sa-
tisfaction du Mexique autrement que par la voie de la coercition...
Le langage tenu par les plénipotentiaires n'a pu que rendre con-
fiance au gouvernement mexicain en lui apprenant qu'on se prê-
tait encore à négocier avec lui. Le répit inattendu qu'on lui a ainsi
accordé aura pour résultat de lui permettre d'ajouter à ses moyens
de défense, tandis que les discussions dans lesquelles on l'a auto-
risé à entrer sur la question d'organisation intérieure du pays, lui
fourniront un moyen facile de traîner en longueur les négociations. »
(0 Discours de M. Bcrmudez de Castro au Sénat espagnol, il décembre 1862.
— Lettre de Tamljassadeur anglais, 28 février.
<■') Discours de M. Billaull au Corps législatif, 20 juin l8Ci2. — Os pxlrails
l'aWIR. JURIEN de la GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 117
De son côté, M. Galderon Collantes partageait complète- \s&i.
ment cette manière de voir.
« Il était absurde, disait-il, de demander à un gouvernement,
qu'on devait traiter et qu'on traitait en ennemi, la permission très-
inutile de s'établir sur tel ou tel point de son territoire En
agissant ainsi on encourageait le gouvernement de Juarez à se
considérer comme le gouvernement légitime du Mexique, on le
traitait d'égal à égal, on le reconnaissait en quelque sorte et on se
mettait dans l'impossibilité d'aider la majorité du peuple mexicain
à renverser un gouvernement odieux au pays, comme aux puis-
sances étrangères et à le remplacer par un gouvernement qui fût
constitué de manière à donner des garanties d'avenir, qui étaient
après tout le but principal que les puissances alliées s'étaient pro-
posé » ^^K
Et cependant, malgré ces déclarations si catégoriques,
on lit dans une dépêche adressée, le 7 mars, de Madrid au
comte de Reus : « Le gouvernement de S. M. approuve la
« modération avec laquelle on a, jusqu'à présent, agi envers
« le gouvernement mexicain, parce qu'elle est d'accord
« avec les sentiments qui l'ont toujours animé. » C^)
En résumé, les trois puissances se déclaraient d'accord Jugement rorte
pour désapprouver l'ouverture de nouvelles nésrociations ruUimatum
. , . 7 . présenté
avec Juarez, mais l'Espagne et l'Angleterre différaient de parM.deSaiigny,
sentiment avec la France au sujet de l'ultimatum pré-
senté par M. de Saligny.
Le cabinet français paraît cependant avoir réussi à faire
établir que chaque nation avait le droit de formuler ses
ne sont pas textuellement conformes à la dépèciie publiée postérieurement dans
le livre jaune. (M. Thouvenel à l'ambassadeur français à Madrid, 20 février 1862.)
Le sens de la dépêche publiée est néanmoins le même que celui de la dépèche lue
par -M. Biilault, mais les termes en sont plus modérés. Nous croyons que la version
que nous avons acceptée est la plus exacte.
(>) L'ambassadeur de France à Madrid au ministre des affaires étrangères, 26
février.
i2) Discours de M. Bermudez de Castro, 17 décembre 1862.
118 l" PARTIE. — CHAPITRE III.
^862. réclamations sans les soumettre au contrôle de ses alliés,
théorie assez étrange, car il semble difficile qu'un traité
d'alliance soit sérieux, si l'on n'est pas d'accord sur le but
à atteindre.
D'ailleurs le gouvernement anglais n'en faisait pas
moins savoir qu'il trouvait les réclamations de M. de Sa-
ligny fort exagérées (*). M. Thouvenel prit naturellement
la défense du représentant de la France, bien qu'il n'ap-
prouvât pas les conditions de l'ultimatum, qu'il trouvât
trop élevé le chiffre des indemnités et qu'il lui répugnât
visiblement de s'occuper des affaires Jecker.
La dépêche suivante, qu'il adressa, le 28 février, à M. de
Saligny, en donne la preuve :
« Le chiffre auquel le département s'était efforcé d'évaluer
nos réclamations n'atteignait pas celui de votre article !«''; mais
en l'absence d'éléments suffisants d'appréciation, il vous était
laissé à ce sujet une très-grande latitude.
« Bien que je ne vous invite pas expressément à réduire un chiffre
que SirCh. Wyke et le général Prim semblent avoir trouvé exorbi-
tant, vous pourriez pourtant vous montrer moins rigoureux sur ce
point, s'il était une cause trop évidente de dissidence entre les re-
présentants des trois cours. Les sommes, que devraient mettre
encore h la charge du gouvernement mexicain, en plus des 12 mil-
lions de piastres, les clauses des articles 2 et 4, semblent de nature
h faire regarder celles-ci comme d'autant plus rigoureuses ; j'incli-
nerais à penser aussi que si nous nous en tenons à un chiffre d'in-
demnités considérables, il ne serait plus nécessaire de faire des
réparations d'une autre nature, bien que très-justifiées d'ailleurs
(') C'était aussi l'opinion du ministre des Etats-Unis à Mexico :
" 1 speak from a very carefuî investigation made by niyself, when
I say that the rnoney demands of England are in the main , if not altogether,
just. l am not surprised that her patience is exhausted. Those of France are com-
paratively small, very smail , so far as they arise out of previous treaties ; and
those dépendant on claims of more récent date and not inchided in former trea-
ties, are, as prriscnted, so onormously injust as lo be lotally inadmissible as to
Ui<} amounts claimed. — M. Corwin à M. Seward, 20 mars 1862.
l'aMIR. JURIEN de la GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 119
en principe, que vous demandiez, soit à propos de la mort de notre ''862,
agent à Tepic, soit à raison des tentatives coupables dirigées contre ~
votre personne au mois d'août dernier, des clauses expresses ou
additionnelles. Je me demande également si les précautions que
vous croyez devoir prendre par les articles 5, 6 et 7 en vue d'as-
surer la poursuite Judiciaire et le châtiment des divers attentats
dont nos nationaux ont été victimes, atteindraient en réalité le but
auquel elles tendent et si nous n'aurions pas plus d'avantages dès
lors à considérer l'indemnité stipulée comme une satisfaction d'en-
semble de ces griefs.
« En ce qui concerne l'article 3 relativement à l'affaire Jecker,
il y a évidemment une distinction à faire entre ce qui, sur ce point,
touche directement nos intérêts et ce qui y est étranger. Lorsque
le général Miramon rendit le décret qui a amené son contrat avec
la maison Jecker, les informations de la légation ayant constaté
que le commerce étranger tirait un grand soulagement de la me-
sure financière facilitée par cette maison au gouvernement mexicain,
il était naturel que nous vissions une grande utilité h empêcher,
autant que possible, qu'on ne revînt sur cette mesure et sur les
opérations qui la facilitaient. C'est dans ce sentiment que les ins-
tructions du département vous ont invité; comme vous en aviez
d('']h pris l'initiative, à soutenir les réclamations que provoquait,
sur cette question, la conduite du gouvernement de Juarez. Il ré-
sulterait cependant de l'opposition que vous avez rencontrée chez
Sir Ch. Wyke à ce que vous demandiez à propos de cette affaire,
que ce ne serait plus, dit-on, le commerce étranger qui tirerait
profit du contrat passé avec la maison Jecker, que celle-ci bénéficie-
rait presque exclusivement de l'accomplissement de ce contrat. Je ne
saurais me rendre exactement compte de ce qui en est ; mais j'ap-
pelle votre attention sur l'importance de bien séparer ce fjin dans
cette affaire peut réellement compromettre les intérêts que nous avons
le devoir de protéger, de ce qui en affecterait d'autres d'un caractère
tout différent. Le gouvernement actuel ne saurait prétendre priver
nos nationaux des avantages que leur assurerait une mesure régu-
lière prise par l'administration de Miramon, par cette unique raison
que celte mesure émanait d'un ennemi ; mais nous serions mal
fondés, de notre côté, k vouloir imposer au gouvernement actuel
des obligations qui ne découleraient pas essentiellement de sa res-
ponsabilité gouvernementale. »
Si l'on songe que cet ultimatum fut la cause des pre-
miers et des plus graves dissentiments entre les commis-
120 l" PARTIE. — CHAPITRE 111.
-1862. saires alliés, que c'est en grande partie par suite du refus
des Anglais d'y laisser donner suite, que l'on engagea avec
le gouvernement mexicain des pourparlers qui entravèrent
l'action militaire, on ne peut s'empêcher de déplorer que les
intérêts de la France aient été ainsi abandonnés sans un
contrôle suffisant.
Le gouvernement français ne prit cependant aucune pré-
caution pour éviter que sa politique restât engagée dans
une voie aussi regrettable. Il se montra au contraire plus
satisfait de l'attitude prise par M. de Saligny, que de la
politique de modération conseillée par l'amiral. Convaincu
qu'il ne fallait plus compter sur le concours des Espa-
gnols, leur attribuant en grande partie les mécomptes
déjà éprouvés, puisque, au lieu de s'associer à la politique
française, ils soutenaient au contraire la politique anglaise,
opposée à l'intervention dans les affaires du pays, le gou-
vernement français craignant, dit-il, « que ses alliés n'ac-
ceptassent des satisfactions au-dessous de ses exigences
légitimes, autorisa ses représentants à laisser leurs collègues
traiter séparément et à poursuivre seuls la réparation due
à la France. » Il leur recommanda de n'accorder aucune
confiance aux promesses et aux engagements d'un gouver-
nement dont l'expérience n'avait que trop démontré l'im-
puissance et la mauvaise foi"^').
Ces instructions arrivaient fort à propos pour enlever à
l'amiral toute indécision sur la conduite qu'il aurait à tenir
dans la prochaine conférence, où la rupture de la triple
alliance allait être officiellement déclarée.
Dès ce moment aussi, il devait suspendre toute négocia-
lion; il n'accueillit donc pas une demande du général Do-
^') LeUre de l'arairal au ministre de la marine, Il avril 1862.
l'amir. jurien de la gravière et le gén. de lorencez. 121
blado, qui le priait de venir s'entendre avec lui à Puebla ^s_^2-
et cherchait à le persuader que, désireux de voir les Fran-
çais séparer, leur cause de celle des Espagnols, le gouver-
nement mexicain serait disposé à faire droit à toutes leurs
réclamations et même à les appeler à Mexico, s'ils voulaient
aider à la consolidation du président Juarez ; mais le mi-
nistre mexicain demandait plus instamment que jamais
l'éloignement d'Almonte O. Du reste, cette proposition de
Doblado cachait très-probablement un piège et n'avait sans
doute d'autre but que de gagner du temps et de compli-
quer encore une situation que ses finesses diplomatiques
avaient trop bien réussi à embarrasser.
Il était urgent que la conférence se réunît ; l'amiral, qui
avait déjà prié M. de Saligny de venir le rejoindre, renou-
vela ses instances. Jusqu'alors le ministre de France, dont
les vues ne s'accordaient pas avec celles de l'amiral, avait,
comme on le sait, allégué le mauvais état de sa santé pour
rester à Vera-Cruz ; mais en ce moment ses idées, accep-
tées par le gouvernement français, devenaient prépon-
dérantes, et les circonstances étaient d'ailleurs si graves
qu'il partit immédiatement pour Orizaba. Il y arriva le
9 avril, et la conférence eut lieu le jour même.
Pour déterminer la rupture désirée par leur gouverne-
ment, il suffisait aux commissaires français de confirmer
leur intention de continuer à protéger le général Almonte
et les autres proscrits, dont les projets à l'égard du gou-
vernement de Juarez étaient parfaitement connus ; aussi
la présence du général Almonte, que l'amiral avait d'abord
regrettée , était au contraire fort opportune puisqu'elle
lui permettait de produire sûrement une scission défini-
f'> Lettre de Doblado à l'amiral, datée de Mexico, 3 avril 1862.
-1862,
Conférence
du 9 avril.
Rupture
de l'alliance.
122 l'* PARTIE. CHAPITRE 111.
tive, qu"il aurait peut-être été assez difficile d'amener si
ce motif ne s'était pas présenté.
Au début de la conférence, l'amiral Jurien, sur l'invitation
du général Prim. expliqua qu'il s'agissait de s'entendre
sur la réponse à faire au gouvernement mexicain relati-
vement à la protection accordée au général Almonte. Le
général Prim prit ensuite la parole et résuma les évé-
nements. L'impossibilité de mouvoir des troupes dépour-
vues de tout moyen de transport avait, dit-il, rendu né-
cessaires les pourparlers avec le gouvernement mexicain.
L'amiral confirma l'exactitude de celte assertion et de-
manda à faire constater que son matériel de campement et
son artillerie n'étaient arrivés que le 5 février.
Commencer les hostilités dans de telles conditions, ajouta
le général Prim, c'eût été s'exposer à une catastrophe, et
il rappela que, lors des premières marches, les troupes
avaient semé sur la route leurs malades et leurs ba-
cfa^res.
&"&
Les négociations entamées avec le gouvernement
de
Juarez répondaient par conséquent aux nécessités de la si-
tuation, et l'on aurait pu espérer obtenir pacifiquement les
satisfactions stipulées dans la Convention de Londres, si
l'arrivée du général Almonte et des autres bannis n'eut
été la cause de graves dissentiments entre les plénipoten-
tiaires.
Le général Almonte avait franchement déclaré au comte
de Reus et au commodore Dunlop son intention de fonder
une monarchie au Mexique, avec l'archiduc Maximilien pour
empereur ; il s'était montré certain de l'appui de la France,
et il avait manifesté la pensée que l'Espagne et l'Angle-
terre ne lui refuseraient pas leur concours. Loin de l'en-
l'ajiir. jl'rien de la gravière et le gén. le lorencez. 123
courager dans de pareils projets, le général Prim avait -ise^.
cherché à l'en détourner ; cependant, quelques jours après,
le général Almonte quittait Vera-Gruz sous l'escorte d'un
bataillon français , et l'amiral Jurien faisait savoir que ,
pour se délier des engagements pris à la Soledad, il allait
faire rétrograder ses troupes au delà du Chiquihuite.
Le général Prim et Sir Ch. Wyke étaient d'avis qu*en
agissant ainsi les commissaires français violaient la Con-
vention de Londres ; ils avaient donc provoqué une réunion
de la conférence pour s'assurer si les instructions aux-
quelles obéissaient leurs collègues étaient de nature à
permettre à l'Espagne et à l'Angleterre de marcher d'ac-
cord avec la France.
L'amiral répondit qu'il croyait ne pas avoir manqué aux
obligations des traités ; mais, en raison de l'attitude du gou-
vernement mexicain, un plus long séjour de ses troupes à
Tehuacan lui ayant paru incompatible avec la protection
dont il entendait couvrir le général Almonte, protection à
laquelle, de tout temps, les proscrits ont eu droit, il s'était
décidé, par un scrupule de loyauté, à revenir à Paso Ancho,
afin de se replacer sur un terrain neutre et de reprendre sa
liberté d'action. Il pensait donner ainsi à la Convention de
Londres sa véritable interprétation ; d'ailleurs, le général
Almonte , au moment où il avait quitté l'Europe, croyait,
comme tout le monde, la guerre commencée, et loin d'être
animé d'intentions hostiles, il n'était venu que pour essayer
de rétablir la concorde entre les différents partis. Le comte
de Reus et Sir Ch. Wyke contestèrent ces intentions.
On remarquera le soin avec lequel, dans toute cette dis-
cussion, l'amiral s'efforça de mettre hors de cause la
politique de l'Empereur et d'assumer personnellement
la responsabilité d'une rupture dont il ne méconnaissait
124 l" PARTIE. — CHAPITRE III.
1862. pas la gravité ; il ajouta cependant que la politique plus
énergique conseillée par M. de Saligny répondait mieux
aux vues du gouvernement français que la .politique de
modération jusqu'alors suivie.
L'objet de la Convention de Londres, reprit M. de Sa-
ligny, était d'obtenir satisfaction pour les outrages commis
envers les étrangers; or, les extorsions et la violence du
gouvernement mexicain augmentaient chaque jour. Le sys-
tème de temporisation n'avait fait qu'accroître son audace ;
aussi le ministre de France déclarait-il formellement qu'il
ne voulait plus continuer les négociations et qu'il ne restait
qu'à marcher sur Mexico.
Le comte de Reus et Sir Ch. Wyke trouvèrent ces allé-
gations injustes; le cabinet mexicain ayant promis le re-
trait des décrets relatifs à l'impôt de 2 p. 0/0 sur le capital
et à l'interdiction des communications avec Vera-Gruz, il
fallait attendre avant de l'accuser de mauvaise foi.
Sir Ch. Wyke demanda ensuite à M. de Saligny s'il n'a-
vait pas dit que les préliminaires de la Soledad étaient sans
valeur pour lui ; le ministre de France convint, en effet,
n'avoir jamais eu plus de confiance dans ces préliminaires
que dans toutes les autres promesses du gouvernement
mexicain. Et comme le commodore Dunlop s'étonnait qu'il
les eût signés et qu'il ne se crût pas engagé par sa signa-
ture, il lui répondit qu'il n^avait à donner d'explication à
personne fjur ce sujet, mais qu'il se serait considéré comme
lié, si le gouvernement mexicain n'avait déjà lui-même
violé cette convention de mille manières.
Une discussion personnelle s'éleva ensuite avec une
grande vivacité entre le général Prim et M. de Saligny, qui
avait attribué publiquement au commandant des forces
espagnoles le désir de se faire couronner empereur du
l'aMIR. JURIEN DE LA GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 123
Mexique. M. de Saligny prétendit n'avoir fait que répéter ce ^862.
qui se disait partout ; quant aux preuves auxquelles il
avait fait allusion, c'étaient d'abord une lettre adressée à
l'amiral par une personne favorable à cette candidature,
les insinuations qu'une telle solution serait approuvée par
l'Empereur, les articles de l'Eco de Eiiropa, journal espa-
gnol publié au Mexique et qui, selon les paroles mêmes du
comte de Reus, ne publiait rien sans son approbation (*) et
enfin l'idée exprimée parle comte de Reus lui-même que
la candidature d'un prince autrichien était absurde et qu'il
n'y aurait de chances de succès que pour un soldat heu-
reux.
Le général Prim se défendit énergiquement contre ces
imputations, disant que l'estime de sa Souveraine et de ses
compatriotes suffisait à son ambition.
On revint enfin à l'objet principal de la réunion.
L'amiral déclara qu'il refusait de faire rembarquer le gé-
néral Almonte ; il stigmatisa le régime de terreur adopté
<*> Extraits de l'Eco de Europa : • La personne et le nom du général Prim
sont le sjTubole et le programme de cette expédition. Le Mexique et le monde
entier le connaissent et l'admirent, et plus d'un cœur mexicain bat aujourd'hui au
seul souvenir de ses merveilleux exploits. C'est que nous avons là un noble capi-
taine que la Grèce et Rome auraient élevé au rang de leurs dieux, un héros qui,
au moyen âge, aurait été le fondateur d'une dynastie de rois, et qui a su un jour
ressusciter la terrible poésie des combats d'Homère : nous avons là un glorieux
paladin qui , comme soldat, est un foudre de guerre , un foudre de gloire, et
comme homme d'Etat, se montre l'ami le plus sincère de toutes les réformes poli-
tiques qui font le bonheur des nations. De quelque côté que flambloie son épée,
la victoire est certaine. Partout où retentit sa voix, le triomphe de la liberté et le
progrès du siècle sont choses assurées Si le général Prim s'était
laissé emporter par ses instincts, le monde n'y aurait rien vu d'étrange , car ce
n'eût été de sa part qu'ajouter un sujet de plus à la galerie de tableaux héroïques,
et le monde est accoutumé à cela. Au Mexique, ses amis disent de lui qu'il est
l'ange exterminateur, le lion de la bataille, le demi-dieu de la guerre, et pour
faire son portrait, Homère l'eût comparé à Mars. »
Dans un autre article, n° 19 du journal, on lit : ' // n'est pas nécessaire d'ap-
partenir au sang royal pour devenir roi. »
126 l" PARTIE. — CHAPITRE III.
4862. par le gouvernement mexicain, et Sir Ch. Wyke ayant émis
l'opinion qu'il serait difficile de trouver des partisans de la
monarchie, il répondit que pour le moment, il n'était pas
question de monarchie ; du reste, le sentiment de la ma-
jorité de la nation n'avait pu se faire connaître sous l'op-
pression du gouvernement actuel, et cette majorité sympa-
thique à l'intervention des alliés, formée de gens éloignés
des partis extrêmes et qui n'avaient pas les armes à la main,
existait partout, dans les villes, dans les villages et dans
les campagnes. Le gouvernement de l'Empereur avait, à
cet égard, des informations certaines ; son collègue et lui
étaient donc résolus à marcher sur Mexico, où, ajouta
M. de Saligny, les résidants français appelaient l'armée de
tous leurs vœux. Le commodore Dunlop prétendit, au con-
traire, que ceux-ci verraient avec grand déplaisir l'arrivée
de l'armée française dans la capitale.
Les commissaires anglais et espagnol blâmèrent vive-
ment la résolution des commissaires français de faire rétro-
grader les troupes jusqu'à Paso Ancho ; puis ils décla-
rèrent : « que leurs collègues, persistant à se refuser au
rembarquement des exilés mexicains et à ne point vouloir
prendre part aux conférences qui devaient avoir lieu le
15 avril, ils se retireraient avec leurs troupes du territoire
mexicain. »
Le mode d'évacuation fut ensuite discuté ; l'amiral
offrit au général Prim, qui l'en remercia, le concours
des bâtiments français pour transporter ses troupes k la
Havane (*).
Les commissaires alliés notifièrent au gouvernement
(•) Procès-verbal de. la conférence.
mexicain.
l'amir. jurien de la gravière et le gén. de lorencez. 127
mexicain et au général Zaragosa les résolutions prises dans ^862.
la conférence, et les informèrent que l'armée française, se
concentrant à Paso Ancho, commencerait ses opérations
aussitôt que les Espagnols, dans leur mouvement de re-
traite, auraient dépassé ses lignes, c'est-à-dire vers le
20 avril.
Les plénipotentiaires français adressèrent, en outre, au Échange de notes
général Doblado une note particulière, dans laquelle ils gouvernement
motivèrent l'ouverture des hostilités sur la demande du
gouvernement mexicain relative à l'éloignement d'Al-
monte, sur les nouvelles vexations exercées contre leurs
nationaux et enfin sur le meurtre de plusieurs soldats
français, récemment assassinés sur la route de Yera-
Cruz.
La rupture de l'alliance était, à plusieurs égards, un
événement heureux pour le gouvernement de Juarez. Le
refus des plénipotentiaires anglais et espagnol de s'associer
à la pohtique des plénipotentiaires français, équivalait à
une déclaration solennelle du bon droit des Mexicains.
Juarez le comprit et sut en profiter pour augmenter la
surexcitation patriotique que l'invasion étrangère avait fait
naître dans le pays.
Cependant la perspective d'une guerre avec la France
était de nature à lui inspirer de sérieuses inquiétudes.
Tout en se préparant vigoureusement à la résistance, il
continua ses offres de négociations ; il lui était utile, du
reste, de traîner les choses en longueur, afin de compléter
son organisation défensive et d'attendre la saison de la
fièvre jaune, auxiliaire puissant pour lui, ennemi terrible
pour les Européens.
Doblado répondit donc qu'il appréciait « la conduite
128 l'^* PARTIE. CHAPITRE III.
1862. noble, loyale et circonspecte des représentants de l'Angle-
terre et de l'Espagne »; il leur offrit d'entrer dans la voie
des traités, afin de renouer des relations d'amitié et de
commerce sur des bases durables. Il reprocha aux commis-
saires français de violer les préliminaires de la Soledad sur
un prétexte presque puéril, et leur proposa encore d'épui-
ser tous les moyens de conciliation avant de recourir aux
armes. Le gouvernement mexicain, en appliquant au traître
Almonte des lois en vigueur, n'avait fait, disait-il, qu'user
de son droit souverain, et ceux qui avaient solennellement
reconnu cette souveraineté par la convention du 19 février
n'étaient pas autorisés à lui en contester l'exercice.
Le général Doblado affirmait, du reste, qu'il n'avait au-
cune connaissance des prétendues vexations infligées aux
nationaux français.
De leur côté, les commissaires français ne voulaient pas
être accusés d'avoir violé un traité ; ils répliquèrent que le
gouvernement mexicain lui-même avait, par ses violences,
déchiré les préliminaires de la Soledad; ils présentèrent le
récent assassinat de plusieurs soldats français comme une
preuve du mauvais vouloir ou de l'impuissance du gouver-
nement et conclurent à l'inutilité de recourir à de nou-
velles négociations. Trois soldats français avaient été, en
effet, assassinés aux environs de la Purga : c'était le seul
grief nouveau qui fût précisé.
Dans une note jointe à cette réponse, les commissaires
français protestaient d'avance contre tout traité conclu par
le gouvernement mexicain dans le but de céder ou d'hy-
pothéquer, au profit d'une puissance quelconque, les
propriétés et les territoires que la France considérait
comme le gage sur lequel reposaient ses créances. Ils
avaient ainsi en vue un emprunt dont Juarez négociait
l'amir. jurien de la gravière et le gén. de lorencez. 129
alors les bases avec M. Corwin, ministre des États-Unis ('). ''ses.
Les plénipotentiaires français avaient quitté Orizaba, le
11 avril, pour aller rejoindre le général de Lorencez à Gor-
dova, tandis que leurs collègues espagnol et anglais se ren-
daient à Puebla pour conférer avec Doblabo. Sir Gh.Wyke,
par une convention signée, le 28 avril, liquida à une somme
de 3,200,000 piastres le chiffre des réclamations anglaises;
cette somme devait être garantie par les biens du clergé,
et prélevée sur le produit de l'emprunt projeté. Un ar-
ticle additionnel, du 12 mai, stipulait que les bâtiments
de guerre anglais prêteraient leur concours au gouverne-
ment mexicain en occupant les ports de commerce, dans le
cas où quelque gouverneur voudrait se soustraire à l'auto-
rité centrale et retenir les revenus des douanes. Le gou-
vernement anglais refusa de ratifier cette convention. Le
cabinet de Madrid refusa également d'accepter les arran-
gements qui lui furent offerts (^).
Le 16 avril, les représentants de la France adressèrent Proclamation
. . , . . (les commissaires
au peuple mexicam la proclamation suivante : français à la
nation mexicaine.
« Mexicains, — Nous ne sommes point venus ici pour prendre
parti dans vos divisions; nous sommes venus pour les faire cesser.
Nous voulions appeler tous les hommes de bien à concourir à la
(1) Ce traité n'eut du reste aucune suite, le gouvernement américain n'ayant
pas voulu le ratifier.
(') Quelques mois plus tard, M. de Wagner, ministre de Prusse à Mexico,
écrivait au ministre des affaires étrangères à Paris : que le langage de Sir Ch.
Wyke s'était considérablement niodiflé; qu'il faciliterait maintenant volontiers
l'entreprise de la France ; qu'il reconnaissait la nécessité de voir les troupes fran-
çaises aller à Mexico, tout en continuant à considérer Almonte comme un obstacle
à l'établissement d'un gouvernement, qui répondrait aux besoins du pays et aux
intérêts des puissances étrangères.
M. de Ceballos, agent confidentiel de l'Espagne à Mexico, disait de son côté que
le gouvernement espagnol s'abstiendrait de tome nouvelle négociation avec Juarez,
9
130 l""" PARTIE. CHAPITRE III.
iim% consolidation de l'ordre, à la régénération de votre belle patrie.
— Pour montrer le sincère esprit dont nous sommes animés, nous
nous sommes adressés d'abord au gouvernement même, contre
lequel nous avions les plus sérieux griefs. Nous lui avons demandé
d'accepter notre assistance pour fonder au Mexique un état de
choses qui nous épargnât h l'avenir la nécessité de ces expéditions
lointaines, dont le plus grand inconvénient est de suspendre le
commerce et de troubler le cours de relations qui pourraient être
si profitables à l'Europe et à votre propre pays.
« Le gouvernement mexicain a répondu à la modération de notre
conduite par des mesures auxquelles nous n'avons jamais entendu
prêter noire appui moral;, et que le monde civilisé nous reproche-
rait de sanctionner par notre présence. Entre lui et nous la guerre
est aujourd'hui déclarée; mais nous ne confondons pas le peuple
mexicain avec une minorité oppressive et violente. Le peuple mexi-
cain a toujours droit à nos plus vives sympathies. C'est à lui de s'en
montrer digne. Nous faisons appel à tous ceux qui ont confiance
dans notre intervention, à quelque parti qu'ils aient appartenu.
« Aucun homme éclairé ne voudra croire que le gouvernement,
issu du suffrage d'une des nations les plus libérales de l'Europe,
ait pu avoir un instant l'intention de restaurer chez un peuple
étranger d'anciens abus et des institutions qui ne sont plus de ce
siècle. Nous voulons une égale justice pour tous, et nous voulons
que cette justice ne soit pas imposée par nos armes. Le peuple
mexicain doit être lui-même le premier instrument de son salut.
Nous n'avons d'autre but que d'inspirer à la portion honnête et
paisible du pays, c'est-à-dire aux neuf dixièmes de la population,
le courage de faire connaître ses vœux. Si la nation mexicaine
demeure muette, si elle ne comprend pas que nous lui offrons une
occasion inespérée de sortir de l'abîme, si elle ne vient pas donner
par ses eiîorts un sens et une moralité pratiques à notre appui, il
est évident que nous n'aurons plus ti nous occuper que des intérêts
précis en vue desquels la convention de Londres a été conclue.
« Que les hommes trop longtemps divisés par des querelles, qui
n'ont plus d'objet, se hâtent donc de venir à nous. Ils ont entre
les mains les destinées du Mexique. Le drapeau de la France a été
planté sur le sol mexicain ; ce drapeau ne reculera pas. Que les
et que, reconnaissant à la France de l'appui moral qu'elle lui avait prêté pendant
la guerre du Maroc , il était prêt à mettre h sa disposition toutes les ressources
militaires de l'île de Cuba. — (M. de Wagner au ministre des affaires étrangères,
14 septembre 1862.)
l'aMIR. JURIEN DE LA GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 431
hommes sages l'accueillent comme un drapeau ami. Que les insen- ^s^-
ses osent le combattre !
La guerre était déclarée.
Cependant Juarez ne perdit pas confiance. L'immense
territoire du Mexique, le dévouement, l'énergie, le patrio-
tisme du parti libéral pouvaient lui permettre de prolonger
longtemps la lutte. Il n'ignorait pas que les sympathies
des républicains de tous les pays étaient acquises à sa cause.
Il savait qu'en France la presque unanimité de la nation
désapprouvait la guerre, et que des voix éloquentes se fe-
raient entendre en sa faveur au sein même du Corps légis-
latif; il comptait que, malgré leurs discordes intestines, les
États-Unis seraient encore assez forts pour contre-balancer
l'influence européenne, et il se disposait à attendre avec
patience le moment oii le gouvernement français se verrait
obligé de mettre un terme aux immenses sacrifices que lui
imposerait une expédition aussi lointaine. On verra, en
effet, Juarez abandonné de la plupart des siens, sans
soldats, sans argent, poursuivi par les colonnes françaises
jusqu'aux extrêmes limites du Mexique, se réfugier sur la
frontière américaine, mais sans quitter le territoire mexi-
cain, et ne jamais désespérer du succès de son parti.
Après avoir fait connaître la déclaration de guerre par Décret
un manifeste à la nation, il fit publier le décret suivant :
Article l**. — Du jour où les troupes françaises commenceront
les hostilités, toutes les localités qu'occupent ces troupes sont dé-
clarées en état de siège et les Mexicains qui y resteraient pendant
l'occupation seront punis comme traîtres, leurs biens seront con-
fisqués au profit du trésor public, à moins qu'il n'y ait un motif lé-
galement reconnu.
Art. 2. — Aucun Mexicain de 21 à 60 ans ne pourra s'excuser
de prendre les armes, quels que soient sa classe, son état et sa con-
dition, sous peine d'être traité en traître.
132 l" PARTIE. CHAPITRE III.
1862. Art. 3. — Les gouverneurs d'États sont autorisés à délivrer des
~ patentes pour la levée des guérillas, à leur discrétion et suivant les
circonstances ; mais les guérillas qui seraient trouvées à une dis-
tance de plus de dix lieues de l'ennemi seront considérées et pu-
nies comme bandes de voleurs.
Art. 4. — Les gouverneurs des États sont également autorisés à
disposer, selon les nécessités, de tous les revenus publics et h. se
procurer les ressources dont ils auront besoin, de la manière la
moins onéreuse possible.
Art. s. — Les Français paisibles, résidant dans le pays, restent
sous la sauvegarde des lois et des autorités mexicaines.
Art. 6. — Tous ceux qui fourniront des vivres, des nouvelles,
des armes à l'ennemi ou de toute autre manière lui prêteront leur
concours, seront déclarés traîtres et punis de mort.
Dispositions Lorsqu'il vit l'état réel des affaires, les passions soulevées
des chefs du parti .,,.,.,
conservateur, par son retour au Mexique, lorsqu il comprit toutes les
complications dont sa présence était la cause ou le prétexte,
le général Almonte serait volontiers retourné en Europe ; il
en manifesta plusieurs fois l'intention et ne céda qu'aux
instances de M. de Saligny, et sans doute aussi à celles de
ce petit groupe d'émigrés à la tête desquels était le Père
Miranda, et auxquels il fallait un chef accrédité près des
commissaires français.
Obéissant aux exigences d'une situation qu'il ne peut
être accusé d'avoir créée, plutôt qu'à une ambition de chef
de parti, le général Almonte avait accepté le rôle qu'on
voulait lui faire jouer. Il s'était mis en relations avec les
principaux chefs réactionnaires qui tenaient la campagne,
et avait reçu la promesse d'un concours sans réserve de la
part des uns et avec certaines restrictions de la part des
autres.
Le général Tomas Mejia, qui avait une grande influence
dans la Sierra-Gorda, vaste contrée montagneuse qui s'étend
de Queretaro à San Luis de Potosi, répondit aux avances
l'aMIR. JUBIEN DE LA GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 133
d'Almonte en l'engageant à prendre en main la direction <862.
du mouvement. « Le cabinet de Juarez, écrivait-il, s'efforce
de cacher la situation réelle du pays et de faire croire aux
alliés que non-seulement l'administration actuelle est une
émanation de la volonté nationale, mais encore qu'elle n'a
dans la république d'opposition d'aucune sorte Le
manque de tact ou d'activité de nos amis a pu donner cer-
taines apparences de vérité à ces mensonges L'inter-
vention étant un fait, je crois que tous les bons Mexicains
doivent l'accepter comme l'unique solution possible de tant
de questions produites au Mexique par le violenl état d'anar-
chie qui menace de nous anéantir; mais pour agir avec
la conscience tranquille, il est nécessaire de s'assurer de
deux points très-importants : que l'intervention ne cache
aucune idée étrangère au noble but qu'elle s'est proposé
et que la pacification du pays, résultat final de l'interven-
tion, soit étabhe sur des bases de moralité, d'ordre et d'é-
nergie (*). »
L'ancien président Zuloaga, qui se tenait dans le sud
de Puebla avec quelques troupes, était, disait-il, tout dis-
posé à contribuer pour sa part au rétablissement de la paix;
mais il prêta bientôt l'oreille aux propositions que Juarez
lui fit faire, et déclara ensuite qu'il ne voulait pas s'asso-
cier aux forces étrangères i^).
Le général Marquez, sonheutenant, se prononça, au con-
traire, formellement en faveur de l'intervention française.
Il adhéra d'avance à toutes les résolutions que prendrait
le Père Miranda, qu'il traitait déjà de ministre des affaires
étrangères et qui représentait , comme on sait, les idées
(•) Lettre de Mejia à Almonte, datée de Toliman le 16 mars.
(«) Lettre de Zuloaga à Almonte, 11 avril 1862,
134 l" PARTIE. — CHAPITRE 111.
réactionnaires les plus accentuées. Il se sépara de Zuloaga
avec quelques troupes (^).
Les plénipotentiaires français engagèrent le général Al-
monte à grouper autour de lui tous ses partisans et à se
faire reconnaître comme « chef suprême intérimaire ». Ce fut
donc sur leurs conseils et avec leur consentement que, le
17 avril, il adressa à ses compatriotes un manifeste ap-
pelé, conformément aux habitudes mexicaines, Plan de
Cordova, du nom de la ville où il fut publié.
Plan de Cordova. ..,.. « Étranger aux luttes sanglantes qui, depuis tant
d'années, désolaient le Mexique, n'ayant aucune vengeance
à exercer, aucune récompense à ambitionner, le général
Almonte déclarait que son seul vœu était de réconcilier des
frères ennemis. Il exhortait ses concitoyens à unir leurs
efforts aux siens et à avoir une entière confiance dans la
politique de l'Empereur des Français, dont le désir sincère
était de voir les Mexicains établir eux-mêmes un gouver-
nement d'ordre et de moralité et de garantir pour toujours
l'indépendance, la nationaUté et l'intégrité du territoire
mexicain ».
Ce manifeste était accompagné d'un acte de pronuncia-
miento par lequel le général Almonte était reconnu « chef
suprême de la nation », muni de pleins pouvoirs pour traiter
avec les puissances alliées dont les forces occupaient le
Mexique et pour convoquer, dès que les circonstances le
permettraient, un congrès national qui déciderait de la
forme de gouvernement la plus convenable.
Les popi/lations restèrent froides à cet appel ; à Cordova
et à Orizaba on ne recueillit que des adhésions en très-petit
(1) Lettre de Marquez à Almonte, 10 mars 1862.
L'aMIR. JDRIEN de la GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 135
nombre et, pour la plupart, de gens sans influence ou ^^'
sans notoriété.
Ainsi débuta le mouvement monarchique qui devait ral-
lier, avait-on prétendu, l'immense majorité du pays.
Cependant l'armée espagnole opérait son mouvement Départ
de retraite. Orizaba avait été évacué le 18 avril et occupé troupes anglaises
•* ^ n • ' 1»'irv 1 ^t CSpagnolcS.
aussitôt par les forces mexicames du gênerai Zaragoza. Les
derniers détachements espagnols quittèrent le Mexique le
24 avril.
Quelque temps auparavant , les détachements anglais y_
avaient été déjà renvoyés aux îles Bermudes. Dès le début
de Texpédition, le cabinet de Londres avait prévenu ses al-
liés que son intention n'était pas de laisser ses troupes au
Mexique pendant la mauvaise saison; lord Russell avait
confirmé cette intention à Sir Ch. Wyke par une dépêche
du 27 janvier 1862. Le 1^^ mars, le ministre anglais avait
répondu que les troupes seraient rembarquées aussitôt
l'arrivée des bâtiments qui devaient les transporter aux Ber-
mudes ; mais en annonçant cette détermination à ses col-
lègues, il l'avait présentée comme une nouvelle protes-
tation de son gouvernement contre la politique française.
Le général Prim, dans une lettre qu'il écrivit à l'empereur
Napoléon, le 17 mars, s'en fit un argument pour prouver que
l'envoi de la brigade de Lorencez avait été une des causes
déterminantes de la rupture de l'alliance et du mécon-
tentement des Anglais (^). Cette mesure n'eut en réalité
aucune influence sur le départ des troupes anglaises ; mais
le général Prim, qui voyait ainsi son rôle s'amoindrir et la
(1) Lettre du général Prim à l'empereur Napoléon, datée d'Orizaba, le 17
mars 1862, et publiée dans les Executive Documents des Etats-Unis, années 1862-
1863. Dans cette lettre, le général Prim cherche à dissuader l'Empereur de pour-
suivre le projet d'établir une monarchie au Mexique.
136 l" PARTIE. CHAPITRE III.
i862. prépondérance dans le sein de la commission lui échapper,
en avait ressenti lui-même un grand mécontentement.
Le général Dcpuis le 8 avril, le général de Lorencez attendait à
de Lorencez /-■ , • • i- i x j
i cordova. Cordova, avec une vive impatience, le moment de com-
mencer les hostilités ; la plus grande partie du corps expé-
ditionnaire était réunie autour de lui ; il avait cependant
quelques troupes échelonnées sur la route de Vera-Gruz,
au Potrero et à la Soledad. Le vomito, qui sévissait dans
la terre chaude, s'étant montré à la Soledad, il envoya aus-
sitôt au colonel L'Hériller du 99^ de ligne, qui occupait ce
point, l'ordre de n'y laisser qu'un petit poste pour garder
l'ambulance et de venir le rejoindre à Cordova ; mais les
exigences politiques le forcèrent à donner contre-ordre et
à arrêter cette colonne à Paso Ancho. Le général de Lo-
rencez considérait avec une inquiétude extrême les consé-
quences que pourrait avoir, pour la santé de ses soldats,
la concentration sur ce point de 6,000 hommes et d'environ
4,000 animaux (ceux du convoi compris) à une époque de
l'année où l'on n'y trouve pas d'eau en quantité suffisante.
Sur les pressantes sollicitations de l'amiral, il se montrait
cependant résigné à se conformer à la clause de la conven-
tion de la Soledad, qui lui imposait l'obligation de rétro-
grader au delà du Chiquihuite, et cette condition était deve-
nue plus dure encore depuis que les conférences d'Orizaba
l'obligeaient à attendre la retraite des Espagnols.
Les extraits suivants d'une lettre adressée à M. de Sali-
gny par M. de Wagner, ministre de Prusse à Mexico , feront
comprendre les angoisses du commandant en chef.
Mexico, 4 avril <862.
« Si votre armée ne monte pats immédiatement au delà de
Cordova et même d'Orizaba, elle sera décimée par le vomito et les
fièvres pernicieuses à la suite des fortes chaleurs, La première
l'aMIR. JURIEN DE LA GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 137
pluie vous apportera infailliblement tout cela, et quand l'infection 4862.
aura une fois gagné l'armée, il sera trop tard et peut-être impos- ~"
sible de se mettre en marche. Vous pourrez facilement perdre deux
ou trois mille hommes en peu de jours. Je pense que vous ne vou-
lez pas demander une seconde fois aux Mexicains devons permettre
par humanité d'occuper des campements salubres. Toutes les ques-
tions et toutes les convenances politiques disparaissent devant le
danger de sacrifier huit mille Français aux épidémies d'un climat
meurtrier. Je pense que ni l'amiral Jurien de la Gravière ni les
commissaires anglais et espagnol ne voudront assumer une si grave
responsabilité. En vous disant tout ceci, je ne suis nullement
influencé par des considérations politiques; mes craintes pour
l'état sanitaire de la troupe sont basées sur une expérience de trois
ans dans ce pays et sur l'opinion générale.
« Il s'entend que vous êtes entièrement autorisé à faire usage
partout et envers qui vous voudrez de ce que je vous dis à ce sujet,
et je serais heureux si mes efforts pouvaient contribuer à prévenir
de plus grands malheui's.
« Le gouvernement mexicain, qui connaît tous ces dangers, fera
tout son possible pour vous retenir encore quelque temps là où
vous êtes. Au reste nous sommes à la veille de la saison des pluies ;
aussitôt qu'elles ont commencé, les miasmes qu'elles répandent
causent des lièvres pernicieuses, les routes se défoncent et devien-
nent impraticables, on ne fait pas plus de chemin dans une journée
qu'en une heure dans la belle saison »
Les chefs de service qui étaient auprès du général de Lettre du générai
. Zaraguza,
Lorencez partageaient son anxiété. Heureusement, les me- relative aux
. . . . malades laissés
sures administratives avaient été prises de manière à faci- à orizaba.
liter autant que possible la marche en arrière et le mouve-
ment offensif qui la suivrait aussitôt. Le général de Lorencez
se proposait de rester à Gordova jusqu'au dernier moment,
de franchir rapidement les deux étapes qui le séparaient
de Paso Ancho et de revenir immédiatement après sur le
Chiquihuite. Telles étaient les dispositions arrêtées le 18
au soir, lorsque, dans la nuit suivante, parvint au quartier
général une lettre du général Zaragoza, qui fournit d'une
façon tout inespérée au général de Lorencez « l'occasion
138 l" PARTIE. CHAPITRE III.
qu'il cherchait de se dégager de la situation critique dans
laquelle il se trouvait ('). »
Le général Zaragoza écrivait :
« Bien que les commissaires français aient été les premiers à
rompre les préliminaires de paix signés à la Soledad le 19 février
dernier, je permets, parmi pur devoir d'humanité, aux malades de
l'armée française de rester dans l'hôpital d'Orizaba; mais ils sont
sous la sauvegarde de l'armée mexicaine, et il n'y a pas de nécessité
qu'ils soient gardés par une force quelconque de leurs nationaux;
j'espère donc que Son Exe. le général en chef des troupes françaises
résidant à Cordova ordonnera que cette garde soit retirée, et je lui
donne l'assurance de ma considération personnelle.
« Liberté et Réforme.
« Quartier général d'Ingenio, 18 avril 1862. »
Voici l'incident qui avait motivé cette lettre :
Le 18 avril, trois cent quarante soldats français malades,
restés à Orizaba, avaient été transférés d'un hôpital dans
un autre. Un certain nombre d'entre eux, déjà entrés en
convalescence, traversèrent la ville avec leurs armes ; le
général Zaragoza, ayant alors cru qu'une garde avait été
laissée à l'hôpital, demanda au commandant en chef du
corps expéditionnaire français de la faire retirer ; mais, à la
suite d'explications qui lui furent données le lendemain,
il manifesta au médecin en chef ses regrets de ce malen-
tendu et exprima l'espoir que le général de Lorencez consi-
dérerait sa lettre comme le résultat d'une erreur involon-
taire.
Il répéta, du reste, que les malades étaient sous la pro-
tection de l'humanité, en dehors des querelles de parti à
parti ou de peuple à peuple et qu'il n'y avait rien à redou-
ter pour eux. Le préfet d'Orizaba avait déjà fait la même
déclaration et assuré que « dans le cas tout à fait impro-
(1) Le général de Lorencez au ministre de la guerre, 26 avril 1863.
l'a3iir, jurie.n de la gravière et le gén. de lorencez. 139
bable d'une attaque de la part de la population ou d'une 4862.
force armée quelconque, il serait le premier au milieu d'eux
pour faire face au danger, que toutes les autorités mexi-
caines, comme lui-même, se rappelleraient toujours les
secours prêtés par les chirurgiens français aux blessés de
San Andrès » (').
Le général de Lorencez se contenta de répondre au
général Zaragoza par la note suivante :
Cordova, 19 avril 1862.
« En réponse à la lettre que M. Zaragoza a écrite en date du 48
avril à MM. les plénipotentiaires français, le général en chef du
corps expéditionnaire du Mexiqne affirme qu'il n'a laissé avec ses
malades à Orizaba aucune garde, ni même aucun homme valide,
si ce n'est quelques infirmiers chargés de les soigner.
« Depuis qu'on a laissé les malades à Orizaba, un certain nombre
a dû entrer en convalescence, et c'est ce qui a pu faire croire au .
général Zaragoza qu'on avait laissé une garde avec eux.
<i Le général en chef du corps expéditionnaire français prie le gé-
néral Zaragoza d'accepter l'assurance de sa considération distin-
guée. »
Mais il s'était immédiatement résolu à marcher sur Ori- ^e générai
de Lorencez se
zaba, et il avait fait connaître cette détermination aux pléni- décide à marcher
■^ sur Orizaba.
potentiaires français par la lettre suivante :
Cordova, le -19 avril 1862.
« En me plaçant à la tête du corps expéditionnaire du Mexique,.
S. M. l'Empereur m'a confié le soin de diriger les opérations mili-
taires et de garantir la sécurité de ses troupes.
« Après avoir pris connaissance des stipulations de la conven-
tion de la Soledad, ratifiée par la commission des trois hautes puis-
sances contractantes, j'avais dû arrêter toutes les dispositions
nécessaires pour concentrer mes troupes à Paso-Ancho, aussitôt
que l'armée espagnole aurait opéré son mouvement rétrograde.
• L'assassinat de trois soldats français aux environs du camp
^') LeUre de M. Golson, médecin en chef, au générai de Lorencez, datée
d'Orizaba le 15 avril.
140 l'" PARTIE. — CHAPITRE 111.
<862. ne me semblait même pas un motif suffisant pour me considérer
~" comme dégagé de la stricte exécution d'une convention signée par
les représentants de la France ; ces attentats ne sont pourtant que
la conséquence du décret rendu, le 25 janvier, par le gouvernement
de Juarez, qui nous met hors la loi en nous assimilant aux pirates,
décret outrageusement maintenu depuis la signature des prélimi-
naires.
« Mais la situation de Vera-Cruz, entourée de nombreux partis
de guérillas et réduite à l'état de blocus, me paraissait déjà une
violation des préliminaires de la part des Mexicains, lorsque j'ai
reçu cette nuit de M. le général Zaragoza une note officielle par
laquelle il m'informe qu'il considère une partie des malades laissés
à Orizaba, et qui sont depuis lors entrés en convalescence, comme
une garde préposée à la sûreté de mon hôpital; il réclame contre
cette prétendue mesure.
c En présence d'une déclaration de cette nature, j'ai tout lieu de
craindre que nos malades ne puissent plus compter sur la protec-
tion, qui leur était assurée par la convention de la Soledad et
qu'ils soient considérés comme des otages laissés avec trop de
confiance aux mains de l'ennemi. Mon devoir est de marcher à leur
secours sans perte de temps, car il y aurait imprudence de ma part
à les laisser exposés aux excès d'une armée indisciplinée et de chefs
sans scrupules.
(( J'ai donc l'honneur de vous informer qu'en vertu des pouvoirs
militaires qui m'ont été confiés, je me mettrai ce soir même en
marche sur Orizaba.
« Il ne me reste d'autres moyens de pourvoir à votre sûreté per-
. sonnelle, que de vous inviter à vous joindre à l'armée dans le mou-
vement qu'elle va opérer. »
Par un ordre du jour aux troupes, le général de Lorencez
leur annonça cette résolution, qu'il motiva sur les mêmes
faits.
La validité de la convention de la Soledad avait été
acceptée parle gouvernement français, puisque M. Thou-
venel déclarait, à ce moment même, à l'ambassadeur an-
glais que si les négociations venaient à être rompues, les
clauses en seraient strictement observées (') ; toutefois
(1) Lord Cowley à lord Russell, 2o avril 1862.
l'aMIR. JURIEN de la GRAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ. 141
l'opinion du ministre de la guerre était différente, car -1862.
dans une de ses lettres au général de Lorencez, il disait
« que la convention était inexécutable dans son art. IVW » ;
plus tard, il lui répétait encore : « La déplorable conven-
tion consentie par l'amiral et que vous n'étiez certes pas
obligé de reconnaître (^). » Mais le général de Lorencez
ne pouvait être informé de cette manière de voir, au
moment où. il se dégagea de la parole donnée, au nom de la
France, par les plénipotentiaires. Sa responsabilité resta
entière, et il la revendiqua lui-même. Pour apprécier cette
détermination, des plus graves assurément, il faut réflé-
chir que quelques jours passés dans les terres chaudes
auraient peut-être suffi pour amener un épouvantable
désastre, et que c'était à ce but que tendait depuis long-
temps la politique d'atermoiements du gouvernement mexi-
cain, singulièrement favorisée, d'ailleurs, par l'attitude
des plénipotentiaires anglais et espagnol. On se demandera
donc si le plus impérieux devoir d'un général en chef n'était
pas de garantir avant tout les milliers de vies humaines
qu'il tenait dans ses mains. Aucun de ceux, qui ont le plus
durement reproché au général de Lorencez ce qu'ils appe-
lèrent la violation de la convention de la Soledad, n'aurait
sans doute osé, dans de pareilles circonstances, assumer
la terrible responsabilité de rétrograder dans les terres
chaudes.
Quant aux positions militaires du Ghiquihuite, quelle que
pût être l'importance que leur attribuaient les Mexicains,
elles n'auraient pas arrêté longtemps des troupes, qui
enlevèrent- avec tant d'élan, quelques jours plus tard, les
positions autrement difficiles des Cumbres d'Acultzingo.
<•) Le ministre de la guerre au général de Lorencez, 13 avril 1862.
(2) Le ministre de la guerre au général de Lorencez, 30 avril 1862.
14-2 l" PARTIE. CHAPITRE III.
4862. On ne saurait donc admettre qu'une considération de
, cette nature ait influencé le général de Lorencez,
Le 19 avril, à 3 heures de l'après-midi, le général de
Lorencez partit de Cordova ayant à ses côtés les plénipo-
tentiaires français.
Combat Une heure après le départ, à peu de distance du village
du Fortin. ^ r ' r o
-19 avril 4862. du Fortin, le peloton d'avant-garde, conduit par le capi-
taine d'état-major Gapitan, rencontra un détachement d'une
soixantaine de cavaliers mexicains qui cherchèrent à par-
lementer pour arrêter la marche de la colonne, puis
se mirent en bataille en barrant la route. Le capitaine
Capitan demanda un peloton de renfort, qui porta sa petite
troupe au chiffre de 35 cavaliers, puis il se dirigea au grand
trot sur les Mexicains ; ceux-ci évitèrent le choc par une
retraite précipitée; mais, poursuivis vigoureusement, ils
furent atteints et sabrés par les chasseurs d'Afrique sur les
pentes de la Barranca de Metlac, située au pied même du
Fortin i').
Les Mexicains eurent cinq hommes tués et douze pri-
sonniers; les Français ne firent aucune perte. La colonne
(*) Des voitures dans lesquelles voyageaient le général Prim, sa femme et le
général Milans del Bosch se trouvaient sur la route au moment de la charge. Le
général Milans couvrit de sa protection un colonel mexicain que les chasseurs
voulaient faire prisonnier ; il affirmait que cet officier avait pour mission de le
conduire aux avant-postes. On apprit plus tard que c'était le colonel Diaz, chef de
la troupe mexicaine qu'on avait combattue.
La Barranca ou ravin de Metlac a 100 mètres de profondeur ; la route la tra-
verse en faisant de nombreuses sinuosités.
Au Mexique, on appelle barrancas les ravins à bords escarpés, plus ou moins
profonds, résultat de l'action érosive des eaux torrentueuses de la saison des
pluies, des commotions géologiques du sol et souvent aussi de Tune et de l'autre
causes réunies.
Certaines de ces barrancas sont considérables ; celle de Régla, au nord de
Mexico, offre les sites les plus pittoresques. Les barrancas de Platanar , d'Aten-
quique et de Beltran, qui dérivent des Volcans de Colima, ont de 1,600 à 1,700
mètres de profondeur.
l'amir. jurien de la gravière et le gén. de lorencez. 143
du général de Lorencez campa près du village du Fortin, et, ^^-•
le lendemain, elle entra dans Orizaba sans coup férir.
Le général Zaragoza, avec environ 4,000 hommes et
8 pièces de canon, s'était retiré pour aller prendre position
sur les Cumbres. Les malades n'avaient pas été inquiétés.
Une proclamation du général de Lorencez, affichée à Proclamation
^ . , _ , . . . du général de
Orizaba, confirma les intentions exprimées par les pléni- Lorencez.
potentiaires français dans leur manifeste du 16 avril. Il
s'attacha à faire comprendre à la population que la France,
loin de vouloir faire la guerre au Mexique, se proposait au
contraire de prêter son appui au pays pour aider à sa
reconstitution. Le gouvernement de Juarez, par ses excès,
avait rendu la guerre inévitable, et c'était lui seul que les
armes françaises voulaient atteindre.
Les hostilités étaient donc engagées de fait. D'un côté,
le général de Lorencez avait sous ses ordres une petite ar-
mée compacte de 6,000 bons soldats. Les Mexicains, en
appelant sous les armes les contingents de tous les états,
pouvaient réunir 60,000 hommes environ, mais à cette
époque, leurs troupes étaient encore disséminées, et la divi-
sion, avec laquelle le général Zaragoza couvrait la route de
Mexico, n'était pas très-supérieure en nombre au corps
expéditionnaire français. Toutefois, elle avait sur ses adver-
saires l'immense avantage d'opérer dans un pays parfaite-
ment connu ; ses lignes de retraite étaient assurées dans
toutes les directions et ses ressources en vivres facilement
renouvelables, tandis que les Français, en pénétrant dans
l'intérieur du Mexique, s'éloignaient de plus en plus de la
mer , seule base de leurs opérations , et qu'ils allaient
se trouver au milieu de populations hostiles, sans aucune
sécurité pour leurs ravitaillements et leurs communications.
Le général de Lorencez s'arrêta plusieurs jours à Orizaba,
144 l" PARTIE. CHAPITRE III.
1862. afin d'attendre les colonnes laissées en arrière. Il fut re-
joint, le 24 avril, par le colonel L'Héritier, et, le 25, par le
colonel Gambicr, du 2*^ zouaves, qui amenait le reste de son
régiment (').
L'intention du général en chef était de ne laisser aucun
poste entre Yera-Cruz et la colonne expéditionnaire et d'éta-
blir à Orizaba ses magasins et ses dépôts.
Une troupe mexicaine de cent cavaliers et de cent fan-
tassins, commandés par le général Galvez, rallia la colonne
française à Orizaba. Ce chef, qui appartenait au parti con-
servateur, avait d'abord profité de Vindulto offert par
Juarez et s'était laissé incorporer dans l'armée libérale.
Mieux éclairé, disait-il, sur les véritables intentions de la
France, il venait se ranger auprès du général Almonte et
prétendait que beaucoup d'autres suivraient son exemple.
Le gouvernement A ce momcut arriva le courrier de France. Il annon-
fnmçais désap- . i i o i i i • n
prouve çait quc la Convention de la Soledad était formellement
la convention n • r
de la Soledad. désapprouvée par le gouvernement français. Un blâme
de l'amrai. sévèrc était infligé à Tamiral Jurien, sur lequel on faisait
retomber toute la responsabilité de cet acte, M. de Saligny
ayant sans doute pris soin, dans ses dépêches particulières,
de décliner d'avance la part qui aurait dû naturellement
lui incomber (^).
Les impressions du gouvernement français se trouvent
nettement exposées dans une note publiée par le Moniteur
• officiel du 2 avril. Cette note, après avoir démenti le bruit,
que le gouvernement de l'Empereur avait demandé à
l'Espagne le rappel du général Prim, continuait ainsi :
(•) Un accident de mer avait retardé jusqu'au 8 avril l'arrivée de ce détache-
ment au Mexique.
(2) Le ministre de la ^.'uerre au tfénéral de Lorencez. 20 mars 1862.
l'aMIR. JURIEN de la (.RAVIÈRE ET LE GÉN. DE LORENCEZ, 14o
1 Le gouvernement de l'Empereur a désapprouvé la convention i862.
conclue avec le général mexicain Doblado par le général Prim, et —
acceptée par les plénipotentiaires alliés, parce que cette conven-
tion lui a semblé contraire à la dignité de la France.
« En conséquence, xM. de Saligny a été seul chargé des pleins
pouvoirs politiques, dont le vice-amiral Jurien de la Gravière était
revêtu, et cet oificier général a reçu Tordre de reprendre simplement
le commandement de la division navale. »
En effet, l'amiral était invité à remettre ses pouvoirs
militaires entre les mains du général de Lorencez, promu
au grade de général de division et à reprendre le comman-
dement de la division navale, s'il ne préférait rentrer en
France. Ce fut à ce dernier parti qu'il s'arrêta; pendant
que la petite armée française se dirigeait sur Puebla, il fit,
non sans tristesse, ses préparatifs de départ.
Le 3 mai, il se mit en route pour Yera-Gruz avec l'es-
corte de la troupe mexicaine de Galvez el de quelques sol-
dats isolés. Il traversa heureusement les terres chaudes,
déjà parcourues par de nombreuses guérillas, et quatre
jours après il appareillait pour France, sans avoir eu la
douleur d'apprendre le grave échec subi, le 5 mai, devant
Puebla, par le général de Lorencez.
En présence de la désapprobation formelle donnée à la
conduite de l'amiral, il faut se demander si le gouverne-
ment français avait, dès le début, mis entre ses mains des
moyens matériels suffisants pour lui permettre de faire la
guerre sans le concours des alliés. Les faits qui précèdent
prouvent surabondamment le contraire. Quelles alternatives
restaient donc à l'amiral Jurien, lorsque, dans la nuit du
19 février, le général Prim présenta à sa signature la con-
vention qu'il venait de conclure avec le général Doblado et
qu'approuvaient également les commissaires anglais? Mar-
cher seul en avant et exposer son petit corps d'armée à un
10
146 l" PARTIE. — CHAPITRE 111.
désastre inévitable, ou rester dans ses campements insa-
lubres et attendre que le vomito exerçât ses ravages sur
ses soldats, ou enfin rembarquer ses troupes et les ramener
aux Antilles. Ce dernier parti était sans doute le meilleur ;
mais on lui eût certainement reproché d'avoir compromis
la politique de la France par une retraite dont ses instruc-
tions ne lui laissaient pas la latitude. Il est donc certain
que l'insuffisance des dispositions militaires prises par le
gouvernement français avait mis l'amiral dans la néces-
sité absolue d'adhérer à la convention de la Soledad.
L'amiral ne méritait pas assurément le blâme qui lui fut
alors infligé ; il eût été bien désirable au contraire qu'il
restât au Mexique, afin de corriger par sa prudence et la
droiture de son esprit les erreurs trop nombreuses que des
tendances fort différentes firent commettre à M. de Saligny.
Justice ne tarda pas, du reste, à lui être rendue, et l'Empe-
reur en donna un éclatant témoignage en le prenant pour
aide de camp. L'amiral Jurien tint cependant à honneur
de ne pas quitter le commandement de la division navale
du golfe du Mexique, et nous le retrouverons à la tête de
l'escadre pendant une des périodes les plus difficiles et les
plus dangereuses de la campagne.
La convention de la Soledad était, il est vrai, en contra-
diction formelle avec les raisons qui avaient motivé l'expédi-
tion du Mexique. La France et TEspagne ne pouvaient avoir
envoyé 15,000 hommes de troupes pour recommencer des
négociations illusoires qui, depuis de longues années,
aboutissaient à des traités toujours inexécutés. Il valait peut-
être mieux ne pas aller au Mexique ; mais l'expédition une
fois entreprise, il fallait sortir résolument du cercle dans
lequel la diplomatie tournait depuis trop longtemps.
D'ailleurs, le gouvernement français n'avait pas été le
l'aMIR. JURIEN de la GRAVIÈRE et le GÈy. DE LORENCEZ, 147
seul à désapprouver les préliminaires de la Soledad. L'am- -1862.
bassadeur de France à Londres avait écrit à ce sujet k ~"
^I, Thouvenel : « Lord Russell partage, en tout point, la
manière dont Votre Excellence apprécie la conduite adop-
tée par nos commissaires et la situation qu'elle a créée » 0).
Cependant les explications fournies par Sir Ch. Wyke mo-
difièrent cette première impression, et sans approuver tous
les détails de l'arrangement, le cabinet anglais « se montra
satisfait que les griefs, pour lesquels on demandait réparation,
fussent devenus V objet de négociations » ^^).
De son côté l'ambassadeur à Madrid écrivit :
« Le gouvernement de la Reine a éprouvé une impression pé-
nible en prenant connaissance de l'arrangement conclu à la Sole-
dad JJans la dépêche adressée au comte de Reus à ce sujet,
dont la forme polie ne dissimule pas un blâme irès-catégorique, le
gouvernement de la Reine exprime la désapprobation qu'il donne
à plusieurs des clauses de cet arrangement II demeure donc
acquis que les plénipotentiaires se sont écartés des instructions
qu'ils avaient reçues de leurs gouvernements respectifs et qu'ils
ont agi contrairement à l'esprit de la convention du 31 octobre.
Mais aujourd'hui que le mal est fait, dit le maréchal O'Donnell, il
faut aviser à le réparer » •^'.
« Après des appréciations si peu équivoques, le gouver-
(1) M. de Flahaut à M. Thouvenel, 28 mars 1862.
(2) M. Thouvenel à M. de Saligny, 12 avril 1862.
(3) iM. Barrot à M. Thouvenel, 23 mars 1862.
Voir le mémorandum de M. Calderon Collantes, annexé à la dépèche de
M, Barrot du 23 mars : « Le gouvernement espagnol, acceptant l'ensemble de la
convention comme un fait accompli, en désapprouvait les détails ; son opinion se
résumait ainsi : — Art. i" : Aurait pu être omis, parce qu'il donnait au gouver-
nement de Juarez une force morale qu'il n'avait pas. — Art. 4 : S'explique par
des considérations d'honneur militaire. Les Mexicains, eu égard à la générosité
avec laquelle iîs sont traités, auraient dû l'omettre. — Article dernier, relatif aux
conférences d'Orizaba est le moins justifié. L'ordre est donné au général Prini
d'agir avoc la plus grande promptitude et énergie et d'nbandonuer tout système
de temporisation, si les r.'sultats de la confi-rence ne sont pas complètement
favorables.
de l'alliance.
148 f" PARTIE. CHAPITRE III.
-1862. nement français pensait que le cabinet de Madrid partageait
entièrement sa manière de voir Quelle fut donc sa sur-
prise en trouvant quelques jours plus tard, dans les expli-
cations données aux Gortès par M. Galderon Collantes une
approbation sans réserve de la marche suivie par le général
Prim et des préliminaires de la Soledad(^). »
Politique adoptée Plustard, TEspagnc ct l'Angleterre approuvèrent d'ail-
trois puissances Icurs Complètement la rupture de Palliance prononcée dans
de la rupture de la confércnce du 9 avril. Elles ne pouvaient s'associer, di-
saient-elles, à une politique qui « subordonnait à l'établis-
sement d'une monarchie, les intérêts directs et personnels,
qui avaient amené les alliés au Mexique » C^).
Le gouvernement français repoussait naturellement cette
accusation ; « ce n'était pas du camp français que devait
partir l'initiative de la régénération, mais bien du pays lui-
même, reprenant confiance, grâce à la présence des forces
françaises » (^). Toutefois, si l'attitude de l'Angleterre ne
le surprenait pas, il n'en était pas de même de celle de
l'Espagne. Il se croyait même autorisé à s'en plaindre.
M. Thoiivenel le fit dans une dépêche qu'il chargea l'am-
bassadeur à Madrid de remettre au premier secrétaire
d'État de la Reine.
c( La France et l'Angleterre n'étaient pas encore décidées à re-
courir aux mesures coercitives, contre un gouvernement qui mé-
connaissait tous ses devoirs, que l'Espagne, devançant notre accord,
s'était déjà préparée à réclamer les armes à la main l'exécution
toujours refusée du traité signé par M. Mon et par le général AI-
monte, et la réparation qui lui était due pour l'offense faite à son
représentant M. Pacheco Les trois puissances n'hésitaient pas
alors à reconnaître que le gouvernement de Juarez ne leur offrait
ni dans le présent, ni dans Tavenir, aucune des garanties qu'elles
(1) M. Thouvenel à M. Barrol. 15 avril 1862.
(2) M. Tliouvcnel à M. Barrot, 10 juin 1802.
(3) M, Tliouvpnol ;'i M. fif S;iliu;ny. :\\ iimi 1862.
l'A311R. JURIEN de la GRAVIÈRE ET LE GÉiN. DE LORENCEZ. 149
cherchaient;.... l'ardeur dont l'Espagne avait fait preuve en pré- ^ggj.
cédant les alliés au Mexique, semblait indiquer de sa part la vo-
lonté de se faire justice plutôt que de négocier;.... nous devons
constater qu'au moment où nos plénipotentiaires se sont séparés
de leurs collègues, le 9 avril à Orizaba, aucune offense n'était
vengée, aucun dommage n'était réparé, le but de la convention de
Londres n'était donc pas atteint. »
Au sénat et à la chambre des députés espagnols, la con-
duite du gouvernement fut du reste très-vivement attaquée ,
car il était difficile de regarder, comme un triomphe de la
diplomatie espagnole, la solution imprévue donnée à l'expé-
dition contre le Mexique, et la fierté castillane souffrait de
voir revenir si modestement le corps expéditionnaire dont
le départ pour les côtes du Nouveau-Monde avait été salué
avec tant d'enthousiasme.
En Angleterre, au contraire, le sentiment public se
montra généralement satisfait. On se félicitait de la pru-
dente attention avec laquelle les ministres anglais avaient
suivi la question mexicaine. Tout en conservant avec la
France les anciennes relations d'amitié, que rendait plus
précieuses encore la crainte d'un conflit avec les Etats-Unis,
ils avaient su éviter le danger d'une alliance trop étroite
avec un gouvernement dont la politique était engagée
d'une manière si aventureuse. Lorsque la question mexi-
caine avait commencé à se développer et que Sir Ch. Wyke
avait été envoyé au Mexique, on lui avait soigneusement
rappelé (*) qu'il n'était pas dans les habitudes du gouver-
nement anglais de s'interposer en faveur de ceux qui prê-
taient leur argent aux gouvernements étrangers, mais qu'il
fallait cependant réclamer la stricte exécution d'engage-
ments qui avaient pris le caractère d'obhgations interna-
(I) Lord Russell à SirCli. Wjke, 30 mars 1861. (Exeout. docum., 1861-62.)
150 1" PARTIE. — CHAPITBE IH.
/i 862. tionales, comme par exemple les prélèvements régulièrement
~ consentis sur le produit des douanes. Plus tard. Sir Ch.
Wyke ayant sollicité l'emploi de la force pour appuyer
ses réclamations, le gouvernement anglais s'était montré
disposé à unir son action à celle de la France, dont les
projets monarchiques ne s'étaient pas encore entièrement
révélés, et il se méfiait au contraire du concours de l'Es-
pagne, dont les tendances ultra-catholiques pouvaient de-
venir, craignait-il, préjudiciables aux intérêts protestants,
qu'il voulait protéger. Mais par suite de l'influence prise
par Sir Gh. Wyke sur le général Prim, cette crainte avait
disparu et la prépondérance avait été assurée aux idées
anglaises.
Tandis que le gouvernement français abandonnait presque
entièrement à M. de Saligny la direction de sa politique,
les ministres anglais continuaient à surveiller très-attenti-
vement la conduite de leurs agents. Ils les blâmèrent sévè-
rement d'avoir signé le manifeste, dans lequel il était
question de régénération du Mexique ; plus tard le commo-
dore Dunlop, en rendant compte de l'arrestation de Mira-
mon, ayant exprimé l'idée que la présence de ce person-
nage aurait été un obstacle à cette régénération du pays (*),
le gouvernement anglais, bien qu'approuvant l'arrestation
pour d'autres motifs, s'alarma des sentiments que cette
expression semblait indiquer chez son représentant et
donna immédiatement des ordres pour qu'il fût remplacé
dans son commandement ; puis il refusa de ratifier les
dépenses faites dans le but de mobiliser le contingent
anglais ; enfin, pour mieux se garantir contre tout entraîne-
ment chevaleresque, qui aurait pu amener les officiers
(1) (Towards Uie purification and welfare oi Mexico), 30 janvier 1862. —
Luid Russe» à Sir Wyke, 11 mars 1862.
l'amir. jurien de la gravière et le gén. de lorencez. 151
anglais à suivre les troupes franco-espagnoles dans une <862.
opération militaire vers l'intérieur, il prescrivit de rem-
barquer immédiatement le détachement anglais et de le
transporter aux îles Bermudes.
Les explications données par le commodore Dunlop lui
permirent de conserver son poste ; mais il fut très-heu-
reux que la courtoise obligeance de l'amiral Jurien lui vînt
en aide pour le débarrasser du convoi qu'il était menacé
de garder à son compte.
De son côté, Sir Gh. Wyke avait entamé des négociations
dans le but de ménager à l'Angleterre les avantages d'un
protectorat formel, à la condition qu'elle prêterait son
appui à Doblado pour renverser Juarez. Lord Russell
déclina encore toute ingérence de cette nature dans les af-
faires du pays. « Que le Mexique se sauve lui-même, si c'est
possible, sous l'administration de Doblado, le gouverne-
ment anglais ne désire rien de mieux » ; mais il ne veut
pas s'en mêler (*). Il félicitait au contraire ses agents
d'avoir, par la convention de la Soledad, dissipé les
craintes qu'aurait pu faire naître cet imprudent langage
autrefois employé et trop souvent répété de « Régénération
du Mexique, »
Il approuva ensuite la rupture de l'aUiance française;
mais il eut soin de ne pas donner trop d'importance à ce
différend, de le locahser en quelque sorte, et de conserver
toujours des rapports amicaux avec la France. Plus tard, il
exprima au gouvernement français, combien il était satis-
fait de pouvoir refuser sa sanction à la convention conclue
à Puebla entre Sir Wyke et Doblado, et confirma son désir
d'éviter tout ce qui pourrait augmenter le désaccord au
(') Sir Ch. Wyke à lord Russell, 23 février 1862. — Lord Russell à Sir Ch.
Wyke, 1" avril.
132 l'^ PARTIE. — CHAPITRE lll.
1862. sujet du Mexique, surtout dans un moment où les troupes
françaises éprouvaient des difficultés.
C'est par cette conduite sage, prudente, réservée, que
les ministres de l'Angleterre épargnèrent à leur pays les
épreuves que la France eut à subir.
Dès cette époque, au contraire, la politique française se
trouve irrévocablement compromise. Les grandes idées de
pondération et d'équilibre américain, d'indépendance et de
régénération des races latines, à la faveur desquelles, pen-
dant quelque temps, les projets d'intervention avaient pu
paraître ne manquer ni de noblesse, ni de grandeur, ne
s'aperçoivent plus que dans un vague lointain ; elles restent
seulement l'illusion généreuse de quelques esprits abusés.
Il faut que Juarez tombe et que les soldats français dressent
le pavois sur lequel montera l'archiduc Maximilien pro-
clamé empereur du Mexique. Tel est maintenant le but im-
médiat et bien défini assigné à l'expédition par le représen-
tant diplomatique de la France. Et pourtant le ministre de la
guerre écrivait au général de Lorencez en lui traçant un pro-
gramme qui ne put malheureusement être suivi : « En vous
établissant dans Puebla, vous donneriez un appui suffisant
au parti conservateur, s'il existe, pour se former, se pro-
duire, et amener les conditions d'un gouvernement qui offre
d'autres garanties de stabilité et de justice que celui qui
est étabUdans ce moment Ce plan aurait l'avantage, au
point de vue politique, de laisser aux partis le champ libre
pour se disputer le pouvoir dans les murs de Mexico, ainsi
que cela s'est pratiqué jusqu'à présent, et permettrait à
ceux qui ne veulent pas de Juarez de triompher sans que
vous fussiez compromis » (0.
") Lu minibtre de la guerre au général de Lorencez, 30 mai 1862.
■ > Du.nain,., UUpalr,- Ed.ii-up
C NUix_ Expédition du Me-XK^ip iBCl mu?, IM.uiclw
PLAN D'OAJACA
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«i: U-Mi3Sïtë!m/,-liin-f/,<//;
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Il" ^lolllo\.u-
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f . ^.
CHAPITRE QUATRIÈME.
SOMMAIRE.
Composition et situation du corps expéditionnaire. — Topographie du pays
entre Orizaba etPuebla. — Combat des Cumbres (28 avril 1S62). — Attaque de
Puebla (o mai). — Marche rétrograde de Puebla sur Orizaba. — Combat de
la Barranca-Seca (18 mai). — Mésintelligence entre le général de Lorencez et
M. de SaUgny. — Le général de Lorencez rétablit ses communications avec
Vera-Cruz. — DifiBcultés pour les appro\asionnements de livres. — Arrivée
du général Douay. — Situation politique. — Siège d"Ûrizaba par Tarméc
mexicaine. — Combat du Cerro-Borrego (i4 juin). — Mesures gouvernemen-
tales du général Almonte. — Marche des convois entre Orizaba et Vera-Cruz.
— Arrivée d'un premier renfort. — Lettre de l'Empereur au général de
Lorencez. — Départ du général de Lorencez.
Le corps d'armée du général de Lorencez avait un effec- Composition
' et situation du
lif de 7,300 hommes environ (^). corps
expéditionnaire.
0BG.^NIS.\TI0N DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE.
(*) Commandant en chef le général de division de Lorencez,
Chef d'état-major général le colonel d'état-major Letellier-Valazé.
Chef des services administratifs ... le sous-intendant militaire Raoul.
Commandant de l'artillerie le chef d'escadron Michel.
Commandant du génie le capitaine de Coatpont.
l i" bataillon de chasseurs à pied. . . . Commandant Mangin.
, ^ ^ 99° régiment de ligne Colonel L'Hériller.
de terre. J „ . .° , ° ,, , , ^
( 2' régiment de zouaves (.olonel Gambier.
Troupes ( Bataillon de marins fusiliers Cap. de frégate Allègre.
de marine. ( Régiment d'infanterie de marine. . . . Colonel IIe.vnioce.
2' escadron du 2' régiment de chasseurs d'Afrique. . Capitaine db Folxault.
154 l" PARTIE. — CHAPITRE IV.
1862. La santé des troupes était alors excellente ; seuls les sol-
dats de la première colonne, éprouvés parleur séjour pro-
longé dans la terre chaude, n'étaient pas encore com-
plètement remis de leurs fatigues.
On avait pu largement assurer les transports ; un grand
convoi portant 200,000 rations de vivres et 400,000 rations
de vin, se tenait prêt à suivre les colonnes dans leur
marche sur Puebla ; la situation matérielle était aussi bonne
que possible, et le soldat n'aurait pas eu à souffrir, si sa
solde n'eût été tout à fait insuffisante dans un pays où la
monnaie de billon est à peu près inconnue, et où la plus
petite pièce d'argent généralement employée (le medio-real,
environ 0 fr. 30) ne représente guère dans les échanges
plus de la moitié de la valeur qu'elle aurait en France (^).
Les installations du grand hôpital d'Orizaba avaient été
complétées ; on y laissa, sous la protection de deux compa-
gnies d'infanterie de marine et de deux pièces, environ
500 malades ou malingres appartenant pour la plupart
aux premiers détachements venus avec l'amiral.
Artillerie de terre : 1'^® batterie du 9^ rég. d'artillerie. Capitaine Bernard.
.... . r 2^ batterie d'artillerie de marine. . . . Capitaine Mallat.
\ Batterie d'obusiers de montagne servie
de marine, i , . T-iJo..-,
\ par les marins Lient, de vaisseau Bruat.
Génie : 6° compagnie du 2* régiment Capitaine Barillon.
Section du génie colonial.
1'^ comp. du 3" escadron du train des équipages.. . . Capitaine Torracinta.
(') Outre le medio, on trouve encore le quarlillo, petite pièce d'argent peu
répandue. La monnaie divisionnaire de billon est Irùs-rare; pour suppléer à son
insuffisance, certains grands hacenderos font frapper des médailles, sorte de monnaie
fiduciaire «jui , d'ordinaire, est facilement acceptée dans le voisinage de leurs
propriétés. Aux environs de Cordova, on voit même ces médailles de métal rem-
placées par de petits morceaux de savon marqués d'une estampille.
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 155
Le "21 avril au matin, le général de Lorencez, accompa- I862.
gné de M. de Saligny et du général Almonte, partit d'Ori-
zaba pour se porter sur Puebla. En déduisant de l'effectif
total les détachements laissés à Vera-Gruz el à Orizaba, les
malades et les non-valeurs, il restait environ 6,000 com-
battants. C'est avec cette poignée d'hommes que le général
de Lorencez allait, à 2,000 Heues de la patrie, tenter de
pénétrer au cœur d'un pays ennemi, dans des régions in-
connues et sous un climat dangereux ; mais, par ses qua-
lités militaires, par la valeur de chacun des éléments qui
la composaient, cette petite armée était une des plus belles
que l'on pût voir.
L'éloignement de la France, loin d'amoUir les courages,
inspirait en quelque sorte plus d'énergie au soldat ; il sem-
blait que dans ces régions lointaines du Nouveau-Monde,
la guerre avait quelques-uns des charmes de l'aventure. La
meilleure intelligence régnait alors entre les chefs militaires
et les hommes poUtiques qui les accompagnaient ; l'espoir
du succès était dans tous les cœurs.
Le général de Lorencez était plein de confiance. Il écri-
vait au ministre (') :
< Nous avons sur les Mexicains une telle supériorité de race,
d'organisation, de discipline, de moralité, et d'élévation de senti-
ments que je prie Votre Excellence de vouloir bien dire à l'Empe-
reur que dès maintenant à la tête de ses 6,000 soldats, je suis le
maître du Mexique.
«. Je regretterais profondément que les correspondances offi-
cielles ou particulières, eussent détourné l'Empereur de ses projets
sur le Mexique et qu'elles eussent fait hésiter le prince Maximilien
à accepter la couronne que Sa Majesté voulait lui mettre sur la tête.
Je suis de plus en plus convaincu que la monarchie, ainsi que j'ai
(1) Le général de Lorencez au ministre, 26 avril 1862.
et Puebla.
156 l" PARTIE. CHAPITRE IV.
1862. déjà eu l'honneur de l'écrire à Votre Excellence, est le seul gou-
~ vernement qui convienne au Rlexique, et je suis également assuré
qu'en très-peu d'années ce pays, bien gouverné, jouira d'une pros-
périté inouïe. »
Topographie Deux roLites Conduisent d'Orizaba sur le plateau d'Ana-
du pays , ,, . .
entre Orîzaba huac ; l'une, qui avait été déjà parcourue en partie par les
troupes de l'amiralJurien, suit l'étroite vallée du RioBlanco
et franchit, aux Cumbres d'AcuItzingo, la grande chaîne qui
limite la terre tempérée. La deuxième traverse les mon-
tagnes aux Cumbres de Maltrata; elle est fort difficile,
quoique à la rigueur praticable aux voitures, et vient abou-
tir à San Andrès Chalchicomula. Le général de Lorencez
suivit la première de ces routes.
Le général Zaragoza, gêné par la présence à Matamores
de Izucar de quelques milliers d'hommes des bandes réac-
tionnaires, se retira d'abord au delà des montagnes à San
Agustin del Palmar, d'où il pouvait surveiller à la fois les
routes d'Orizaba et celles de Matamores.
Mais le gouvernement de Juarez ayant obtenu la neutra-
lité de Zuloaga, un des principaux chefs delà réaction, le
général Zaragoza, dégagé en grande partie des préoccupa-
tions qui lui venaient de ce côté, se porta de nouveau en
avant et vint prendre position aux Cumbres, le jour même
où le général de Lorencez sortait d'Orizaba.
Les Cumbres d'AcuItzingo forment, comme nous l'avons
dit, une partie du soubassement du plateau d'Anahuac. Ce
sont deux épaisses murailles presque verticales, séparées par
une étroite vallée, qui court du nord au sud et débouche sur
Tehuacan(0. C'est sur cette forte position, presque impos-
sible à tourner, que le général Zaragoza résolut d'attendre
-') Voir le plan.
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 137
les troupes françaises. Il avait environ 4,000 hommes di- 1862.
visés en cinq brigades d'infanterie, trois batteries de
montagne de 6 pièces et deux cents cavaliers. Il les ré-
partit de la manière suivante : à sa droite une brigade sous
les ordres du colonel Escobedo ; au centre, défendant la
route et les bâtiments en partie ruinés d'un ancien presidio,
une brigade commandée parle général Arteaga ; à sa gauche
la brigade du général Negrete. En arrière, sur le sommet
des grandes Gumbres, une brigade en première réserve ;
plus en arrière encore, sur les pentes des deuxièmes Gum- •
bres, une autre réserve formée par la brigade du général
Porfirio Diaz avec une batterie de 6 pièces.
Le général de Lorencez, après avoir bivouaqué, le 27 des^cïmbrcs
avril, à l'hacienda de Tecamalucan, prit possession du vil- -^ 3^''' ^^^-•
lage d'Acultzingo, le lendemain matin vers neuf heures; il
y étabht son camp. Depuis le départ d'Orizaba, on n'avait
aperçu que quelques éclaireurs ennemis chargés de surveil-
ler les mouvements de la colonne française. Les renseigne-
ments s'accordaient à dire que le général Zaragoza se repliait
sur Mexico et que le passage des Gumbres était libre ; on
campa donc à Acultzingo, croyant n'avoir devant soi que
quelques escadrons de cavalerie et sans se douter de la
proximité de l'ennemi, dont les forces étaient dissimulées
derrière les escarpements de la montagne. Mais vers une
heure et demie, une compagnie de zouaves, ayant commen-
cé à gravir les hauteurs pour prendre une position de
grand'garde, fut accueillie par une vive fusillade, et presque
aussitôt l'ennemi démasqua le feu de ses batteries.
Le général de Lorencez fit immédiatement prendre les
armes et se décida à forcer le passage le jour même. Il
donna l'ordre au bataillon de chasseurs à pied de se por-
ter en avant et d'engager l'aclion. Doux compagnies gravi-
1S8 )'' PARTIE. • — CtlAPÏTRE iV.
1862. rent les pentes de droite de la montagne pour enlever la
batterie que les Mexicains avaient établie sur un contre-fort
et dont le feu commandait la route. Au centre, deux autres
compagnies et la compagnie de grand'garde des zouaves,
suivirent les sentiers rocailleux sur le flanc des hauteurs ;
à gauche, les deux dernières compagnies s'avancèrent sur
la route, marchant droit sur les ruines du presidio, où l'en-
nemi s'était fortement retranché. La cavalerie, qui ne pou-
vait être utilisée dans la circonstance, fut massée derrière
un mouvement de terrain.
Les Mexicains étaient trop supérieurs en nombre, et leur
position trop forte, pour que les chasseurs à pied pussent
suffire à les déloger. Le général de Lorencez fit soutenir
les chasseurs par un bataillon du 2* zouaves ; deux com-
pagnies de ce bataillon allèrent appuyer la compagnie de
zouaves, qui se trouvait déjà au centre; deux autres se por-
tèrent à l'aile gauche.
Dès que les zouaves eurent rejoint les premiers détache-
ments engagés, l'offensive fut reprise avec vigueur ; mais le
feu de l'ennemi arrêta encore l'élan des troupes ; il fallut
envoyer de nouveaux renforts. Enfin, à trois heures, le
presidio fut enlevé; une compagnie, qui avait débordé
la droite de l'ennemi, atteignit le coi de la montagne, re-
poussa à la baïonnette les attaques des Mexicains, qui pen-
saient l'écraser sous leur nombre, et couronna les hauteurs
de gauche. Bientôt après, deux compagnies de zouaves
couronnèrent également les hauteurs de droite; ce mouve-
ment détermina l'ennemi à abandonner définitivement la
position et à se retirer au delà du Puente Colorado au pied
des deuxièmes Cumbres. Les zouaves le suivirent de près;
mais la nuit approchant, ils reçurent l'ordre de s'arrêter en
avant du pont et de ne plus répondre à son feu.
LE GÉNÉRAL HE LORENCEZ. lo9
Pendant ce combat, le général de Lorencez s'était avancé 1862.
sur la route avec le 99® de ligne et le bataillon de marins
qui, formant la réserve, montaient lentement sac au dos.
Il établit ces troupes au bivouac, sur le col même, afin de
surveiller les mouvements de l'ennemi, et fit redescendre
les zouaves et les chasseurs sur Acultzingo, où ils avaient
laissé leurs bagages.
Dans cette journée, huit compagnies du 2® zouaves et six
compagnies du l'^'' bataillon de chasseurs à pied avaient en-
levé, après un combat de trois heures, une position formi-
dable, sur une hauteur de 600 mètres d'élévation, que le
général ennemi considérait, ajuste titre, comme l'obstacle
le plus sérieux à opposer à la marche des troupes françaises.
Les Mexicains l'avaient défendue avec une division de
4,000 hommes (dont 2,000 seulement furent engagés),
200 cavahers et 18 pièces d'artillerie. Il ne fut pas pos-
sible d'évaluer leurs pertes. Celles de la colonne française
ne s'élevèrent qu'à deux hommes tués et 32 blessés. Deux
obusiers de montagne et vingt prisonniers restèrent entre
ses mains.
Le général Zaragoza se replia avec le gros de ses troupes
sur San Augustin del Palmar. La brigade Escobedo, ayant
été rejetée fort à gauche, fut obligée de se retirer par la roule
de Tehuacan.
Le 29 avril, le général de Lorencez ayant laissé le batail-
lon de chasseurs au Puente Colorado pour protéger le pas-
sage du convoi, franchit lui-même les deuxièmes Cumbres
avec le reste de ses troupes. Il s'arrêta au village de la Ca-
nada de Ixtapan, à 10 kilomètres de Puente Colorado, pour
attendre ses voitures, dont les dernières ne le rejoignirent
que le 30 au soir.
160 l'^ PARTIE. CHAPITRE IV.
1862. Le corps expéditionnaire était alors arrivé sur le grand
plateau d'Anahuac, au centre duquel est bâtie la Puebla de
los Angeles, riche et populeuse cité, la deuxième ville du
Mexique O.
Cette contrée, dont l'altitude est de 2,200 mètres, jouit
d'un climat sain et tempéré ; elle est couverte de riches
haciendas et de nombreux villages, autour desquels se cul-
tivent toutes les céréales d'Europe. Dominée à l'est par le
pic d'Orizaba, la vallée de Puebla est limitée à l'ouest par
la chaîne volcanique du Popocatepelt et de l'Ixtaccihualt,
qui la sépare de la vallée de Mexico C^). La fonte réguhère
et constante des neiges, qui couvrent ces énormes monta-
gnes, alimente les ruisseaux et les canaux artificiels dont
les eaux, réparties sur les cultures environnantes, entre-
tiennent dans l'atmosphère une fraîcheur inconnue à la
plupart des autres provinces du Mexique.
Le corps d'armée du général de Lorencez partit de la
Gaîïada le l^"" mai et arriva le même jour au village de San
Agustin del Palmar , suivant de très-près les troupes mexi-
caines , dont la ligne de retraite était jalonnée par les
incendies des meules de paille qui abondent sur le plateau.
Le 2 mai, la colonne s'arrêta au grand village de Quet-
cholac ; le jour suivant à Acatzingo ; le 4 mai, elle atteignit
Amozoc, petite ville à 16 kilomètres en avant de Puebla.
Ces marches s'étaient effectuées sans difficultés et sans
trop de fatigues. Les pluies torrentielles, accompagnées de
(*) Mexico compte 210,000 habitants environ ; Puebla, 74,000; Guadalajara.
72,000.
(2) Le Popocatepelt est à une altitude de 5,419 mètres.
L'Ixtaccihualt 4.779
Le pic d'Orizaba o,475
La limite des neiges éternelles est à 4,000
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 161
tonnerre et d'éclairs, particulières dans cette saison aux 4862.
pays tropicaux, commençaient cependant à tomber jour-
nellement ; mais, à cette époque, les orages n'éclatent que
vers 4 heures du soir, et les matinées sont presque tou-
jours belles. Le sol n'était pas encore détrempé par les
pluies ; elles avaient au contraire l'avantage de faire dispa-
raître la poussière qui, pendant la saison sèche, s'accumule
en quantité énorme sur les routes et rend la marche très-
fatigante; aussi les soldats étaient-ils toujours bien dispo-
sés, bien portants et remplis d'énergie.
Ce fut seulement à Amozoc que le général de Lorencez
eut connaissance des projets de l'ennemi. Le général Zara-
goza était résolu, disait-on, à se défendre à outrance dans
Puebla, où il s'était renfermé avec une forte garnison ; les
rues en étaient barricadées et armées de canon. Jusqu'alors
aucun avis précis n'avait été donné à l'armée française ; les
populations, celles même qu'on disait appartenir au parti
réactionnaire, restaient très-froides 0) ; quant aux contin-
gents que devaient amener Marquez, Gobos et les autres
chefs, on n'en avait aucune nouvelle. Dans la soirée, un
ingénieur mexicain, qui fut présenté au général de Loren-
cez lui procura quelques renseignements sur la place.
Puebla est une ville ouverte ; elle est construite réguliè-
rement, les rues se coupent à angle droit, et chaque îlot de
maisons ou cadre forme une sorte de forteresse carrée, très-
efficacement flanquée par les barricades des rues. De nom-
breux couvents, dont les murs soUdement bâtis ont plusieurs
mètres d'épaisseur, servaient de point d'appui à la défense
intérieure ; en les reliant par des communications couvertes,
l'ennemi en avait formé au centre de la place un vaste ré-
(') Le général de Lorencez au ministre, 22 naai.
H
162 l'* PARTIE. — CHAPITRE IV.
1862. duit, que le général de Lorencez ne pensait pas pouvoir
enlever de vive force. La ville est commandée, à un kilomètre
au nord-est, parle Cerro de Guadalupe, colline d'un re-
lief de 102 mètres, aux pentes abruptes et sur laquelle est
construit un couvent. L'ennemi l'avait fortifié et garni
d'artillerie. Ce mamelon se prolonge, vers l'ouest, par une
crête de 1200 mètres environ de longueur, dont l'extré-
mité (en contre-bas de 50 mètres du couvent de Guadalupe)
est couronnée par un petit fort carré en maçonnerie ap-
pelé Loreto.
L'ingénieur mexicain, rappelant les épisodes des guerres
civiles, pendant lesquelles la ville avait toujours été atta-
quée et enlevée par le sud, donnait l'avis de négliger les
fortifications de Loreto et de Guadalupe, d'un accès fort
difficile, et dont l'artillerie ne devait avoir du reste que peu
d'action contre une attaque faite sur la partie opposée de
la ville. Appuyé dans son opinion par les commandants du
génie et de l'artillerie, le général de Lorencez pensa, au
contraire, qu'il était imprudent d'aller se heurter contre les
massifs de maçonnerie et les barricades de la ville, et qu'il
était préférable d'enlever les forts.
Attaque Le 5 mai, au point du jour, l'armée française quitta Amo-
5 mai. zoc, ct à ncuf hcurcs et demie du matin, ayant dépassé les
mouvements de terrain qui masquaient son horizon, elle
se trouva en vue de Puebla.
Le général Zaragoza avait environ 12,000 hommes com-
mandés par les généraux Negrete, Berriozabal, Diaz, Lama-
drid, Tapia et Alvarez (ce dernier commandant de la cava-
lerie) ; il avait envoyé une partie de ses troupes aux ordres
des généraux Carbajal et O'Horan du côté d'Atlixco et de
Matamoros, pour arrêter les bandes réactionnaires qui ten-
LE GÉNÉRAL DE LOREKCEZ. 163
teraient de rallier l'armée française; il se tenait sur la dé- -1862.
fensive dans la ville et avait fait occuper les hauteurs par la
division Negrete (*), forte de 1200 hommes avec 2 batteries
de campagne et de montagne ; le reste des troupes mexi-
caines attendaient l'attaque du côté de la plaine.
Après une reconnaissance trop rapide pour être complète,
le général de Lorencez persista dans son intention de faire
attaquer le Gerro de Guadalupe.
En arrivant d'Amozoc, on ne pouvait pas apercevoir le
fort de Loreto, entièrement caché par le couvent ; il était
probable que les pentes qui y conduisaient étaient moins
roides que celles de l'autre extrémité, mais pour l'abor-
der, il eût fallu exécuter un grand mouvement tournant
pendant lequel les troupes auraient été longtemps expo-
sées au feu de l'ennemi et se seraient trop éloignées du
convoi que l'on faisait masser près de l'hacienda de los
Alamos.
L'attaque de Guadalupe ayant donc été définitivement
résolue, des rampes praticables à l'artillerie furent ouvertes
le long d'un ravin qu'on devait traverser, et les troupes
arrêtées à 3 kilomètres de la ville firent le café.
A onze heures, les dispositions suivantes furent prises :
La colonne d'attaque, formée de deux bataillons de
zouaves ayant entre eux les dix pièces d'artillerie, traversa
le ravin et appuya sur la droite de manière à aborder les
(1) Le général Negrete, ancien chef réactionnaire, s'élaitrallié au gouvernement
de Juarez au moment de l'invasion étrangère; il résista à toutes les suggestions
et ne voulut pas se joindre à Alinonte ; il en était de même de O'Horan, ancien
aide de camp et secrétaire particulier de Marquez. — Le général OHoran adhéra
plus tard à l'empire ei fut fusillé sur l'ordre de Juarez après la chute de l'empe-
reur MaxJmilien ; quant à Negrete , qui fut pendant quelque temps ministre de
la guerre de Juarez , il reprit les armes contre le gouvernement libéral aussitôt
que les troupes françaises eurent quitté le Mexique.
164 l" PARTIE. CHAPITRE IV.
4862. hauteurs par les pentes les moins rapides. Le régiment
d'infanterie de marine resta en réserve ; les fusiliers marins
et la batterie de montagne se dirigèrent vers la droite
de la colonne d'attaque, afin d'en protéger les derrières
contre la cavalerie ennemie.
A la gauche de la ligne de bataille, le bataillon de chas-
seurs fit face aux corps mexicains en position dans la plaine
et qui avaient poussé quelques tirailleurs en avant. Le 99'
de ligne et quatre compagnies d'infanterie de marine furent
chargés de la garde du convoi. L'escadron de chasseurs
d'Afrique s'avança derrière les colonnes d'infanterie, et une
ambulance volante fut de suite établie dans les bâtiments
de l'hacienda Rementeria. L'artillerie ayant ouvert le feu à
2,000 mètres environ, tira pendant trois quarts d'heure
sans résultat appréciable ; les pièces furent alors portées
plus à droite afin de battre directement la face de l'ou-
vrage sur laquelle l'assaut devait être donné ; mais par
suite du relief du sol, plus on s'approchait, moins on avait
de vue sur les fortifications et moins le tir de l'artillerie,
dirigé de bas en haut, pouvait être efficace ; celui des batte-
ries ennemies, parfaitement servies, était au contraire fort
meurtrier.
Le général Zaragoza, qui n'avait pas prévu une attaque
dans cette direction, envoya en toute hâte la brigade Berrio-
zabal sur le Gerro de Guadalupe, renforcer la division
Negrete, et fit sortir delà place, derrière Loreto, un corps
de cavalerie, destiné à charger à son extrême gauche sur
les colonnes d'attaque. Avec le gros de ses troupes, il prit
position : sa gauche (brigade Lamadrid) appuyée au Cerro
Guadalupe, sa droite (division Diaz) à l'église de los Remé-
dies, dans le faubourg de la ville ; lo reste de sa cavalerie
étant à son extrême droite.
LE GÉNÉRAL DE LOREKCEZ. 163
Après une heure et quart de canonnade, l'artillerie 4862.
française avait dépensé 1000 coups environ, c'est-à-dire
la moitié de ses munitions, et les défenses de l'ennemi
n'étaient pas encore endommagées ; le général de Lorencez
se résolut néanmoins à tenter une attaque de vive force.
Les deux bataillons de zouaves étaient déjà arrivés à mi-
côte ; il fit avancer quatre compagnies de chasseurs à pied
et leur prescrivit de gravir les pentes à la gauche des
zouaves, de manière à diviser l'attention de l'ennemi ; deux
compagnies de ce bataillon restèrent seules dans la plaine
faisant face à la gauche de l'armée mexicaine. Le 1" batail-
lon de zouaves, la batterie de montagne, le bataillon de
marins et l'infanterie de marine durent obliquer à droite,
en s'abritant le plus possible des feux de Loreto, et prendre
la position à revers ; une| section du génie munie de plan-
ches à échelons fut jointe à chacune des colonnes.
Le signal de l'assaut est donné.
Les chasseurs à pied, arrivés près des zouaves du 2^ ba-
taillon, s'élancent avec eux sur le couvent de Guadalupe et
luttent d'héroïsme pour escalader ces formidables posi-
tions encore intactes. C'est en vain que sous un feu terrible
ils franchissent un profond fossé, obstacle aussi sérieux
qu'inattendu ; quelques-uns parviennent à se hisser sur le
mur, mais leurs efforts ne peuvent rien contre un solide
réduit organisé autour de l'église et défendu par trois étages
de feux superposés ; tous tombent glorieusement, à l'ex-
ception du clairon Roblet, qui se maintient quelque temps
en sonnant la charge.
Pendant cet assaut le l'^'" bataillon de zouaves prononçait
son mouvementplus à droite; mais il fut reçu par une vio-
lente fusillade de cinq bataillons mexicains, massés entre
Guadalupe et Loreto; en même temps les batteries de Loreto
166 l" PARTIE. — CHAPITRE IV.
jusqu'alors invisibles et silencieuses, entraient en action
et prenaient d'écharpe la colonne d'attaque. L'arrivée
du bataillon de marins et des compagnies d'infanterie
de marine ne permit pas de triompher de la résistance
d'un ennemi trop supérieur en nombre et parfaitement
abrité.
Au même moment, la cavalerie mexicaine, sortie de Pue-
bla derrière Loreto, chargeait ces troupes à l'improviste
et les obligeait à s'arrêter.
D'un autre côté les deux compagnies de chasseurs à pied,
restées seules dans la plaine, se voyaient enveloppées par
une nuée de cavaliers. Elles se formèrent en carré avec un
admirable sang-froid, et malgré des pertes sensibles ne se
laissèrent pas entamer.
« Ces deux compagnies firent une défense telle, dit le
rapport du général de Lorencez, que je ne savais qui ad-
mirer le plus, ou de ceux qui marchaient sous le feu de
Guadalupe, ou des chasseurs qui, sans s'étonner du nombre
des ennemis qui les entouraient, se rallièrent avec le plus
grand calme et tuèrent ou dispersèrent les cavaliers qui se
précipitaient sur eux. »
Le général de Lorencez se disposait encore à lancer
deux compagnies de zouaves qu'il tenait en réserve, lors-
qu'éclata un orage terrible, accompagné d'énormes grê-
lons ; les pentes devinrent si glissantes que les hommes
pouvaient à peine s'y tenir debout. Il était alors quatre
heures ; l'impossibiHté de soutenir la lutte plus long-
temps étant démontrée, le général de Lorencez fit battre en
retraite.
Les bataillons se rallièrent au pied du Cerro de Guada-
lupe, reprirent leurs sacs qu'ils y avaient déposés, et res-
tèrent en position pour empêcher tout mouvement offensif
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 167
de l'ennemi pendant l'évacuation des blessés, qui furent ^862.
transportés à l'hacienda de los Alamos.
Il faisait presque nuit lorsque cette opération fut ter-
minée ; les troupes se replièrent par échelons, sans être
inquiétées ; à neuf heures du soir , elles étaient établies
au bivouac.
Dans cette journée, la division du général de Lorencez
perdit 476 hommes, chiffre considérable relativement à son
effectif (') ; l'ambulance comptait alors, tant malades que
blessés, 345 hommes. D'après le rapport du général Zara-
goza, les Mexicains eurent 83 hommes tués, 132 blessés et
112 disparus. Le général de Lorencez songea un instant à
renouveler l'attaque sur un autre point; mais la crainte
d'exposer sa petite armée à un nouvel échec lui ht bientôt
abandonner ce projet, et il se détermina à rétrograder sur
Orizaba.
O Ces pertes se décomposent ainsi :
TDÉS ou DISPARUS. BLESSÉS.
Etat-major Le sous -intendant Raoul, tué.
1 " bataillon de chasseurs. . . 4 oflîc". 31 hom*'. o ofiîc". 68 hom^'.
99« régiment de ligne 1 » » 2
2' régiment de zouaves (j 80 6 122
Bataillon de marins 1 8 6 33
Rég. d'infanterie de marine. . 3 36 2 03
Artillerie » 4 » 4
Génie » » >> 3
Totaux 10 ollic". 4o6liom«". 19 oflic". 285 liom'".
Total général 476 hommes (a).
(*) Sur ce chiffre, 1 officier, S2 homme-, avaient été blessés et faits prisonniers; 2 hommes valide»
seuls étaient looibés aux mains de l'euncmi.
.(/oarnal des marche» du u mai et du 29 juiu/]
168
1" PARTIE. CIlAPITi'.E IV.
4862.
Marche
rétrograde
de Puebla sur
Orizaba.
Le 6 mai, il porta son campement un peu plus en arrière,
sur les cerrosde Amalucan et de las Navajas, qui dominent
la plaine et ne sont éloignés de Puebla que de trois kilo-
mètres. 11 y resta toute la journée du 7 et une partie de la
journée du 8, autant dans l'espoir d'attirer et de battre les
Mexicains en rase campagne, que pour attendre le général
Marquez, dont M. de Saligny et le général Almonte ne ces-
saient d'annoncer la prochaine arrivée. Le premier jour,
une colonne de cavalerie s'approcha du camp des zouaves,
mais elle y fut si vigoureusement reçue, qu'elle prit la fuite
en laissant plusieurs morts sur le terrain, et ne reparut plus.
Les reconnaissances de l'ennemi se tinrent, dès lors, à
bonne distance des avant-postes.
Enfin, le 8, à 4 heures du soir, ayant bien établi par un
séjour prolongé devant la ville, que s'il avait échoué contre
des obstacles insurmontables, l'ennemi de son côté n'avait
pas osé sortir de ses retranchements, toutes les promo-
tions en remplacement des officiers et sous-officiers tués
ayant été régularisées, tous les blessés ayant été opérés,
le général de Lorencez commença à faire défiler son convoi
sur la route d'Amozoc, et se retira ensuite dans le plus
grand ordre.
Les Mexicains furent encore plus étonnés que l'ar-
mée française du succès obtenu par eux le 5 mai. La vic-
toire « des enfants de VAnahuac sur les premiers soldats du
monde » fut proclamée avec enthousiasme dans toute la
république. « C'est la justice de notre cause qui nous a
donné la victoire , et l'amour de la patrie qui a sauvé
la France en 1792 nous sauve de même aujourd'hui. )>
(( Les aigles françaises ont traversé les mers pour
venir déposer au pied du drapeau mexicain leurs lauriers
de Sébaslopol, de Magenla et de Solférino, dit le général
LE GÉ>ÉRA.L DE LORENCEZ. 169
Berriozabal dans son ordre du jour; vous avez combattu ise:
les premiers soldats de l'époque et vous êtes les premiers
qui les ayez vaincus (*). »
Le congrès, sur le point de se séparer, remit de pleins
pouvoirs entre les mains de Juarez.
Les généraux mexicains rendirent du reste pleinement
hommage à la bravoure de l'armée française ; ils admirè-
rent moins les dispositions d'attaque prises par le général
de Lorencez : « L'armée française s'est battue avec un
grand courage, dit le rapport du général Zaragoza; son
général en chef s'est comporté avec peu d'habileté dans
l'attaque ('). »
Il était difficile en effet d'enlever de vive force les fofts
de Guadalupe et de Loreto. L'officier mexicain, que le gé-
néral de Lorencez avait vu à Amozoc, avait bien dit que ce
n'était pas le point d'attaque le plus favorable ; mais on
l'avait pris pour un agent de Juarez et l'on s'était méfié
de ses avis.
La tête de la colonne française n'était arrivée près de
Los Alamos qu'à 9 heures. L'attaque, ayant commencé à
1 1 heures et demie, n'avait pas été précédée d'une re-
connaissance suffisante des positions ennemies. Mise en
batterie à 2,000 mètres, la nature du terrain ne lui per-
mettant pas, il est vrai, de se rapprocher beaucoup plus,
l'artillerie de campagne ne pouvait à cette distance ouvrir
des brèches ; dans ces conditions, il était difficile d'espérer
prendre de vive force des fortifications en maçonneries
bien garnies de feux d'artillerie et de mousqueterie. Le gé-
néral de Lorencez prétendit rendre MM. Almonte et de Sa-
^') Ordre du jour du 7 mai, reproduit dans la Cronisla du 15 mai.
(2) El ejercito frances se ha batido con muclia bizarria ; su gênerai en gcfe se
ha portado con torpesa en el attaque.
170 l'' PARTIE. — CHAPITRE IV.
4862. ligny responsables de cet insuccès, en leur reprochant de
l'avoir trompé sur les dispositions morales de l'ennemi. Ils
lui avaient dit, en effet, que la ville accueillerait avec plai-
sir les Français et que ses soldats seraient couverts de fleurs ;
mais, avant tout, il s'agissait d'y pénétrer, et par consé-
quent d'enlever une position dans laquelle l'armée ennemie
était solidement retranchée. Les sympathies de la popula-
tion de Puebla ne pouvaient exercer aucune influence sur
le résultat de cette opération militaire.
Le général de Lorencez ressentit un vif chagrin de
l'échec qu'il avait subi ; mais il se montra à hauteur des
devoirs nouveaux que lui imposaient les circonstances. Il
sut maintenir le moral du soldat ; son petit corps d'armée
ne passa pas de la confiance aveugle au découragement, et
la retraite de cette poignée de Français fut aussi mena-
çante que l'avait été leur marche en avant. Il ramena ses
troupes avec calme, et conservant tout le prestige de son
drapeau, il se disposa à rester à Orizaba jusqu'à l'arrivée
de renforts.
Cédant aux instances nouvelles du général Almonte et
de M. de Saligny, qui le pressaient d'attendre encore les
troupes du général Marquez, le général de Lorencez sé-
journa à Amozoc le 9 et le 10 mai. Mais il n'y fut rejoint
que par une dizaine de cavaliers amenés par le général
Lopez. Le mouvement de retraite fut repris le 11 mai. La
colonne s'arrêta successivement :
le 11 mai à Tepeaca,
le 12 mai à Acatzingo,
le 13 mai à Quecholac,
le 14 mai àPalmar,
le 15 mai à la Canada.
On aperçut, mais toujours hors de portée, de nombreux
LE GÉNÉRAL DE LORENCKZ. 171
partis ennemis ; cependant, à Palmar, l'avant-garde ayant ^862.
tourné rapidement le village, enveloppa et fit prisonniers
22 cavaliers.
Le général de Lorencez pensait trouver quelque résis-
tance au passage des Gumbres : des abatis et des cou-
pures avaient effectivement été préparés sur la route,
mais aucun ennemi ne parut, et, le 16 mai, la colonne
arriva sans encombre à Acultzingo. Le 17, l'ambulance
fut transportée à Orizaba ; le général en chef s'arrêta à
Tecamalucan.
Un officier mexicain de l'armée réactionnaire se présenta
alors aux avant-postes et annonça que la cavalerie de Mar-
quez, forte de 2,500 chevaux, défilait par les sentiers des
montagnes pour faire sa jonction avec l'armée française. Le
général Marquez arriva lui-même une heure après. Il dit
qu'il venait de Matamoros de Izucar (à 70 kil. au sud de
Puebla); un détachement de l'armée de Zaragoza, envoyé
contre lui, l'avait empêché de rallier plus tôt. Il confirma
l'arrivée prochaine de sa cavalerie.
Le 18 mai, le corps expéditionnaire rentra à Orizaba, à
l'exception des deux bataillons du 99^ et de la batterie de
montagne laissés à Ingenio à 6 kilomètres de la ville, pour
garder cette position, qui commande la vallée du Piio Blanco
et la route de Puebla.
Cependant les Mexicains qui suivaient pas à pas le mou- Combat
vement de l'armée française, d'assez loin toutefois pour évi- ^'"^^^'jjg^''^-
ter un engagement, avaient déjà une avant-garde de 500
chevaux sous les ordres du général Tapia, entre Acultzingo
et Tecamalucan, près de la Barranca Seca. C'est sur ce
point que vient aboutir le chemin de montagne suivi par la
cavalerie de Marquez, seule issue par laquelle elle pouvait
descendre dans la vallée du Rio Blanco. Dès le commen-
172 i" l'ARTIE. CHAPITRE IV.
<862. cernent de la journée, des groupes de cavaliers étaient
arrivés à la débandade et dans un état d'épuisement qui
inspirait la pitié.
Le général Tapia ne s'était pas cru assez fort pour barrer
complètement le passage ; vers 3 heures du soir seulement,
ayant été rejoint par environ 1400 hommes d'infanterie,
il attaqua avec vigueur la cavalerie réactionnaire. Mais, à la
même heure, le commandant Lefebvre partait d*'Ingenio
avec un bataillon de 450 hommes du 99^ de hgne pour
lui porter secours ; franchissant rapidement les 14 kilomè-
tres qui le séparaient de la Barranca Seca, il atteignit vers
5 heures le lieu du combat. Les troupes du général Mar-
quez étaient alors dans une position des plus critiques.
Le général Tapia, appuyant sa droite à un mamelon pier-
reux, avait fait franchir le ravin à plusieurs de ses batail-
lons; une partie du corps de Marquez était déjà coupé
de la route. Le bataillon du 99^ se déploya rapidement et
s'élança au pas de course. Les trois compagnies de droite,
précédées de tirailleurs, poussèrent vigoureusement le
centre et la gauche de l'ennemi, le culbutèrent à la baïon-
nette et refoulèrent sa cavalerie, tandis que les trois compa-
gnies de gauche se dirigeaient sur le mamelon et en gravis-
saient les pentes malgré un feu très-vif. Cet élan dégagea
les cavaliers du général Marquez, qui sut en profiter avec
décision et habileté ; passant derrière l'infanterie fran-
çaise , ils chargèrent vigoureusement la gauche de l'en-
nemi. Le succès du combat était déjà assuré, mais cette
manœuvre fit tomber entre les mains des Français et de
leurs auxiliaires un nombre considérable de prisonniers.
L'action, commencée à 5 heures et demie, était terminée
à 6 heures et quart ; les Mexicains étaient en pleine déroute.
Une heure plus tard les troupes victorieuses quittèrent à
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 173
leur tour le champ de bataille et vinrent bivouaquer à <862.
l'hacienda de Tecamalucan. Dans ce combat, auquel les
contingents de Marquez durent leur salut, l'ennemi perdit
un drapeau, 1200 prisonniers, dont 400 cavaliers, environ
100 morts et le double de blessés ; le bataillon du 99*^ eui
2 tués et 26 blessés ; les pertes des Mexicains alliés furent
d'environ 200 hommes O.
Le combat de la Barranca Seca inspira une grande cir-
conspection à l'ennemi ; le général de Lorencez put alors
s'occuper d'organiser ses cantonnements à Orizaba et cher-
cher à rétablir ses communications avec la mer.
En rendant compte de la résistance inattendue qu'il avait
trouvée à Puebla, le général de Lorencez sollicita l'envoi
au Mexique d'un matériel de siège de 12 canons et de 4
mortiers et de renforts suffisants pour élever l'effectif de
l'armée à 15 ou 20,000 hommes. Ses idées s'étaient consi-
dérablement modifiées depuis sa lettre du 26 avril. Il le
manifesta dans un ordre du jour à l'armée.
î Soldats et marins ! »
« Votre marche sur Mexico a été arrêtée par des obstacles ma-
tériels auxquels vous deviez être loin de vous attendre, d'après les
renseignements qui vous avaient été donnés ; on vous avait cent
fois répété que la ville de Puebla vous appelait de tous ses vœux
et que sa population se presserait sur vos pas pour vous couvrir
de fleurs. C'est avec la confiance inspirée par ces assurances trom-
peuses que nous nous sommes présentés devant Puebla »
Il accusait M. de Saligny de tout ce qui était arrivé ; il
avait rompu ses relations avec lui, et s'exprimait sévère-
ment sur son compte dans sa correspondance avec le mi-
(') Le général de Lorencez au niiiiistr(\ -li mai. — Rnpportdu génrral Zara-
goza (Cronista du lo mai au l;j juin).
-1862.
Le général
de Lorencez
rétablit
ses
communications
avec Vera-Cruz.
174 l""" PARTIE. — CHAPITRE IV.
nistre de la guerre. I] lui supposait le projet de faire enle-
ver le courrier de l'armée afin d'empêcher les rapports du
quartier général d'arriver en France. Il lui reprochait en
termes très-durs des habitudes incompatibles avec la dignité
de son rang et témoignait même l'intention de le faire arrê-
ter. Le général en chef ne se montrait pas plus satisfait du
général Almonte ; il se félicitait au contraire de ses bonnes
relations avec le général Marquez. Ces débats furent des
plus pénibles. Il nous suffit de les avoir indiqués pour
bien établir le changement qui s'était opéré dans l'esprit
du général de Lorencez depuis son arrivée au Mexique et
la franchise avec laquelle il désavouait les illusions des
premiers jours (').
Pendant la marche des troupes françaises sur Puebla, le
général La Llave, commandant les guérillas des terres
chaudes, était venu prendre position au Chiquihuiteet avait
intercepté toute communication entre les colonnes expédi-
tionnaires et la mer. Un des premiers soins du général de
Lorencez, après son retour à Orizaba, fut de rouvrir la
route, et de la faire garder par des postes suffisants pour
protéger la marche des convois entre Orizaba et Vera-
Cruz, d'où l'armée allait être forcée de tirer toutes ses res-
sources. Ne voulant pas cependant s'exposer à être faible
sur tous les points, en multipliant les détachements, et
craignant de laisser des postes permanents dans les terres
chaudes, il se décida à faire occuper seulement le Fortin,
Cordova, le Potrero et le Chiquihuite, qui se trouvent en-
core dans la zone tempérée et à donner aux convois, entre
le Chiquihuite et la Tejeria, des escortes fortement cons-
tituées.
(') Le général de Lorencez au ministre de la guerre, 24 mai, 11 juin 1862.
LE GÉNÉRAL BE LORENCEZ. 175
Après avoir laissé quelques jours de repos aux troupes, 1862.
que les dernières marches avaient beaucoup fatiguées, il
forma une colonne d'environ 1,500 combattants sous
les ordres du colonel Hennique (*), et la dirigea sur le
Chiquihuite. Cette position fut enlevée après un court
engagement qui coûta seulement trois blessés, et l'on se
mit immédiatement à l'œuvre pour réparer les ponts dé-
truits par l'ennemi. Le corps expéditionnaire é(ait, à cette
époque, réparti de la manière suivante :
Deux bataillons et la batterie de montatjne à Ineenio
devant Orizaba ;
Deux bataillons et un peloton de cavalerie à Cordova ;
Deux bataillons au Chiquihuite ;
Au Fortin et au Potrero, des détachements de Mexicains ;
le reste des troupes, c'est-à-dire trois bataillons d'infante-
rie, trois pelotons de cavalerie, 10 pièces d'artillerie,
étaient concentrées à Orizaba.
Malheureusement, il n'y avait pas lieu de compter beau-
coup sur la coopération des auxiliaires mexicains, composés,
en grande partie, de prisonniers faits à la Barranca Seca et
que le général Marquez avait incorporés de force, selon la
coutume mexicaine. Ces troupes étaient en outre dans le
dénùment le plus complet, et l'insuffisance du numéraire
était telle dans les caisses de l'armée que le trésor français,
auquel il était fort difficile d'assurer le paiement de la solde
du corps expéditionnaire, ne pouvait donner aux Mexicains
que de très-minimes secours d'argent. Pour les empêcher
de piller le pays et pouvoir les utiliser soit dans les postes,
soit dans les escortes de convoi, le général de Lorencez
<1) 2 bataillons d'infanterie de marine, 1 bataillon de zouaves, l section du
génie colonial, 2 sections d'artillerie de marine, 1 brigade de gendarmerie,
1 section d'ambulance.
17G l'* PARTIE. CHAPITRE IV.
4862. fit distribuer des rations de vivres aux troupes mexi-
caines auxiliaires ; il donna aussi au général Marquez
4,000 fusils trouvés à la douane de Yera-Cruz et les deux
canons enlevés aux Gumbres.
Diflicuités Cependant l'armée française s'occupait d'établir ses
pour les
approvisionne- quartiers à Orizaba, afin d'v passer la saison pluvieuse et
raents de vivres. . i "^i m- » t
Cl attendre la reprise des hostilités. Les troupes lurent
logées dans de bons casernements. Deux grands hôpitaux
furent organisés, l'un à San José contenant 700 lits, l'autre
dans le couvent de la Goncordia pour 225 malades. Un dé-
pôt de convalescents pour 100 hommes fut établi dans une
grande hacienda voisine de la ville. On construisit des fours
en maçonnerie; les fours de campagne fonctionnaient du
reste dans des conditions satisfaisantes ; les magasins de
l'administration s'installèrent dans des locaux au centre de
la ville ; des travaux de défense furent exécutés par le
génie.
Des détachements furent envoyés dans les grandes ha-
ciendas des environs, à Tecamalucan, à l'Encinal, dans
le but de protéger l'enlèvement de la paille et de l'orge
qui s'y trouvaient en quantités considérables. Ces opé-
rations donnèrent lieu à plusieurs engagements de peu
d'importance avec les reconnaissances que l'ennemi,
posté à Acultzingo, ne cessait d'envoyer dans la direction
d'Orizaba 0). Elles favorisèrent le passage de quelques
approvisionnements de farines et de grains que l'on faisait
venir du plateau d'Anahuac, en trompant la vigilance
des Mexicains. Mais les ressources que l'on se procu-
rait ainsi étaient fort insuffisantes ; on prévoyait qu'elles
allaient bientôt manquer, et qu'il faudrait demandera Vera-
(') Le gt'nrral tlf Lorcnroz au ininislre, H juin 1862,
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 177
Gniz tous les vivres nécessaires à la subsistance de ■isea.
l'armée.
Le général en chef en lit prévenir le commandant
supérieur de celte place et lui donna l'ordre de pré-
parer les approvisionnements. On se heurtait là encore à
de nombreuses difficultés. L'ensemble de la situation était
fort peu satisfaisant; les officiers de troupe, qui rem-
plissaient les fonctions de sous-intendant et dirigeaient
l'administration de la guerre à Yera-Cruz, n'ayant pas
le droit d'ordonnancer, ne pouvaient souvent faire des
paiements urgents ; ils avaient succombé tour à tour aux
atteintes du vomito, et ce changement continuel dans la di-
rection administrative contribuait à compromettre le crédit
mal assuré de l'armée française. M. le capitaine de
vaisseau Pioze, commandant supérieur, avait dû venir
à son secours à l'aide des fonds de prévoyance de la
marine, afin de satisfaire aux dépenses les plus indispen-
sables.
Le général de Lorencez avait laissé à la disposition du
commandant Roze, entre les mains duquel étaient réunis le
commandement de l'escadre et celui de la a ille, une com-
pagnie du 99^ et la compagnie de matelots créoles. Il était
arrivé, quelque temps après, un détachement d'une centaine
de soldats d'infanterie de marine, vingt-huit artilleurs et
vingt gendarmes ; c'est avec ces éléments si disparates,
dont l'effectif s'élevait à cinq cents hommes environ et sur
lesquels la fièvre jaune sévissait avec une violence extrême,
qu'était constituée la garnison de Vera-Gruz. Cet effectif
très-insuffisant permettait à peine de surveiller le mur
d'enceinte, dont l'escalade était possible sur beaucoup de
points. Un détachement mexicain auxiliaire, commandé
par le général Galvez, campait à la Tejeria pour protéger
12
178 l" PARTIE. — CHAPITRE IV.
4862. la tête du chemin de fer ; à l'exception de cette petite
troupe, le commandant Roze n'avait pas un seul cavalier,
et il lui était impossible de s'éclairer à un kilomètre de
la ville; aussi était-il complètement bloqué, et les gué-
rilleros du général La Llave venaient-ils impunément tirer
sur les sentinelles.
A la fm du mois d'avril, le général de Lorencez auto-
risa un ins'énieur suisse, M. de Stœcklin, homme actif et
énergique, à recruter une troupe de partisans à cheval, ou
contre-guérilla, soit parmi les gens du pays, soit parmi les
aventuriers étrangers en assez grand nombre à Vera-Cruz.
Cette troupe rendit d'utiles services en surveillant les en-
virons de la place ; elle ne craignit pas d'aborder l'ennemi
même supérieur en nombre, et le succès couronna plu-
sieurs fois son audace; mais elle était d'un effectif trop faible
pour amener de sérieux résultats et pourvoir suifisamment
à la sécurité des communications. Le commandant supé-
rieur n'avait aucun moyen d'échanger des dépêches avec le
général en chef. Parfois un Indien, auquel on donnait 200
ou 300 piastres, consentait à porter à Orizaba un billet
chiffré qu'il espérait dérober aux investigations des guéril-
leros ; mais les exemples de justice sommaire, dont faisaient
foi les cadavres pendus aux arbres de la route, prouvaient
que souvent ces malheureux tombaient entre les mains
d'ennemis impitoyables (^).
La population de Vera-Cruz, presque exclusivement
composée de commerçants que la guerre ruinait, devenait
de plus en plus hostile ; Juarez y comptait de nombreux
partisans, et les résidents français étaient loin d'être les
mieux disposés ; depuis le départ du général de Lorencez
(*) Le commandant Roze au ministre de la marine, 26 juillet.
LE GÉNÉRAL DE LOREÏNCEZ. 179
pour Puebla, on était sans nouvelles du corps expédition- ''^_^^-
naire ; les bruits les plus sinistres, colportés avec malveil-
lance, étaient répandus parmi la garnison et l'escadre. Un
seul courrier qui avait réussi à traverser les lignes du géné-
ral La Llave, avait donné quelques renseignements fort
incomplets sur ce qui s'était passé devant Puebla. Mais le
commandant Pioze sut dominer la situation ; animé lui-
même des sentiments les plus énergiques, il inspira aux
marins et aux soldats sous ses ordres la résignation et le
dévouement qu'exigeaient les circonstances ; non-seulement
il fit face à toutes les difficultés, mais encore il se préoc-
cupa des moyens de venir en aide à l'armée ; il prépara
des vivres et réunit un convoi de deux cents voitures
prêtes à être expédiées lorsque les communications seraient
rétablies.
Le 16 mai, le général Douay, désigné pour exercer le
commandement en second du corps expéditionnaire, était
arrivé de France, amenant avec lui 300 hommes environ
de divers corps ; ce fut un précieux renfort pour la malheu-
reuse garnison, épuisée et décimée par les fièvres (').
A la fin du mois, l'escadron de chasseurs d'Afrique
apporta le courrier pour France et les demandes pressantes
que le général de Lorencez adressait au commandant Pioze
pour qu'on lui envoyât des vivres, des munitions et dos
effets ; l'occupation du Chiquihuite ayant rendu les commu-
nications un peu moins dangereuses, le général Douay
partit avec quatre-vingts chasseurs à pied, soixante-dix
H) Deux olïïciers du 99^ de ligne, un officier du 2" zouaves, trois officiers
d'administration, un lieutenant de vaisseau, le médecin en chef de l'armée,
deux aides-majors, deux médecins de la flotte, le commissaire d'escadre,
en tout quatorze officiers, 180 marins et soldats avaient succombé au
vomito.
180 i"* PARTIE. CHAPITRE IV.
4862. soldats du Irain et un convoi de quarante-sept voitures ;
il arriva le 10 juin à Orizaba (^). Quelques jours après,
le détachement mexicain du général Galvez amena une
deuxième fraction du convoi composée de trente-trois
voitures.
Malheureusement, le 10 juin, un groupe de vingt cha-
riots, dont quinze portaient des munitions, et qui mar-
chaient sous l'escorte de vingt-sept cavaliers de la garde
urbaine de Vera-Cruz, fut attaqué à l'Arroyo-Seco et
entièrement détruit ; un officier du train , deux offi-
ciers d'administration, sept cavahers du train, deux can-
tiniers et deux cantinières suivaient ce convoi. L'officier
du train et son ordonnance purent s'échapper dans les bois ;
tous les autres furent massacrés, même les femmes, sur le
corps desquelles les guérilleros se portèrent aux actes de la
plus sauvage barbarie.
Ce triste épisode inspira de nouvelles inquiétudes aux
chefs de l'armée, tant sur la possibilité des ravitaillements
que sur la sécurité même de Vera-Cruz (^). Le comman-
dant Roze appela à terre 200 hommes des équipages de la
flotte ; de son côté le général de Lorencez fit immédiatement
partir d'Orizaba le général Marquez avec 1000 fantassins,
5 à 600 chevaux et cinq obusiers de montagne, et lui confia
le soin de protéger les communications, particulièrement
entre la Soledad et la Tejeria. Il fut décidé que le général
Galvez formerait désormais la garnison permanente de ce
dernier poste et que le colonel mexicain Facio, nommé
commandant militaire de Vera-Cruz par le général Al-
monte, y fixerait sa résidence. Le générai Marquez emmena
(•) Il eut la douleur de perdre successivement son officier d'ordonnance et son
aide de camp, enlevés run et l'autre par le vomito.
(^) Le commandant Roze an ministre de la marine, 16 juin.
LE GÉNÉRAL DE LOREiNCEZ. 181
avec lui le courrier et un convoi de quatre-vingts voitures ^862.
vides, destinées à rapporter des vivres.
Si, au point de vue militaire, la situation du corps expédi- situation
> ' • 1 n f\r\r\ t-i politique.
tionnaire n était pas alarmante, en ce sens que d,UUU h ran-
çais pouvaient se considérer comme parfaitement sûrs de
se maintenir contre les efforts de l'armée mexicaine, les em-
barras administratifs allaient chaque jour en s'augmentant.
A cette cause constante de préoccupations, étaient venus
s'ajouter, pour le général de Lorencez, les inconvénients
graves résultant de sa rupture avec le ministre de France et
le général Almonte. L'armée partageait les ressentiments de
son général en chef, et s'en prenait aussi à eux de l'échec
subi devant Puebla; elle l'attribuait, en grande partie, aux
illusions qu'avaient fait naître leurs promesses emphatiques
d'un soulèvement des populations en faveur de l'inter-
vention française. En effet, ces promesses ne s'étaient pas
réalisées; quelques-uns des chefs réactionnaires avaient
renoncé à se mêler à la guerre étrangère ; d'autres s'é-
taient complètement ralliés au gouvernement de Juarez. A
Guadalajara, la troisième ville du Mexique, le clergé lui-
même s'était déclaré contre le plan politique du général
Almonte 0). Tout l'appui que l'intervention pouvait espérer
trouver dans le pays se réduisait donc au concours éventuel
de quelques bandes disséminées sous les ordres de Lozada,
de Mejia et d'autres hommes de moindre importance, et
à la coopération du général Marquez, qui jouissait, il est
vrai, d'un certain renom d'habileté militaire, mais qui
appartenait au parti réactionnaire extrême et était accusé
avec raison d'excès sanguinaires.
Le cabinet de Mexico était au courant des difficultés
(') Acte en date du 13 mai.
182 l" PARTIE. CHAPITRE IV.
-1862. en présence desquelles se trouvait le général de Loren-
cez ; de plus, la mésintelligence survenue entre les chefs
de l'armée et les directeurs politiques de l'expédition
ne lui avait pas échappé : aussi pensa-t-il pouvoir en tirer
parti.
Le général Ortega, gouverneur de Zacatecas, et l'un des
personnages les plus marquants du parti de la réforme, venait
d'amener à l'armée du général Zaragoza une belle division
de 6,000 hommes, formée des contingents de sa province
et réputée la meilleure troupe du Mexique. Il écrivit à
M. de Saligny, et une copie de sa dépêche fut gUssée, non
cachetée, dans un paquet adressé sous le couvert du géné-
ral de Lorencez à plusieurs officiers mexicains prisonniers
à Orizaba (') :
« Je viens d'arriver de l'intérieur pour prendre part à la guerre
que mon pays se trouve malheureusement avoir à soutenir.
« Avant que recommencent les opérations militaires, que,
pour les intérêts du Mexique, il est utile, vous en conviendrez, de
presser le plus possible, je me suis décidé à vous écrire.
« Tous les Etats mettant
leurs troupes à la disposition du gouvernement de l'Union, on ne
peut méconnaître que la nation entière est résolue h soutenir les
principes républicains. Combien ne serait-il pas plus honorable
pour la France et pour vous, dont la conduite va être examinée
sous peu par le tribunal de l'opinion, d'abandonner l'idée d'établir
une monarchie au Mexique, de rejeter comme irréalisable le plan
inqiopulaire de Gordova et de terminer d'une manière honorable
pour la France et pour le Mexique, par les voies diplomatiques, la
guerre à laquelle les deux nations ont été malheureusement en-
traînées 1
(( Vous et le gouvernement que vous représentez, Monsieur le
comte, avez été trompés sur les hommes et sur la situation, et la
(') Le général de Lorcîncez au ministre, 16 juin. Le texte espagnol de cette
lettre n'est pas aux arcliives du dépôt de la guerre ; il ne s'y trouve qu'une
assez mauvaise traduction Irançaiso.
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 183
reconnaissance de cette erreur de votre part sera, en sauvant le -1862.
beau nom de votre nation, un acte qui vous honorera comme di- ~"
plomate et sauvera votre responsabilité vis-h-vis du gouvernement
français. Vous conviendrez avec moi que notre position militaire
est actuellement supérieure à la vôtre ; mais l'intérêt du Mexique
n'est pas de soutenir une lutte contre la France, à laquelle il est
attaché par mille et mille sympathies ; il désire, au contraire, d'un
côté satisfaire à toute réclamation juste qui lui sera adressée sans
menace, sur le terrain de la raison, et non sur celui de la force, de
Tautre conserver sa dignité et son décorum
« Je ne vous écris ni par ordre de mon gouvernement ni par ce-
lui du général en chef; cependant si vous acceptez mes avis et
bien que notre armée soit aux portes d'Orizaba, j'userai de mon
influence pour la conclusion d'un armistice pendant lequel on pour-
rait traiter d'un arrangement définitif. »
Le général de Lorencez pensa, avec raison, que l'hon-
neur militaire lui défendait d'écouter ces insinuations ; aussi,
malgré tous les périls de sa situation, l'incertitude de l'ave-
nir, la difficulté de recevoir de prompts secours, il voulut
remplir strictement son devoir de général en chef et refusa
d'entamer avec l'ennemi quelque négociation que ce fût.
Peu de temps après, le général Zaragoza, qui se croyait en gj^^e d'Omaba
mesure de prendre l'offensive, porta son quartier général ^mexîcainr
à Tecamalucan, et le même jour (\ 2 juin) il envoya au géné-
ral de Lorencez un parlementaire avec la lettre suivante:
« J'ai des données suffisantes pour croire que vous. Monsieur, et
les officiers sous vos ordres, avez envoyé h l'Empereur une protes-
tation contre la conduite du ministre Saligny, pour vous avoir en-
traîné par des fourberies à une expédition contre un peuple qui
était le meilleur ami de la nation française.
« Cette circonstance, la connaissance que j'ai de la position cri-
tique où se trouve l'armée française, et mon désir enfin de lui
procurer une retraite honorable, m'ont décidé à vous proposer une
capitulation dont la base principale serait l'évacuation du territoire
de la république dans un temps donné.
« Je crois que mon gouvernement ne désapprouve pas ce der-
nier appel à la paix, car je puis sans outre-passer mes pouvoirs
184 l" PARTIE. CHAPITRE IV.
4862. éviter l'effusion du sang de deux peuples que l'erreur et l'intrigue
ont pu seules faire apparaître comme ennemis. Telle a été, d'ail-
leurs, la croyance du gouvernement constitutionnel dès le com-
mencement de l'invasion.
« Si vous repoussez cette offre faite h ceux des Français qui sont
venus de bonne foi, j'aurai rempli, quant à ce qui regarde l'huma-
nité, mon dernier devoir, et je me mettrai en mesure d'exécuter les
ordres que j'ai reçus ; toute la responsabilité de ce qui pourra sur-
venir retombera entièrement sur ceux qui se sont obstinés à pour-
suivre l'exécution d'une entreprise que la raison et la justice con-
damnent ».
Le général de Lorencez, qui avait besoin de gagner du
temps pour rappeler à lui le 99^ de ligne laissé à Ingenio,
se borna à faire une réponse ainsi conçue (*) :
« Le général commandant en chef les troupes françaises au
Mexique n'étant pas revêtu de pouvoirs politiques par son gouver-
nement, qui les a tous conférés h M. de Saligny, il lui est impos-
sible d'entrer dans la voie des négociations qui lui est proposée
par M. le général Zaragoza. Le ministre de France a seul qualité
pour recevoir des ouvertures de cette nature. »
L'ordre fut immédiatement envoyé au colonel L'Hériller
de se replier sans retard sur Orizaba, dont la garnison se
trouvait fort réduite par suite du départ des troupes de
Marquez. Soixante sapeurs du génie, alors en route sur le
Chiquihuite, furent également rappelés en toute hâte. Dans
la nuit du 12 au 13 juin, l'évacuation d'Ingenio fut termi-
née avec le plus grand ordre ; tout le matériel fut trans-
porté à Orizaba; on emporta jusqu'aux fourrages. A cette
époque, les travaux de défense, qu'avait fait commencer le
général de Lorencez, n'étaient pas encore achevés. Cepen-
dant des barricades avaient été construites dans les rues et
(') Le gciiéral de Lorencez au ministre, 16 juin, 24 juin.
LE GÉiNtRAL DE LOKLNlEZ. 18o
formaient, au centre de la ville, un bon réduit où étaient <862.
renfermés les hôpitaux et les magasins.
En venant de Puebla, on ne peut aborder Orizaba que
par un étroit défilé resserré entre le Cerro Borrego au nord
et le Cerro San Grislobal au sud. Deux cours d'eau, le Piio
Blanco et le Rio de la Angostura (dérivation du précédent),
coulent au fond de cette vallée. Le pont sur lequel la route
traverse le rio de la Angostura, est situé au pied même du
Cerro Borrego, près de la Garita (maison d'octroi), qui in-
dique l'entrée de la ville. Le général de Lorencez prescrivil
d'élever rapidement des épaulements sur ce point et d'y
placer une section de chacune des trois batteries d'artille-
rie, afin d'enfiler la route par laquelle l'ennemi allait néces-
sairement se présenter. Quatre compagnies du 99*^ furent
affectées à la garde de ce poste. Une cinquième fut chargée
deja défense de la ville vers le nord ; la division du général
Ortega, qui avait commencé un mouvement tournant, de-
vait, disait-on, venir attaquer de ce côté. La cavalerie
mexicaine auxiliaire, sous le commandement du général
Taboada, eut l'ordre de servir de grand'gardes au colonel
L'HérilIer et de surveiller la plaine. Le reste de la garnison
fut réparti à la garde des barricades.
Le général de Lorencez ne jugea pas nécessaire de faire
occuper le sommet du Cerro Borrego, élevé à 3o0 mètres
environ au-dessus de la ville et dont les pentes abruptes
paraissaient tout à fait inaccessibles pour l'ennemi.
Ces dispositions arrêtées, toute la journée du 13 juin fut
employée aux préparatifs de défense. Aucune tentative de
l'ennemi n'eut lieu ; cependant le général Ortega, ayant fait
ouvrir des chemins à travers les bois, avait réussi à effec-
tuer son mouvement tournant; avec trois obusiers et la
majeure partie de sa division, il défila à peu de distance des
186 l'* PARTIE. CliAPITRE IV.
1862. postes du général TaboaJa, qui ne s'aperçurent de rien et
vint occuper les crêtes mêmes du Cerro Borrego.
Vers 10 heures du soir, le colonel L'Hériller, ayant été
prévenu qu'on entendait du bruit sur la montagne, donna
immédiatement l'ordre à l'une des compagnies placées au
poste de la Angostura de gravir la hauteur et de s'efforcer
d'en prendre possession avant l'ennemi. A minuit, par une
nuit fort obscure, la compagnie du capitaine Detrie com-
mença l'escalade de ces pentes, qui même dans le jour
avaient paru d'un accès impossible ; après des efforts inouïs,
les hommes, le sac au dos, marchant l'un derrière l'autre
et dans le plus grand silence, arrivèrent sur un premier
palier du Cerro. L'obscurité était si grande, qu'on ne pou-
vait rien voir à trois pas de distance.
Quelques instants après, cette poignée de soldats recevait,
à petite portée, une forte décharge de mousqueterie partant
d'ennemis invisibles, cachés dans les broussailles, et dont
on était loin de se croire si rapproché ; heureusement per-
sonne ne fat blessé. Le capitaine Detrie fit immédiatement
mettre les sacs à terre et entraîna résolument à la baïon-
nette les quelques hommes qui l'entouraient. Lorsque ceux
qui marchaient les derniers l'eurent rejoint, il poussa plus
vigoureusement l'ennemi devant lui, et pendant près d'une
heure, il continua ainsi d'avancer pied à pied. Les trois
obusiers de montagne de la division de Zacatecas furent
successivement enlevés et précipités dans le ravin. Mais le
capitaine Detrie s'aperçut bientôt que les forces qui lui
étaient opposées allaient toujours grossissant ; craignant
que l'ennemi, venant à reconnaître la faiblesse de sa troupe,
ne cherchât à l'envelopper, il arrêta ses hommes, les fit
embusquer, et leur recommanda de rester en place, coûte
que coûte, et sans tirer. Certain que le bruit de la mous-
LE GÉNÉRAL DE LOREN'CEZ. 187
queterie avait été entendu et qu'on avait dû envoyer ^862.
à son secours, il attendit dans cette position pendant
près d'une heure. En effet, une deuxième compagnie du
99® (capitaine Leclère) vint le rejoindre à trois heures et
demie du matin; les deux compagnies reprirent aussitôt
l'offensive.
Les Mexicains, d'abord repoussés, reviennent deux fois à
la charge et reçoivent les assaillants par un feu terrible.
Mais c'est leur dernier effort; délogés de toutes parts, atta-
qués corps à corps, ils lâchent bientôt pied et se déban-
dent. Les deux compagnies du 99^ s'étaient trouvées en
présence de trois corps de la division de Zacatecas forts
d'environ deux mille hommes (2,500 fantassins et 500 ca-
valiers étaient restés au pied de la montagne). Le capitaine
Detrie avait eu son revolver broyé dans la main, ses vête-
ments criblés de balles ; six hommes étaient tués, et vingt-
huit blessés dont quatre officiers. Deux cent cinquante
Mexicains étaient couchés sur le champ de bataille, morts ou
grièvement blessés, parmi lesquels deux colonels et deux
lieutenants-colonels; deux cents prisonniers, trois obu-
siers de montagne, un drapeau, trois fanions de bataillons,
avaient été enlevés ; toute la division Ortega, y compris les
3,000 hommes restés dans la plaine , était en fuite ; tels
furent les résultats de ce glorieux combat, livré par cent
quarante soldats du 99^ de ligne.
Si l'on avait eu des informations exactes sur les forces
qui occupaient le Cerro Borrego, on n'eût jamais tenté d'en
déloger l'ennemi avec si peu de monde. Le succès dû à la
vigueur véritablement exceptionnelle du capitaine Detrie
fut seulement possible grâce à l'obscurité de la nuit, qui
ne permettant pas à l'ennemi de voir à quelle faible troupe
188 l" PARTIE, — CHAPITRE IV.
^862. il avait affaire, cacha d'autre part aux assaillants les
dangers et les difficultés de l'entreprise. Si les Mexicains
avaient réussi à conserver cette position, que le gé-
néral de Lorencez n'avait pas cru devoir comprendre
dans sa ligne de défense, il est douteux que l'armée fran-
çaise eût pu se maintenir dans Orizaba (').
Pendant cette même nuit, du 13 au 14, le général Zara-
goza avait fait ouvrir une tranchée à 1200 mètres de laGa-
rita de la Angostura, et l'avait fait armer de 22 pièces de
canon. Le 14 juin, à 5 heures du matin, les Mexicains diri-
gèrent un feu très-vif sur la Garita et sur le rancho de
Carrizal, qu'il fallut évacuer. La hauteur des épaulements
de la défense n'était pas encore suffisante pour couvrir les
pièces ; le général Douay fit pousser activement le travail
tout en répondant au feu de l'ennemi ; en moins d'une
heure il parvint avec des balles de coton à faire doubler la
hauteur et l'épaisseur des parapets et à établir des masques
pour couvrir les communications. A 10 heures du matin,
le général en chef, voulant ménager ses munitions, fit
suspendre le feu ; l'ennemi cessa le sien en même temps,
et ne le reprit que dans le courant de la journée par salves
et à de grands intervalles. Vers midi, les sapeurs du génie
furent envoyés sur le Borrego pour en organiser la défense ;
les trois obusiers que le capitaine Detrie avait fait précipi-
ter sur les pentes de la montagne furent relevés et mis en
batterie contre l'infanterie du général Zaragoza.
Cependant les Mexicains continuèrent très-régulièrement
(') Le giîiKJral de Lorencez comprit toute la portée du service que le capitaine
Detrie avait rendu à l'armée ; Lien que cet officier n'eût été nommé capitaine que
depuis quelques jours, à la suite du combat de la Barranca-Scca, il demanda
et obtint pour lui le grade de chef de bataillon.
(Rapport du général de Lorencez, 24 juin. — Rapport du général Ortega
(sans date).
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 189
leurs travaux d'approche ; un deuxième boyau de tranchée 4862.
fut amorcé au nord de la route et, de o à 6 heures du ""
soir, les batteries ennemies reprirent le feu avec une grande
vivacité , mais sans causer de dommages aux positions
françaises. A 8 heures du soir, les défenseurs de la Garita
commencèrent une ligne de contre-approche afin d'agran-
dir leur front de défense et de donner plus d'importance à
leurs feux de mousqueterie ; l'ennemi inquiéta ce travail
par quelques coups de canon qui ne firent aucun mal. On
s'attendait à une attaque générale pour le lendemain,
lorsque le général Zaragoza, ayant sans doute appris la
déroute complète de la division de Zacatecas, fit retirer ses
troupes pendant la nuit, et au point du jour la plaine se
trouva libre.
La petite garnison d'Orizaba, forte de 2,800 hommes,
s'était vue attaquée par 14,000 Mexicains. Cependant, bien
que plus de 1200 projectiles eussent été lancés sur la ville
dans la journée du 14 et dans la nuit suivante, on n'eut
qu'un officier et un soldat tués et six blessés. Les Mexicains
perdirent une quarantaine d'hommes tués ou blessés, parmi
lesquels le général Tapia, grièvement blessé.
Le commandant Delsaux, de l'artillerie de marine, avait
été enlevé le 13 juin par les avant-postes de l'ennemi ; il
fut remis en liberté sur parole par le général Zaragoza, puis
échangé contre un des officiers faits prisonniers à la Bar-
ranca-Seca. Le général mexicain renvoya aussi quelques
jours après (28 juin) un officier du l^'" bataillon de chas-
seurs et douze soldats, tombés entre ses mains à l'attaque
du 5 mai. Tous se louèrent des bons traitements dont ils
avaient été l'objet. Il restait dans les hôpitaux de Puebla
dix hommes blessés qui n'avaient pu être transportés. Le
général de Lorencez reconnut les bons procédés des gêné-
190 r* PARTIE. CHAPITRE IV.
4862. raux ennemis en faisant reconduire à Acultzingo vingt-sept
officiers mexicains prisonniers, qu'il avait soustraits aux
mauvais traitements des troupes de Marquez.
Contrairement aux appréhensions qu'on avait eues pen-
dant quelque temps, l'armée ennemie ne renouvela pas son
attaque contre Orizaba. Malheureusement l'opinion publique
s'éloignait de plus en plus du programme proposé par le
général Almonte et soutenu par les troupes françaises.
c Notre impopularité semble n'avoir fail que croître depuis l'in-
succès des libéraux devant Orizaba, écrivait le général de Loren-
cez. Plus que jamais on doit se convaincre que nous n'avons ici
personne pour nous.
« Le parti modéré n'existe pas, le parti réactionnaire est réduit à
rien, et il est odieux. Les libéraux se sont partagé les biens du
clergé, et ces biens constituaient la plus grande partie du Mexique.
Il est facile de déduire de ce fait le grand nombre de personnes
intéressées à ce que le parti clérical ne se relève pas Personne
ici ne veut de la monarchie, pas même les réactionnaires. Les
Mexicains sont tous infatués des idées libérales dans ce qu'elles
comportent de plus étroit. Ils seront absorbés par les Américains
et ils accepteront cette destinée comme bien préférable à la mo-
narchie, f
Quelques jours après, le général de Lorencez (^) écrivait
encore :
« J'ai toujours le regret de ne pas rencontrer un seul partisan
de la monarchie au Mexique; j'espère me tromper, et je crois que
par une occupation française de plusieurs années, on pourrait y
arriver; mais il eût fallu bien se garder de l'annoncer à l'avance
et d'avoir un Almonte, qui du fond de nos bagages se déclarât le
chef suprême de la nation mexicaine Aurait-on réussi sans
cette lourde maladresse? Je l'ignore, mais je suis sûr que rien ne
sera possible au Mexique avec Almonte et M. S. »
Comme nous l'avons dit, le général Almonte avait pris
(') Le général de Lorencez au ministre, 22 juillet.
LE GÉNÉRAL DE LOREiNCEZ. 191
le titre de « chef suprême intérimaire de la nation », et orga- '•862.
nisé un ministère ; mais l'arsfent étant rare dans les caisses Mesures goaver-
° nementales
de son gouvernement, il avait décrété un emprunt forcé , , d"
o _ ^ , gênerai Almontc,
de 850,000 piastres qui n'avait produit que le tiers de
cette somme. Afin d'en obtenir le complément et dans l'es-
poir de diminuer les embarras causés par l'absence presque
totale du numéraire, il avait ordonné l'émission de 500,000
piastres de billets avec cours forcé. La confiscation des
marchandises devait punir les négociants qui refuseraient
d'accepter ce papier-monnaie, en garantie duquel aucune
stipulation n'était faite et aucun mode de remboursement
indiqué. En contradiction avec lui-même, le décret portait
que les billets nationaux ne seraient admis dans les caisses
publiques que pour moitié des versements à effectuer,
l'autre moitié devant être payée en numéraire. Ces mesures
financières n'étaient certes pas de nature à favoriser les
transactions commerciales ni à ramener les esprits, déjà
disposés à s'écarter de l'intervention française. Elles ne de-
vaient avoir d'autres conséquences que de rendre plus diffi-
cile encore le ravitaillement de l'armée à Orizaba, et d'aug-
menter la défiance des habitants (').
Jusqu'alors il n'était arrivé de Vera-Gruz que les deux Marche
des convois
petits convois amenés par le général Douay et par un déta- cDtreOrizabaet
. . . Vera-Cruz.
chement du général Galvez. L'armée ennemie interceptait
tous les arrivages des plateaux. On comptait sur les voitures
que le général Marquez avait eu la mission de conduire à
la Tejeria, et qu'il devait ramener chargées de vivres ; mais
ayant appris l'attaque dirigée contre Orizaba, craignant, du
reste, de se voir abandonné de ses troupes, s'il essayait de
les maintenir plus longtemps dans la terre chaude, le géné-
<0 Le général de Lorencez au ministre, 24 juin, 22 juillet.
192 l" PARTIE. CHAPITRE IV.
4862. rai Marquez n'avait pas voulu attendre le chargement de
son convoi et avait immédiatement rétrogradé. Les appro-
visionnements du corps expéditionnaire se trouvèrent alors
tellement restreints, qu'on se vit obligé de réduire les ra~
tions (*). Les officiers reçurent à partir du mois de juillet
un très-fort supplément de solde (^) qui leur permit de
vivre sans trop de privations ; mais celle de la troupe ne
fut pas modifiée, et le soldat souffrait. Il fallait, à tout prix,
faire venir des denrées de Vera-Gruz.
Le général Marquez avait déclaré au général de Loren-
cez que si l'on renvoyait ses troupes dans la terre chaude,
la crainte du vomito les ferait déserter en masse ; toutefois
il avait offert d'aller occuper Gordova, pendant que la gar-
nison française de cette ville escorterait les convois jusqu'à
la côte. N'ayant pas le choix des moyens, le général en
chef accepta cette combinaison, mais il adjoignit le batail-
lon de marins à la division Marquez, dans laquelle il n'avait
que médiocre confiance. Le colonel Hennique fut donc
chargé de conduire à la Tejeria un convoi d'une centaine
de voitures vides ; arrivé le 3 juillet, il en repartit le 5 avec
180 chariots de vivres. Ces lourdes voitures, seuls moyens
de transports que l'intendance avait pu se procurer,
s'enfonçaient dans le sol spongieux, transformé par les
pluies en véritable marais. Elles n'avançaient qu'au prix
d'efforts inouïs, en doublant, triplant, et même quadru-
(*) A partir du 2o juin, la ration de pain fut fixée à 500 grammes; celle de
viande fut élevée à 400 grammes. On dislribuait du vin tous les deux jours.
(') Ordre général n" 109 bis, du 30 juin 1802. — Le supplément de solde était
de 12 fr. par jour pour les officiers supérieurs; de 9 fr. pour les officiers subal-
ternes. A Vera-Cruz, ces suppléments furent portés à 12 et à 18 fr. La solde
des officiers de marine débarqués avait servi de base à ces allocations, que le dé-
partement de la marine avait déjà données aux officiers do la colonne de l'amiral
Jurien.
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 193
plant les attelages. Il arrivait souvent que dans un jour on 'I862.
pouvait à peine faire une lieue, les hommes de l'escorte res-
taient parfois dix-huit heures sans trouver un endroit sec où
il leur fut possible de prendre un peu de repos ; il fallait en
outre surveiller de très-près les arrieros, on craignait, à
chaque instant, de les voir déserter avec leurs mules ('), et
une troupe ennemie forte de 3,000 hommes avec huit canons
se disposait, disait-on, à barrer à la Soledad le passage
du Rio Jamapa ; enfin un bataillon du 99*^ envoyé d'Ori-
zaba à la rencontre du courrier arriva heureusement assez
tôt pour empêcher les guérillas de faire sauter le pont; le
colonel Hennique, qui avait mis quatre jours pour faire 32
kilomètres, atteignit la Soledad le 9 juillet.
Cependant, à Orizaba, la famine devenait chaque heure
plus menaçante ; on dut s'arrêter à une résolution extrême ;
malgré l'insécurité de la route , un des fonctionnaires de
l'intendance partit avec tous les mulets de bât disponibles
(c'est-à-dire 180 animaux conduits par 125 soldats du
train), pour aller au-devant des voitures et rapporter de
la farine. Ce détachement passa sans être attaqué; il trouva
le convoi à quelques lieues seulement de la Soledad,
prit son chargement et rétrograda aussitôt sur Orizaba,
où les voitures arrivèrent le 21 juillet, seize jours après
leur départ de la Tejeria. Les besoins de l'escorte ayant
absorbé une grande partie des vivres dont elles étaient
chargées, c'est h. peine si elles apportaient à la garni-
son un approvisionnement de vingt jours. Le général de
") L'intendance avait à sa disposition environ 260 chariots du pays, paye's
60 fr. par jour , employés ou non. Les efforts pour se procurer des bètes de
somme avaient échoué devant Thostilité des populations mexicaines.
M. le sous-intendant Raoul ayant été tué le 3 mai, les services administratifs
furent dirigés, pendant celte période difficile, par M. Gafliot , adjoint à l'inten-
dance, secondé par M. Vuillaume, adjoint de 2'' classe,
13
194 l'" PARTIE. CHAPITRE IV.
4863. Lorencez les renvoya de suite à Vera-Gruz avec 450 mules
qui furent rassemblées de tous côtés ('). Le pont de la
Soledad avait été brûlé le lendemain du passage du
colonel Hennique, mais les eaux du Jamapa n'étant pas
hautes, il fut possible de traverser la rivière à gué ; à son
retour, ce convoi eut encore plus de peines et de difficultés
que le précédent. Le temps était épouvantable; chaque
jour 100 à 120 hommes de l'escorte tombaient malades;
une compagnie d'infanterie de marine, que l'on ramenait de
Vera-Gruz, perdit huit hommes du vomito ; une dizaine
d'arrieros et de soldats mexicains moururent également.
On mit huit jours pour aller de la Tejeria à la Soledad.
Les guérilleros, invisibles et insaisissables, cachés dans les
broussailles qui bordent la route, épiaient continuellement
une occasion favorable pour attaquer. A El Sordo, ils enle-
vèrent quelques attelages ; à Paso del Macho, ils commen-
cèrent à couper le pont, il fallut encore envoyer un poste
permanent s'établir sur ce point.
Une troisième colonne de ravitaillement, composée de
quatre compagnies de chasseurs à pied et de vingt-quatre
gendarmes C^), partit d'Orizaba le 10 août avec huit voitures
et 200 mulets ; elle ne mit que dix- huit jours pour le trajet
aller et retour. Au prix de toules ces fatigues, on n'arri-
vait pourtant pas à réunir des approvisionnements assez
considérables pour ramener la ration de pain à son poids
réglementaire ; les chevaux de la cavalerie manquaient de
grains et étaient, en partie, nourris avec des cannes à sucre.
Un quatrième convoi de 75 voitures et 250 mulets fut
<*) L'escorte fut formée par sept compagnies du 99% une section do sapeurs
du génie, deux pelotons de chasseurs d'Afrique, commandés par le lieutenant-
colonel Lefebvrc.
(') Les chevaux des chasseurs d'Afrique étaient si épuisés, qu'on avait été obligé
de faire marcher les gendarmes.
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. l95
mis en route le 25 août; il fut arrêté par la crue des eaux ^862.
du Rio Jamapa, aucune offre d'argent ne put décider les
Indiens à porter une dépêche à Vera-Cruz pour deman-
der des moyens de passage. Les guérilleros, embusqués
sur la rive opposée, rendirent infructueuses toutes les ten-
tatives faites par de hardis nageurs pour passer un câble sur
l'autre bord, et construire soit une passerelle, soit un ra-
deau. L'officier qui commandait l'escorte fut forcé de faire
chercher des vivres au Chiquihuite ; les eaux ne baissant
pas , il dut, le 1*^^ septembre , se décider à évacuer ses
malades sur Gordova et s'étabhr provisoirement à Paso-
Ancho. L'ennemi vint insulter son camp et lui enlever un
troupeau de 90 mulets, dont la garde était confiée aux
mexicains auxiliaires.
En ce moment, des troupes de renfort arrivaient à Envoi
■^ . d'un premier
Vera-Cruz, et leurs têtes de colonne se montraient sur renfort.
la rive gauche du Rio Jamapa (9 septembre). Il était
urgent de rétablir le pont. Le général de Lorencez envoya
d'Orizaba, pour exécuter ce travail, des sapeurs du génie
et un détachement de marins qui se [mirent immé-
diatement à l'œuvre avec une remarquable activité. On
trouva une mauvaise pirogue, avec laquelle un coura-
geux soldat du l^"" zouaves parvint à traverser la rivière
torrentueuse ; il porta une amarre d'un bord à l'autre, et
en moins de quatre heures, fut établi un bac à traille pour
une voiture; en deux jours on effectua le transbordement de
80 chariots, tandis qu'une passerelle établie sur des pointes
de rochers servait aux hommes et aux bêtes de somme.
Cette opération terminée, la colonne venue d'Orizaba
continua sa route sur Vera-Cruz, et les troupes arrivant
àè France montèrent vers le Chiquihuite.
Ce détachement, commandé par le lieutenant-colonel
196 l" PARTIE. CHAPITRE IV.
<862 Labrousse , faisait partie d'un premier renfort de deux
bataillons et d'un escadron envoyé d'Algérie sous les
ordres du colonel Brincourt. Aussitôt que la nouvelle de
l'échec du 5 mai avait été connue , l'Empereur avait
décidé l'envoi au Mexique de renforts très-considérables,
mais leur départ devant être retardé jusqu'à la fin de la
saison du vomito , il avait craint que le général de Lo-
rencez n'eût quelque peine à se maintenir avec le faible
effectif dont il disposait , et il avait fait embarquer de
suite un détachement de 2,000 hommes, avec des voi-
tures et des troupes d'administration, constitué de façon
à pouvoir se suffire à lui-même et rejoindre le général de
Lorencez en formant colonne isolée.
L'insuccès du 5 mai avait douloureusement impres-
sionné la France ; l'Empereur, qui avait résolu l'expédition
sans tenir compte du sentiment de la nation , fut obligé
de venir demander le concours du Corps législatif afin
d'obtenir les sommes nécessaires pour l'envoi de renforts.
La dignité de la France était alors sérieusement com-
promise ; ce n'était l'heure ni des remontrances ni des
inutiles regrets, il fallait sauver l'honneur du drapeau.
Les représentants du pays répondirent avec patriotisme
à l'appel du Souverain, bien qu'il ne leur fût pas permis,
même en ce moment, de poser des limites à l'expédition.
L'Empereur donna au général Forey le commandement
, ^"T en chef du corps expéditionnaire, dont l'effectif allait être
de renforts ^ ^
au Mexique, porté à cuviron 30,000 hommes, Un officier d'élat-major,
le commandant d'Ornant, partit immédiatement pour le
Mexique, afin de recueillir les renseignements nécessaires
sur la situation et préparer le débarquement des nou-
velles troupes. Il arriva le 26 juillet à Vera-Gruz; l'inter-
ruption des communications ne lui permit pas de se
LE GÉNÉRAL DE LORENCEZ. 197
rendre auprès du général de Lorencez , mais il lui fit sa- 'isea.
voir, par un billet chiffré confié à un Indien, que de
nombreux renforts placés sous le commandement du
général Forey, devaient prochainement débarquer, et que
l'Empereur défendait de marcher sur Mexico avant que
toutes les troupes fussent en ligne. Après un court séjour
à Vera-Gruz, le commandant d'Ornant revint en France.
Le rapport qu'il adressa au ministre donne des renseigne-
ments fort exacts sur l'état des esprits :
« La garnison de Vera-Cruz est réduite à rien. Les petits dépôts
ne comptent plus que deux ou trois hommes ; il y a en qui n'en ont
qu'un; la compagnie du 99^ de hgne, dont l'effectif au début était
de quatre-vingt-dix-huit hommes, n'en a plus que dix-neuf dispo-
nibles pour le service
« Une animosité très-vive se manifeste ouvertement contre la
direction donnée aux affaires diplomatiques au Mexique par les
agents de ce service, que l'on accuse partout d'avoir trompé l'Em-
pereur sur l'état vrai des choses. Tous les bruits apocryphes, ré-
pandus depuis quelque temps, soit sur les personnes, soit sur les
causes non avouables que certaines feuilles étrangères attribuent à
l'expédition ne seraient qu'un écho affaibli de ce qui se colporte de
chambre en chambre, sans en excepter même celle du soldat. La
rupture des relations entre le commandement et le ministre de
France, la lutte de rapports ouverte entre eux avec Paris, sont pu-
bliques l'ennemi en prend acte pour dire aux populations que
venus au Mexique dans le but d'y rétablir l'ordre et l'union, les
Français donnent eux-mêmes l'exemple de la division dans leur
propre camp. »
Les navires (*) qui portaient les premiers renforts avaient
quitté les ports d'Algérie le 5 juillet ; naviguant de con-
(') L'Eylau, l'Impérial, le Finistère embarquèrent :
Deux bataiUons de zouaves 1,591 hommes.
Un escadron de chasseurs d'Afrique 184
Ouvriers d'administration 139
Détachement du train 314
2,228 hommes.
198 l" PARTIE. — CHAPITRE IV.
serve, ils étaient arrivés àVera-Cruz le 23 août. La moitié
des troupes avait été débarquée le 28 août, et dirigée
immédiatement vers l'intérieur ; c'est cette colonne qui
était à la Soledad le 9 septembre ; la deuxième moitié avait
commencé son mouvement le 1^'" septembre. Bien que ces
détachements n'eussent pas séjourné à Vera-Cruz, ils
furent cruellement éprouvés par la fièvre jaune. Ils per-
dirent quarante hommes, parmi lesquels un chef de ba-
taillon de zouaves; sur un effectif de 1590 hommes, ce
régiment compta bientôt 350 malades.
La marche à travers les terres chaudes fut des plus pé-
nibles ; le colonel Brincourt mit douze jours pour se rendre
de la Tejeria à la Soledad ; la chaleur, les pluies conti-
nuelles, l'humidité des bivouacs, engendrèrent de nom-
breuses maladies; les guérilleros, ne cessant de harceler
les colonnes, les tenaient constamment en alerte ; ils leur
enlevèrent une vingtaine de mules. Cependant l'arrivée de
ces troupes allait permettre au général de Lorencez de
mieux faire garder ses communications avec la mer, sans
trop affaiblir la garnison d'Orizaba ; il fit occuper la Sole-
dad par un poste permanent et reprit possession du village
d'In£fenio (*).
(1) Le corps expéditionnaire fut alors réparti de la manière suivante :
A Ingénia, le 2" zouaves, une section d'artillerie ;
A Orizaba, le 99" de ligne, le bataillon de chasseurs, le bataillon de marins,
un bataillon d'infanterie de marine , la batterie de montagne, une section d'ar-
tillerie et la batterie d'artillerie de marine, une section du génie ;
A Cordova , un bataillon du 1'^'" zouaves, un peloton de chasseurs d'Afrique,
une section d'artillerie, une section du génie ;
Au ChiquUmilo, un bataillon du 1"'' zouaves, détachant une compagnie au
Potrero et une compagnie à Paso dcl Macho ;
A la Soledad, un bataillon d'infanterie de marine, trois pelotons de chasseurs
d'Afrique, une section du génie ;
A Vera-Cruz, une compagnie du 99" de ligne, une compagnie d'infanterie de
marine, les matelots créoles.
LE GÉNÉRAL DE LORENClîZ. l99
L'Empereur avait écrit au général de Lorencez : ^^^•
« Paris, 15 juin 1862.
« Mon cher fféncral, i'ai appris avec plaisir le brillant fait , ,}±^^^^^
de 1 Empereur
d'armes des Cumbres et avec peine la non-réussite de l'attaque de au générai
Puebla. ^^ ^°''°'="-
« C'est le fait de la guerre de voir quelques revers obscurcir
d'éclatants succès ; mais que cela ne vous décourage pas ; l'hon-
neur du pays est engagé, et vous serez soutenu partons les renforts
dont vous aurez besoin.
« Exprimez aux troupes sous vos ordres toute ma satisfaction
pour leur courage et leur persévérance i\ supporter les fatigues et
les privations.
« Plus elles sont loin , plus ma sollicitude se porte sur elles.
« J'ai approuvé votre conduite, quoiqu'elle semble ne pas avoir
été comprise de tout le monde.
« Vous avez bien fait de protéger le général Almonte ; étant en
guerre avec le gouvernement actuel du Mexique, tous ceux qui
voudront se réfugier sous notre drapeau auront le même droit à
notre protection: mais elle ne doit en rien influencer notre poli-
tique à venir. Il est contre mes intérêts, mon origine et mes prin-
cipes d'imposer un gouvernement quelconque au peuple mexi-
cain.
« Qu'il choisisse en toute liberté la forme qui lui convient, je
ne lui demande que la sincérité dans ses relations extérieures, et je
ne désire qu'une chose, c'est le bonheur et l'indépendance de ce
beau pays sous un gouvernement stable et régulier.
« Sur ce, je vous renouvelle l'assurance de mes sentiments.
« Napoléon »
Mais en même temps que cette lettre, le général de Lo-
rencez en reçut une du ministre de la guerre, écrite quinze
200 l" PARTIE. — CHAPITRE IV.
4862. jours plus tard, lorsque les détails de l'affaire du 5 mai
avaient été mieux connus (^) :
« Je reçois à l'instant un ordre de l'Empereur, qui m'impose
l'obligation de vous adresser les observations qui suivent.
€ L'Empereur admire le courage déployé par les soldats dans l'at-
taque dirigée contre Puebla; mais S. M, n'a pas trouvé opportune
cette attaque ; l'artillerie ne devait pas se mettre en batterie contre
des fortifications à la distapce de 2,500 mètres.
« L'Empereur vous recommande de conserver de bons rapports
avec M. de Saligny, qui est son représentant au Mexique, aussi
bien qu'avec le général Almonte et les autres chefs mexicains qui
viennent à nous.
« Le général Forey va bientôt prendre le commandement géné-
ral; jusque-là ne faites qu'organiser la résistance et vos approvi-
sionnements.
« Le courrier va partir; je ne puis que vous renouveler, mon
cher général, l'assurance de mes sentiments affectueux. »
Aussitôt après avoir reçu le billet chiffré du comman-
dant d'Ornant, le général de Lorencez avait demandé au
ministre de la guerre de rentrer en France (^). Quelques
jours plus tard, le courrier lui apportait l'ordre de faire
partir son chef d'état-major, le colonel Letellier-Valazé, qui
avait partagé ses sentiments à l'égard de M. de Saligny,
et avait été « desservi » près de l'Empereur. Le maréchal
Randon, ministre de la guerre, cherchait toutefois à calmer
l'irritation du général de Lorencez (^). Les sages conseils
qu'il lui donnait, méritent d'être suivis en tout temps :
« J'aurais désiré vous voir au-dessus de ces préoccupations. Un
général dans votre position a pour premier juge de ses actions, sa
(1) Le ministre au général de Lorencez, 30 juin.
(•) Le général de Lorencez au ministre, 9 août,
<3) Le ministre au général de Lorencez, 17 juillet.
LE GÉNÉRAL DE LORliNCEZ. 201
conscience L'homme droit et loyal, comme vous l'êtes, n'a donc -1862.
pas besoin de s'inquiéter de ce qu'un mauvais vouloir, peut-être la —
calomnie, cherche à soulever contre lui ; il va son chemin, fait pour
le mieux et dédaigne ces attaques subalternes qui la plupart du
temps n'ont de valeur réelle que celle qu'on leur donne en s'en
préoccupant Aussi longtemps que le ministre de France n'est
pas changé vous devez avoir, sinon pour sa personne, du moins pour
le caractère dont il est revêtu, la déférence que sa position com-
porte; je vous en dirais autant pour M. Almonte La mission que
vous avez à remplir, mon cher général, n'est pas une mission pu-
rement militaire ; elle touche de près à de très-sérieuses questions;
il faut s'élever à leur hauteur et ne pas se perdre dans le labyrinthe
où. les petites passions prennent position ».
Mais le général de Lorencez était trop profondément
affecté, son cœur était trop ulcéré pour qu'il lui fût possible
de se rendre à ces avis. Les journaux de France reprodui-
saient des correspondances du Mexique dans lesquelles
sa conduite était critiquée ; il ne put demeurer calme
devant ces nouvelles attaques et se défendit amèrement
encore des accusations dont il était l'objet.
Les officiers du corps expéditionnaire ne restaient pas
indifférents à ces regrettables discussions. Pour la plupart,
ils prirent très-vivement le parti de leur général en chef;
aussi fut-il recommandé au général Forey de réagir contre
ces dispositions hostiles au ministre de France , et de
rétabUr la bonne harmonie entre l'état-major du corps
expéditionnaire et la légation.
Gomme il en avait manifesté le désir, le général de Lo-
rencez fut autorisé à quitter le Mexique après l'arrivée du
nouveau commandant en chef. Le général Forey dé-
barqua à Vera-Gruz le 21 septembre ; il arriva à Orizaba
le 24 octobre; quelques jours après, le 10 novembre,
le général de Lorencez se mit en route pour rentrer en
France; il emporta l'affection de tous ceux qui, sous ses
202 l"* PARTIE. CHAPITRE IV.
im. ordres, avaient supporté les pénibles épreuves de cette
campagne et laissa dans l'armée de précieux souvenirs de
droiture et de loyauté (').
(•) Peu de temps avant son départ, au moment où le géne'ral entrait dans un
petit théâtre organisé par l'armée , les ofïïciers présents saisirent cette occasion
de lui témoigner leurs sympathies en l'accueillant par des vivats et de chaleu-
reux applaudissements.
CHAPITRE CINQUIÈME.
SOMMAIRE.
Composition du corps expéditionnaire placé sous les ordres du général Forey.
— Instructions données au général Forey. — Le général Forey dissout le
gouvernement provisoire formé par le général Almonte. — Proclamation aux
Mexicains. — Echange de lettres entre le général Ortega et le général Forey.
— Pénurie des vivres et des transports. — Marche de la brigade de Bertier sur
Jalapa. — Opérations au sud de Vera-Cruz. — Occupation d'Omealca. —
Expédition sur Tampico. — Le corps expéditionnaire s'avance sur le plateau
d'Anahuac. — Situation des forces alliées du général Marquez. — Marche du
général Bazaine de Jalapa sur Perote. — Combat de San José (18 février
1863). — Organisation des postes sur la ligne de communication avec Vera-
Cruz, — Arrivée à Vera-Cruz d'un bataillon d'Egyptiens. — Reprise des opé-
rations contre Puebla. — Dispositions défensives prises par le gouvernement
mexicain.
Les troupes placées sous les ordres du général Forey
formaient ^deux divisions d'infanterie et une brigade de
cavalerie; on leur avait donné un matériel de siège, les
réserves d'artillerie et les services administratifs néces-
saires (').
Composition
du corps
expéditionnaire
placé
sous les ordres
du fiénéral
Forey.
La l'"" division d'infantorie, commandée par le général Bazaine,
comprenait :
. „ , . , ( 18« bataillon de chasseurs à pied.
1^0 brieade ■ \ 4.^ - ■ * i
.,,%,. { V'^ recçuïient de zouaves,
gênerai NeiûTC. f q,„ P. , , ,.
^ ^ \ m^ reqiment do ligr
me.
<*) Voir à l'appendice la composition des états-majors.
204 l" PARTIE. CHAPITRE V.
^862. I 20* bataillon de chasseurs à pied.
2e brigade : l 3^ régiment de zouaves.
général / 95^ régiment de ligne,
de Castagny. ) Un bataillon de tirailleurs aigériens, de forma-
1 tion nouvelle.
La batterie d'artillerie de marine de 4 de campagne.
La batterie de montagne des marins.
Une compagnie du génie.
La deuxième division, dont le commandement devait
être réservé au général de Lorencez, mais qui, par suite
du départ de cet officier général, fut donné au général
Douay, était ainsi composée :
'Ire J3i'igade ; [ p^ bataillon de chasseurs à pied.
général Douay, ; ^e régirent de zouaves.
qui fut remplacé pari nn^ . ■ t ^ ^•
le colonel L'HériiUer. ( 99« regmient de ligne.
2^ brigade : ( 7* bataillon de chasseurs à pied.
général < ol^ régiment de ligne,
de Bertier. ( 62^ régiment de ligne.
Une batterie de montagne.
Une batterie montée de 4 de campagne.
Une compagnie du génie.
Les bataillons de tirailleurs et de chasseurs étaient à six compa-
gnies; les bataillons de ligne à sept, les bataillons de zouaves à
huit compagnies.
La brigade de cavalerie, sous les ordres du général de
Mirandol, se composait de deux régiments de marche
formés :
Le l^r régiment c deux escadrons du l'^'" chasseurs d'Afrique.
de ( deux escadrons du 2" chasseurs d'Afrique.
Le 2c régiment J deux escadrons du 3'' chasseurs d'Afrique,
de j deux escadrons du 12'^ chasseurs.
et d'un demi-escadron du ij" hussards pour l'escorte du général
en chef.
LE GÉNÉRAL FOREY. 20o
On avait adopté cette combinaison afin de pouvoir, sans ^862.
dégarnir complètement FAlgérie, envoyer au Mexique de
la cavalerie d'Afrique, que l'on croyait plus appropriée que
toute autre à la nature de cette expédition.
La réserve d'artillerie se composait de :
Une batterie de 12 de réserve;
Une batterie de 4 de campagne ;
Une batterie de 12 de siège;
Une demi-compagnie de pontonniers ;
Des sections d'ouvriers et d'armuriers ;
Une batterie montée de la garde, dont le départ fut décidé un
peu plus tard.
La réserve du génie était formée par une compagnie de
sapeurs, des détachements d'ouvriers et de sapeurs con-
ducteurs.
Le régiment d'infanterie de marine, le bataillon de ma-
rins-fusiliers , les compagnies du génie colonial et les
volontaires des Antilles, corps de formation récente, res-
tèrent en dehors de l'organisation divisionnaire. Le ba-
taillon de marins n'avait été d'abord qu'une création
provisoire ; bien que l'éducation antérieure des marins
ne les eût nullement préparés aux fatigues de cette guerre,
ils s'étaient mis promptement à hauteur du service pé-
nible qui leur avait été demandé ; le 5 mai, ils s'étaient
vaillamment comportés à côté des zouaves, et comme ils
avaient été à la peine, l'amiral Jurien désira qu'ils fussent
aussi à l'honneur. Le bataillon de marins-fusiliers fut donc
maintenu au Mexique, et des renforts lui furent envoyés
pour porter de nouveau à 500 hommes son effectif, qui
s'était affaibli de moitié. La batterie de montagne des ma-
rins partagea le sort du bataillon de marins-fusiliers.
Les compagnies du génie colonial étaient des corps spé-
206 l" PARTIE. CHAPITRE V.
1862. ciaux des colonies de la Martinique et de la Guadeloupe ; on
~ les avait envoyées au Mexique pour être plus particuliè-
rement employées dans les Terres Chaudes, dont elles
pouvaient, sans danger, supporter le climat. Les matelots
créoles, embarqués à bord des bâtiments de l'escadre,
avaient également résisté aux influences du vomito et rendu
de précieux services. Cette expérience engagea le gouver-
neur de la Martinique à demander l'autorisation de recruter
des volontaires créoles, et d'en former une compagnie de
cent hommes, à laquelle il donna un noyau de douze anciens
soldats et des cadres tirés de l'infanterie de marine. Cette
compagnie débarqua à Vera-Cruz le 2 novembre (*).
Le chiffre total des forces du corps expéditionnaire du
Mexique, d'après une situation du l»^^ janvier 1863, époque
à laquelle toutes les troupes étaient arrivées, et où les pertes
n'avaient pas encore sensiblement diminué les effectifs,
était de 28,126 hommes, ayant 5,845 chevaux et 549 mu-
lets.
L'artillerie disposait de :
8 canons de 12 de siège.
6 — 12 de réserve.
24 — 4 de campagne.
12 — de montagne.
(1) La colonie de la Martinique avait en outre envoyé au Mexique :
Une compagnie du génie de 102 hommes.
Matelots créoles 500 —
Et la Guadeloupe :
Une compagnie du génie d'environ 50 —
Matelots créoles 400 —
1,052 hommes.
(Correspondance de l'amiral Maussion de Candé avec le ministre de la marine,
de juin à septembre 1802.)
LE GÉNÉRAL FOREY. 207
Les équipages du train se composaient de : ^862.
51 chariots de parc, 83 voitures régirnentaires à deux
roues, 4 voitures articulées, 6 forges de campagne, 85
litières et 490 cacolets pour les ambulances (*).
(') L'effectif du corps expéditionnaire se décomposait de la manière suivante :
États-majors 51
Gendarmerie 23
Infanterie 19,411
Cavalerie • . . . 1,300
Troupes ) Artillerie 1,884
de terre. \ ^^^^^ olb /
Troupes [ Train 1,430 j
d'adminis-^ Subsistances. . 363 > 1,834
tration. ( Campement . • 59 )
Services administratifs et hôpitaux, (a) 634 /
Infanterie 1,609
Troupes } Artillerie 448
de marine. ) Génie 133
Gendarmerie 43
2,253
28,126 hommes
L'amiral Jurien avait eu sous ses ordres (situation du 28
janvier 1862) 3,310 hommes.
Du 3 mars au 17 avril, il était arrivé avec le général de
Lorencez 4,573
Le 23 avril, venant des Antilles 154
Le 13 mai, avec le général Douay 321
Le 13 juillet, venant des Antilles 200
Le 2 novembre, id. 100
Il arriva avec le général Forey, du 23 août au 9 novembre. 22,320
Le total des troupes débarquées est donc de 30,978 hommes.
Tandis que la situation au 1" janvier 1863 donne 28,126
Différence 2,832 hommes.
Cette différence représente une diminution de près de 1/10 de l'effectif. Le
(a) Ce chiffre se décompose ainsi : 10 fonctionnaires de l'intendance, 1 commissaire de marine,
13 officiers d'administration de Tintcndancc, 50 médecins, 11 pharmaciens, 29 officiers d'administra-
tion des hôpitaux, 500 inUrmicrs, 20 employés du trésor et des postes. — Total . . 034
208 l" PARTIE. ClfAPITRE V.
4862. Le nombre des voitures était tout h fait insuffisant pour
assurer le service, car pendant quelque temps encore la
plus grande partie des approvisionnements devait être
amenée de Vera-Cruz ; aussi verra-t-on cette pénurie des
moyens de transport entraver les mouvements de l'armée
et, comme au début de l'expédition, influer d'une manière
fâcheuse sur les opérations militaires.
Au départ de France, l'uniforme des troupes ne fut pas
modifié. Plus tard le général Forey donna l'ordre de lais-
ser les shakos à la Martinique ; il fit distribuer des cha-
peaux de paille et adapter des visières aux bonnets de
police alors en usage dans l'infanterie. Cette mesure était
commandée par les nécessités du climat; mais les négli-
gences de tenue qui en résultèrent firent regretter que
l'équipement des troupes n'eût pas été mieux approprié
aux conditions d'une guerre faite sous les tropiques. Les
chapeaux de paille furent d'ailleurs bientôt abandonnés, et
les troupes portèrent le képi avec couvre-nuque, qu'elles
conservèrent pendant toute la durée de la campagne.
La marine de guerre fut exclusivement chargée du trans-
port des troupes placées sous les ordres du général Forey.
L'amiral Jurien, qui reprit à cette époque le commande-
ment de l'escadre du golfe du Mexique, en dirigea le dé-
barquement à Vera-Cruz (^).
plus grand nombre de ces hommes avaient oté ramenés en France comme convales-
cents.
Ces chiffres ne peuvent être d'une exacUludc rigoureuse. Des erreurs se glis-
sent toujours dans les décompositions d'elTeclif. Les situations d'embarquement
de la marine ne concordent pas avec celles de la guerre ; des hommes ont été
envoyés isolément sur les paquebots, des marins compris dans l'effectif du corps de
Tamiral Jurien ont été rendus à la flotte, tandis que d'autres ont été débarqués.
Ces mutations, peu considérables du reste, doivent cependant modiûer le ciiiffre de
2,852, représentant la diminution d'effeclif.
(1) Voira T Appendice le détail des transports.
LE GÉNÉRAL FOREY. 209
Le général Forey, avec une escorte composée d'un ba- 1862.
taillon de chasseurs à pied et d'un escadron de cavalerie,
précéda d'environ un mois le reste de son corps expédi-
tionnaire, et arriva à Yera-Gruz le 21 septembre.
En passant à Ténériffe, où devaient faire relâche les bâ-
timents de transport, il laissa des ordres pour qu'il ne fût
pas permis aux troupes de descendre à terre ; il ordonna,
au contraire, qu'elles seraient débarquées à la Martinique,
et y séjourneraient le temps nécessaire pour assainir les
navires et reposer les hommes et les animaux.
Les bâtiments qui composaient les trois premiers con-
vois, étant partis d'Europe à intervalles trop rapprochés, se
trouvèrent ensemble sur la rade de Fort de France ; le
gouverneur de la colonie, craignant l'encombrement, les
dirigea les uns après les autres sur Vera-Cruz, où ils arri-
vèrent le lo et le 16 octobre, ayant à leur bord environ
8,000 hommes et 900 animaux.
Bien que la saison ordinaire du vomito fût alors passée,
l'état sanitaire de la côte était assez mauvais pour faire
craindre qu'un tel rassemblement d'hommes n'amenât
une recrudescence de la maladie. Les hôpitaux regor-
geaient de malades. Les pluies et le mauvais état des
chem.ins ayant contraint le général Forey à rester à Vera-
Cruz jusqu'au 12 octobre, ses troupes d'escorte en avaient
cruellement souffert ; au moment de son départ, le batail-
lon de chasseurs ne comptait plus que 515 hommes dans
le rang; il laissait deux cents hommes à l'hôpital. Les
soldats étaient si affaiblis qu'il fallut faire porter leurs
sacs sur des mulets et 175 hommes restèrent à l'ambu-
lance de la Soledad. On y fit séjour, et cependant on dut
s'arrêter deux jours encore à Palo-Verde à 18 kilomètres
plus loin. Le nombre des décès, d'abord restreint, s'aug-
210 1"= PARTIE. CHAPITRE V.
4862. menta bientôt dans une grande proportion, surtout au delà
du Ghiquihuite, où le changement de température ne fit que
hâter le développement des germes morbides. Quinze
hommes furent encore laissés au Ghiquihuite, trente-trois
à Gordova, où mourut le lieutenant-colonel Mancel, chef
d'état-major de la 2'^ division ; en arrivant à Orizaba, il n'y
avait plus que dix hommes valides au bataillon de chasseurs,
112 plus ou moins gravement atteints se traînaient encore,
70 éta^ient portés sur des mulets, en tout 192 hommes;
les autres étaient morts ou dans les hôpitaux. On fut obhgé
de puiser dans le l^*" et le 18^ bataillon de même arme,
pour rétablir l'effectif de ce bataillon. Gette expérience
était assez dure pour qu'on ne voulût pas exposer d'au-
tres corps à de pareils malheurs en les laissant séjourner
trop longtemps à Vera-Gruz ; des ordres furent donnés pour
que les troupes restassent à bord des bâtiments sur rade
jusqu'au moment où il serait possible de les mettre en
route vers l'intérieur. Gette mesure n'eût pas présenté d'in^
convénients graves, si les tempêtes du Norte (vent du
nord), dont la bienfaisante influence devait assainir la
côte, n'eussent, d'un autre côté, fait courir de sérieux dan-
gers à l'escadre dans la rade mal abritée de Sacrificios et
dans le mauvais port de Vera-Gruz. Les inquiétudes et
les préoccupations des chefs de l'armée n'avaient fait
que changer de nature. Il fallut à plusieurs reprises sus-
pendre les opérations du débarquement; souvent les
communications entre la ville et la rade étaient inter-
rompues. Le 28 octobre, éclata un ouragan si violent,
qu'un des bâtiments de l'escadre, le Chaptal, fut jeté
à la côte ; quatre navires marchands se perdirent dans le
(') Le général Forey au ministre, 25 octobre, 25 novembre.
LE GÉNÉRAL FOREY. 211
port même de Vera-Gruz, et cinq au mouillage de Sacrifi- 4862.
cios ; la plupart étaient chargés de matériel pour l'armée
ou pour la marine. Les équipages furent sauvés, à l'excep-
tion de trois ou quatre hommes, et les troupes embarquées
n'eurent heureusement aucune perte à déplorer.
En général, les traversées des bâtiments de transport se
firent dans des conditions satisfaisantes. La bonne entente
qui, d'après le rapport des capitaines, ne cessa de régner
entre les équipages et les passagers, le dévouement des
uns, la discipline des autres leur avaient permis d'échapper
aux risques d'un aussi long voyage, rendu plus difficile
encore par l'encombrement des bâtiments, l'accumulation
du matériel, et les mauvaises conditions de navigabilité des
navires de guerre désarmés, transformés en transports, et
dont la charge était portée dans les parties hautes.
Cependant les transports-écuries avaient été notable-
ment éprouvés. L'Aube, qui avait à son bord 357 chevaux
de chasseurs d'Afrique, essuya un fort coup de vent avant
d'arriver à la Martinique. L'amplitude du roulis, qui attei-
gnit jusqu'à 43° d'inclinaison, ne tarda pas à disjoindre les
bordages, des voies d'eau se déclarèrent ; les chevaux, bien
qu'ils fussent soutenus par des sangles, ne purent plus
garder leur équihbre sur des plans inclinés, rendus glis-
sants par l'humidité. Les quarante chevaux d'un bord ve-
naient heurter à la fois de leur poitrail la charpente qui
portait leur mangeoire; ils la défoncèrent, furent jetés sous
les pieds des chevaux du bord opposé, les renversèrent et
disparurent avec eux sous l'eau qui envahissait la batterie
basse. 11 fut impossible de les relever. Les chevaux des
batteries supérieures, dont les amarres cassaient, étaient
précipités par l'ouverture des panneaux sur ceux des étages
inférieurs, les tuaient en tombant ou se brisaient les mem-
212 l" PAUTIE. CHAPITRE V.
4862. bres. Ces malheureuses bêtes, roulant d'un bord à l'autre,
le désordre était à son comble. Lorsque la tempête fut
apaisée, on constata que quarante chevaux étaient morts
ou avaient les jambes brisées et soixante-dix étaient plus
ou moins grièvement blessés. Le Jura n'avait pas été plus
heureux. Sur 362 animaux, on avait été obligé d'en jeter
120 à la mer (^). Ces pertes affectaient d'une manière sen-
sible la cavalerie du corps expéditionnaire, mais on n'eut
à regretter aucun accident grave pour les hommes.
^"don"*^-'""^ Avant son départ pour le Mexique, le général Forey
au général Forey. J^yr^j[j; pgç^ ^q l'Empercur Ics instructious suivantes :
Fontainebleau, le 3 juillet -1862.
« Mon cher général, au moment où vous allez partir pour le
Mexique, chargé de pouvoirs diplomatiques et militaires, je crois
utile de bien vous faire connaître ma pensée. Il n'entre pas dans
mes habitudes de rappeler les événements passés pour critiquer ce
qui n'a pas réussi. Si je commence par y faire allusion, c'est que
l'exemple des fautes commises empêchera d'y retomber à l'avenir,
et qu'il est de mon droii comme de mon devoir de distribuer, sui-
vant ma conviction, le blâme et l'éloge.
« J'ignore si le caractère privé de M. de Sahgny laisse à dési-
rer ; j'ignore quelles intempérances de langage on peut lui repro-
cher; mais ce que je sais, et ce que je déclare hautement, c'est
que depuis le commencement de l'expédition du Mexique, ses dé-
pêches ont toujours été marquées au coin du bon sens, de la fermeté,
et de la dignité de la France, et je ne doute pas que si ses avis
eussent été suivis, notre drapeau ne flottât aujourd'hui à Mexico.
On dit qu'il a trompé le gouvernement sur le véritable état des
choses au Mexique; il m'a au contraire, j'aime à le reconnaître,
toujours dit la vérité. Jamais il n'a prétendu que la population
(') Rapport du colonel du Barail, 7 octobre 1862. — Le général Forey au
ministre, 9 novembre i862. — Le commandant de de l'Aube au ministre de la
LE GÉNÉRAL FOREY. 2i3
mexicaine fût assez enthousiaste et assez énergique pour venir au- ^862.
devant de nos soldats et se débarrasser elle-même du gouverne-
ment qui l'opprime; mais il a toujours soutenu qu'une fois entrés
dans l'intérieur du pays, nous y trouverions des populations sym-
pathiques. Or la preuve qu'il avait raison, c'est que depuis l'échec
du 5 mai, je vois par un rapport du consul de Prusse à Puebla,
adressé à son gouvernement, que la ville de Puebla était dans la
consternation le lendemain de notre insuccès; que, morne et silen-
cieuse, elle était loin de participer à la joie du corps de troupes
mexicain. Je sais, par des lettres venues de Puebla même, que plus
de dix personnes ont été fusillées pour intimider ceux qui ose-
raient, comme elles, faire des démonstrations en notre faveur. Je
sais par vingt lettres venues de Mexico et passées sous mes yeux
(parmi lesquelles se trouve le rapport du ministre de Prusse et celui
du ministre de Belgique) qu'avant le 5 mai le gouvernement était
dans la stupeur, et que la population nous attendait avec impa-
tience comme des libérateurs. Ainsi, le général de Lorencez n'a pas
été trompé par les rapports de M. de Saligny et du général Al-
monte ; car s'il avait réussi dans l'attaque de Puebla, tout ce que
ces messieurs lui avaient annoncé se serait réalisé.
« Je n'en veux pas au général de Lorencez d'avoir échoué ; tout
le monde peut se tromper à la guerre, mais je lui reproche de jeter
le blâme sur ceux qui ne le méritent pas. S'il eût triomphé à Gua-
dalupe, il s'en serait, avec raison, attribué exclusivement le mé-
rite ; de même, dans le cas contraire, il doit en supporter seul la
responsabilité. Sous ce dernier point de vue, je ne saurais assez
donner d'éloges au général de Lorencez pour la manière dont s'est
exécutée la retraite, le soin qu'il a pris des blessés, et l'ordre qu'il
a su maintenir dans sa colonne encombrée de chariots.
« Voici maintenant la ligne de conduite à tenir par le générai
Forey :
e 1° Faire h son arrivée une proclamation dont les idées princi-
pales lui seront indiquées.
« 2» Accueillir avec la plus grande bienveillance le général Al-
monte et tous les Mexicains qui s'offriront à lui.
« 3° N'épouser la querelle d'aucun parti, déclarer que tout n'est
que provisoire, tant que la nation mexicaine ne se sera pas pro -
214 r* PARTIE. CHAPITRE V.
-1862. noncée. Montrer une grande déférence pour la religion, mais ras-
"" surer en même temps les détenteurs de biens nationaux.
« 4° Nourrir, solder et armer, suivant ses moyens, les troupes
mexicaines auxiliaires; leur faire jouer le rôle principal dans les
combats.
« 5° Maintenir parmi nos troupes, comme parmi les auxiliaires,
la plus sévère discipline ; réprimer vigoureusement tout acte, tout
propos blessant pour les Mexicains, car il ne faut pas oublier leur
caractère orgueilleux, et il importe au succès de l'entreprise de se
concilier, avant tout, l'esprit des populations.
« Parvenu à Mexico, il est à désirer que le général Almonte et
les personnes notables de toute nuance, qui auraient embrassé
notre cause, convoquent, suivant les lois mexicaines, une assemblée
qui décidera de la forme du gouvernement et des destinées du
Mexique.
« Le général aidera le nouveau pouvoir à introduire dans l'ad-
ministration, et surtout dans les finances, cette régularité dont la
France offre le meilleur modèle. Dans ce but, on enverra au gou-
vernement mexicain des hommes capables de seconder sa nouvelle
organisation.
« Le but à atteindre n'est pas d'imposer aux Mexicains une
forme de gouvernement qui leur serait antipathique, mais de les
seconder dans leurs efforts pour établir, selon leur volonté, un gou-
vernement qui ait des chances de stabilité et puisse garantir à la
France le redressement des griefs dont elle a à se plaindre.
« Il va sans dire que, si les Mexicains préfèrent une monarchie,
il est de l'intérêt de la France de les appuyer dans cette voie, et,
dans ce cas, le général pourrait indiquer l'archiduc Maximilien
comme le candidat de la France.
« Il ne manquera pas de gens qui vous demanderont pourquoi
nous allons dépenser des hommes et de l'argent pour mettre un
prince autrichien sur un trône.
« Dans l'état actuel de la civilisation du monde, la prospérité de
l'Amérique n'est pas indifférente à TEurope, car c'est elle qui ali-
mente notre industrie et fait vivre notre commerce. Nous avons
intérêt à ce que la république des Etats-Unis soit puissante et pros-
père ; mais nous n'en avons aucun à ce qu'elle s'empare de tout le
LE GÉNÉRAL FORE Y. 215
golfe du Mexique, domine de là les Antilles et l'Amérique du Sud, i862.
et soit la seule dispensatrice des produits du Nouveau-Monde. "~
Maîtresse du Mexique, et par conséquent de l'Amérique centrale et
du passage entre les deux mers, il n'y aurait plus désormais d'autre
puissance en Amérique que celle des Etats-Unis.
« Si au contraire le Mexique conquiert son indépendance et
maintient l'intégrité de son territoire, si un gouvernement stable
s'y constitue par les armes de la France, nous aurons posé une
digue infranchissable aux empiétements des États-Unis, nous au-
rons maintenu l'indépendance de nos colonies des Antilles et de
celles de l'ingrate Espagne; nous aurons étendu notre influence
bienfaisante au centre de l'Amérique, et cette influence rayonnera
au Nord comme au Midi, créera des débouchés immenses à notre
commerce et procurera les matières indispensables à notre industrie.
<i Quant au prince qui pourrait monter sur le trône du Mexique,
il sera toujours forcé d'agir dans les intérêts de la France, non par
reconnaissance seulement, mais surtout parce que ceux de son
nouveau pays seront d'accord avec les nôtres, et qu'il ne pourra
même se soutenir que par notre influence.
« Ainsi donc aujourd'hui, notre honneur militaire engagé, l'exi-
gence de notre politique, l'intérêt de notre industrie et de notre
commerce, tout nous fait un devoir de marcher sur Mexico, d'y
planter hardiment notre drapeau, d'y établir soit une monarchie,
si elle n'est pas incompatible avec le sentiment national du pays,
soit tout au moins un gouvernement qui promette quelque stabilité.
« Sous le rapport militaire, je n'ai pas besoin de rappeler au
général Forey que plus une expédition est lointaine, plus elle doit
être conduite avec un mélange bien calculé d'audace et de pru-
dence, c'est-à-dire que partout où l'on n'a pas à lutter contre des
obstacles matériels, on peut hasarder des coups de main, et que
partout, au contraire, où se rencontrent des fortifications, il faut
agir avec la circonspection la plus grande. Un coup de canon au
Mexique est cent fois plus précieux qu'en France. Ce que je blâme
absolument dans la dernière affaire dePuebla, c'est d'avoir dépensé
mille coups de canon dans une position et à une distance ou l'ar-
tillerie ne pouvait produire aucun effet.
« La gloire d'un général ne consiste pas seulement dans le suc-
216 l"' PARTIE. CHAPITRE V.
i862. ces, mais dans les moyens employés pour l'obtenir. Plus il ména-
gera le tir de ses soldats, plus il tournera les obstacles au lieu de
les aborder de front, plus il saura par les manœuvres, diviser les
forces de l'ennemi et par cela même accroître ses propres chances,
plus il fera preuve de qualités supérieures et plus il justifiera la
confiance placée en lui.
« Je recommande au général Forey de n'avoir qu'une seule ligne
d'opérations. S'il croit utile de déblayer la route de Jalapa, je ne le
ferais, à sa place, qu'après être arrivé à Puebla. Car alors, maître
de la Vera-Cruz, d'Orizaba et de Puebla, je séjournerais dans cette
dernière ville, et j'enverrais de là une colonne sur Jalapa, ce qui
ouvrirait alors les deux grandes routes qui conduisent à Vera-Cruz.
« Cependant, si, d'après des renseignements, cette colonne ris-
quait d'être arrêtée par le fort de Perote, il faudrait bien se garder
de faire une expédition inutile et négliger la route de Jalapa, qui,
plus tard, s'ouvrirait d'elle-même.
« Pour s'emparer de Puebla, je crois parfaitement inutile de
faire le siège de Guadalupe et de Loreto. L'attaque par le Carmen
a toujours réussi pendant les guerres civiles, et une attaque de
barricades sera beaucoup moins meurtrière que le siège des ma-
melons ci-dessus mentionnés. Toutefois, môme dans cette attaque,
quelques travaux de siège ne seront peut-être pas inutiles, et l'em-
ploi des gabions farcis peut mettre les troupes les plus exposées
au moins h l'abri de la fusillade.
<t Une fois Puebla en notre pouvoir, cette ville doit devenir notre
grand dépôt et le centre des approvisionnements, où l'on établira
des hôpitaux.
« Il serait très-essentiel d'établir un chemin de fer de la Vera-
Cruz jusqu'au pied des montagnes, et je me suis adressé au consul
de France à New-York pour savoir à quelles conditions un entre-
preneur américain pourrait l'établir
(En post-scriptum.) « Il va sans dire que le général Forey ayant
tous les pouvoirs, M. de Saligny ne doit correspondre avec le mi-
nistre des affaires étrangères, que d'après les ordres du général.
M. de Saligny doit être vis-à-vis du général Forey, dans la môme
position qu'un ministre, chef de légation, vis-à-vis d'un ambassa-
deur dans un congrès. >
LE GÉNÉRAL FOREY. 217
La politique de l'Empereur à l'égard du Mexique n'était ''^*^--
en rien modifiée ; il n'avait encore perdu aucune illusion ;
c'est à peine si l'insuccès du 5 mai lui avait ouvert les yeux
sur les difficultés de l'expédition au point de vue militaire,
car il attribuait cet échec aux mauvaises dispositions prises
par le général de Lorencez. « Je ne doute pas, écrivait
l'Empereur, que si les avis de M. de Saligny eussent été
suivis, notre drapeau ne flottât aujourd'hui sur Mexico. »
Il persistait à croire que l'intervention française avait de
nombreux partisans ; loin d'être désabusé sur le compte de
M. de Saligny, il rendait hommage « au bon sens » et à
l'exactitude des informations qu'il en avait reçues ; aussi,
bien qu'on subordonnât le ministre de France au général
Forey, afin de supprimertoute cause de désaccord entre le
commandant des troupes et les agents pohtiques, M. de Sa-
ligny n'en conservait pas moins en réalité la direction des
affaires ; il avait entre les mains tous les fils de l'intrigue, et
c'était lui qui était tout particulièrement chargé d'en pré-
parer le dénoùment. Le général Forey s'efforça donc tout
d'abord de rétablir de bonnes relations entre la légation
française et l'état-major du corps expéditionnaire ; il alla
lui-même chez le ministre de France, invita ses officiers à
s'y présenter, et s'attacha à faire disparaître toute trace des
dissensions passées. A l'égard du général Almonte, on
avait pris moins de précautions. Quelques jours après son
arrivée à Vera-Gruz, le général Forey avait simplement
fait publier dans les journaux l'avis suivant :
« Le général, commandant en chef, investi de tous les pouvoirs Le général Forey
militaires et politiques, fait savoir au peuple mexicain, et en parti- , Jissout
1- T. 1 •. ? 1 1 -.T ^ 1 . . , le gouvernement
culieraux habitants de la Vera-Gruz, que le gouvernement institue formé
par le général Almonte sans le concours de la nation, n'a d'aucune P^"" ',« général
manière 1 approbation de 1 intervention française.
218 l" PARTIE. CHAPITRE V.
4862. ce Le général Almonte aura donc :
"" ï 1° A dissoudre le ministère qu'il a créé.
« 2° A s'abstenir de promulguer aucune loi ou aucun décret.
« 3° A quitter le titre qu'il a pris de chef suprême de la nation,
se bornant de la façon la plus stricte à exécuter les instructions de
l'Empereur, qui sont de procéder par tous les moyens possibles à
l'organisation de l'armée mexicaine avec tous les autres généraux
mexicains qui se sont joints à notre drapeau <*^ »
Mais en même temps, pour empêcher les ennemis de l'in-
tervention de prétendre que l'indépendance et l'autono-
mie mexicaines étaient menacées, il fit hisser le drapeau
mexicain à côté du drapeau français sur la maison de ville
de Vera-Gruz,
« Le chef suprême intérimaire » était, comme on le voit,
traité avec assez peu de façons ; on commençait à se rendre
compte de son impuissance et du tort qu'il avait fait à l'in-
fluence française. Cependant ses actes gouvernementaux,
ayant toujours été concertés avec le ministre de France, en
bonne justice, M. de Saligny aurait dû en partager la res-
ponsabilité.
Proclamation En arrivant au Mexique, le général en chef, conformé-
ment aux ordres de l'Empereur, avait fait publier la procla-
mation suivante :
« Mexicains,
« L'empereur Napoléon, en me confiant le commandement de
la nouvelle armée qui va bientôt me suivre, m'a chargé de vous
faire connaître ses véritables intentions,
« Lorsqu'il y a quelques mois, l'Espagne, l'Angleterre et la
France, subissant les mêmes nécessités, ont été amenées à se réunir
pour la même cause, le gouvernement de l'Empereur n'envoya
qu'un petit nombre de soldats, laissant à la nation la plus outra-
<') Journal de Vcra-Cruz , 1"' octobre. — Documents du ministère de la
marine.
LE GÉNÉRAL FOREY. 219
gée la direction principale dans le redressement des griefs com- ^S&2.
muns. Mais, par une fatalité difficile à prévoir, les rôles ont été ~
intervertis, et la France est demeurée seule à défendre ce qu'elle
croyait l'intérêt de tous. Cette nouvelle situation ne l'a pas fait
reculer.
« Convaincue de la justice de ses réclamations, forte de ses inten.
lions favorables à la régénération da Mexique, elle a persévéré et
persévère plus que jamais dans le but qu'elle s'est proposé.
« Ce n'est pas au peuple mexicain que je viens faire la guerre,
mais à une poignée d'hommes sans scrupule et sans conscience,
qui ont foulé aux pieds le droit des gens, gouvernent par une ter-
reur sanguinaire, et, pour se soutenir, n'ont pas honte de vendre
par lambeaux à l'étranger le territoire de leur pays.
« On a cherché à soulever contre nous le sentiment national, en
voulant faire croire que nous arrivions pour imposer à notre gré un
gouvernement au pays; loin de là, le peuple mexicain, affranchi
par nos armes, sera entièrement libre de choisir le gouvernement
qui lui conviendra; j'ai mission expresse de le lui déclarer.
« Les hommes courageux, qui sont venus se joindre à nous, mé-
ritent notre protection spéciale , mais, au nom de l'Empereur, je
fais appel, sans distinction de parti, à tous ceux qui veulent l'indé-
pendance de lear patrie et l'intégrité de son territoire. Il n'entre
pas dans la politique de la France de se mêler, pour un avantage
personnel, des querelles intestines des nations étrangères; mais
lorsque par des raisons légitimes elle est forcée d'intervenir, elle
le fait toujours dans l'intérêt du pays où son action s'exerce.
« Souvenez-vous oue partout où flotte son drapeau, en Amérique
comme en Europe, il représente la cause des peuples et de la civi-
lisation.
« Vera-Cruz, le 20 septembre. »
Peu de temps après son arrivée à Orizaba, le 3 novembre,
le général en chef jugea utile de caractériser de nouveau •
la politique française en publiant une seconde proclamation :
« Mexicains,
* A la lecture de la proclamation qu'à mon arrivée dans votre
pays je vous ai adressée, vous n'avez pas pu vous tromper, et vous
avez reconnu la main de l'Empereur ; lui seul possède le secret de
dire tant et de si belles choses dans un style aussi noble que net.
« Mais aujourd'hui que j'ai vu assez de votre pays pour vous
220
1 PARTIE. • — CHAPITRE V.
-1862.
dire mes impressions, laissez-moi vous les exposer brièvement et
avec la simple franchise d'un soldat qui, je vous le répète, et
quoi que puissent vous dire des écrivains de mauvaise foi, ne vient
pas faire la guerre au peuple mexicain, mais à un gouvernement
dont la triste situation de votre pays prouve à l'évidence l'incapa-
cité à faire le bien.
« Que voit-on en effet dans vos villes? des bâtiments en ruine,
des rues impraticables, des eaux croupissantes et viciant l'air; que
sont vos routes ? des fondrières, des marécages où chevaux et voi-
tures ne peuvent passer sans danger. Qu'est-ce que votre adminis-
tration ? le vol organisé ; ceux qui sont chargés par leurs fonctions
de faire rendre justice à leurs concitoyens, sont parfois les pre-
miers à les molester dans leurs personnes et dans leurs biens. Les
préposés à la rentrée des impôts ne remplissent le plus souvent
les caisses de l'état qu'après avoir rempli leurs poches.
« L'agriculture peut-elle être encouragée lorsque le cultivateur
est à peu près certain de se voir enlever le fruit de son travail?
« Le commerce, les arts, peuvent-ils fleurir quand de toutes
parts, et depuis longues années, retentissent des cris de guerre?
Œ N'avez-vous donc recouvré votre indépendance, après tant de
sang répandu pour un si noble but, que pour en faire un si déplo-
rable usage, et n'est-il plus dans ce pays, favorisé du ciel sous tant
de rapports, de véritables patriotes comprenant que cette noble
nation est exploitée depuis trop longtemps par quelques ambitieux,
qui dépensent dans des luttes fratricides toutes les forces vives du
Mexique ?
« Oui, je vous le dis avec douleur et avec tous ceux qui voient
la triste situation de votre pays, vous courez à votre perte et vous
n'avez plus qu'un pas à faire pour tomber dans un abîme qui englou-
tira votre indépendance et vous replongera dans la barbarie^ si
vous ne faites un pas en arrière. Faites-le donc ce pas,, quand la
Providence vous en offre une occasion peut-être unique.
« La France vous envoie une armée, modèle d'ordre et de disci-
pline, quoi qu'ait osé écrire le contraire une presse odieusement
calomniatrice ; elle vient vous aider h vous constituer en une nation
riche, puissante, libre de cette vraie liberté qui ne marche pas sans
l'ordre, en une nntion que toutes les autres puissent reconnaître
comme civilisée. Cette armée vous aidera à constituer un gouver-
nement honnête, probe, qui n'emploiera que des agents honnêtes
et probes comme lui. Alors les finances de l'État seront le bien de
tous, et non de quelques-uns; elles serviront, au lieu d'enrichir
quelques ambitieux, à payer une armée régulière capable de main-
LE GÉNÉRAL FOREY. 221
tenir l'ordre dans le pays, et de protéger au lieu de détruire la 1862.
fortune privée, elles serviront à ouvrir des voies de communication ""
comme en Europe, afin de faciliter les relations commerciales qui
font la prospérité des peuples ; elles serviront à réparer vos routes,
vos ponts, vos monuments, à entretenir vos villes mal éclairées,
mal pavées.
« Tout cela ne vaut-il pas la peine d'y réfléchir? Que tous les
Mexicains, à quelque parti qu'ils appartiennent, se donnent la
main pour oublier de vieux ressentiments et travailler en commun
à la grandeur de leur patrie. C'est à l'ombre du drapeau français
qu'ils peuvent obtenir ce résultat, car ils se souviendront de ces
belles paroles de l'Empereur : « Partout où flotte ce drapeau, il
représente la cause des peuples et de la civilisation. »
Cette proclamation ne fut pas approuvée en France, et
le ministre de la guerre « crut devoir donner au général
Forey le conseil de ne pas faire abus des proclamations » (*).
Le général Zarasjoza était mort au mois de septembre et , Ec^iange
^ o -t^ (le lettres entre
avait été remplacé dans son commandement par le général le généra onega
Ortega. Des rapports, qu'on avait lieu de croire exacts C"^), i'^ s'^^érai Forey.
avaient fait supposer que le nouveau commandant en chef
de l'armée mexicaine, « convaincu que l'intervention fran-
çaise pouvait seule mettre un terme aux maux du pays », ne
serait pas éloigné d'entrer en négociations avec les repré-
sentants de la France.
Le général Ortega ayant renvoyé à Orizaba deux prison-
niers français, restés depuis le 5 mai dans les hôpitaux de
Puebla, le général Forey, en le remerciant de cette courtoi-
sie, lui adressa copie de sa proclamation au peuple mexi-
cain. Il lui écrivit, en même temps, que « s'il lui répugnait
de correspondre, même pour un motif d'humanité, avec le
gouvernement mexicain qui,îà en juger par sa conduite, en
ignorait les lois, il n'éprouvait au contraire aucune répul-
(ï) Lettre du ministre au général Forey, 30 décembre.
<*) Note du commandant Capitan, datée du 8 novembre.
222 f ^ PARTIE. CHAPITRE V.
^862. sion à répondre par une lettre politique à la délicate atten-
tion du général Ortega, qu'il estimait comme un brave sol-
dat et ne confondait pas avec le gouvernement qu'il servait.
Il lui exprimait le regret de voir que sa vaillante épée ne fût
pas au service d'une .cause plus digne de sa pairie » (*).
Le général Ortega renvoya lettre et proclamation, s'ex-
cusant, en termes polis du reste, de ne pouvoir laisser
d'une manière officielle dans ses archives des documents de
pareille nature. « Citoyen libre et indépendant, éloigné
jusqu'alors du métier des armes, il était venu, de centaines
de lieues, offrir l'appui de son épée au gouvernement ac-
tuel, parce que ce gouvernement était celui que les peuples
de la république s'étaient donné d'eux-mêmes, qu'il était
l'émanation de la démocratie mexicaine et qu''il importait
autant de le défendre que de soutenir l'autonomie et les
droits de la patrie.
« Quel que soit le terrain sur lequel la question di-
plomatique soit placée par les événements militaires ,
disait le général Ortega, la personne qui représentera
la France sera tôt ou tard obligée de s'entendre avec
ce gouvernement, qui seul a reçu de la nation des pou-
voirs pour la représenter. Que semblerait au général
Forey, si en lui adressant une communication courtoise à
l'égard de sa personne, j'insultais le gouvernement de Napo-
léon III ? Verrait- il mes phrases avec indifférence? et ce-
pendant de ma part il y aurait quelque justice, puisque le
sol de ma patrie est envahi par les armes françaises »
En terminant il exprimait l'espoir de voir « le général
Forey comprendre, que les véritables intérêts de la France
n'étaient pas de s'unir à quelques mécontents pour renver-
(*) Le général Forey au général Ortega, 10 novembre i862 (d'après le teite
espagnol publié par le gouvernement mexicain).
LE GÉNÉRAL FOREY. 223
ser un gouvernement soutenu par l'opinion presque una- ^862.
nime des peuples du Mexique et pour faire la guerre à une
nation qui conservait les plus grandes svmpathies pour la
France libérale et progressiste » (^).
L'intervention française ne ralliait pas, en effet, de nom- Pénurie
d6S vivrGs 6t des
breux partisans ; l'armée restait dans un isolement absolu, transpons.
les populations des villes occupées par les Français souf-
fraient considérablement de l'état de guerre; elles voyaient
leur commerce ruiné, leurs ressources, taries; on était obligé
d'y payer à un prix excessif les objets de première néces-
sité. Quels étaient donc les bienfaits de cette intervention,
qui s'annonçait avec de si belles promesses? Les plus mau-
vais jours des guerres civiles n'avaient pas été si durs.
Toute la zone comprise entre Orizaba et Vera-Cruz était
épuisée ; on avait de la peine à se procurer de la viande
dans ces régions où les troupeaux abondent d'ordinaire ;
l'ennemi les avait chassés dans la montagne ou retirés fort
loin de la route et des postes français. Quant au blé, ce
pays n'en produit pas, et les guérilleros pendaient les In-
diens qui venaient de l'Anahuac apporter des provisions à
Orizaba. La ration de pain, dans la fabrication duquel le
maïs entrait pour moitié, n'était que de 600 grammes.
L'intendance avait passé des marchés exécutoires à Puebla
et à Mexico ; ce n'était pas le moyen de sortir des embarras
présents ; il fallait donc toujours demander les approvision-
nements à Vera-Cruz, et le nombre des voitures était
si insuffisant que le général en chef ne crut pas pos-
sible de faire avancer ses troupes sur les hauts plateaux
avant d'avoir assuré ses ravitaillements et s'être procuré une
(i) Le général Ortega au général Forey, 16 novembre. (Pièces publiées par le
gouvernement mexicain.)
224 1^* PARTIE. CHAPITRE V.
^1862. plus grande quantité de chariots et de mulets. Il pria le
ministre de la guerre de lui en envoyer de France ; il
donna l'ordre de faire d'importants achats aux Etats-Unis et
aux Antilles ; enfin, il essaya aussi d'utiliser les ressources
locales en se mettant en rapport avec les gens du pays.
Le général mexicain Lopez ayant pris l'engagement de
livrer un millier de mules à Tampico si une troupe fran-
çaise occupait cette ville pendant quelque temps, le général
en chef y consentit ; quelques autres expéditions moins
importantes eurent également lieu, dans le même but, aux
environs des postes français. En attendant la réunion de ces
moyens de transport, le général Forey se résolut, malgré
le danger du climat, à maintenir une grande partie de ses
troupes à peu de distance de Vera-Cruz, afin d'en faciliter
le ravitaillement.
Marche La brigade de Bertier fut envovée à Jalapa, centre d'un
de la brigade . ,. , . " . . ,
de Beriier sur pays quc 1 on avait lieu de croire moins appauvri ; quelques
autres troupes suivirent aussi cette route, tandis que plu-
sieurs régiments s'arrêtaient sur divers points de celle
d'Orizaba. Le général de Bertier partit de Vera-Cruz,
le 27 octobre, à la tête d'environ 5,400 hommes ('). Des
forces irrégulières assez nombreuses, commandées parDiaz-
Miron, avocat de Vera-Cruz, poëte plutôt que militaire,
mais homme énergique et sincèrement attaché au parti de
la réforme, tenaient plusieurs excellentes positions dé-
fensives. La première de ces positions, le Puente-Nacional,
fut cependant occupée sans coup férir. Le général de Ber-
tier s'y arrêta pour attendre un convoi de vivres, et laissant
ses malades (211 hommes) dans une hacienda voisine, sous
(1) 7* bataillon de chasseurs, Sl^ et 62' de ligne, une Laiterie d'artillerie, un
escadron du 12^' cliasseurs et quelques troupes d'administration. — Le général
Forey au ministre, 25 novembre: — (Journaux de marche )
Jalapa.
LE GÉNÉRAL FOREY. 223
la protection de quelques compagnies, il se porta de nou- ''*^62.
veau en avant le 3 novembre.
Près du rancho de la Rinconada, des guérilleros embus-
qués dans les broussailles commencèrent à tirailler sur la
tête de colonne et se retirèrent sans qu'on pût les atteindre ;
peu après, la cavalerie alliée du colonel Figuerero, qui
éclairait la marche, fut vivement ramenée par deux cents
cavaliers mexicains. L'escadron de chasseurs, s'élançant
aussitôt, aborda vigoureusement l'ennemi à l'arme blanche,
lui fit tourner bride et le poursuivit pendant deux lieues.
Quinze Mexicains restèrent sur le terrain, deux chasseurs
furent tués et dix blessés.
Le lendemain, le général de Bertier fit attaquer la forte
position du Cerro-Gordo que défendaient environ 3000
hommes et plusieurs pièces d'artillerie. La tête de colonne
fut arrêtée au pied des hauteurs par une vive fusillade
et plusieurs coups à mitraille, mais deux compagnies
de chasseurs s'apprêtant à tourner la position, l'ennemi
l'évacua précipitamment en abandonnant un obusier de
montagne. La colonne française eut deux hommes tués
et deux blessés.
Jalapa fut occupé sans autre résistance le 7 novembre ;
la population de cette ville parut assez mal disposée pour
que le général de Bertier jugeât prudent de faire camper ses
troupes en dehors ; il ne s'installa dans l'intérieur que
quelques jours après.
Tandis que s'effectuait le mouvement sur Jalapa, le gé- Opérations
néral Bazaine avait envoyé de petites colonnes au sud deVcia-cmz.
de Vera-Gruz, afin de dégager le cours inférieur du Rio
Atoyac, d'éloigner les guérillas de la route d'Orizaba et
de chercher à ramener des bêtes de somme ou de trait
15
226 l'* PARTIE. — CHAPITRE V.
4862. et des bestiaux qui se trouvent en nombre considérable
sur les bords des Rios Blanco et Atoyac et près des la-
gunes d'Alvarado. Le l^"" novembre, 300 guérilleros furent
chassés de Medelin par une compagnie du 95' et les cavaliers
de Stœcklin, qui traversèrent résolument le Rio Jamapa,
sous le feu de l'ennemi, ayant de l'eau jusqu'à la ceinture.
Le 16 novembre, le 3*^ zouaves et un escadron de chas-
seurs d'Afrique s'avancèrent jusqu'à Alvarado que l'enne-
mi abandonna après avoir éloigné le bétail et encloué les
canons. Le général Bazaine se disposait à faire continuer
le mouvement jusqu'à Tlacotalpan, situé sur les bords du
Rio Papaloapan, large et beau fleuve qui traverse une con-
trée fertile et que les canonnières peuvent remonter pen-
dant plusieurs lieues, mais il en fut empêché par les ordres
du général en chef qui lui prescrivirent de ne pas dissé-
miner ses troupes et de ne pas les fatiguer dans des opéra-
tions accessoires. Le 3^ zouaves fut donc rappelé à Vera-
Cruz (1).
Occupation Également daus l'espoir d'attirer et d'utiliser pour l'ar-
mée les ressources des pays qu'arrosent le Rio Atoyac et le
Rio Blanco, un détachement avait été envoyé de Cordova
pour occuper l'hacienda d'Omealca à six lieues au sud-est
de Cordova, et dont le pont sur le Rio Blanco sert de débou-
ché aux produits des terres chaudes du sud de Vera-Gruz.
Quatre compagnies du l^"" zouaves, après avoir vigoureuse-
>1) L'opération sur Tlacotalpan ne fut pas abandonnée ; un détachement de
50 volontaires créoles, qui avait été envoyé à, Alvarado pour soutenir les cavaliers
de Stœcklin, occupa Tlacotalpan le 6 décembre ; mais ayant voulu, avec l'appui de
la canonnière la Sainte- Barbe, relancer les guérillas sur la rive opposée du Papa-
loapan, cette tentative échoua. Sept hommes furent tués et dix-huit blessés, dont
plusieurs restèrent entre les mains de l'ennemi (11 décembre). Les guérilleros
étant complètement maîtres du cours supérieur du fleuve, l'occupation de Tlaco-
talpan n'offrit aucun des avantages qu'on en attendait, et la ville fut évacuée le
22 décembre.
d'Omealca.
LE GÉNÉRAL FORE Y. 227
ment enlevé des barricades établies par l'ennemi au Penon, -1862.
dans un défilé formé par des rochers et le lit escarpé du ~"
Rio Blanco, s'emparèrent d'Omealca le 13 novembre. Mais
fidèles à leur tactique , les Mexicains établirent un cor-
don de surveillance autour de l'hacienda et arrêtèrent les
marchandises, qui d'ordinaire prennent cette direction. Ce
poste fut abandonné le 26 décembre, dès que commença le
mouvement général vers les hauts plateaux.
L'expédition sur Tampico fut la plus importante de ces Expédition
opérations préliminaires, destinées à faciliter l'organisation "^^ ampico.
des transports.
Tampico est un port de fondation moderne, situé au nord
de Vera-Gruz, à trois lieues de la mer, près du confluent
des Rios Panuco et Taniesi, grands fleuves assez facile-
ment navigables pendant 40 à 50 heues, mais dont l'embou-
chure est obstruée par une barre dangereuse, impraticable
dans les mauvais temps et sur laquelle on ne trouve parfois
que 2"°, 50 d'eau. Malgré cette circonstance défavorable, le
port de Tampico, que des routes commerciales relient
d'un côté avec San Luis Potosi, de l'autre avec Yittoria
et Monterey, acquit rapidement une grande prospérité.
Sa population s'éleva au chiffre de huit mille habitants,
et le revenu de sa douane, considérablement augmenté
depuis l'occupation de Vera-Gruz par les forces étran-
gères, constituait une des ressources les plus importantes
du gouvernement mexicain.
Par suite du désir, trop scrupuleux sans doute, de mé-
nager les intérêts des neutres et ceux de la population
miexicaine, la croisière française avait l'ordre de se bor-
ner à arrêter la contrebande de guerre ; Tampico n'avait
donc pas eu à souffrir d'un blocus exercé dans de telles
228 l"^* PARTIE. CHAPITRE V.
'isea. conditions et les navires de commerce français, auxquels
l'accès du port était interdit par les autorités mexicaines
ou qui n'y pouvaient entrer qu'à des conditions excessive-
ment onéreuses, étaient seuls à supporter un préjudice. A
défaut d'autre résultat, l'expédition projetée devait avoir
au moins l'avantage de modifier cette singulière situation 0).
Le 81*^ de ligne fort de 1500 hommes environ, sous les
ordres du colonel de la Canorgue, fut désigné pour cette
opération dont l'amiral Jurien prit en personne la direc-
tion; il partit de Vera-Cruz le 17 novembre, avec dix bâti-
ments, afin d'avoir un nombre d'embarcations suffisant
pour un débarquement de vive force. Le 22 novembre, les
chaloupes, portant 1200 hommes, franchirent la barre
et le débarquement s'effectua sans résistance. Tampico fut
occupé le lendemain.
Le général Pavon, qui commandait la garnison ennemie,
ne s'était pas trouvé assez fort pour défendre la ville,
mais avec quelques centaines d'hommes, dont il disposait, il
la cerna étroitement en attendant des renforts. La canon-
nière la Lance entra dans le Rio Panuco, elle en remont^
le cours pendant environ vingt-cinq lieues jusqu'à Panuco ;
les guérilleros la saluèrent au passage de la Isletta par
un feu violent de mousqueterie, qui ne lui fit du reste au-
cun mal.
Outre la Lance, l'amiral laissa dans le fleuve une cha-
loupe et deux yachts à vapeur ; les gros bâtiments se tinrent
au mouillage de l'île Lobos prêts à embarquer les mulets
promis par le général Lopez ; mais on s'aperçut bientôt
que ce personnage ne serait nullement à même de satis-
faire à ses engagements. Il aspirait à jouer un rôle poli-
'>*) Rapport du commandant du lierthollet, 28 ot-t.
LE GÉNÉRAL FOREY. 229
tique, bien plus qu'il ne se préoccupait de venir en aide 1862.
à l'armée française. Il s'était installé de lui-même alcade
mayor de Tampico et dispensateur des revenus de la
douane ; on disait qu'en les exploitant à son profit, il pour-
rait non-seulement payer à l'administration le dédit de son
marché, mais encore réaliser d'importants bénéfices.
Le général en chef avait eu l'intention de limiter à un
mois la durée de l'expédition ; ce délai allait expirer et les
mules étaient loin d'être rassemblées ; il ne voulait cepen-
dant, à aucun prix, se priver de la coopération d'un de ses
régiments en prolongeant l'occupation de Tampico. Dans
le principe, l'amiral Jurien n'avait pas été favorable à
l'opération , mais il trouvait que, puisqu''elle avait été en-
treprise, il fallait en tirer toutes les conséquences pos-
sibles; si la présence d'une garnison française à Tampico
avait pour résultat de priver Juarez d'une notable partie de
ses revenus et de favoriser des mouvements en faveur de
l'intervention de la part des généraux Mejia et Moreno ,
qui se tenaient entre San Luis et la mer, il pensait qu'on
n'aurait pas à regretter cette diversion. Sa correspondance
avec le général Forey sur cette question est fort intéres-
sante. Voici une de ses lettres :
Vera-Cruz, -10 décembre.
« Je ne puis nier, mon cher général, que je n'aie eu une ten-
dance tr^s-prononcée à vous entraîner à une occupation illimitée
de Tampico, mais soyez bien convaincu que je n'en ai laissé con-
cevoir l'espérance à personne. Les habitants de Tampico ont su,
dès le premier jour, que cette décision n'appartenait qu'au général
en chef et que le général en chef n'avait à Tampico d'autre repré-
sentant que M. le colonel de la Canorgue. Vous savez, mon cher
général, que j'ai toujours eu quelques doutes sur la prompte et
fidèle exécution du contrat du général Lopez, mais j'aurais eu mau-
vaise grâce à élever des objections contre une expédition à laquelle
230 l" PARTIE. CHAPITRE V.
4862, VOUS teniez essentiellement. Je ne puis avoir d'autre rôle ici que de
"" travailler de mon mieux à seconder vos projets et croyez bien que
je le ferai toujours avec le plus sincère et le plus affectueux dévoue-
ment. C'est ce dévouement même qui m'oblige à vous représenter
les conséquences d'une évacuation complète de Tampico, si avant
de nous retirer nous ne laissions la place en mains sûres. Ni les
négociants français, ni les Mexicains, qui se sont compromis en
restant en contact avec les envahisseurs ne voudraient attendre le
retour des libéraux. Nos bâtiments devraient donner asile à de
nombreux réfugiés et l'effet moral d'une expédition, qui a si bien
réussi jusqu'à présent, serait loin d'être avantageux à la cause de
l'Intervention. Mais je le répète, il n'appartient qu'à vous de juger
ce qu'il convient ou ce qu'il est possible de faire. Si vous laissez un
détachement à Tampico, je l'appuierai de tous mes moyens. Si
vous n'en laissez pas, je dirai atout le monde et je me persuaderai
à moi-même que vous avez bien fait.
« Ayez confiance, mon cher général, dans mon loyal désir d'a-
planir les difficultés contre lesquelles vous luttez avec tant d'éner-
gie et permettez-moi d'oublier quelquefois la déférence que doivent
m'inspirer vos longs et éclatants services pour ne me souvenir que
de l'affection que vous m'avez si souvent témoignée. »
Le général en chef maintint l'ordre de faire revenir le
81® de ligne, il laissa toutefois à l'amiral la faculté de gar-
der Tampico avec ses propres ressources et un détachement
de trois compagnies d'infanterie de marine, c'est-à-dire
environ deux cents hommes, qu'il mit à sa disposition.
L'amiral crut d'abord cette combinaison possible, mais il se
rendit bientôt compte des difficultés, pour une aussi faible
garnison, de résister à un ennemi dont les forces s'accrois-
saient sans cesse. Le soin d'occuper et de défendre ce port
eût été pour l'escadre une charge trop lourde. L'évacuation
fut résolue (*). Le chiffre des troupes libérales qui entou-
raient Tampico s'élevait alors à près de 2000 hommes.
(U La marine avait déjà perdu 1200 hommes en gardant Vera-Cruz ; ces
sacriûces ne pouvaient se continuer sans de grav<'s inconvénients. Les troupes de
mer, pas plus que celles de terre, n'étant à l'abri du climat meurtrier des terres
LE GÉNÉRAL FOREY. 231
Le colonel de la Canorgue, qui ne voulait pas se laisser i862.
enfermer dans la place, avait fait sortir plusieurs recon-
naissances. Le 21 décembre, une de ces colonnes eut à
quelques kilomètres en avant d'Altamira une rencontre
assez sérieuse avec l'ennemi.
Le 22 décembre, des canots portèrent un petit détache-
ment d'environ deux cents hommes sur la rive droite du
fleuve, afin de débusquer l'ennemi, qui avait pris position
à Pueblo Viejo ; les embarcations s'échouèrent à une trop
grande distance de la plage et, après une fusillade qui coûta
deux tués et vingt blessés, il fallut donner le signal de la
reiraile. L'expédition fut reprise le lendemain en débar-
quant sur un point un peu plus éloigné, mais les Mexicains
quittèrent Pueblo -Viejo avant l'arrivée de la colonne
française, pour y rentrer aussitôt après son départ.
Le 28 décembre, un engagement eut encore lieu au nord
de la ville; ce fut le dernier, l'ordre d'évacuation était donné ;
quatre cents habitants, qui avaient témoigné des sympathies
chaudes, l'amiral demanda au ministre de la marine la création, dans le plus
bref délai, de bataillons coloniaux formés avec des hommes de couleur pris, soit
au Sénégal, soit aux Antilles, sans quoi on serait exposé à voir les troupes euro-
péennes se fondre les unes après les autres (a).
La marine avait en effet de trop cruelles épreuves à supporter, raùme sur les
bâtimenis qui tenaient la mer, pour qu'elle pût se charger de la garde des postes
à terre. On avait dû renvoyer à New-York le Masséna, dont l'équipage était
épuisé ; la Grenade, qui se trouvait devant Carmen, avait eu à la fois quarante-
cinq hommes malades , et dans ce nombre tous ses officiers , tous les maîtres
moins un. Vingt et un hommes étaient morts à la date du 8 novembre ; il avait
fallu qu'elle complétât son équipage par des levées à bord des bâtiments mar-
chands, et qu'on lui envoyât des matelots noirs (b).
A la fin du mois de novembre , la Normandie, avait perdu vingt-quatre
hommes, parmi lesquels trois de ses chirurgiens et trois officiers. L'épidémie à
bord de cette frégate prit de telles proportions, qu'on tut obhgé de l'envoyer au
(a) Du 12 juillet au 29 octobre, on avait successivement dijbarqué 280 marins pour le
service à Vera-Cruz. Quinze ou vin;,'t jours après leur débarquement, ils entraient générale-
ment à l'hôpital. — Lettre de l'amiral, 29 octobre.
(b) Rapport du commandant de ÏÈclair, 26 novembre
232 l'* PARTIE. CHAPITRE V.
486Î. aux troupes françaises et craignaient les vengeances des
libéraux, furent pris à bord des bâtiments de l'escadre.
Le l^'" bataillon du 81° fut embarqué le 2 janvier ; de vio-
lentes et fréquentes tempêtes forçant à chaque instant les
navires à s'éloigner d'une côte sans abri, les opérations du
rembarquement ne furent terminées que le 22 de ce mois.
Pendant cette période, les bâtiments se virent forcés de
quitter sept fois la rade pour aller recevoir les coups de
vent en pleine mer. La ville fut évacuée le 13 janvier et
les dernières troupes (c'est-à-dire 320 hommes du 81* et
60 marins) restèrent campées sur la plage, du 17 au 22
janvier , sans pouvoir communiquer avec l'escadre ; une
force ennemie supérieure en nombre avec plusieurs pièces
d'artillerie se tenait à peu de distance, se bornant à les
observer.
Ces derniers détachements embarqués, il fallait faire sor-
tir la canonnière la Lance de la rivière, dont les eaux avaient
beaucoup baissé ; comme on était à l'époque de la plus
mouillage des Saintes, aux Antilles, pour y rétablir son état sanitaire. Elle partit
le 20 décembre après avoir perdu son commandant, le capitaine de vaisseau
Russell et quarante officiers ou marins, sur un équipage de 550 bommes. Elle
laissa cent six hommes à l'hôpital; on dut mettre à son bord un équipage
noir de quatre-vingt-dix hommes et la faire escorter par le TourvUle.
Dans de telles conditions, l'amiral trouvait que le service de la flotte devait se
restreindre. Voyant en outre un grand inconvénient à la situation mal définie de
l'amiral commandant dans le golfe à l'égard du général commandant en chef, il
demanda à plusieurs reprises qu'il fût constitué à Vera-Cruz, avec deux ou trois
transports, des bâtiments de flottille, le slationnaire et les marins de la direction
du port, une station locale à l'entière disposition du général commandant en chef.
Cette petite division permettrait à celui-ci de faire opérer sur la côte les mouve-
ments rendus opportuns par la situation politique et militaire de l'intérieur du
pays, et comme il en disposerait directement, il n'y aurait plus à craindre qu'il
demandât à la marine un concours hors de proportion avec ses moyens d'action.
Les grands bâtiments et les avisos rapides formeraient alors une division d'obser-
vation qui seconderait la station locale , mais dont la mission serait surtout
(le maintenir dans le gulfe l'ascendant du pavillon.
Cette demande ne fut pas accueillie.
LE GÉNÉRAL FOREY. 233
grande marée du mois, tout espoir de la sauver n'était pas
perdu ; cependant, bien qu'elle eût été allégée autant que
possible et, malgré toutes les précautions, elle s'échoua et
fut vivement canonnée par deux pièces mexicaines, qui
vinrent se mettre en batterie à 1200 mètres. L'artillerie de
la Tempête et de la Tourmente (deux autres canonnières
restées en dehors de la barre) réduisit au silence les pièces
ennemies, mais l'amiral, ayant reconnu l'impossibilité de
renflouer la canonnière échouée, donna l'ordre de l'incen-
dier et de la détruire à coups de canon.
Ainsi se termina cette expédition sans autre résultat que
l'acquisition de deux cents et quelques mulets à un prix
fort élevé. Aussitôt arrivé à Vera-Cruz, le 81^ de ligne
s'achemina vers Orizaba.
4862.
Sans attendre que les moyens de transport fussent aussi
complets qu'il l'eût désiré, le général en chef s'était décidé
à porter une partie de ses troupes au delà des Cumbres.
Le 1^^ décembre, deux colonnes d'un effectif de 5,700
hommes et placées sous les ordres du général Douay, s'a-
vancèrent l'une par la route d'Acultzingo, l'autre par celle
de Maltrata. Le général Douay franchit les Cumbres d'Acult-
zingo que l'ennemi ne chercha pas à défendre et porta
son quartier général à San Agustin de Palmar. Le colonel
LTIériller suivit le chemin de MaUrata pour s'établir à
San Andrès-Chalchicomula ; il rencontra les avant-postes
mexicains à peu de distance de cette ville ; comme il pre-
nait des dispositions d'attaque, on vint le prévenir que ses
adversaires battaient en retraite ; un escadron de chasseurs
d'Afrique s'élançant à leur poursuite atteignit et chargea,
à un kilomètre au delà de San Andrès, un corps d'environ
cinq cents hommes auquel il ht quelques prisonniers.
Le corps
expéditionnaire
s'avance
sur le plateau
d'Anahuac.
234 l" PARTIE. — CHAPITRE V.
^862. Les environs de Palmar et de San Andrès sont riches et
bien cultivés. Les récoltes étaient encore sur pied dans la
plupart des localités, aussi le mouvement des colonnes fran-
çaises avait-il été fort opportun pour empêcher l'ennemi de
se les approprier ou de les détruire. On put se procurer du
blé et surtout du maïs ; les moulins de Palmar, de San An-
drès et de la Canada le transformèrent en farine ('), ce qui
permit de faire vivre les troupes plus facilement qu'on ne
l'avait pensé d'abord ; en effet, les ressources de toute
nature abondent sur le plateau d'Anahuac ; si l'armée avait
pu s'établir plus tôt dans cette région, elle n'aurait pas
été obligée de faire venir ses vivres de Vera-Gruz au prix
d'énormes fatigues et de dépenses considérables.
Une colonne fut envoyée à Tehuacan, où l'on offrait au
Trésor une quantité assez importante de numéraire (400,000
francs environ), dont l'armée avait toujours grand besoin.
L'administration s'y procura également du sel, que l'on
exploite dans les environs de cette ville. Cette colonne rallia
ensuite le général Douay qui, le 1" janvier, avança ses
lignes jusqu'à Quetcholac et Tecamachalco. L'ennemi se
retirait devant nos troupes, mais ses avant-postes restaient
toujours à peu de distance. D'ailleurs les populations repre-
naient confiance ; à Palmar et à San Andrès les habitants
(1) Le maïs, qui forme la majeure partie des cultures et dont les habitants
font la base de leur alimentation, offrait une ressource précieuse. Au Mexique,
les galettes de maïs ou tortilles, à la confection desquelles les femmes du pays
passent une grande partie de leur journée, tiennent lieu de pain. Il n'existe de
boulangeries qu'en petit nombre et seulement dans les villes. Les manutentions
de Varméd mélangèrent la farine de maïs à la farine de blé dans la proportion du
tiers et quelquefois de la moitié, et l'on obtint ainsi du pain d'assez bonne qua-
lité. On put alors rétablir la ration à son poids normal de 750 grammes. Le maïs
en grain était distribué aux chevaux, qui le préféraient de beaucoup aux avoines
venues de France et ('chaullees par la traversée; enfin les liges de mais sèches ou
vertes {zacate) tenaient lieu de paille et même de foin.
LE GÉNÉRAL FOKEY. 235
organisèrent des gardes civiles pour résister aux guérilleros 486?,
et sauver leurs récoltes de la destruction, auxquelles les
condamnaient les décrets du gouvernement mexicain.
Ces premières positions sur le plateau étant prises, le gé-
néral en chef fit également porter plus en avant les troupes
qui avaient suivi la route de Jalapa. Le défilé, qui conduit
de cette ville sur le plateau d'Anahuac, est commandé par
un petit fort placé au pied du Cofre de Perote près de la
ville du même nom. Comme il pouvait arriver que les
Mexicains cherchassent à disputer le passage, le général en
chef prescrivit au général Bazaine, resté jusqu'alors à Vera-
Cruz , de rejoindre avec quelques troupes le général de
Bertier à Jalapa et de prendre la direction de ce mouvement-
11 se résolut à faire concourir aussi à cette opération les
contingents aUiés du général Marquez.
Situation
des forces alliées
D'après une situation du l^'" décembre, l'effectif de ces
contingents était de 1300 hommes d'infanterie, 1100 cava- ''ïififuef
liers, 50 artilleurs et un nombre fort considérable d'officiers
isolés (*), que l'on réunit plus tard en escadron d'élite sous
le commandement du général Taboada. Le général Mar-
quez faisait de grands efforts pour organiser ses soldats et
en tirer quelque parti, mais il était mal secondé par la plu-
part de ses officiers. Jusqu'à l'époque de son arrivée à
Orizaba, le général Marquez n'avait occupé dans les troupes
de la réaction qu'une position secondaire sous les ordres
du général Zuloaga. A la suite do certaines contestations,
celui-ci lui avait môme retiré son commandement pour
(•) On comptait deux généraux de division, huit généraux de brigade, treiitc-
Imit colonels, trente-sept lieutenants-colonels, soixante-dix chefs de bataillon,
deux cent deux capitaines, cent soixante-six lieutenants, cent qualrc-vinjrt-douze
alferez. (Situation au 1"' octobre.)
236 l" PARTIE. CHAPITRE V.
1862. le donner à Gobos. Au moment où le général de Lorencez se
porta sur Puebla, Zuloaga et Gobos ayant pris vis-à-vis
de Juarez l'engagement de ne gêner en rien les opéra-
tions de l'armée libérale, le général Almonte avait donné
Tordre à Marquez de revendiquer le commandement supé-
rieur et de venir le rejoindre. Il l'avait tenté, mais n'avait
pu se faire suivre que par une faible partie des troupes et,
parmi les officiers mexicains présents à Orizaba, un grand
nombre lui étaient même hostiles. Comme il avait con-
servé de bonnes relations avec le général de Lorencez,
il était ensuite devenu suspect au général Almonte et
la jalousie de ses compatriotes lui créait de fréquentes
difficultés.
Si la mésintelligence régnait entre les chefs, la discipline,
le dévouement, la fidélité au drapeau étaient choses incon-
nues du soldat. Ces malheureuses troupes étaient en outre
dans un dénùment absolu, hommes et chevaux mouraient
de faim. Dans ces conditions elles ne pouvaient rendre de
grands services ; aussi étaient-elles plus gênantes qu'utiles.
Pour vivre, elles pillaient le pays et augmentaient ainsi
l'impopularité de l'intervention française; le général de
Lorencez leur ayant fait donner des vivres mais pas de
solde, elles continuèrent leurs exactions parce que les vivres
étaient insuffisants ; on essaya de leur donner une solde
sans vivres, elles gardèrent la solde et pillèrent encore pour
se nourrir ; le général Forey se décida à leur faire distri-
buer une solde et des vivres (*) et leur promit des effets
d'équipement attendus de France. Les troupes françaises
avaient peu de sympathie pour ces alliés déguenillés et pil-
lards plus semblables à des bandits qu'à des soldats ; quant
<') Le général Furcy au ministre, 23 octobre 1862.
LE GÉNÉRAL FOREY. 237
aux officiers, leur orijj^ine, leurs habitudes, leur éducation, 48C2.
leur moralité étaient en général si différentes de celles des
officiers français que des rapports intimes ne pouvaient
guère s'établir entre eux. Les Mexicains se trouvaient du
reste humiliés d'être à la solde du trésor français, les
formes rigoureuses de notre administration blessaient leur
susceptibilité ; ils ne pouvaient s'empêcher en outre de
voir d'un œil jaloux l'ingérence de la France dans leurs
affaires mtérieures ; désireux, à coup sûr, d'en tirer pour
eux-mêmes tout le profit possible, ils pardonnaient diffici-
lement à l'étranger les services qu'ils étaient obligés d'en
accepter; l'épithète de traître, que leur prodiguaient leurs
compatriotes, sonnait douloureusement k leurs oreilles,
tandis que, d'autre part, ils se sentaient peu estimés par les
Français à côté desquels ils étaient appelés à combattre.
Les soldats français n'eussent jamais consenti à être placés,
même éventuellement, sous les ordres d'un officier mexi-
cain. Ils étaient très-disposés à tourner en dérision leurs
alliés, dont le cri de ralliement Viva la Religion ! était peu en
rapport avec la manière de vivre ; ils avaient au contraire
une tendance à se montrer plus sympathiques à la devise
Libertad y Reforma, inscrite sur le drapeau libéral , et qui
leur paraissait plus conforme à leurs propres idées. C'était
fort regrettable car, en se reportant au but assigné à l'ex-
pédition, on ne pouvait espérer de résultat satisfaisant,
si un parti politique sérieux ne grandissait à l'abri du
drapeau français. Le mépris témoigné à ceux qui de-
vaient en être le noyau ne pouvait en favoriser le dévelop-
pement.
Le général Forey voulut relever les troupes alliées à leurs
propres yeux et à ceux de l'armée française ; il essaya de
les moraliser, de leur donner une organisation h peu près
238 l" PARTIE. CHAPITRE V.
-1862. régulière, mais il n'y parvint qu'à grand'peine se heurtan^
sans cesse contre le mauvais vouloir des officiers mexicains,
contre leur répugnance à suivre des conseils ou à re-
cevoir une direction des chefs de l'armée française. Ils
eussent voulu que les sommes destinées à l'entretien de
leurs troupes, sommes qu'ils trouvaient du reste très-insuf-
fisantes, leur fussent remises en bloc, avec la faculté d'en
disposer selon leur gré ; il était d'autant plus difficile d'ad-
mettre une pareille prétention, que l'on avait de sérieuses
raisons de penser qu'une bonne partie de l'argent n'arrive-
rait pas à sa destination et que le soldat serait plus malheu-
reux encore. Il fut enfin convenu, après de longues discus-
sions, que les troupes mexicaines seraient soumises au
contrôle de l'intendance et tiendraient leur comptabilité,
sinon d'une façon exactement conforme aux règles de
l'administration française, au moins d'après les mêmes
principes ; mais il fallut commencer par hquider 156,000
francs de dépenses faites par le général Almonte.
Lorsque le général Forey manifesta l'intention d'envoyer
à Jalapa la petite division du général Marquez, on lui tit
craindre que les hommes ne désertassent en grand nombre ;
il persista néanmoins dans son projet, croyant même qu'il
était bon de leur témoigner plus de confiance qu'il n'en
avait réellement. Les troupes mexicaines se mirent enroule
le 29 novembre et, de fait, elles montrèrent plus de disci-
pline et de tenue qu'on ne l'avait espéré. Elles arrivèrent
l\ Jalapa le 7 décembre et se rangèrent sous les ordres du
général Bazaine ; cette épreuve leur fut favorable et dès ce
moment elles tinrent assez honorablement leur place à côté
des troupes françaises nouvellement débarquées, qui ne
partageaient pas à leur égard les préventions de l'ancienne
garnison d'Orizaba.
LE GÉNÉRAL FOREY. 239
Le général Bazaine, amenant avec lui le 3^ zouaves et i862.
une batterie d'artillerie, arriva le 12 décembre à Jalapa ; M,^he
•1 1 T\ du général
quatre jours après, il commença son mouvement sur Pe- Bazaine
rote, à la tête d'une colonne forte de 3,700 hommes envi- "^ Poïe.^""^
ron. Le 17 décembre, entre la Hoya et las Vigas, des tirail-
leurs ennemis, qui s'étaient dissimulés grâce à un épais
brouillard, firent une décharge sur l'avant-^arde avec la-
quelle marchait le général Bazaine ; ils blessèrent mortel-
lement un officier d'état-major et atteignirent quelques
hommes ; le lendemain, la colonne, qui avait bivouaqué à
las Vifijas, prit le chem.in de Cerro Leone, afin de tourner
les obstacles accumulés sur la route principale. Un corps
de 7 à 800 cavaliers mexicains ayant été signalé, le général
Bazaine lança contre eux la cavalerie de Marquez qu'il fit
appuyer par un escadron du 12*^ chasseurs. Les chasseurs
eurent bientôt dépassé les cavaliers alliés et chargeant l'en-
nemi le mirent en pleine déroute, après lui avoir sabré
une quarantaine d'hommes. Gomme à la Rinconada, comme
à San Andrès, un seul escadron vigoureusement conduit
avait obtenu sur des forces très-supérieures un avantage
marqué qui affermit la réputation de la cavalerie française.
Le fort de Perote fut occupé sans résistance le 19 dé-
cembre ; le général Bazaine s'y arrêta et fit rayonner ses
troupes dans les environs, autant pour rassurer les popula-
tions que pour se procurer des vivres. On trouva des ap-
provisionnements en grande quantité>et l'on réunit un trou-
peau de dix-huit cents têtes.
L'armée pouvait largement vivre sur le pays sans se
préoccuper outre mesure de la constitution des moyens
de transport. Il n'eût donc pas été impossible au corps
expéditionnaire, aussitôt après son débarquement, de
choisir des cantonnements sur le plateau d'Anahuac, et
240 l" PARTIE. CHAPITRE V.
^863. par une reprise vigoureuse et immédiate des hostilités de
" rétablir le prestige du drapeau qu'une trop longue inaction
pouvait au contraire compromettre.
Arrivé à Perote, le général Bazaine, pour se conformer
aux ordres du général en chef, s'occupa de faire replier tous
les détachements laissés sur la route en commençant par
celui de Puente Nacional qui était le plus éloigné.
Trois compagnies du 62^ envoyées de Jalapa pour pro-
téger cette évacuation, rencontrèrent l'ennemi dans les bois
de rOrgano; l'engagement se prolongea un certain temps,
mais ne coûta que sept tués et cinq blessés.
Les troupes françaises quittèrent également Jalapa; le
dernier détachement arriva le 18 janvier à Perote. Le gé-
néral Bazaine laissa ses malades dans le fort sous la pro-
tection d'une petite garnison et continua son mouvement en
avant; le 1*' février, il établit son quartier général dans
la petite ville de Nopalucan, d'où il se mit en communi-
cation avec Orizaba par San Andrès. La brigade du gé-
néral de Castagny vint l'y rejoindre et il conserva sous ses
ordres la brigade de Bertier, bien qu'elle ne fît pas partie
de sa division (*).
La citadelle de Perote fut ensuite abandonnée ; le premier
convoi d'évacuation , commandé par le colonel Garnier,
fut attaqué le 12 février près de la Yentilla par six cents
cavaliers ; mais une colonne française avait été envoyée à
sa rencontre; les chasseurs d'Afrique accourant au bruit du
combat se jetèrent sur l'ennemi qu'ils poursuivirent à ou-
trance, jusqu'à ce qu'il eût disparu dans la montagne. Le
dernier convoi fut amené sans encombre à San Andrès le
23 février.
(1) Dans la siiilp, la brigade de Bertier passa définitivement à la 1" division ;
la brigade Neigre la remplaça à la 2' division.
LE GÉNÉRAL FOREY. 241
De son côté, le 16 février, le général Douay se porta de ^863.
Quetcholac à Acalzingo et à los Pieyes ; il se mit en relations
avec le général Bazaine. Les Mexicains ne cherchaient pas
à s'opposer d'une façon sérieuse à ces mouvements, mais
ils les surveillaient de très-près, ne se hasardant à attaquer
que lorsque la supériorité numérique ou des circonstances
très-favorables paraissaient leur assurer le succès ; ils étaient
toujours prêts, du reste, à se retirer rapidement si les
chances tournaient contre eux, car ils ne mettaient au-
cun point d'honneur à rester maîtres de leurs positions et
ne prétendaient faire pour le moment qu'une guerre d'es-
carmouches.
C'est dans ces conditions que deux pelotons de chasseurs combat
,,.„.'„ „ 11, ■ ''c San José
a Airique, formant 1 avant-garde d une reconnaissance con- (i8 février).
duite par le général Douay sur la route de Tepeaca, ayant
attaqué une embuscade de tirailleurs, se trouvèrent inopi-
nément en présence de cinq cents cavaliers réguliers des
escadrons de Zacatecas ; bien qu'ils combattissent dans la
proportion d'un contre dix, ils n'hésitèrentpas à charger de
nouveau et vinrent se heurter encore contre une troupe d'in-
fanterie couverte par un fossé ; mais leur élan incomparable
triompha de tous les obstacles ; ils firent plier l'ennemi et
le poursuivirent pendant quatre lieues. Trois sous-ofticiers
furent tués; les Mexicains perdirent trente tués et neuf
prisonniers, dont un officier.
Le général Douay, en se rapprochant de Puebla, laissa
plusieurs postes en arrière pour assurer ses communica-
tions avec Orizaba et particulièrement pour garder les
magasins et les dépôts de munitions rassemblés à Quet-
cholac. Les voitures du corps expéditionnaire avaient été
employées sans relâche à amener dans cette petite ville les
IG
242 l" PARTIE. CHAPITRE V.
-1863. parcs d'artillerie et du génie et les réserves de matériel
nécessaires au siège (').
Heureusement les subsistances étaient, comme nous l'a-
vons dit, largement assurées. Les denrées trouvées sur les
plateaux permirent de suffire à la consommation journa-
lière et de constituer une réserve de vingt jours de vivres.
Déchargé de préoccupation à cet égard, le général en chef
put affecter tous ses transports au matériel de guerre et
il donna l'ordre de vendre, de céder à la marine ou
de réexpédier en Europe les vivres accumulés à Vera-
Cruz (^).
L'état sanitaire de l'armée était alors satisfaisant. Les
troupes échappèrent en général aux influences du vomito;
elles eurent toutefois à souffrir de fièvres d'acclimatement
qui, pendant quelque temps, rendirent indisponibles un
certain nombre de soldats; mais leur santé s'était rétablie
depuis qu'ils avaient gravi le dernier étage des plateaux;
les hommes dont la constitution était trop affaiblie furent
renvoyés en France; enfin l'effectif du corps expédition-
^'^ Ces moyens de transport se composaient eu ce moment de 108 voilures du
train français, de 220 voilures mexicaines et do 25U voilures américaines ache-
tées à New-York. Quoique inlërieures aux grands chariots mexicains et moins
bien appropriées aux roules du pays, ces dernières voitures, qui se rapprochaieni
du modèle des chariots de pare fiançais recouverts d'une bâche, n'eu consti-
tuaient pas moins un matériel roulant d'une valeur réelle • mais on manquait
d'animaux pour les atteler.
Les escadrons du train avaient amené avec eux tJ3G bétes de trait et 670 bètes
de somme ; on n'avait pu se procurer aux Aniilles, aux Etats-Unis et au Mexique
qu'environ 2500 mulets, sur lesquels on dut en réserver 1100 pour les équipages
de bât ; il fallut donc laisser à Vera-Cruz 210 de ces voitures, en attendant les
attelages demandés en France.
liOO mulets avaient été achetés à Cuba, 1200 à New-York, 116 à Tampico,
2oO aux Antilles, 88 au Mexique, en divers endroits. — Total : 2,754, sur les-
quels on perdit environ 200 bètes pour diverses causes.
(«J C'est-à-dire 530,000 rations de biscuit, 310,000 de sel, 250,000 de sucre
et café, 1,250,000 d'eau-de-vie, 12,000 quintaux d'avoine.
LE GÉNÉRAL FOREY. 243
naire allait être notablement augmenté par l'arrivée d'une ^863.
brigade de réserve forte de 6,000 hommes (*).
Les opérations contre Puebla pouvaient donc commencer
dans de bonnes conditions, et satisfaction allait être donnée
à l'impatience avec laquelle le gouvernement et la nation
française attendaient la nouvelle d'une reprise sérieuse des
hostilités.
Avant d'entreprendre le siège, le général Forey organisa organisation
,.j ,. , ^ . . „ des postes
solidement sa hgne de communication avec Vera-Lruz. suriaiignede
j, , communication
11 partagea tous les postes entre deux commandements avec Veia-Cruz.
supérieurs, celui de Vera-Cruz, et celui d'Orizaba C^). Il
ordonna de les pourvoir de vivres pour trois mois, d'un
approvisionnement de trois cents cartouches par homme,
et de les protéger par des ouvrages de campagne ; quelques
O Depuis le commencement de la campagne jusqu'au 2o mars 1863, l'armée
de terre avait perdu : 17 officiers tués, 29 officiers morts de maladie, 68 soldats
tués, 571 soldats morts de maladie, 101 disparus. — Total : 786 hommes. —
93 officiers et soldats avaient été rapatriés.
O COMMANDEMENT DE VERA-CRUZ.
M. Durand Saint- Amand, capitaine de vaisseau, commandant supérieur.
Compagnies de matelots noirs des Antilles (253 hommes).
Détachement de marins (91 hommes).
, Une compagnie d'infanterie de marine (40 hommes va-
vera-Cruz. /
hues) .
Section de volontaires de la Martinique (oO hommes).
Fraction de la contre-guérilla de Figuerero.
Deux compagnies et demie d'infanterie de marine.
La Tejeria. \ La compagnie du génie colonial (moins 25 hommes).
Fraction de la contre-guérilla Figuerero.
Quatre compagnies d'infanterie de marine.
25 hommes du génie colonial.
La Soledad. j Les auxiliaires de Tampico (c'étaient des gens de Tampico,
compromis pendant l'occupation de la ville par les Fran-
çais, et qui avaient été ramenés par l'escadre).
Douze cavaliers du 12" chasseurs.
Le poste de Medelin et celui d'Alvarado relevaient aussi du commandement
244 l" PARTIE. — CHAPITRE V.
<863. pièces de canon mexicaines furent placées à la Soledad, au
Chiquihuile et à Orizaba.
Chaque bataillon du corps expéditionnaire, à l'exception
des bataillons de chasseurs, fournit une compagnie pour
la garde des postes ; cette mesure, prise dans le but de
donner également à tous les corps la satisfaction de par-
ticiper aux opérations actives , présentait l'inconvénient
de constituer partout des détachements sans homogénéité :
aussi n'était-elle que provisoire et devait-elle durer seule-
ment jusqu'à l'arrivée de la brigade de réserve, qui serait
plus particulièrement affectée à ce service, il n'avait pas été
possible de laisser des détachements de cavalerie mexi-
caine à la Soledad et au Fortin, les officiers ayant déclaré
que tous les soldats déserteraient. Le général en chef, ne
voulant pas se priver de sa cavalerie française, en la dissé-
minant sur ses derrières, s'efforça d'y suppléer en dévelop-
pant l'organisation des contre-guérillas. Il avait déjà pres-
deVera-Cniz. A Mcdelin furent cantonnées une section d'infanterie de marine
et la conlre-guérilla Stœcklin, récemment placée sous les ordres du colonel Dupin.
A Alvarado, il se trouvait seulement une cinquantaine d'hommes des volon-
taires de la Martinique.
COMMANDEMENT d'oRIZABA.
M. Waïsse de Roquebrunne, lieutenant-colonel du 81<^ de ligne, commandant
supérieur.
, „ 1 1 »c 1 ( Ijne compagnie de tirailleurs algériens.
A Paso del Macho. \ ^ " , , ^ ,
Douze cavaliers du 12'^ chasseurs.
Au Chiquihuite. | Deux compagnies du 81'= de ligne.
/ Deux compagnies du 1"'' zouaves.
Cordova et Rio Seco. ' Deux compagnies du 2" zouaves.
( Douze cavaliers du 12* chasseurs.
Au Fortin. | Une compagnie du 3" zouaves.
!Une compagnie du 3* zouaves.
Deux compagnies du 99' de ligne.
Deux compagnies du 95* de ligne.
I Deux compagnies du 51° de ligne.
/ Deux compagnies du 02'' de ligne.
\ n.jvize cavnliers du 12'" chasseurs.
LE GÉNÉRAL FOREY. 2io
crit d'en porler l'effectif à quatre cents hommes. Au mois i863
de février, M. de Stœcklin, qui offrit sa démission, fut
remplacé par le colonel d'état-major Dupin, alors en non-
activité et nominalement attaché à l'état-major du général
Almonte. Le corps de Slœcklin se composait de quarante-
cinq fantassins, et de quatre-vingts cavaliers aventuriers
de toutes les nations du monde , armés de façons di-
verses, mal équipés, mal montés, sans munitions, mais
presque tous gens intrépides et à ne reculer devant aucune
entreprise.
Le colonel mexicain Figuerero commandait environ
quatre-vingts hommes à cheval.
Le 23 février, arrivèrent en outre à Vera-Cruz quatre Arrivée
. . .à Vcra-Cruz
cents Egyptiens destmés spécialement au service des d'on bataiiioa
1 1 , ,T^ -1 , . • • d'Egyptiens.
terres chaudes. L empereur avait demande au vice-roi
d'Egypte de mettre à sa disposition un bataillon de noirs du
Soudan dans l'espoir que ces hommes résisteraient mieux
que les Européens au climat de la côte. Ce bataillon avait
été secrètement embarqué à Alexandrie, pendant la nuit
du 7 au 8 janvier, sur le transport la Seimi'^).
Il était composé de :
Un chef de bataillon, un capitaine, un lieutenant;
8 sergents, 15 caporaux, 359 soldats, 39 recrues, 22
enfants de dix à quinze ans.
Les soldats étaient habillés et bien équipés ; les recrues,
enlevées parla police du vice-roi la veille du départ, étaient
presque nues. Un fonctionnaire de l'intendance, qui avait
été envoyé à bord de la Seine, s'occupa d'organiser celte
troupe qu'il divisa en quatre compagnies et dont il com-
pléta les cadres par des promotions immédiates.
(') Rapport du commandant de la Seine, '23 février.
246 l'® PARTIE. — CHAPITRE V.
-1863. Pendant la traversée, sept hommes moururent à la suite
de fluxions de poitrine ou de fièvres typhoïdes. On en
perdit encore une quinzaine peu après leur débarquement,
et l'on craignit un instant qu'ils ne fussent pas à l'abri des
influences pernicieuses des terres chaudes. Il était presque
impossible de s'en faire comprendre ; on ne savait com-
ment les utiliser; plus tard des interprètes choisis dans
le bataillon de tirailleurs algériens parvinrent à entendre
leur langue ; lorsque l'on sut connaître leurs besoins, soi-
gner leurs maladies, tirer parti de leurs aptitudes, ces sol-
dats noirs se disciphnèrent, s'acclimatèrent rapidement et
rendirent les plus grands services dans les postes, où les
troupes françaises se fondaient en quelques jours. Éner-
giques et braves au feu, on pouvait sans crainte les opposer
aux bandes de guérillas qui ne cessaient de battre le
pays, épiant l'occasion de surprendre un convoi insuffi-
samment escorté ou un petit poste trop faiblement gardé.
Jusqu'alors le succès avait presque toujours couronné le
courage de nos soldats, mais les fatigues les affaiblissaient.
On s'efforça de rendre moins pénible le service dans les
terres chaudes, en faisant continuer les travaux du chemin
de fer destiné à en abréger la traversée. Une subvention
fut accordée à la compagnie, des ouvriers furent amenés
d'Amérique, des rails et du matériel envoyés de France,
mais les difficultés étaient grandes, les courses inces-
santes des bandes ennemies entravaient les travaux, et
dans cette première partie de la campagne, on ne put
utiliser que la section déjà ouverte entre Vera-Gruz et
la Tejeria.
Reprise Toutcs Ics dispositions pour une nouvelle offensive étant
dfs oi)ér;itions
contre Puebia. arrêtées, Ic général Forcy transporta son quartier général
LE GÉNÉRAL FOREY. 24 i
à Quetcholac. Il y arriva le 27 février ; le lendemain, il réu-
nit un conseil de guerre dans lequel furent discutés les
moyens d'investir Puebla ; le choix du point d'attaque fut
réservé.
La caisse de l'armée manquant de numéraire, on atten-
dit jusqu'au 9 mars un convoi d'argent venant de la
Havane. Les troupes profitèrent de ce délai pour s'organi-
ser complètement et se rapprocher encore de quelques lieues.
Le général en chef avait alors sous sa main :
18,000 hommes d'infanterie.
1,400 — de cavalerie.
2,150 — d'artillerie.
450 — du génie.
2,300 — de troupes d'administration.
2^000 — de troupes mexicaines.
Total : 26,300 hommes environ
et 56 bouches à feu, parmi lesquelles deux mortiers mexi-
cains ; les canons étaient approvisionnés à 300 coups , les
mortiers à 150 coups. On avait une réserve de 2,400,000
cartouches.
Avant son départ d'Orizaba, le général Forey annonça
au corps expéditionnaire la reprise des opérations contre
Puebla par l'ordre du jour suivant :
« Soldats,
« Voici bientôt neuf mois qu'un petit nombre d'entre vous, mar-
chant avec une confiance aveugle sur Mexico, a rencontré devant
Puebla un obstacle que vous n'avioz pas les moyens matériels de
renverser.
« Vous dûtes alors différer l'accomplissement de la grande et
noble mission que l'Empereur vous avait confiée, jusqu'à ce que
vous eussiez reçu tout ce qui vous manquait pour cela; mais il a
1863.
248 l'' PARTIE. CHAPIIRE V.
<8G3. fallu du temps, parce que la France est loin et qu'elle a voulu vous
" donner tous les moyens de vaincre.
« Ce temps du reste n'a pas été perdu, et un séjour prolongé
dans vos cantonnements vous a fait apprécier par le peuple mexi-
cain, qui a pu reconnaître à l'ordre, à la discipline qui n'ont cessé
de régner parmi vous, que vous n'êtes pas les instruments d'une
politique d'oppression, comme s'efforcent de le lui faire croire ceux
qui ont intérêt à le voir courbé- sous leur pouvoir arbitraire, mais
que vous êtes bien les soldats de la France, de cette France qui
marche à la tête de la civilisation, portant haut et ferme son dra-
peau dans les plis duquel peuvent se lire, à côté des noms de tant
de victoires qui l'ont illustré, ces mots : Ordre et Liberté.
ï Cette patience que vous avez mise h préparer vos moyens d'ac-
tion, les soldats abusés du gouvernement qui règne encore pour
quelques jours ;\ Mexico ont pu, dans la présomption que leur a
donnée leur facile triomphe du 5 mai, l'imputer h la crainte qu'ils
vous inspiraient. S'ils se sont endormis dans cette pensée, que leur
réveil soit terrible !
t Soldats, le temps du repos est passé; reprenez vos armes, et
marchez à la victoire que Dieu vous donnera, parce que jamais
cause n'a été plus juste que la vôtre. Vous avez à venger vos com-
patriotes soumis depuis longues années, par le gouvernement de ce
pays, à des injures, à des excès de tout genre. ; vous avez en outre
à rendre le Mexique h lui-même. Quelle plus belle mission que
celle-là !
« Animés de cette noble ardeur qui vous a rendus si redoutables
sur tant de champs de bataille, vous allez renverser tous les obs-
tacles qui se présenteront devant vous.
« Comme je vous l'ai déjà dit, soyez humains après la victoire,,
surtout envers les êtres faibles et désarmés ; mais soyez terribles
pendant le combat, et bientôt vous planterez le noble étendard de
la France sur les murs de iMexico, au cri de : Vive TEmpereur !
« Orizaba, Iv 17 février 1863. »
Le 4 mars, la tête de colonne du général Bazaine s'avança
jusqu'à Acajete, celle du général Douay jusqu'à San Bar-
tolo ; l'une et l'autre étaient ainsi à une petite journée de
marche d'Amozoc, point sur lequel devait s'opérer la con-
centration des troupes avant l'investissement de Puebla.
LK GÉNÉRAL FOREY. 249
Le 9 mars, le général Douay occupa Amozoc après avoir ^863.
échangé quelques coups de feu avec un avant-poste mexi-
cain, tandis que le général Bazaine envoyait des reconnais-
sances dans la direction d'Huamantla afin de donner le
change à l'ennemi sur ses projets ultérieurs. Ayant reçu
l'ordre définitif de concentration, le général Bazaine réunit
sa division près d'Acajete le 15 mars.
Le 16 mars, le général Douay partit d'Amozocet s'éta-
blit à l'hacienda de Manzanilla en face des cerros de Guada-
lupe ; le général Bazaine, traversant Amozoc sans s'y arrê-
ter, vint camper sous Puebla, entre le cerro Amalucan et
l'hacienda de Alamos.
L'investissement commençait.
Le gouvernement mexicain n'avait cessé d'augmenter ses pisposUions
^ ^ '-' défensives prises
éléments de résistance et de faire venir des hommes et du ma- par ic
gouvernement
lériel des provinces éloignées. Il cherchait à exalter le sen- mexicom.
timent national en ravivant la haine de l'étranger et en rap-
pelant la victoire du 5 mai. Des médailles commémoratives
étaient distribuées à tous ceux qui avaient pris part au com-
bat des Gumbres et à celui de Puebla ; le congrès mexicain
déclarait qu'ils avaient bien mérité de la patrie, des pen-
sions étaient promises à ceux dont les parents succombe-
raient dans la guerre. D'autre part, on cherchait à obte-
nir des Français résidant au Mexique, des déclarations désa-
vouant les griefs présentés par M. de Saligny ; des embau-
cheurs s'efforçaient d'entraîner les soldats français à la
désertion , en leur promettant des concessions de terre
dans l'intérieur du pays. «Les soldats français, » disait une
des nombreuses brochures répandues par l'ennemi dans
les rangs de l'armée, « comprendront enfin la vérité, et au
Ueu de continuer à verser leur sang pour asservir un peuple
-1863.
250 l'* PARTIE. CHAPITRE V.
libre, en se forgeant des chaînes pour eux-mêmes, ils
abandonneront le rôle de tristesse et d'infamie qu'on leur
fait jouer, pour venir parmi nous où ils trouveront toute
espèce de protection. »
« Qu'ils viennent donc ; amis, ils trouveront ici la ri-
chesse et la liberté (*). »
Le général Ortega avait déployé une grande activité dans
la mise en état de défense de Puebla ; un matériel de guerre
considérable s'y trouvait réuni et des fortifications conti-
nues avaient été élevées autour de la ville. Si Puebla suc-
combait, le gouvernement mexicain pensait avoir encore
une armée de 15 à 20,000 hommes pour défendre Mexico, et
lorsque la capitale tomberait aux mains de l'ennemi, il se
retirerait de ville en ville jusqu'aux confins du territoire en
éternisant la lutte. On intimait aux habitants l'ordre d'a-
bandonner leurs maisons et de détruire leurs récoltes à
l'approche de l'armée envahissante. Dans plusieurs en-
droits déjà, cet ordre avait été exécuté sous la pression
des guérillas.
A Puebla, le général Ortega expulsait les religieuses des
couvents qu'elles possédaient encore (10 décembre) et
transformait ces bâtiments en hôpitaux et en magasins. Le
gouvernement, pour accentuer de nouveau sa politique de
réforme, étendit bientôt cette mesure au pays entier.
L'ancien président Comonfort rentra au Mexique et of-
frit son concours à Juarez, pour lequel il avait témoigné jus-
qu'alors peu de sympathie. Il reçut de M. Yidaurri, gouver-
neur ad |)erpeîMWw des états de Nuevo-Léon et de Coahuila,
(') Extraits de la préface d'une brochure imprimée en fran(;ais à, Mexico, con-
tenant les discours prononcés au Corps législatif sur la question mexicaine par
MM. Ernest Picard et Jules Eavre. (îclte brocliure était répandue par l'ennemi
dans les rangs de l'armée française.
LE GÉNÉRAL FOR^'. 251
le commandement des contingents de ces provinces, et Jua- 4863.
rez lui ayant confié la mission spéciale de protéger Mexico,
il vint prendre position à San Martin-Texmelucan, à la
tête d'un corps de trois mille hommes environ (2 février).
Lorsque l'on sut à Mexico que le général Forey avait
quitté Orizaba et que la reprise des opérations contre
Puebla était imminente, le président .Juarez se rendit dans
la place, passa la revue de la garnison, distribua de l'argent
aux troupes et les exhorta à une défense énergique. Il rentra
ensuite dans la capitale, et l'armée mexicaine se prépara
avec une confiance et un calme réels à soutenir l'effort que
l'armée française allait tenter contre elle.
Le 10 mars, l'état de siège fut déclaré par le général
Ortega; le 14 mars, toutes les bouches inutiles et les rési-
dents français reçurent l'ordre de sortir de la place (*).
(») Pièces officielles mexicaines.
M!<w f.«j^ii«-, u M>^>^ ^/icl-^K*n
PLAN Dt PUEBLA
l>K,S KNVIliONS
-.r« rililrUi»i-i.rr .In I ..«.bal .tu .^ M.ti lAC^
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»ifcs«C7-a^w.
CHAPITRE SIXIÈME.
SOMMAIRE.
Invpstissement de Puebla (16 mars 1863). — Fortifications de PneWa. — Combat
de Cholula ( 22 mars). — Ouverture de la tranchée (23 mars). — Prise du
fort de San Javier ( 29 mars). — Attaque des cadres. — Conseil de guerre
(7 avril). — Combat d'Atlixco (14 avril). — Attaque du couvent de Santa
Inès (23 avril). — On change le système des attaques, — Combat de San
Pablo del Monte (o mai). — Combat de San Lorenzo ( 8 mai). — Ouverture
de la tranchée devant le fort Totimehuacan. — Reddition de la place (17 mai).
— Evasion des prisonniers faits à Puebla.
L'investissement de Puebla avait commencé le 16 mars, invesiisscmcnt
TN 1 • 1 T • • -r\ • ' 1 '^'^ Puebla
Des le matin, la division Douay, après avoir pousse devant (-16 mars i863).
elle les avant-postes ennemis, prit position sur le Cerro
Amalucan ; à l'arrivée de la division Bazaine, qui la releva
sur ce point, elle s'étendit en tournant Puebla par le nord,
fit. une reconnaissance offensive sur les fortifications de
Guadalupe et vint bivouaquer, comme nous l'avons dit, à
l'hacienda de Manzanilla. Le lendemain, elle continua son
mouvement vers la droite, tandis que la division Bazaine
tournait la ville par le sud. La marche des troupes fut re-
tardée par les travaux qu'il fallut exécuter au passage des
254 f PARTIE. CHAPITRE VI.
1863. barrancas dont la plaine de Puebla est sillonée ; le 18 au
soir seulement, le général Douay ayant fait occuper, après
un court engagement, les ponts de Mexico et de las Ani-
mas et le cerro San Juan qui se trouve à l'ouest de Puebla,
le général Bazaine, s'étant établi à l'hacienda de San Bar-
t.olo, d'où il commandait les routes du sud, la ville fut
complètement enveloppée.
La ligne d'investissement était ainsi tracée :
PREMIÈRE DIVISION.
/Quartier général de la l""*^ division.
La brigade de Bertier.
1'^'^ bataillon du S*^ zouaves.
r2'' régiment de cavalerie de marche,
i Cavaliers auxiliaires Trujèque.
'Batterie de campagne de la l^e division.
Compagnie du génie.
^ Ambulance et convoi.
Camp du Cerro (Le reste de la brigade de Castagny, moins un
Auiaïucan. \ bataillon du 95"^, laissé à Amozoc.
A San Barlolo.
DEUXIEME DIVISION.
HacionJa
de Manzanilla.
La Resurreccion.
San Aparicio.
Santa Maria
et San Felipe.
Camp du Kancho
Posadas.
Camp San Juan
entre le
Rancho Posadas,
le pont de Mexico
et le pont
de Las Animas.
? Escadron Taboada.
I Escadron Lamadrid.
I Un bataillon d'infanterie de marine.
^ Le grand quartier général et son escorte.
ÎLa brigade Neigre.
( Le corps du général Marquez à hauteur du
} Rancho sur la route de Tkixcala,
( Une compagnie du 2° zouaves.
(Le quartier général de la 2^ division.
Le 2« zouaves.
iLe bataillon de marins.
i Trois escadrons.
Une section du génie.
, La batterie de réserve.
Sur le
Cerro San Juaii.
Pont de Mexico.
Pont
de Las Animas.
LE GÉNÉRAL FOREY.
Un bataillon de chasseurs.
Batterie de montagne.
Une section du génie.
Quatre compagnies du 99".
Une section du génie.
, Deux pièces de campagne.
Le général L'Hériller.
Huit compagnies du 99*.
Une section du génie.
Quatre pièces de campagne.
18G3.
Des travaux de retranchement furent immédiatement
commencés sur tous les points et principalement aux ponts
de Mexico et de las Animas, qui étaient menacés de très-
près par le corps d'observation du général Comonfort.
Le 19 mars, le général en chef établit son quartier géné-
ral sur le cerro San Juan et donna l'ordre d'y amener les
parcs et les magasins de vivres ; les troupes rectifièrent
leurs positions et protégèrent leurs camps par quelques tra-
vaux de campagne. Les reconnaissances des fortifications
de la place confirmèrent le général en chef dans son inten-
tion de diriger ses attaques du côté de l'ouest.
Depuis l'année précédente Puebla avait été sérieuse-
ment fortifiée. La ville est formée d'ilôts de maisons ou
cadres séparés par des rues qui se coupent à angle droit.
Elle renferme environ cinquante églises ou couvents,
éditices d'une construction massive, ayant des murs de ma-
çonnerie de plusieurs mètres d'épaisseur et dont l'ennemi
avait avantageusement tiré parti, soit pour l'organisa-
tion défensive de l'enceinte, soit pour mettre ses muni-
tions et ses magasins à l'abri. Au centre de la ville, une
double rangée de barricades à embrasures protégeait les
établissements militaires les plus importants. Une ligne de
■"ortifications
de Puebla,
2S6 l" PARTIE. CHAPITRE VI.
1863. maisons crénelées appuyées par des parapets de terre ou
des amas de décombres formait une enceinte intérieure con-
tinue. Sur tout le périmètre de la ville, avaient été cons-
truits des ouvrages en terre se flanquant les uns les autres,
avec de solides bâtiments pour réduits. C'étaient, en com-
mençant par le nord :
Le fort de Guadalupe, que la petite armée du général de
Lorencez avait attaque sans succès le 5 mai précédent ;
Le fort de Loreto, également construit sur les hauteurs du
nord de la ville .et relié au précédent par une ligne à re-
dans à laquelle l'ennemi avait donné le nom de Cinco de
Mayo ;
Le fort Santa Anita (appelé aussi el Dernocrata) ayant pour
réduit l'église de Santa Ana. Il était relié au fort Loreto par
une flèche posée en travers du Rio San Antonio;
Le fort San Javier (appelé aussi Iturbide ou Pénitencier),
fortification importante d'un tracé irrégulier, dontle réduit
était formé par un vaste bâtiment servant de pénitencier
et par l'église San Javier ;
Entre le fort San Javier et le fort Santa Anita s'élevaient
des ouvrages moins importants, que l'on appela tranchées de
la Calera, de San Pablo, del Senor de los trahajos ;
Les ouvrages du ranchode Toledo (appelés aussi Morelos)^
constitués par une ligne à crémaillère ouverte à la gorge ;
Le fort de Carmen (appelé aussi Hidalgo), ayant pour
réduit le grand couvent de Carmen ;
Le fort de los Ingénieras, désigné aussi sous le nom de
Totimehuacan, parce qu'il commandait la route de ce village.
Les forts de Carmen et de los Ingenieros étaient cons-
truits de façon à battre complètement la vallée du Rio San
Francisco ;
Le fort Zaragoza (appelé aussi de los Hemedios),
LE GÉNÉRAL FOREY. 2o7
Le fort Independencia (appelé aussi la Misericordia). -isos.
Ces deux derniers défendaient l'entrée de Puebla du côté
de la route d'Orizaba.
Au moment de l'investissement, la garnison de la place
comptait environ 22,000 hommes 0), placés sous le com-
mandement du général Ortega, qui avait pour chef d'état-
major le général Mendoza.
Le général Paz commandait l'artillerie.
Le général O'Horan, la cavalerie.
L'infanterie formait cinq divisions sous les ordres des
généraux Berriozabal, Negrete, Antilion, Alatorre, LaLlave.
Les généraux Garcia, Prieto, Gayosso, Porfirio Diaz, Es-
cobedo, Ghilardi, Ignacio Mejia, Lamadrid, Carbajal,
Aureliano Rivera, Pinzon, Patoni, etc., commandaient en
sous-ordre.
Toutes les dispositions défensives avaient été minutieu-
sement prises. Le moral du soldat était exalté par le souve-
nir du 5 mai ; les officiers se montraient enthousiastes et
résolus ; s'ils n'espéraient guère pouvoir résister indéfini-
ment aux efforts de leurs adversaires, ils avaient du moins
la ferme volonté de prolonger la résistance jusqu'à ses der-
nières limites. De son côté, l'armée française s'avançait avec
la confiance tranquille des vieilles troupes ; elle ne doutait
pas d'un succès prochain, mais ses chefs, avertis par l'expé-
rience de la précédente attaque, procédaient avec une pru-
dence extrême, ne voulant rien laisser au hasard.
Le fort San Javier formait à l'ouest une saillie très-pro-
noncée permettant de faire converger les attaques ; on le
choisit pour objectif de préférence au fort de Carmen qui,
dans les sièges précédents, avait été considéré par les Mexi-
0) Happnrt in ;;i=npral Ortega (Zaoatecas, Ififill).
238 l" PARTIE. ■ — CHAPITEE VI.
-1863. cains comme le point le plus faible ('). Mais on pensait alors
~ qu'il suffirait de percer l'enceinte fortifiée pour se rendre
maître de la place, et, cette hypothèse admise, il devait, en
effet, paraître préférable d'attaquer le fort San Javier, bien
qu'il fût éloigné du centre du réduit intérieur d'une distance
double de celle qui en séparait le Carmen.
En attendant que les préparatifs du siège fussent termi-
nés, les troupes se bornèrent à fortifier leurs lignes et à
maintenir l'investissement autant que le permettait la dis-
proportion de leur effectif avec l'étendue considérable du
périmètre à garder. Vers le nord entre Santa Maria et Man-
zanilla, c'est-à-dire sur une longueur de plus de deux lieues,
on avait laissé seulement deux bataillons d'infanterie, un
escadron français et quelque cavalerie mexicaine ; campées h
cinq kilomètres de la place, ces troupes ne pouvaient surveil-
ler efficacement les mouvements de la garnison. L'ennemi
sut en profiter; dans la nuit du 21 mars, 1500 cavaliers
commandés par Carbajal et Aureliano Rivera, se glissèrent
dans la grande barranca de San Aparicio, passèrent tout
près de la Resurreccion où se trouvaient 120 Mexicains al-
liés, poste trop faible pour leur barrer le passage, et rejoi-
gnirent l'armée de Comonfort, qui s'occupait alors de faire
enlever les ressources des haciendas environnantes.
Combat Le général Forey, pour ne pas laisser affamer le pays,
(22 mars), envoya, le 22 mars, le général de Mirandol occuper Cho-
lula, petite ville située à deux lieues environ à l'ouest de
Puebla. La colonne française y trouva un corps de deux
mille cavaliers ennemis. Le général de Mirandol, à la
<') opinion que l'Empereur avait rappelée dans ses instructions au général
Forev.
LE GÉNÉRAL FOREY. 259
tête de trois escadrons de chasseurs d'Afrique, commandés -1863.
par le colonel du Barail et d'une centaine de cavaliers al-
liés, se porta de suite à leur rencontre. Il eut à franchir
sous un feu très-vif une barranca profonde et escarpée, et
trois fois, avant qu'elles aient eu le temps de se former, ses
têtes de colonne reçurent et soutinrent résolument le choc
de la cavalerie ennemie ; enfin à leur tour les chasseurs
d'Afrique s'élancèrent sur les Mexicains qui, bientôt rompus
et culbutés, se débandèrent après une mêlée sanglante, et
s'enfuirent laissant sur le terrain deux cents morts et cin-
quante prisonniers. Les chasseurs d'Afrique eurent trois
hommes tués et dix-neuf blessés, parmi lesquels deux
officiers.
Le 23 mars au soir, les dispositions préliminaires du oavenure
■^ (le la tranchée
siège étant terminées, la tranchée fut ouverte devant le (i>3 mars).
fort San Javier, sur un développement de mille mètres et
à 600 mètres du saillant. Les travaux d'attaque furent vi-
goureusement menés ; le 25 mars, la deuxième parallèle
fut établie à 330 mètres; le lendemain, les batteries ouvri-
rent le feu, bouleversèrent les parapets du fort, percèrent à
jour les bâtiments du pénitencier, et démontèrent toutes
les pièces ennemies à l'exception de deux ; une troisième
parallèle fut tracée à 135 mètres du saillant ; dès lors, le fort
San Javier était complètement ruiné ; une attaque de vive
force en était possible; l'ennemi le désarma presque entiè-
rement, il plaça les canons qu'il en avait enlevés dans les
rues adjacentes et derrière les maisons voisines, de ma-
nière à pouvoir en battre les abords; on jugea utile, pour
diminuer l'étendue du terrain que les colonnes d'attaque
^') Le général on clief au ministre, 2G mars. 2 avril.
'lÙO l" PARTIE. CHAPITRE VI.
48G3. auraient à franchir à découvert, d'établir une quatrième
parallèle. Elle fut ouverte, pendant la nuit du 27 au 28, à
soixante-dix mètres environ du bastion attaqué.
Prise (lu fort Le s'énéral Forey réserva au l'"'' bataillon de chasseurs à
SanJavier .
(29 mais), pied ct au z" bataillon du 2" zouaves, dont l'héroïque valeur
s'était brisée, le ornai 1862, sur les murs de Guadalupe,
l'honneur de monter à l'assaut du fort San Javier.
Le 29 mars à cinq heures du soir, le général Bazaine,
placé dans la quatrième parallèle, en donne le signal. Les
hourras des troupes y répondent aussitôt, et la première
colonne, sous les ordres du commandant de Courcy, du
l^"" bataillon de chasseurs, s'élance sur les parapets qu'elle
couronne rapidement. Une fusillade des plus vives part des
murs crénelés, des terrasses, des portes, des fenêtres, des
clochers et couvre les attaques. L'ennemi démasque au
même moment les pièces cachées derrière les barricades,
les soutient par le feu de nombreux mortiers et celui d'une
batterie de montagne, qui vient prendre position en avant
de Carmen. Les ouvrages de Santa Anita, de San Pablo, de
la Calera, de Morelos et de Carmen donnent à leur tir la
plus grande intensité ; mais celte pluie de balles, de bou-
lets, de bombes et de mitraille, n'arrête pas l'élan des
troupes.
La seconde colonne, dirigée par le commandant Gau-
trelet, du 2^ zouaves, suit de près la première ; toutes
deux poursuivent leur succès, dépassent les retranchements
et pénètrent dans le Pénitencier. Il y restait encore en-
viron sept cents Mexicains, qui résistèrent avec acharne-
ment. Ils cédèrent enhn, mais un très-petit nombre
parvint à s'échapper ; beaucoup se firent tuer, les autres
furent faits prisonniers. L'ennemi tenta plusieurs retours
LE GÉiNEKAL FORLY. 261
offensifs, et à 8 heures du soir seulement, le feu diminua i863.
de part et d'autre.
D'après les documents mexicains, la perte de l'ennemi
dans cette journée fut de six cents hommes ; on ramena deux
cents prisonniers au nombre desquels deux colonels et
huit otficiers. Trois obusiers de montagne, une pièce de
campagne, deux fanions furent enlevés par les troupes
françaises ; mais ce succès leur coûta trois officiers tués et
treize blessés. Le général deLaumière, commandant l'artil-
lerie, fut blessé mortellement ; vingt-six sous-officiers ou
soldats furent tués et 189 blessés.
Le prise du fort San Javier n'avança pas les opérations Attaque
du siège autant qu'on l'avait espéré ; les Mexicains, avec une
opiniâtreté à laquelle on était loin de s'attendre, se retran-
chèrent dans les maisons voisines, à cinquante mètres seu-
lement des murs du pénitencier ; leurs tirailleurs, placés
sur les terrasses, plongeaient sur les attaques, dont ils gê-
naient considérablement les travaux. Les pièces de petit
calibre, qui furent amenées dans le fort San Javier, ne par-
vinrent pas à renverser les murs de ces massives construc-
tions espagnoles ; on tenta inutilement de pétarder les
portes; une attaque par surprise ne réussit pas mieux;
l'emploi de la mine ne donna aucun résultat. Des masses de
pierres et de décombres, accumulés derrière les murs des
maisons, les transformaient en épais parapets de maçon-
nerie, contre lesquels ne pouvaient rien les procédés ordi-
naires des sièges. Le tracé régulier des rues, dont le pas-
sage était couvert par de fortes barricades armées de canon,
permettait à l'ennemi de former de cent mètres en cent
mètres de véritables lignes fortifiées d'une solidité extrême.
Ces difficultés étaient tout imprévues. Le général en chef
262 l""' PARTIE. CHAPITRE VI.
4863. donna l'ordre de faire le siège en règle de chacun des
cadres W.
Des pièces de montagne furent hissées sur les étages
supérieurs du Pénitencier pour combattre le feu partant des
clochers voisins ; on ouvrit une brèche dans le couvent de
Guadalupita (cadre n" 2) et, dans la nuit du 31 mars, le
18® bataillon de chasseurs s'en rendit maître malgré une
vigoureuse résistance ; une large ouverture ayant été pra-
tiquée à l'aide d'un sac à poudre dans la maison voisine
(cadre n^ 9), on put aussi l'occuper. Les Mexicains perdirent
quatre-vingts hommes tués et soixante prisonniers , les
Français deux tués et huit blessés.
On s'organisa défensivement dans les cadres dont on
s'était emparé ; mais, de leur côté, les défenseurs de la
place construisirent plus en arrière de nouvelles bar-
ricades, percèrent des créneaux et couvrirent de sacs à
terre les édifices voisins. Leur nouvelle ligne de défense
fut tracée de Carmen à Santa-Aniia en passant par Santa
Inès, San Agustin, la Merced et l'église del Senor de los
Trabajos (^). Reculant pied à pied, recommençant chaque
jour des travaux défensifs considérables, ils forçaient les
assaillants à renouveler sans cesse leurs efforts et leurs sa-
crifices. Ils resserraient le périmètre défensif au fur et à
mesure des progrès de l'assiégeant, et loin d'être affaibhs
par la perte des cadres de la première ligne, il semblait au
contraire qu'il leur était avantageux de se replier derrière
leur seconde et leur troisième ligne, moins étendues et
plus faciles h. défendre. Aussi laissèrent-ils enlever sans
(1) Pour faciliter l'intelligence des ordres des généraux et les rapports des
commandants de tranchée, les îlots de maisons furent numérotés de 1 à 158; le
Pénitencier prit le n° i .
(') Rapport du gàiéral Ortcga (Zacatecas, 1863).
LE GÉNÉRAL FOREY. 263
grande résistance les îlots 8, 7, 6, o, 3, et 25, situés en de- '^3-
hors de leur nouvelle enceinte et qu'il leur importait peu
de conserver ; mais, dans la nuit du 2 au 3 avril, on fut
arrêté par le cadre n° 26, où se trouvait une caserne.
Après avoir traversé la rue sous une violente fusillade, la
colonne d'attaque, formée d'un détachement du 3*^ zouaves,
envahit le bâtiment et déboucha dans une chambre obs-
cure, n'ayant d'autre issue qu'un porche étroit par lequel
il fallut défdei' un par un devant deux obusiers. Trente
hommes, le capitaine Lalanne en tête, s'engagèrent dans
ce passage ; ils arrivèrent au milieu d'une cour entourée de
murs crénelés, où ils trouvèrent tous les escaliers détruits
et toutes les issues barricadées. Accablés par une grêle de
mitraille, de mousqueterie et de grenades, ils furent forcés
de battre en retraite et revinrent tous blessés.
Au même moment, le commandant de Longueville s'était
élancé du cadre n*^ 7 sur le cadre n" 27 avec deux compa-
gnies du 51^ et une section du génie ; après avoir pénétré
dans la première maison, il s'était heurté contre un mur pa-
rallèle à la façade et percé de deux rangées de meurtrières.
Le capitaine Melot parvint cependant à se maintenir dans
une chambre ; on s'efforça de le soutenir en établissant une
sape à travers la rue ; la mousqueterie des terrasses et la
mitraille d'une barricade voisine empêchèrent ce travail.
Le général de Bertier tenta vainement de faire tourner
cette barricade par deux compagnies du l^"" zouaves ; ac-
cueilhes par un feu terrible, elles furent obhgées de rétro-
grader. L'ordre fut alors donné d'évacuer cette position
intenable, mais il fallait passer de nouveau à découvert sous
les décharges de mitraille qui balayaient la rue. Tous les
blessés furent cependant emportés à dos d'homme au pus
de course ; au point du jour la compagnie de grenadiers du
264 l" PARTIE. — CHAPITRE VI.
18G3. capitaine Melot quitta cette maison, où elle avait donné un
si bel exemple de courage et de fermeté.
Le 4 avril, on renouvela l'attaque du cadre n*^ 26 ; trois
colonnes formées par des compagnies du l^'" et du 18® ba-
taillon de chasseurs à pied, se précipitèrent avec la plus
grande intrépidité ; après avoir franchi les brèches , les
chasseurs arrivèrent encore dans des chambres dont
toutes les issues étaient solidement fermées, les murs garnis
de trois rangs de créneaux et les voûtes percées de mâchi-
coulis. Devant ces obstacles insurmontables, ils durent se
. replier. On abandonna l'attaque de la caserne et l'on essaya
de se rendre maître du cadre n° 34 ; un pétard attaché à
une porte cochère n'ayant produit aucun effet, on com-
mença une gabionnade double afin de traverser la rue;
mais cette opération attira un feu tellement vif que tous les
gabions furent enlevés par les boulets et tous les sapeurs
blessés. Il fallut y renoncer. On boucha les ouvertures pré-
parées dans le cadre n*^ 25 (église San Marcos) pour la sortie
des colonnes d'assaut, et l'artillerie se contenta de tirer sur
San Agustin dans le but d'empêcher l'ennemi d'éteindre un
incendie qui s'y déclarait.
Le général en chef se rendit dans le cadre de San Marcos
pour apprécier les obstacles contre lesquels étaient venus
échouer les efforts des troupes. Il vit de tous côtés des bar-
ricades étagées pourvues d'artillerie, des murs crénelés, des
terrasses garnies de sacs à terre, les dômes et les clochers des
éghses couverts de tirailleurs parfaitement abrités. Il put
se convaincre des difficultés des attaques de vive force
dans lesquelles on perdait les plus braves soldats, car
c'étaient toujours eux qui tenaient la tête des colonnes et
tombaient les premiers. Il ordonna de commencer des ga-
leries de mine. A la nuit, une tranchée souterraine fut
LE GÉNÉRAL FOREY. 265
creusée dans la direction du cadre n° 34; on trouva le ^8^•^•
roc, et ce travail ne put être continué.
Le 5 avril, des pièces de 12 furent amenées dans le cadre
de San Marcos pour ouvrir des brèches que les canons de
montagne n'arrivaient pas à pratiquer dans de bonnes
conditions ; le lendemain, six compagnies du l^'" zouaves
attaquèrent de nouveau le cadre n° 34. A 5 heures du soir,
une avant-garde de trente hommes, conduite par le lieu-
tenant Galland et un détachement du génie pénétrèrent
vivement par la brèche ; une section les suivit avec le même
entrain ; un feu épouvantable de mitraille et de nîousque-
terie remplit aussitôt la rue ; plusieurs hommes furent tués,
et les blessés, se rejetant en arrière, paralysèrent l'élan
de la colonne. Le commandant Garteret-Trécourt, sai-
sissant un zouave par le bras, l'entraîne avec lui au milieu
de l'espace qui sépare les deux cadres et que la mitraille
balaie incessamment ; le capitaine Michelon, le lieutenant
Avêque s'élancent sur ses pas , espérant enlever leur
compagnie. Efforts inutiles ! le capitaine Michelon est
tué, les deux autres officiers sont blessés; le feu de l'en-
nemi se concentre sur les ouvertures de San Marcos ; il
empêche la colonne de déboucher et force à renoncer à
l'attaque.
Le lieutenant Galland organisa la défense des chambres
qu'il avait occupées ; tout moyen de retraite lui fut bientôt
fermé ; à 9 heures du soir l'ennemi lui proposa de se rendre,
il refusa ; ses hommes n'ayant pas de vivres, sentant l'im-
possibilité de résister, le quittèrent successivement ; il ne
resta avec lui que deux sous-ofFiciers, deux caporaux et un
zouave. Dans ces conditions il se rendit à son tour après
avoir obtenu pour lui et ceux qui ne l'avaient pas aban-
donné , l'honneur de conserver leurs armes ; trente-six
266 l""^ PARTIE. CHAPITRE VI.
4863. hommes furent ainsi faits prisonniers. Cette attaque infruc-
~" tueuse coûta en outre : un officier tué, deux blessés, huit
hommes tués et dix-huit blessés.
Conseil ^es échccs subis dans la nuit du 2 au 3 avril, dans celles
% avrils du ^ ^u ^> ^^ ^^ ^ ^u '^> n'avaient pas encore épuisé l'é-
nergie des troupes; cependant il était impossible de mécon-
naître qu'elles avaient produit une impression fâcheuse sur
leur moral. Les circonstances paraissaient graves; le gé-
néral en chef réunit en conseil de guerre les généraux de
division et les chefs de service 0), afin de recueillir leurs
avis sur la direction à imprimer aux opérations ultérieures.
On discuta dans ce conseil :
1° S'il fallait, en présence delà supériorité de l'artillerie
ennemie, suspendre les attaques et attendre l'arrivée de
canons de gros calibre, que l'on ferait demander à l'ami-
ral commandant l'escadre du golfe ;
'2^ S'il fallait suspendre le siège, maintenir seulement
l'investissement de Puebla et marcher sur Mexico ;
3° S'il fallait même abandonner l'investissement et se
porter sur Mexico avec toute l'armée.
Ces deux derniers partis devaient avoir le grave
inconvénient d'augmenter l'exaltation des adversaires de
l'intervention et le découragement de ses partisans. Le
général en chef les rejeta et se résolut à poursuivre le siège.
On eut la pensée de diriger contre les forts de Totime-
huacan et de Carmen une attaque analogue à celle qui avait
fait tomber San Javier ; c'eût été d'autant plus opportun
qu'en abordant la ville de ce côté on prenait les cadres
dans le sens de leur plus petite épaisseur et que les diffi-
cultés eussent ainsi beaucoup diminué ; mais le comman-
<*) Le général eu chef au ministre, 19 avril.
LE GÉNÉRAL FOREY. 267
dant de l'artillerie fit craindre que l'approvisionnement ^^^es.
en munitions fût insuffisant pour cette double attaque. Il
fallut se résigner à continuer ces cheminements si lents et
si meurtriers vers le cœur de la ville. On n'avait plus
que six cents kilogrammes de poudre de mine, et l'on ne
pouvait même songer à faire une guerre souterraine (^).
Un temps d'arrêt allait être forcément imposé aux opé-
rations du siège en attendant l'arrivée de nouveaux convois
de munitions.
Dans cette première période les pertes avaient été de :
Un officier général tué, cinq officiers tués, deux officiers
morts de leurs blessures, 39 officiers blessés, 36 soldats
tués, 443 soldats blessés dont 230 étaient encore à l'am-
bulance (^).
L'artillerie de la place avait tiré environ 23,000 coups
de canon, et lancé un millier de bombes O.
Pendant cette interruption des travaux du siège, les ^Çombat^
troupes s'occupèrent d'améliorer les ouvrages de la ligne (U avril).
d'investissement ; elles furent aussi employées à quelques
opérations extérieures ayant pour objet le ravitaillement de
l'arm-ée. Le corps d'armée du général Gomonfort ne cher-
chait que mollement à s'opposer à ces opérations ; cepen-
dant un détachement franco-mexicain de quinze cents
hommes(^)s'étant avancé jusqu'àAtlixco, de fortes colonnes
ennemies l'attaquèrent le 14 avril. Dès qu'il se vit menacé,
le colonel Brincourt, qui commandait cette petite expédi-
tion, prit l'offensive de manière à battre successivement,
(') Le général Forey au ministre, 12 avril.
(») Rapport du général Ortega.
(3) 500 zouaves, 500 fantassins mexicains, 260 chasseurs d'Afrique et 200
cavaliers mexicains.
268 l" PARTIE. CHAPITRE VI.
<863. avant qu'elles eussent opéré leur jonction, deux colonnes
ennemies qui s'avançaient sur deux directions différentes.
Huit escadrons mexicains, aux ordres de Garbajal, se
montraient du côté d'Axocopan, tandis que des colonnes
d'infanterie et de cavalerie commandées par Etchegaray,
chef d'état-major de Comonfort, descendaient dans la val-
lée parle chemin de San Juan Tianguismanalco. Deux es-
cadrons de chasseurs se portèrent rapidement à la rencontre
de Garbajal. Couverts par les cavaliers mexicains alliés
déployés en tirailleurs, ils défilèrent par un chemin creux,
se formèrent en échelons, et vigoureusement enlevés par
le commandant de Tucé, ils chargèrent à fond sur le flanc
droit de la cavalerie ennemie qui, surprise par cette attaque
imprévue, se vit forcée de faire un changement de front
en arrière. Chargé de nouveau pendant sa manœuvre,
l'ennemi fut complètement culbuté ; il se rallia cepen-
dant derrière une barranca, sous la protection de deux
bataillons d'infanterie accourus à son secours. Une troi-
sième charge acheva sa déroute et les fuyards, battus
d'autre part par le feu de l'artillerie et de l'infanterie fran-
çaises, tombèrent encore sous le sabre des chasseurs. La
colonne du général Etchegaray commençait alors à débou-
cher dans la vallée ; mais vivement attaquée avant d'avoir
pu prendre une formation, elle se repha presque aussitôt
sans tenter le moindre retour offensif. L'honneur de la
journée revint à lacavalerie française, qui ne montra jamais
plus d'entrain et de vigueur. Environ deux cents Mexicains
étaient couchés sur le champ de bataille, et parmi les morts
se trouvait le général Porfirio Garcia. Ce succès ne coûta
cependant que trois chasseurs tués, deux officiers et sept
chasseurs blessés. La cavalerie mexicaine alliée, qui se com-
porta bravement à côté de la cavalerie française, eut dix-
LE GÉNÉRAL FOREY. 269
sept tués et trente-deux blessés. Le colonel Brincourt put
achever avec toute sécurité le rassemblement des denrées;
sa mission terminée, il rentra au camp devant Puebla,
le 20 avril.
Le corps de siège n'eut qu'un court répit à ses fatigues.
Sans modifier toutefois le système général des attaques,
le général en chef avait décidé que des travaux d'approche
seraient commencés vis-à-vis des forts de Carmen et de
Totimehuacan ; il en confia la direction au général Bazaine.
Le général Douay, avec trois bataillons, fut spécialement
chargé de faire continuer les cheminements dans l'intérieur
de la ville , en avant du fort San Javier ; il établit son quar-
tier général dans les bâtiments mêmes du pénitencier.
De son côté, l'ennemi n'était pas inactif; il perfection-
nait chaque jour ses lignes de défense, et dans la nuit du
13 avril, il parvint à faire sortir de la place, par le chemin
déjà suivi par les quinze cents cavaliers de Carbajal, un
corps de cavalerie de même force sous les ordres du général
O'Horan. Les postes delà ligne d'investissement reçurent
l'éveil trop tard pour s'opposer à son passage.
Dans la nuit du 17 avril, une partie de cette cavalerie es-
saya de jeter un convoi dans la place en combinant son
mouvement avec une sortie de la garnison ; cette tentative
échoua et le convoi fut enlevé.
L'ennemi ne s'était pas mépris sur l'importance des
travaux que le général Bazaine faisait exécuter devant le fort
de Carmen. En effet, un solide ouvrage de campagne avait
été construit près de l'église de San Baltazar, et une batterie
placée sur une hauteur voisine enfilait une des principales
rues de Puebla. Dès le 15 avril, une forte colonne de 1,500
hommes d'infanterie et de 700 cavaliers appuyée par huit
pièces de canon, sortit de la ville et attaqua avec une grande
-1863.
270 l" PARTIE. — CHAPITRE VI.
1863. vigueur les positions françaises , elle fut cependant forcée
"~ de rétrograder, et les tentatives de même nature, renouve-
lées les jours suivants, furent également impuissantes à
arrêter les progrès des attaques.
Les cheminements dans les cadres se poursuivaient
d'autre part avec les lenteurs, les difficultés, les dangers
de ce genre de guerre. Le cadre n^ 4 avait été enlevé le
16 avril; le 49, après une attaque meurtrière qui coûta
dix hommes tués et quarante-cinq blessés, on s'était emparé
du cadre n" 29. L'ennemi perdit cent cinquante hommes
tués, deux cent cinquante prisonniers, deux mortiers et
une pièce de montagne. Il abandonna ensuite et détruisit
en grande partie les cadres n"' 30, 26, 27 et 28, afin
d'agrandir le champ de tir du couvent San Agustin. Bien
que l'on avançât péniblement, on faisait cependant quelques
progrès, et le général en chef espérait prendre à revers le
fort de Carmen, pendant que le général Bazaine l'attaquait
par la plaine.
Attaque C'^st vers cc but que tendaient ses efforts, lorsqu'il or-
''sant'a ïits'^ donna de préparer l'attaque du couvent Santa Inès (cadre
(25 avril) (i). j-^o 52) et l'uu dcs points les plus forts de la nouvelle ligne
de défense de l'ennemi. Cette ligne se trouvait alors tracée
parles cadres n°^ 34, 33, 32, 51, 52 et 53. Le cadre n^ 32
était ce grand édifice de San Agustin, dont les feux croisés
avec ceux de Santa Inès avaient été jusqu'alors si gênants.
L'artillerie construisit des batteries de brèche dans
le cadre n° 30, situé en face de Santa Inès; le génie
établit des fourneaux de mine. L'attaque commença le
25 avril au malin. L'explosion des mines renversa une
partie du mur d'enceinte et des constructions extérieures
(<) Voir le plan du sii'go de Puebin.
LE GÉNÉRAL FOREY. 271
du couvent; les batteries en achevèrent la destruction, -1863.
mais on put alors se rendre compte des difficultés inouïes
que présentait l'attaque. En arrière du mur renversé
régnait une forte grille en fer; que les boulets ne pou-
vaient abattre ; quatre retranchements successivement éta-
ges, dont les deux derniers avec des escarpes en pierre,
avaient été formés au moyen des décombres des construc-
tions voisines. Les abords étaient garnis d'abatis et de
filets en corde de cuir, rehés entre eux par des piquets ;
derrière le dernier parapet s'élevaient les bâtiments du
couvent de Santa Inès, avec leurs murs percés de créneaux,
des tireurs à toutes les fenêtres et sur les terrasses. Une
aile de ce bâtiment, sur laquelle était placée une pièce d'ar-
tillerie, flanquait les retranchements. A six heures et demie
les canons de la batterie de brèche entrent en action, cher-
chant à bouleverser les retranchements, à briser la grille,
à détruire les maçonneries. Le feu dure ainsi pendant trois
heures, quoique les servants des pièces aient beaucoup à
souffrir de la proximité des tirailleurs ennemis. A neuf
heures et demie, le général de Gastagny reçoit l'ordre de
tenter l'assaut.
Le signal est donné ; les huit pièces de la batterie de
brèche font une salve à mitraille et les colonnes s'élancent.
Celle de droite, composée de quatre compagnies du 3* ba-
taillon du i^^ zouaves, est commandée par le chef de batail-
lon Melot ; celle de gauche, composée des quatre autres
compagnies du même bataillon, est conduite par le capitaine
Devaux. L'ennemi avait ralenti son feu ; mais à peine les
colonnes commencent-elles à déboucher, que les murs, les
fenêtres, les terrasses se couvrent de tirailleurs. Plus de
2,000 Mexicains concentrent leur tir sur l'espace étroit où
se pressent les assaillants et dont lo parcours est rendu très-
272 1" PARTIE. CHAPITRE VI.
<863. difficile par les décombres des murs renversés et par les
obstacles qui s'y trouvent accumulés. Les zouaves s'avan-
cent sous une grêle de balles ; la colonne de droite atteint
la grille, celle de gauche la dépasse et arrive jusqu'aux
constructions du couvent ; en ce moment, le feu de l'enne-
mi redouble. Les colonnes s'arrêtent écrasées; l'attaque ne
peut être continuée sans de grands et inutiles sacrifices ;
l'ordre est donné de battre en retraite, mais bien peu de
ces braves soldats rentrent dans les lignes. Ce terrible
assaut avait coûté dans la colonne de gauche, sur dix
officiers, neuf tués ou disparus ; dans celle de droite, un
officier tué, deux disparus, cinq blessés ; 27 hommes étaient
tués, 127 blessés, 176 avaient disparu. On sut plus tard
que sur ce chiffre 130 hommes dont sept officiers étaient
prisonniers. L'ennemi admira leur courage et les traita avec
égards. Ces hommes avaient combattu « comme des lions »,
dit le rapport du général Ortega.
On change A la suitc de cc nouvcl échec, le général en chef convo-
le sYstèinô des
attaques. qua dc uouvcau les généraux de division et les comman-
dants de l'artillerie et du génie ; c'était la quatrième fois
que dans cette guerre de rues les troupes venaient se
heurter contre des obstacles insurmontables ; chaque fois
leur insuccès avait été payé du sang de leurs meilleurs sol-
dats. On se décida enfin à abandonner le système de chemi-
nements suivi jusqu'alors. Comme de nouvelles bouches à
feu et d'importants approvisionnements de poudre devaient
arriver prochainement, le général en chef reprit le projet
d'attaque contre les forts de Carmen et de ïotimehuacan.
En attendant, il se contenta de prescrire la mise en état de
défense des maisons occupées dans l'intérieur de la ville et
quelques travaux de sape destinés à resserrer l'investisse-
ment. Enhardi par lo succès de sa résistance, l'ennemi
LE GÉNÉRAL FOREY. 273
parut vouloir intervertir les rôles et assiéger les cadres ^s^'.
occupés par les troupes françaises. Il ouvrit en effet des brè-
ches dans les îlots n°' 30 et 31, et vint y donner l'assaut;
mais il échoua et renonça pour l'avenir à de semblables
tentatives.
Le général Forey fit compléter les travaux d'investis-
sement. Ne pouvant enlever la place de vive force, il voulut
au moins y enfermer la garnison et lui interdire d'une
façon absolue toute communication avec l'armée de secours
qui cherchait à la ravitailler. Les événements qui suivi-
rent montrèrent l'opportunité de ces dispositions.
Le 4 mai, on apprit en effet que le président Juarez s'é- Combat
^ ^ 1, '^<= San Pablodd
tait rendu au camp de Comonfort, et Ion sut vaguement Monte (5 mai).
qu'un effort sérieux allait être fait pour introduire un grand
convoi dans Puebla. Le o mai, l'approche des forces enne-
mies fut signalée sur toute la ligne d'investissement du
nord , depuis San Domingo jusqu'à la Resurreccion. Ln
millier de cavaliers appuyés par de l'infanterie et de l'artil-
lerie, s'étant montrés près de San Pablo del Monte, le
général L'Héritier dirigea contre eux un escadron de chas-
seurs d'Afrique ; vaillamment conduits par le commandant
de Foucaud, les chasseurs forcèrent l'ennemi à se replier
vers Thacienda d'Acupilco. Le commandant de Foucaud
fut tué d'un coup de lance en tête de la charge ; mais le
capitaine de Montarby rallia son escadron et le ramena
plusieurs fois encore sur la cavalerie mexicaine. L'arrivée
de quelques compagnies du 99' et d'une section d'artillerie
de montagne décida l'ennemi à ne pas engager son infan-
terie et son artillerie. Chacun reprit ses positions. Les Mexi-
cains perdirent vingt morts, vingt prisonniers, un drapeau ;
les troupes françaises, un officier et trois hommes tués, deux
officiers et dix hommes blessés.
18
274 f PARTIE. CHAPITRE VI.
4863. Pendant ce combat, de fortes colonnes sorties de la place
"" attaquèrent sans résultat le poste de San José et celui de
Dolores.
Le combat de San Pablo del Monte prouva au général
Comonfort que les troupes françaises se tenaient sur leurs
gardes ; renonçant alors au projet de faire passer son convoi
dans cette direction, il voulut essayer de lui faire suivre les
bords du Rio Aloyac, entre les hauteurs de San Lorenzo
et le cerro de la Gruz, qui est à une lieue du fort Santa
Anita ; il pensait que s'il réussissait à chasser du cerro de
la Gruz les petits postes qui s'y trouvaient, son artillerie
pourrait croiser ses feux avec ceux de la place, ouvrir mo-
mentanément une communication et protéger le passage
des voitures. Il commença donc par prendre position, sa
droite au cerro San Lorenzo, son centre à l'hacienda de
Pensacola, sa gauche sur les cerros Tenexaque.
Le 6 mai, il reprit l'offensive ; ses troupes poussèrent
devant elles les postes du général Marquez chargés de
garder le passage de l'Atoyac et les hauteurs de la Gruz;
mais l'arrivée d'une colonne française rétablit bientôt le
combat et força l'ennemi à rétrograder. Cependant le gé-
néral Gomonfort ne sembla pas découragé par l'insuccès de
ses tentatives du 5 et du 6 mai ; on le vit concentrer ses
forces près du village de San Lorenzo, et y faire exécuter
des travaux de fortification.
Combat Le général Forey résolut de le déloger de ces posi-
^ («"niai"''! "° tions. Dans la nuit du 7 au 8 mai, à une heure du matin,
le général Bazaine partit du pont de Mexico avec quatre
O Journaux di' marche. — Kapport ilu géiiùml Coinonfoit. — ■ Voir le plan
n" 3,
LE GÉNÉRAL FOREY. 27o
bataillons^), trois escadrons français, un escadron mexicain, ^863.
la batterie de la garde, la section d'artillerie de montagne
des marins et un détachement du génie. Il suivit la route
de Mexico, et après avoir dépassé le village de Cuautlancin-
go, il prit à travers champs de manière à éviter les postes
ennemis. Cette opération délicate s'accomplissait heureuse-
ment, et la colonne, observant le plus grand silence, s'appro-
chait de San Lorenzo, lorsqu'une grand'garde ennemie,
placée à gauche de la direction suivie, éventa son mouve-
ment. Le général Bazaine se trouvait en tète de colonne ;
il réussit à tromper les vedettes en faisant répondre à leur :
« qui vive! » par les cavaliers mexicains; il continua de
gagner du terrain ; une barranca arrêta sa marche, mais
les sapeurs du génie pratiquèrent en peu de temps des
rampes qui permirent à l'artillerie de la traverser. A quatre
heures et demie du matin les éclaireurs furent de nouveau
arrêtés par un avant-poste ennemi. Le jour commençait
à poindre ; comme il devenait impossible de dissimuler
plus longtemps l'opération, le général Bazaine prescrivit
d'enlever ce poste, ce qui fut vivement exécuté. En même
temps il fit presser la marche, car les hauteurs de San
Lorenzo s'apercevaient à environ deux kilomètres; il cou-
vrit son front par une ligne de tirailleurs.
A cinq heures, les dernières troupes ayant franchi la
barranca, le général Bazaine déploya sa colonne par ba-
taillons, la section d'artillerie de montagne à l'aile droite,
la batterie de la garde entre les* deux premiers bataillons,
la cavalerie en colonne par escadron à l'aile gauche. On
continua d'avancer dans cet ordre de bataille.
Le jour parut et l'on put alors se rendre compte de l'en-
n) Un bataillon du 3« zouaves, du 31'= et du 81« de ligne, et le bataillon de
tirailleurs algériens.
276 l" PARTIE. CHAPITRE VI.
4863. semble de la position. San Lorenzo est situé sur une col-
line dont les pentes, du côté de l'est, rocheuses, assez roides
et sillonnées de ravines, vont tomber brusquement sur la
rive droite de l'Atoyac ; à l'ouest, les pentes ondulées se
prolongent au loin et sont en partie couvertes de cactus, de
bouquets d'arbres et de cases indiennes. Au sud, du côté
par lequel arrivaient les troupes françaises, le relief est
peu sensible. Une ligne continue d'ëpaulements, à peu près
terminés et garnis d'artillerie, formait une sorte de grande
redoute ouverte à la gorge, dont l'église de San Lorenzo
était le réduit. A 1,200 mètres, l'artillerie ennemie com-
mença le feu ; la batterie de la garde se porta rapide-
ment en avant et répondit de manière à protéger les der-
nières dispositions d'attaque. A 800 mètres, le général
Bazaine forma sa ligne en échelons par bataillon, l'aile
gauche en avant , afm de déborder l'ennemi et de lui
couper la retraite, s'il était possible ; il prescrivit à la ca-
valerie de prolonger ce mouvement tournant en suivant le
pied des hauteurs et de rejeter sur l'Atoyac tout ce qu'elle
rencontrerait. Ces ordres donnés, il fit battre la charge;
les cris enthousiastes des soldats y répondirent et les
troupes s'élancèrent en bon ordre sur San Lorenzo, l'arme
sur l'épaule, malgré un feu violent de mitraille et de mous-
queterie. La défense fut opiniâtre dans le village, où se trou-
vaient 6 à 7,000 hommes et huit pièces d'artillerie. Elle
fut plus énergique encore dans le réduit occupé par un
bataillon de Zapadores, mais la vigueur de l'attaque triom-
pha de toutes les résistances.
Averti à cinq heures du matin seulement de la marche
du général Bazaine, le général Gomonfort avait aussitôt
renforcé la division qui défendait San Lorenzo, ordonné
quelques dispositions défensives et prescrit de faire éloigner
LE GÉNÉRAL FOREY. 277
rapidement le convoi de ravitaillement ; il s'était ensuite
porté au village de San Lorenzo ; mais déjà ses soldats, chas-
sés de leurs positions, s'enfuyaient vers le gué dePensacola,
et lui-même fut entraîné par les fuyards. Pendant ce temps
une partie de la cavalerie française poursuivait sept à
huit cents cavaliers mexicains, tandis que l'autre fraction
se rabattait vers l'Atoyac en sabrant ceux qui, descendant
de San Lorenzo, cherchaient à gagner les gués. La 1'*^ divi-
sion de l'armée de Gomonfort et la plus grande partie
de la 2^ division furent détruites ; la 3*^ division et la cava-
lerie du général O'Horan, qui se trouvaient sur la rive
gauche du Rio, ne prirent pas part au combat et se reti-
rèrent par la route de Tlaxcala.
Le général Marquez était en position sur le cerro de la
Gruz ; dès qu'il vit l'ennemi lâcher pied, il descendit dans
la plaine avec deux bataillons et deux escadrons et poursui-
vit son arrière-garde jusqu''à Santa Inès Zacatelco. A neuf
heures et demie du matin, les débris de l'armée mexicaine
disparaissaient dans la direction de Tlaxcala. Le géné-
ral Gomonfort ne s'y arrêta pas et vint le soir même
prendre position à San Martin Texmelucan, afin de rallier
une division qui, sous les ordres du général la Garza, cou-
vrait la route de Mexico.
Les résultats du combat de San Lorenzo furent considé-
rables : trois drapeaux, onze fanions, huit pièces de canon,
la plus grande partie du convoi, environ mille prisonniers,
dont soixante-douze officiers, restèrent entre les mains du
général Bazaine. On évalua les pertes de l'ennemi à huit
cents tués ou blessés. Grâce à leur élan, celles des troupes
françaises furent minimes : un officier et dix hommes
,tués, neuf officiers et quatre-vingts hommes blessés; les
troupes alliées eurent cinq hommes tués et dix-huit blessés.
1863.
-1863.
278
1'" PARTIE. — CHAPITRE VI.
Le général Bazaine, après avoir rallié ses troupes, passa
la nuit sur les hauteurs de San Lorenzo ; le lendemain il
rentra à son quartier général de Molino en Medio, tandis
que le général Neigre, à la tête d'une colonne légère,
fut chargé de faire recueillir les denrées qui existaient
encore en grande quantité dans les haciendas des en-
virons.
Ouverture
de la tranchée
devant le fort
Totimehuacau
(iS mai).
Les travaux du siège avaient été fort ralentis pendant
les opérations contre l'armée de Comonfort ; aux attaques
de gauche, ils s'étaient réduits à la mise en état de défense
des îlots conquis dans l'intérieur de la ville. Aux attaques
de droite, on avait continué quelques cheminements. Le
général Bazaine reprit la direction de ces travaux et les
fit pousser aussi rapidement que possible. Le 12 mai à 7
heures et demie du soir, une première parallèle fut ouverte
devant le fort Totimehuacan, à 690 mètres du saillant sud,
sur une longueur de 780 mètres.
Le 16, les batteries des attaques de gauche et celles
des attaques de droite ouvrirent leur feu et le menèrent
avec une grande vigueur; la place riposta avec énergie,
mais à huit heures du matin le bastion d'attaque n'avait
plus une seule pièce en état de servir, ses embrasures étaient
complètement détruites. A midi, les batteries françaises, qui
avaient eu beaucoup à souftVir du feu de l'ennemi, ayant
été réparées, recommencèrent l'attaque contre les forts de
Carmen et de los Remédies. L'artillerie ennemie, écrasée
par un tir convergent et bien dirigé, ne répondit que fai-
blement ; à 4 heures du soir, la lutte ayant recommencé
pour la troisième fois, elle resta silencieuse. A la nuit, la
deuxième parallèle fut ouverte à la sape volante à 250
mètres du saillant du fort.
LE GÉiNÉRAL FOREY. 279
Depuis plusieurs jours déjà, des ouvertures confiden- -1863.
tielles de capitulation avaient été faites au général Forey, Reddition
de la place
qui les avait repoussées, en exigeant des propositions (i7mai).
plus catégoriques. Dans la journée du 16 mai, à deux heures
du soir, au moment où les batteries françaises attaquaient
si vigoureusement les forts de Totimehuacan, de Carmen et
de los Remedios, le général Mendoza, chef d'état-major
général de l'armée ennemie, s'était de nouveau présenté au
quartier général. Un armistice qu'il demanda ayant été
péremptoirement refusé, il proposa de laisser sortir la
garnison avec armes et bagages et une partie de son artil-
lerie de campagne, en lui accordant les honneurs de la
guerre et la liberté de se retirer .sur Mexico. Le général
en chef rejeta également cette demande et congédia le par-
lementaire en l'invitant à faire connaître au général Ortega
qu'il consentirait aux honneurs de la guerre et au défilé
devant l'armée française, mais que la garnison devrait en-
suite déposer ses armes et se constituer prisonnière de
guerre. Le général Mendoza rentra dans la place.
Le 17, vers une heure du matin, on remarqua un grand
mouvement dans la ville et dans les forts ; bientôt après on
entendit de fortes explosions. L'ennemi brisait ses armes,
enciouait ses canons et faisait sauter ses munitions.
Le général Ortega avait adressé aux troupes l'ordre du
jour suivant :
« Le manque de vivres ne permet pas ii la garnison de prolon-
ger la résistance, et il ne reste même pas assez de munitions pour
soutenir les assauts que l'ennemi tentera vraisemblablement au
point du jour; l'avis de la plupart des généraux étant conforme au
sien, le général commandant en chef décide :
« Entre 4 et o heures du matin, tout l'armemenl qui a servi à la
défense de la ville sera brisé, de manière qu'il ne puisse en aucune
façon être utilisé par l'ennemi; la patrie exige ce sacrifice.
280 l" PARTIE. CHAPITRE VI.
-1863. « Le commandant de l'artillerie fera détruire toutes les pièces
"■ qui armaient la place.
« Les généraux commandant les divisions, au zèle et au patrio-
tisme desquels est confiée l'exécution du présent ordre et les gé-
néraux commandant les brigades, dissoudront toutes les troupes.
Ils feront connaître aux soldats qui ont défendu la place avec tant
de valeur et d'abnégation et au prix de tant de souffrances que cette
mesure, rendue nécessaire par les circonstances, ne les dégage pas
cependant des devoirs que leur impose la défense de leur sol natal.
. Le général commandant en chef a confiance qu'ils iront se présen-
ter au gouvernement suprême et qu'ils continueront à défendre
l'honneur du drapeau mexicain; il les laisse en liberté absolue et
ne les constitue pas prisonniers de guerre entre les mains de l'en-
nemi-
« Les généraux, officiers supérieurs , officiers et soldats de l'ar-
mée doivent être fiers de la défense ; si l'ennemi va occuper la place
de Puebla, ce résulat est dû, non à la puissance de ses armes, mais
au défaut absolu de vivres et de munitions; en effet, la ville en-
tière et les forts extérieurs, à l'exception du fort San Javier, sont
encore entre les mains des soldats de l'armée d'Orient.
« A 5 heures et demie, on sonnera au parlementaire; un pavil-
lon blanc sera hissé sur chaque fort et sur chacune des maisons
qui font face à celles occupées par l'ennemi.
« A la même heure, les généraux et les officiers se réuniront sur
la place de la cathédrale et au palais du gouvernement pour se
constituer prisonniers de guerre.
« Le général en chef ne demandera aucune garantie pour les
prisonniers ; chacun reste donc complètement libre de choisir le
parti qu'il croira le plus honorable elle plus conforme à ses devoirs
à l'égard du pays.
« Les fonds qui existent au commissariat seront répartis entre
les soldats. »
A quatre heures du matin, le général Ortega écrivit au
général Forey :
« Général,
« Le manque de munitions et de vivres ne me permettant pas de
continuer lu défense de la ])lace, j'ai dissous l'armée (pii était sous
mes ordres cl brisé son armement ycoinijris toute l'artillerie.
LE GÉNÉRAL FOREÏ. 281
« La place est donc aux ordres de V. E., qui peut la faire occu-
per si elle le juge convenable et prendre les mesures de précaution
nécessaires^ afin d'éviter les malheurs qui seraient la conséquence
d'une occupation de vive force sans raison actuellement.
« Les généraux, officiers supérieurs, et autres officiers de l'ar-
mée, se trouvent au palais du gouvernement et se rendent pri-
sonniers de guerre.
« Je ne puis me défendre plus longtemps, sinon Votre Excellence
ne doit pas douter que je l'eusse fait.
« Acceptez, etc. »
Bientôt après, la garnison débandée sortit de tous côtés ;
un grand nombre de soldats furent arrêtés par les avant-
postes français et faits prisonniers. Un bataillon de sapeurs,
commandé par le lieutenant-colonel de Gagern, tenta de
forcer la ligne d'investissement du côté du nord; il fut
cerné et déposa les armes sans résistance. Quelques géné-
raux et beaucoup d'officiers réussirent à s'échapper. Puebla
fut aussitôt occupée par un bataillon de chasseurs à pied.
Le 1 9, le drapeau français fut hissé sur une des tours
de la cathédrale, le drapeau mexicain sur l'autre , et le
général en chef fit son entrée à la tête d'une partie de
l'armée ; il fut reçu par le clergé mexicain à la porte de la
cathédrale et assista à un Te Deum d'actions de grâces.
En rendant compte au ministre de la guerre que d'impor-
tants approvisionnements de vivres et de munitions avaient
encore été trouvés dans la ville, le général Forey exprimait
l'opinion que la reddition en était due à l'énergie avec la-
quelle les travaux d'approche avaient été conduits contre
les forts du sud. C'était bien en effet le côté faible de la
place. Une attaque de vive force était imminente. Le gé-
néral Ortega ne pensait pas être à même d'y résister ; tout
espoir d'un secours extérieur étant perdu depuis le combat
de San Lorenzo, il fut obligé de terminer une défense qu'il
ms.
282 !'■' PARTIE. CHAPITRE VI.
^863. avait du reste suffisamment prolongée pour l'honneur de
ses armes.
Les prisonniers causèrent tout d'abord un grand embar-
ras. Les officiers, pour la plupart anciens guérilleros, exal-
tés et dangereux, étaient fort gênants. Le général en chef
décida qu'ils seraient envoyés en France. Cinq mille sol-
dats furent versés dans l'armée de Marquez, deux mille
employés à détruire les barricades et les retranchements
de la ville ; les autres furent dirigés sur les ateliers du
chemin de fer. La prise de Puebla avait fait tomber entre
les mains des troupes françaises : 26 généraux , 303 offi-
ciers supérieurs, 1179 officiers subalternes, 11,000 sous-
officiers ou soldats (*), 150 pièces de canon.
•
Évasion Bien que les officiers eussent refusé d'engager leur pa-
des prisonuieis , . . , . , .
faits à Puebla. rolc, OU avait cru pouvoir s abstenir de leur imposer une
surveillance excessive ; un grand nombre en profitèrent
pour s'évader.
Le 18 mai, 1508 officiers avaient déclaré se rendre à
Puebla.
Le jour du départ, on ne trouva que : 22 généraux,
228 officiers supérieurs, 700 officiers subalternes. Total :
950.
Au moment de l'embarquement à Vera-Gruz on ne compta
plus que : 13 généraux, 110 officiers supérieurs, 407 offi-
ciers subalternes. Total: 530 (^).
Le plus grand nombre de ceux qui manquaient s'étaient
enfuis principalement pendant le trajet d'Orizaba à Vera-
Gruz. Six généraux : Ortega, La Llave, Patoni, Pinson,
(') Uiiu note signée du clicf d'clat-major de la 2' division n'estime qu'à 9,000
le nombre d(;s' prisonniers.
(*) Rapport de l'umiral.
LE GÉNÉRAL FOREY. 283
Garcia el Prieto s'évadèrent d'Orizaba iiiême ; d'autres parti-
rent de Puebla et parmi ces derniers : Escobedo, Berrio-
zabal, Antillon, Porfirio-Diaz, Ghilardi, Negrete. On retrou-
vera tous ces chefs à la tête de bandes isolées ou de corps
régulièrement constitués. La plupart retournèrent dans les
provinces où ils étaient connus et où ils pouvaient avoir
de l'influence. Ce furent eux qui entretinrent le foyer des
idées libérales et contribuèrent le plus à prolonger la
guerre O.
Depuis le commencement de la campagne, le corps expé-
ditionnaire avait perdu par le feu de l'ennemi :
18 officiers et 167 hommes de troupe tués.
79 officiers et 1039 hommes de troupe blessés ; parmi
ceux-ci un grand nombre étaient morts des suites de leurs
blessures (^).
Le siège avait duré soixante-deux jours depuis l'investis-
sement, cinquante-cinq jours depuis l'ouverture de la
tranchée.
La nouvelle de la prise de Puebla fut reçue en France
avec une grande allégresse. L'Empereur en témoigna sa
satisfaction au général Forey dans la lettre suivante :
« Palais de Fontainebleau, 12 juin 1863.
<c Général, la nouvelle de la prise de Puebla m'est parvenue
avant-hier par la voie de New-York. Gel événement nous a comblés
de joie.
a Je sais combien il a fallu aux chefs et aux soldats de prévoyance
(«) Lettre du général Woll au ministre. 2 juin 1863, (Le général WoU, Fran-
çais d'origine, avait pris du service au Mexique. C'était un homme âgé, considéré
dans le pays et dont le concours fut souvent utile à l'armée française. ) — Le
général Forey au ministre, 2 juin, 14 juin.
(») Le général Forey au ministre, 2 juin.
4863.
284 l'^ l'AUTlE. — CHAPITRE VI.
-1863. et d'énergie pour arriver h cet important résultat. Témoignez, en
"" mon nom îi l'armée, toute ma satisfaction; dites-lui combien j'ap-
précie sa persévérance et son courage dans une expédition si loin-
taine, oîi elle avait à lutter contre le climat, contre la difficulté des
lieux et contre un ennemi d'autant plus opiniâtre qu'il était trompé
sur mes intentions. Je déplore amèrement la perte probable de tant
de braves, mais j'ai la consolante pensée que leur mort n'a été inu-
tile ni aux intérêts, ni à l'honneur de la France, ni h la civilisation.
« Notre but, vous le savez, n'est pas d'imposer aux Mexicains
un gouvernement contre leur gré, ni de faire servir nos succès au
triomphe d'un parti quelconque. Je désire que le Mexique renaisse
à une vie nouvelle, et que bientôt régénéré par un gouvernement
fondé sur la volonté nationale, sur les principes d'ordre et de pro-
grès, sur le respect du droit des gens, il reconnaisse, par des rela-
tions amicales, devoir à la France son repos et sa prospérité.
« J'attends les rapports oftîciels pour donner à l'armée et k son
chef les récompenses méritées; mais dès à présent, général, rece-
vez mes vives et sincères félicitations.
ï Napoléon »
CHAPITRE SEPTIÈME
SOMMAIRE.
Mesures politiques prises après la reddition de PueLla. (Mai 1863.) — Marche
de l'armée sur Mexico. — Pronunciamiento à Mexico. — Entre'e du géné-
ral Forey à Mexico (10 juin 1863). — Manifeste à la nation mexicaine. —
Formation d'un gouvernement provisoire. — Proclamation dk l'Empire (10
juillet). — Opérations militaires. — Combat de Camaron (i*' mai). — Opé-
rations sur les côtes. — Situation politique du pays. — Rappel du général
Forey et de M. de Saligny (octobre 1863).
Le général Forey nomma le colonel Brincourt comman- Mesures
. . , politiques prises
dant supérieur de Puebla et prescrivit de réorganiser les après la reddition
administrations locales. M. de Saligny et le général Al-
monte désignèrent les personnes auxquelles furent confiées
les fonctions administratives.
Sur les propositions qui lui en furent faites par le mi-
nistre de France et par M. Budin, receveur général des
finances en mission, chef des services financiers, le géné-
ral en chef arrêta plusieurs mesures politiques impor-
tantes (^), Un journal, rédigé en deux langues, fut créé
sous le titre de Moniteur franco-mexicain. Bulletin des actes
officiels de l'Intervention,
(*) Moniteur franeO'mexicain, — Lo général Forey au ministre, 2 juin.
de Puebla.
286 l" PARTIE. CHAPITRE VII.
1863 Les douanes de terre, sources principales de revenus
de l'État de Puebla, furent rétablies.
Par un décret du 21 mai, les biens de toutes les personnes
portant les armes contre l'intervention furent mis sous
séquestre ; l'application de cette mesure causa de nombreux
embarras.
Un décret du 22 mai prescrivit la révision des ventes des
biens ayant appartenu aux corps moraux, c'est-à-dire à
l'ayuntamiento et à diverses sociétés de bienfaisance de
Puebla, ventes ordonnées, par le gouvernement de Juarez
et dont un grand nombre étaient entachées de fraude.
Dans l'intention de faciliter les opérations du trésor de
l'armée, un décret du 27 mai interdit « V exportation du
numéraire et des matières d'or et d'argent (*). d
Le 4 juin, jour de la Fête-Dieu, le général Forey, à la
tête de son état-major, suivit la procession dans les rues
de Puebla; toutes les troupes formèrent la haie. Le com-
mandant en chef pensait que cette manifestation produirait
un effet utile sur l'esprit d'une population dont il con-
naissait les sentiments religieux et qui était privée depuis
longtemps des cérémonies extérieures du culte C^).
Marciic H se préparait d'ailleurs à continuer les opérations et
^'^ jEo/"' commençait à diriger les troupes vers Mexico, où les libé-
raux avaient, disait-on, l'intention de résister(^). Le l'^'" juin,
les têtes de colonne étaient déjà à Ayotla, à sept lieues de
la capitale, lorsqu'on apprit que Juarez, renonçant à tout
projet de défense, en était parti la veille. Les consuls
(*) Les dlicrels sur le séquestre et sur l'exportation du numéraire l'un^nt for-
mellement désapprouvés par le Gouvernement français, qui en ordonna l'annu-
lation. (Lettres du ministre de la guerre, 17 juillet, 28 octobre, 15 novembre.)
(2) Le général Forey au minisire, 14 juin.
(3) Le i;[énéral Forey au ministre, 2 juin.
LE GÉNÉRAL FOREY. 287
d'Espagne, de Prusse et des États-Unis se rendirent, le '1863.
2 juin, à Puebla, près du général en chef, et le prièrent de
faire occuper la ville par les troupes françaises, à l'exclu-
sion de la division Marquez. L'ordre fut aussitôt donné au
général Bazaine de se rapprocher de Mexico et d'y envoyer
quelques détachements, s'il le jugeait opportun.
Cependant les hommes du parti conservateur, auxquels Pronunciamiento
à Mexico.
le départ de Juarez avait laissé le champ libre, s'étaient
immédiatement concertés sous la direction du général
Aguilar, un des plus ardents instigateurs de l'intervention
française et des idées monarchiques. Ils rédigèrent un acte
d'adhésion à l'intervention et recueillirent un nombre très-
considérable de signatures. Un vieil officier, le général
Salas, prit le commandement supérieur civil et militaire
de la ville, et quelques-uns d'entre eux furent députés
auprès du général Forey pour lui annoncer le pronun-
ciamiento qui venait d'avoir lieu. Le général en chef les
reçut le 4 juin ; il les trouva si intolérants, si peu modérés
dans l'expression de leurs sentiments, qu'il craignit quel-
que violente réaction et crut prudent de ne pas laisser les
troupes de Marquez entrer à Mexico, ainsi d'ailleurs que
le lui avaient demandé les consuls étrangers. Il donna
l'ordre de les cantonner à quelque distance dans la petite
ville de Texcoco.
Le 4 juin, un bataillon de chasseurs à pied alla bivoua-
quer aux portes de la ville. Le 7 juin, le général Bazaine
en prit possession à la tête de sa division. Le général Forey,
qui avait quitté Puebla le 5, arriva le 9 au Penon, à trois
kilomètres de Mexico. Un grand nombre d'habitants vin-
rent le complimenter, et leurs instances furent si vives,
qu'il consentit à modifier les ordres déjà donnés à la divi-
288 l" PARTIE. CHAPITRE VTI.
^863. sion Marquez et à lui faire prendre la tête de colonne dans
l'entrée solennelle à Mexico, qui devait avoir lieu le len-
demain.
Enirée L'armée fut accueillie avec un grand enthousiasme;
du général Forev . . ,, i • i
à Mexico ' toutcs Ics Tucs étaient garnies d arcs de triomphe, une
(iO juin).
population immense se pressant sur son passage l'acclama
et la couvrit de fleurs. Le général en chef en rendit compte
au ministre de la guerre, dans les termes suivants, par une
dépêche télégraphique datée du iO juin même :
« Je viens d'entrer [\ Mexico à la tête de l'armée. C'est le cœur
encore tout ému que j'adresse celte dépêche à Votre Excellence
pour lui annoncer que la population de cette capitale, tout entière,
a accueilU l'armée avec un enthousiasme qui tenait du déhre. Les
soldats de la France ont été littéralement écrasés sous les cou-
ronnes et bouquets dont l'entrée de l'armée à Paris, le 14 août 1859,
en revenant d'Italie, pourrait seule donner une idée. J'ai assisté à
un Te Deum avec tous les officiers dans la magnifique cathédrale
de cette capitale remplie d'une foule immense; puis l'armée, dans
une admirable tenue, a défdé devant moi au cri de : Vive l'Empe-
reur I Vive l'Impératrice !
« Après le défdé, j'ai reçu au palais du gouvernement les auto-
rités qui m'ont harangué. Cette population est avide d'ordre, de
justice, de liberté vraie. Dans mes réponses à ses représentants,
je lui ai promis tout cela au nom de l'Empereur.
« Par la plus prochaine occasion, j'aurai l'honneur de vous
donner de plus amples détails sur cette réception sans égale dans
l'histoire, et qui a la portée d'un événement politique dont le re-
tentissemeni sera immense. »
Le 10 juin au soir, le général Forey fit afficher une
proclamation dans laquelle il remercia la population de
l'accueil qui lui avait été fait. Il assista, le lendemain, avec
toutes les troupes, à la procession de l'octave de la Fête-
Dieu (^).
0) Le g(5néral Forcy au ministre ih h guerre, 14 juin.
LE GÉNÉRAL FORE Y. 289
Deijx jours après, il adressa le manifeste suivant au ^863.
peuple mexicain :
Mexicains !
« Est-il nécessaire que je vous dise encore dans quel but l"Em- Manifeste
pereur a envoyé au Mexique une partie de son armée ? Les procla- ml^xfcaill^e"
mations que je vous ai adressées, malgré la politique ombrageuse
du gouvernement déchu, vous sont certainement connues, et vous
savez que notre magnanime souverain, ému de votre triste situa-
tion, n'a voulu qu'une chose en faisant traverser les mers à ses sol-
dats : vous montrer le noble drapeau de la France, qui est le symbole
de la civilisation. Il a pensé avec raison qu'à sa vue ceux qui vous
opprimaient au nom de la liberté, ou tomberaient vaincus, ou s'en-
fuiraient honteusement. La mission que l'Empereur m'a confiée
avait un double but : j'avais à faire sentir aux prétendus vain-
queurs du o mai 1862, le poids de nos armes et à réduire à sa juste
valeur ce fait de guerre auquel la jactance de quelques chefs mili-
taires avait donné la proportion d'une grande victoire.
J'avais ensuite à offrir le concours de la France au Mexique pour
l'aider à se donner un gouvernement qui fût l'expression de son
libre choix, un gouvernement pratiquant avant tout la justice, la
probité, la bonne foi dans ses relations extérieures, la liberté à
l'intérieur, mais la liberté comme elle doit être entendue, marchant
avec l'ordre, le respect de la religion, de la propriété, de la fa-
mille.
« La déroute des troupes ennemies dans toutes les circonstances
où elles ont osé affronter nos sabres ou nos baïonnettes, puis le
siège de Puebla, ont donné ample satisfaction à notre honneur mi-
litaire.
« Arrivés avec de faibles moyens d'attaque devant Puebla, dont
le gouvernement déchu avait fait une place de premier ordre et
qu'il regardait comme un boulevard où viendraient se briser nos
efforts et où dans sa forfanterie habituelle, il prétendait que nous
devions trouver notre tombeau, nous l'avons forcé à se rendre à
discrétion ; et chose extraordinaire dans les fastes militaires, une
garnison de 20,000 hommes a été obligée de se constituer prison-
nière avec tous ses généraux, tous ses officiers, à abandonner en
notre pouvoir un immense matériel de guerre, et cela lorsqu'elle
avait encore de puissantes ressources, ainsi que nous avons pu le
constater.
« Après la chute de Puebla, nous allions marcher sur la capi-
19
290 l" PARTIE. — CHAPITRE Vil.
4863. taie, qui, disait-on, se préparait à une sérieuse résistance : nous
~ avions pour la vaincre de puissants moyens d'action, et la victoire,
fidèle au drapeau de la France, n'était pas douteuse.
« Mais Dieu n'a pas permis une nouvelle effusion de sang, et le
gouvernement qui savait très-bien qull ne pouvait s"appuyer sur
le peuple de cette capitale, n'a pas osé nous attendre derrière ses
remparts ; il s'est enfui honteusement, laissant cette grande et belle
cité à elle-même. SU doutait encore de la réprobation générale
dont il était l'objet, la journée du 10 juin 1863, qui appartient dé-
sormais à l'histoire, doit lui enlever toute illusion et lui faire sentir
son impuissance à conserver les débris du pouvoir dont il a fait
un si déplorable usage.
« La question militaire est donc jugée.
« Reste la question politique.
« La solution, Mexicains, dépendra de vous. Soyez unis dans
des sentiments de fraternité, de concorde, de véritable patriotisme ;
que tous les honnêtes gens, les citoyens modérés de toutes les opi-
nions se confondent en un seul parti, celui de l'ordre; n'ayez pas
pour but mesquin et peu digne de vous la victoire d'un parti sur
un autre ; voyez les choses de plus haut, abandonnez ces dénomi-
nations de Libéraux, de Réactionnaires qui ne font qu'engendrer
la haine, que perpétuer l'esprit de vengeance, qu'exciter enfin
toutes les mauvaises passions du cœur humain. Proposez-vous
avant tout d'être Mexicains, et de vous constituer en une nation
unie, forte, par conséquent grande, parce que vous avez tous les
éléments nécessaires pour cela.
« C'est à quoi nous venons vous aider, et nous arriverons en-
semble à créer un ordre de choses durable, si, comprenant les vrais
intérêts de votre pays, vous entrez résolument dans les intentions
de l'Empereur que je suis chargé de vous exposer.
« Ainsi, à l'avenir, il ne sera plus exigé aucune contribution for-
cée, ni réquisition de quelque nature et sous quelque prétexte que
ce soit; il ne sera commis aucune exaction sans que leurs auteurs
soient punis.
« Les propriétés des citoyens, ainsi que leurs personnes, seront
placées sous la sauvegarde des lois et des mandataires du gouver-
nement.
« Les propriétaires des biens nationaux, qui ont été acquis régu-
lièrement et conformément à la loi, ne seront nullement inquiétés
et resteront en possession de ces biens; les ventes frauduleuses
seules pourront être l'objet d'une révision.
« La presse sera libre, mais réglementée d'après le système des
LE GÉNÉRAL FOREY. 291
avertissements établi en France; deux avertissements entraîneront -i863.
la suppression du journal. ""
« L'armée sera soumise à une loi de recrutement modéré, qui
mettra fin à celte odieuse habitude de prendre de force et d'arra-
cher à leur famille les Indiens et les laboureurs, cette intéressante
classe de la population que l'on jette dans les rangs de l'armée la
corde au cou, et qui ne peuvent que donner le triste spectacle de
soldats sans patriotisme, sans la religion du drapeau, toujours
prêts à déserter ou à quitter un chef pour un autre ; et cela se con-
çoit par cela seul qu'il n'y a point au Mexique d'armée nationale,
mais des bandes aux ordres de chefs ambitieux qui Se disputent le
pouvoir, dont ils ne se servent que pour détruire de fond en comble
les ressources du pays, en s'emparant des richesses d'autrui.
« Les impôts seront réglés comme dans les pays civilisés, de
manière que les charges pèsent sur tous les citoyens, proportion-
nellement à leur fortune, et l'on cherchera s'il ne convient pas de
supprimer certains droits de consommation, plus vexatoires
qu'utiles, et qui frappent principalement les producteurs les plus
pauvres de la campagne.
« Tous les agents qui ont le maniement de la fortune publique
seront convenablement rétribués; mais ceux qui n'exercent pas
leur emploi avec la probité et la délicatesse que l'Etat est en droit
d'exiger d'eux seront remplacés, indépendamment des peines qu'ils
auront pu encourir pour malversation.
« La religion catholique sera protégée et les évoques seront rap-
pelés dans leurs diocèses. Je crois que l'Empereur verrait avec
plaisir qu'il fût possible au gouvernement de proclamer la liberté
des cultes, ce grand principe des sociétés modernes.
« Des mesures énergiques seront prises pour réprimer le brigan-
dage, cette plaie du Mexique, qui en fait un pays à part dans le
monde et paralyse tout commerce, toute entreprise d'utilité pu-
blique ou privée qui, pour prospérer^, ont besoin de sécurité.
« Les tribunaux seront organisés de manière que la justice
soit rendue avec intégrité et qu'elle ne soit plus le prix du plus
offrant et dernier enchérisseur.
« Tels sont les principes essentiels sur lesquels s'appuiera le
gouvernement à établir ; ce sont ceux des peuples de l'Europe qui
se distinguent entre tous; ce sont ceux que le nouveau gouverne-
ment du Mexique devra s'efforcer de suivre avec persévérance et
énergie, s'il veut prendre sa place parmi les nations civilisées.
« Cette seconde partie de la tcâche qui m'est imposée, je ne pour-
rai la remplir que si je suis secondé par les bons Mexicains.
292
r" PARTIE.
CHAPITRE VII.
1863. « Aussi, je ne terminerai pas ce manifeste sans faire appel à la
~ conciliation. J'invoque le concours de toutes les intelligences, je
demande aux partis de désarmer et d'employer désormais leurs
forces, non à détruire, mais à fonder. Je proclame l'oubli du passé,
une amnistie complète pour tous ceux qui se rallieront de bonne
foi au gouvernement que la nation librement consultée se donnera.
« Mais je déclarerai ennemis de leur pays ceux qui se montre-
ront sourds à ma voix conciliatrice, et je les poursuivrai partout où
ils se réfugieront. »
« Fait à Mexico, le 12 juin 1863. »
Formation
d'un
gouvernement
provisoire.
Le général Forey s'occupa aussitôt de la constitution
des pouvoirs publics. L'autorité de Juarez étant encore
reconnue sur presque tout le territoire du Mexique, il était
difficile de réunir an congrès d'après les lois du pays. Il
fut décidé qu'on formerait une assemblée de notables choi-
sis dans la capitale; M. de Saligny se chargea d'en pré-
parer l'élection. Le général Forey, par un décret du 18
juin, désigna d'abord trente-cinq citoyens pour former
une junte supérieure de gouvernement. Cette junte eut à
choisir trois de ses membres et deux suppléants pour
l'exercice du pouvoir exécutif, puis à former une assem-
blée de notables en s'adjoignant deux cent quinze membres
nouveaux. Le 22 juin, le général Almonte, M^' de Labas-
tida, archevêque de Mexico, alors en Europe, et le général
Salas furent élus membres du gouvernement provisoire.
M^' Ormeacha remplaça l'archevêque absent.
Ce fut aux mains de ce tinumvirat que le général en
chef remit, le 24 juin, l'autorité gouvernementale effective,
qu'il avait jusqu'alors exercée. Il se réserva seulement la
présidence de la section de la junte chargée de l'adminis-
tration du département de la guerre. Outre les décrets
précédemment rendus à Puebla sur le séquestre, sur l'ex-
portation du numéraire, sur la révision des ventes des biens
LK GÉNÉRAL FOKLV. 293
nationalisés, le général Forey prit encore à Mexico plu- i863.
sieurs décisions importantes. Il réglennenta la presse con-
formément à la législation en vigueur en France. Il créa
des cours martiales, et ces tribunaux, chargés de juger
sommairement tous les individus ayant fait partie d'une
bande de malfaiteurs armés, furent investis de pouvoirs
discrétionnaires. Leurs arrêts, prononcés à la majorité ab-
solue des voix, étaient sans appel et exécutoires dans les
vingt-quatre heures.
Quelques jours après la nomination des membres du pn.ciomation
pouvoir exécutif, la junte supérieure s'adjoignit les deux (io juillet).
cent quinze citoyens avec lesquels elle devait se transfor-
mer en assemblée des notables constituante. M. de Saligny
prétendit que ses désignations portaient sur des hommes
modérés de tous les partis, mais on avait eu soin de s'assu-
rer préalablement des dispositions du plus grand nombre
d'entre eux. Trente-quatre membres ne siégèrent pas pour
divers motifs. Sept refusèrent le mandat qui leur était
donné. L'assemblée se réunit pour la première fois le 8
juillet et nomma aussitôt une commission pour examiner
la question de la forme du gouvernement.
Le 10 juillet, cette commission présenta un rapport
dont voici les conclusions (') :
« Résumant ce qui vient d'être exposé, la commission croit avoir
démontré de la manière la plus satisfaisante :
« 1° Que le système républicain, soit sous la forme fédérative,
soit sous celle de la plus énergique centralisation du pouvoir, a été,
depuis l'époque où il a été mis en pratique, la source de tous les
maux de notre patrie, et que le bon sens et l'expérience politique
ne permettent pas d'espérer qu'on puisse les faire cesser autrement
qu'en extirpant l'unique cause qui les a produits;
(•) D'après la traduction jointe aux dépèches du général Forey.
294 l" PARTIE. CHAPITRE VII.
1863. « 2" Que l'institution de la monarchie est la seule convenable
~ pour le Mexique, surtout dans les circonstances présentes, parce
que, combinant en elle l'ordre avec la liberté, et la force avec la
justice, elle parvient presque toujours à vaincre l'anarchie, à re-
fréner la démagogie immorale et désorganisatrice par sa propre
nature;
« 3° Que, pour fonder ce trône, il n'est pas possible de choisir
un souverain parmi les enfants du pays, bien qu'il renferme dcg
hommes d'un mérite éminent, par ce motif que les qualités essen-
tielles pour constituer un monarque sont de celles qui ne s'impro-
visent pas, qu'il n'est pas donné à un simple particulier de posséder
et de réunir et qui bien moins encore s'obtiennent au moyen du
vote populaire ;
« 4° Que parmi les princes, brillant autant par la splendeur
d'une naissance illustre que par l'éclat des qualités personnelles,
l'Archiduc Ferdinand-Maximilien d'Autriche, est désigné au choix
de la nation pour régir ses destinées comme un des rejetons les
plus éminents de la race royale, autant par ses qualités person-
nelles, sa haute instruction, son intelligence élevée que par son ap-
titude au gouvernement.
ï En conséquence, la commission soumet à la délibération sou-
veraine de cette respectable assemblée les propositions suivantes :
« 1° La nation mexicaine adopte pour forme de gouvernement
la monarchie tempérée et héréditaire sous un prince catholique.
« 2» Le souverain prendra le titre d'Empereur du Mexique.
« 3° La couronne impériale du Mexique sera offerte à S. A. L et
R. le prince Ferdinand-Maximilien d'Autriche pour lui et ses des-
cendants^^\
« 4° Dans le cas où, par des circonstances qu'on ne peut pré-
voir, l'Archiduc Ferdinand-Maximilien ne prendrait pas possession
du trône qui lui est offert, la nation mexicaine s'en remet k la
bienveillance de S. M. Napoléon ITI, Empereur des Français, pour
qu'il indique un autre prince catholique h qui la couronne sera
offerte. »
H) L'archiduc Ferdinand-Maximilien-Joseph d'Autriche, m; ic 6 juillet 1832,
frère de l'omperour François-Joseph, marié le 27 juillet 1857 à la princesse
Marie-CharloUc, (ille du roi des Belges, née le 6 juin 1840.
LE GÉNÉRAL FOREY. 295
L'assemblée passa aussitôt à la délibération sur ce projet, <863.
qui fut rapidement adopté à une majorité de deux cent
vingt-neuf voix contre deux opposants. Le succès avait
couronné l'habileté déployée par les promoteurs de l'Em-
pire, mais les fondations de l'édifice étaient loin d'être
solides. L'assemblée vota des actions de grâces à l'empe-
reur Napoléon, à l'Impératrice, au général Forey, au gé-
néral Almonte, à M. de Saligny, au général Marquez, etc.
Elle décida que le buste de l'empereur Napoléon serait
placé dans la salle des séances et qu'on demanderait au
Pape sa bénédiction.
Le gouvernement provisoire prit le nom de « Régence de
l'Empire. » Un Te Deum fut chanté à la cathédrale et, le
13 juillet, le « Bando, » annonçant l'Empire sous Maxi-
milien P^ fut publié dans les rues de Mexico au milieu
des démonstrations populaires, qui accompagnent volon-
tiers tout changement de gouvernement. Une députation
fut envoyée en Europe pour offrir la couronne à l'archiduc
et lui exprimer « les vœux de la nation mexicaine représen-
tée, était-il dit, conformément au droit public et aux usages
traditionnels du pays, par une assemblée de notables. »
Cependant Juarez, suivi de quelques députés du con-
grès, avait transporté à San Luis Potosi le siège de son
gouvernement ; il ne paraissait nullement vouloir renoncer
à la lutte. L'arméo française en entrant à Mexico, disait une
de ses proclamations, ne s'était rendue maîtresse que d'une
ville de ^^Xxxs {No mas que un pueblo) ; tout le reste du pays
obéissait encore à son autorité. C'était exact; car aucune
manifestation favorable à l'intervention ne se produisit
dans les parties du territoire sur lesquelles l'action des armes
françaises ne se faisait pas directement sentir. L'occupation
de Mexico n'avait pas dénoué la question mexicaine.
296 l" PARTIE. CHVPITRE VII.
i863.
~" Une partie des troupes ennemies s'étaient fractionnées
Opérations .
militaires. en bandes de guérillas et se disposaient à mettre les cir-
constances à profit pour se livrer au pillage ; mais le géné-
ral Uraga, avec quelques forces régulièrement organisées,
se retirait en ordre par la route de Toluca, tandis que
Doblado se repliait par celle de Queretaro, et que Negrete,
un des généraux qui s'étaient enfuis de Puebla, se préparait
à opérer entre Mexico et Yera-Gruz, de manière à gêner
les communications de l'armée française avec la mer.
Un des premiers soins du général en chef, après son
entrée à Mexico, avait été d'établir des postes sur la route
de Vera-Gruz, afm de rendre faciles en tout temps la marche
des convois et le service des dépêches. Les nécessités du
siège de Puebla ayant amené la concentration autour de
cette place de la presque totalité des troupes françaises, on
n'avait pu jusqu'alors protéger ces communications d'une
manière efficace. Les dépêches ne passaient qu'avec une
extrême difficulté ; le commandant supérieur de Vera-Gruz
recevait rarement des nouvelles de l'armée ; de temps à
autre seulement, un Indien arrivait à traverser les lignes
des guérillas et apportait quelques renseignements succincts
sur les opérations du siège. Toutes les nouvelles défavo-
rables étaient au contraire rapidement propagées par l'en-
nemi et aussitôt exploitées par les partisans de Juarez, très-
nombreux parmi la population de Vera-Gruz.
A la fin du mois de mars, une brigade de renfort, com-
posée du 7' de ligne et du régiment étranger et divers au-
tres détachements, formant un effectif total d'environ six
mille hommes, étaient arrivés au Mexique. Ges troupes fu-
rent réparties dans les postes des terres chaudes et dès ce
moment la route put être mieux surveillée. Gependant les
guérillas, dont le quartier général était à Jalapa, ne perdi-
H: GÉNÉRAL FOREV. 297
rent rien de leur audace; le 31 mars, elles attaquèrent les i853.
ateliers du chemin de fer, tuèrent ou blessèrent un grand
nombre d'ouvriers et bouleversèrent les travaux.
Le l®'" mai, une compagnie du régiment étranger fut ^^"jJaJon
également attaquée par des forces supérieures et entiè- (i"mai).
rement détruite après une héroïque résistance.
Un convoi portant trois millions de francs et un autre,
chargé de munitions, devaient être envoyés de Vera-Gruz
à Puebla; le général Milan, commandant les guérillas
des terres chaudes, ayant formé le projet de les enlever,
s'embusqua près de la route avec un millier de fantassins
et huit cents cavaliers. On ignorait le voisinage d'une force
aussi considérable, lorsque, le 30 avril, une compagnie du
régiment étranger, commandée par le capitaine Danjou, et
forte de soixante-deux hommes et trois officiers, partit du
poste du Chiquihuite pour éclairer les environs. Après avoir
marché une partie de la nuit, elle s'arrêta, à sept heures du
matin, au lieu dit Palo-Verde, pour y faire le café; quelques
instants plus tard, des éclaireurs ennemis étant signalés
sur la route du côté du Chiquihuite , le capitaine Danjou se
replia dans la direction du village de Camaron ; soudain il
fut enveloppé par une nuée de cavaliers. La compagnie se
forma en carré et reçut une première charge. Profitant
d'un moment de répit, elle gravit un talus voisin et soutint
encore sans se rompre une deuxième attaque de la cavalerie
mexicaine ; puis, chargeant à son tour, elle perça la ligne
ennemie et se jeta dans les maisons.
Le bâtiment dans lequel le capitaine Danjou se disposa
à la résistance se composait d'une cour carrée de cinquante
mètres de côté dont une face, celle qui bordait la route,
était formée par un corps de logis divisé en plusieurs
298 l" PARTIE. — CHAPITRE VII.
4863. chambres. Il occupa la cour, dont il fit barricader les ou-
"" vertures et la chambre située à l'un des angles ; au même
moment, l'ennemi pénétrait dans la chambre située à
l'extrémité opposée.
Il était environ neuf heures. Le détachement français,
sommé de se rendre, refusa énergiquement, et le feu com-
mença de tous côtés. Le capitaine ûanjou n'espérait pas
résister avec succès, mais il fit promettre à ses hommes de
se défendre jusqu'à la dernière extrémité ; bientôt après, il
tombait frappé mortellement.
Le sous-Heutenant Vilain prit le commandement.
Vers midi, on entendit un bruit de tambours et de clai-
rons ; il y eut une lueur d'espoir parmi les défenseurs de
Gamaron qui crurent à l'arrivée d'un secours. Cette espé-
rance fut bientôt dissipée : c'étaient trois bataillons mexi-
cains, forts de trois à quatre cents hommes chacun, que
le général Milan amenait sur le lieu du combat. Cependant
l'ennemi avait réussi à pratiquer, sur une des faces de la
cour, une brèche par laquelle il prenait à revers les défen-
seurs des autres faces. A deux heures, le sous-lieutenant
Vilain fut tué. Le commandement passa au sous-lieutenant
Maudet.
La chaleur était accablante, la troupe n'avait pas mangé
depuis la veille, personne n'avait bu depuis le matin. Les
souffrances des blessés étaient atroces. L'ennemi fit une
nouvelle sommation, qui fut encore repoussée avec la même
énergie; alors il incendia un des hangars extérieurs, et la
fumée rendit plus intolérables encore les tortures de la soif.
Malgré tout, on se maintint aux créneaux et aux brèches.
A cinq heures et demie, l'attaque fut suspendue ; le gé-
néral Milan, rassemblant ses soldats à l'abri d'une maison
voisine, les harangua, leur disant que ce serait une honte
LE GÉNÉRAL FOREY. 299
de ne pas en finir avec les quelques Français qui restaient 1863.
debout. Ces paroles furent entendues par un soldat d'ori-
gine espagnole qui les traduisit à ses camarades. Aussitôt
après, un assaut général fut donné, les Mexicains se préci-
pitèrent à la fois sur toutes les ouvertures. A la porte
principale, il ne restait qu'un homme, il fut pris. A l'angle
opposé, il y avait encore quatre soldats qui jusqu'alors
avaient réussi à défendre une brèche, ils furent envelop-
pés par l'ennemi qui remplissait la cour et entraînés. Le
sous-lieutenant Maudet s'était barricadé avec quatre hom-
mes dans les débris d'un hangar ruiné. Il s'y défendit
encore un quart d'heure ; puis, ayant fait envoyer la der-
nière balle à l'ennemi, il donna l'ordre de charger à la
baïonnette. Au moment où il sortait du hangar, tous les
fusils étaient dirigés sur lui ; un de ses hommes lui fit un
rempart de son corps et tomba foudroyé; lui-mèm.e fut
grièvement blessé par deux balles et renversé à terre. Alors
les Mexicains, se précipitant sur les quelques survivants de
l'infortunée compagnie, les firent prisonniers.
Il était six heures du soir, lorsque succomba cette poi-
gnée d'hommes héroïques ; ils combattaient depuis plus
de neuf heures ; deux officiers étaient tués, le troisième
mortellement blessé. Vingt sous-officiers et soldats avaient
été tués, vingt-trois blessés parmi lesquels sept moururent
de leurs blessures ; les autres furent faits prisonniers, à
l'exception d'un tambour laissé pour mort et qui, recueilh
le lendemain par une reconnaissance du régiment étranger,
donna les premiers détails sur le combat.
On assura que les Mexicains avaient perdu trois cents
hommes dont deux cents morts ('). La vigoureuse résistance
<*) Ordre général du 30 août 1863.
300 l" PARTIE. — CHAPITRE VII.
4863. de cette compagnie détermina le général Milan à laisser pas-
ser les convois sans les attaquer, et il ramena à Jalapa ses
troupes fort impressionnées des pertes sanglantes que leur
avait coûté cette victoire. Du reste les Mexicains traitèrent
avec humanité leurs prisonniers dont ils avaient admiré
la bravoure ; lorsque le sous-lieutenant Maudet mourut ,
s'honorant eux-mêmes par les égards témoignés à leur
ennemi vaincu, ils lui rendirent les ]ionneurs militaires.
Ces bandes n'étaient ni les seuls ni les plus terribles
ennemis contre lesquels avaient à lutter les postes des
terres chaudes. Depuis le commencement de la saison des
pluies, ils étaient décimés par les maladies ; le vomito, re-
commençant ses ravages périodiques à Vera-Cruz, avait
signalé son apparition en enlevant, à quelques jours d'in-
tervalle, le colonel Labrousse, commandant supérieur de
Vera-Cruz et le chef du bataillon égyptien. Le colonel
Jeanningros, qui remplaça le colonel Labrousse, faillit aussi
succomber; onze officiers et la moitié des soldats de la
garnison de Vera-Cruz moururent ; les équipages de la
flotte subirent de cruelles pertes. Heureusement les Égyp-
tiens résistèrent au climat et purent seconder les compa-
gnies créoles des Antilles, également à l'abri du fléau; mais
les garnisons françaises de la Tejeriaet de laSoledad étaient
épuisées par les fièvres.
Sur les plateaux, l'état sanitaire était aussi satisfaisant
qu'on pouvait le désirer. La saison des pluies apportant un
temps d'arrêt aux opérations militaires, les troupes purent
se reposer dans de bons cantonnements. Le général en chef
se borna à faire poursuivre les bandes de voleurs qui, ar-
borant, soit le drapeau libéral, soit le drapeau conserva-
teur, sortaient des hautes montagnes qui bordent la vallée
de Mexico, pour ravager la plaine et exploiter les grands che-
LE GÉNÉRAL FOREY. 301
mins. Une bande de cent trente-quatre hommes, qui se disait ■1863.
ralliée à l'intervention, fut cernée et désarmée (17 juin); son
chef, Buitron, et ses lieutenants furent passés par les armes.
Des détachements français occupèrent Ghalco et Tlalpan ;
des troupes mexicaines alliées furent placées à Texcoco, à
Guadalupe, à Apan, à Teotihuacan, à Guautitlan. Ce der-
nier poste avait pour mission spéciale de surveiller les
digues du lac de Zumpango, dont la rupture menacerait
Mexico d'inondations dangereuses (^). Enfin, une colonne,
composée de huit compagnies de zouaves, de deux pelotons
de chasseurs d'Afrique et de quelques troupes alliées,
placés sous le commandement du colonel Mangin du
2« zouaves, fut envoyée dans les montagnes du Monte-Alio.
Elle enleva de vive force le village de Santiago, que défen-
daient les gens de Romero (10 juillet) et les poursuivit
pendant plusieurs jours à travers les sentiers affreux de ce
(1) Mexico est situé au centre d'un grand bassin de quinze lieues de long sur douze
de large, auquel on donne improprement le nom de vallée. Les eaux qui tombent
sur cette immense surface s'accumulent dans les lagunes qui en occupent les parties
les plus basses, et près desquelles Mexico est bâti. A certaines époques, il en est
résulté des inondations terribles comme celles des années 1553, 1380, 1604,
1607, dont l'histoire a conservé le souvenir. Ces lagunes sont à différents étages.
Le niveau moyen des eaux de celle de Texcoco, la plus voisine de la ville, est de
3™, 64 inférieur au plan du parvis de la cathédrale ; les lacs de Chalco, de San
Cristobal et de Xaltocan sont à 0"o4 au-dessous de ce plan. Le lac de Zumpango
est à 2™, 44 au-dessus. Ce ne sont à vrai dire que des nappes d'eau sans pro-
fondeur, derniers vestiges des grands lacs sur lesquels naviguaient les brigantins
de Cortez. Leur surface est aujourd'hui encombrée d'herbes et la circulation n'est
généralement possible que dans les canaux qui ont été dégagés de végétation.
Dans la saison des grandes pluies, le niveau des lagunes inférieures monte assez
pour couvrir d'eau la plaine qui entoure Mexico ; mais en temps ordinaire, l'éva-
poration et l'absorption dans les terres perméables suffisent pour maintenir les
eaux à une hauteur normale. On a du reste exécuté quelques travaux d'art aOn
de détourner dans les lagunes supérieures le cours du Rio de Cuantitlan, qui se
déversait dans le lac de Texcoco, et l'on a ouvert une profonde tranchée dans les
montagnes qui ferment le bassin au nord, afin de procurer au trop-plein de leurs
eaux une dérivation artificielle sur le versant de l'Atlantique Ce canal, appelé
Demgue Real, date de la domination espagnole.
302 l""^ PARTIE. CHAPITRE VII.
4863. pays et sous une pluie torrentielle qui augmentait encore
les fatigues de cette expédition. Cependant Romero reparut
bientôt après dans la vallée. On n'arrivait pas non plus à
débarrasser les environs d'Ajusco des bandes qui les infes-
taient, le général en chef crut alors indispensable de faire
occuper d'une manière permanente quelques points sur les
versants opposés des montagnes.
Déjà le 62' de ligne (colonel Aymard) avait été envoyé
à Pachuca, à vingt lieues au nord de Mexico, pour protéger
l'exploitation des riches mines d'argent qui entourent cette
ville (19 juin). Le général de Bertier, avec le 51 Me ligne,
avait pris possession de Toluca, ville de douze mille habi-
tants, située à seize lieues au sud-est de la capitale, au
centre d'une fertile contrée (5 juillet). Un bataillon du 99*^
de hgne sous les ordres du lieutenant-colonel Lefebvre, six
cents fantassins et cinq cents cavaliers de la brigade mexi-
caine du général Vicario, furent dirigés sur Guernavaca,
ville de dix mille âmes, dans une position importante au
débouché des terres chaudes du Pacifique, à dix-huit lieues
au sud de Mexico, et à quatre-vingt-dix lieues du port
d'Acapulco. Guernavaca fut occupé le 29 juillet, et les
troupes mexicaines furent poussées plus en avant à Jau-
tepec, Xochitepec, Tetecala, Tasco, Iguala et Teloloapan ;
elles eurent avec l'ennemi de nombreux engagements dans
lesquels l'avantage ne leur resta pas toujours. Les bandes
de cette région, dont l'effectif ne s'élevait pas à moins de
quinze cents hommes, étaient en grande partie composées
de plateadosi^), sortes de bandits affectant le luxe, et qui
jouissent d'une certaine considération dans le pays.
(1) Le nom do plnlendos lour vient de filala, argent, parce que leurs effets et
leurs équipements sont garnis d'argent.
LE GÉNÉRAL FOREY. 303
On rencontrait également des corps de pîateados au nord ^363.
de Puebla, du côté de Tlaxcala, que le SI*" de ligne, sous
les ordres du colonel de la Canorgue, occupait depuis le
2 juillet. Le général Negrete y avait établi son quartier
général et se disposait à y concentrer les guérillas avec
lesquelles il comptait opérer sur la ligne de communica-
tion de l'armée française. Il ne chercha pas à résister, re-
monta plus au nord et prit position entre Tulancingo et
Huauchinango au débouché des montagnes de la Huasteca.
On donne ce nom à une vaste région montagneuse ,
qui s'étend depuis Pachuca et Tulancingo, jusqu'à Tan-
canhuitz au nord, la côte du golfe à l'est et le plateau
d'Anahuac au sud. C'est un pays tourmenté, couvert de
grandes forets, sillonné par de profondes déchirures, très-
difficilement praticable, habité par une population fort
énergique et dont les chefs se sont toujours rendus ,
jusqu'à un certain point, indépendants de l'autorité
centrale.
Soutenues par le voisinage de Negrete, les guérillas de
la Huasteca tentèrent plusieurs coups de main dans les
Llanos de Apan. Le colonel Aymard se porta sur Tulan-
cingo et les refoula dans leurs montagnes (16 juillet). La
population de cette ville, se montrant sympathique à l'in-
tervention française, il y laissa une garnison permanente
(13 août), et se proposa de chasser Negrete de la forte
position qu'il occupait à Necaxa, à quelques lieues au
nord. Il fit d'adord enlever le village d'Huauchinango ;
on le prévint alors que Negrete avait douze cents hommes
de troupes régulières, de nombreux contingents de mon-
tagnards et quatorze pièces de canon ; se trouvant numé-
riquement trop faible pour tenter l'attaque avec une cer-
titude suffisante de succès, il demanda le concours du
304 l'* PARTIE. CHAPITRE VIT.
4863. général mexicain Liceaga, qui occupait Apan, et celui
du général de la Canorgue('), qui était à Tlaxcala. Le
général Liceaga s'avança aussitôt sur Zacatlan ; mais l'en-
nemi ayant intercepté ses dépêches, le colonel Aymard
ne put en être prévenu ; le temps était affreux, les pluies
défonçaient les routes, il renonça à l'opération et revint
à Tulancingo, ramenant son artillerie avec la plus grande
peine (6 septembre). Le général Liceaga rentra égale-
ment à Apan.
De son côté, le général de la Ganorgue n'avait pu se
mettre en mouvement que le 8 septembre. Il se porta ce-
pendant à Zacatlan (21 septembre) et y resta en attendant
que les circonstances permissent de reprendre l'expé-
dition.
Pour aider au mouvement sur Necaxa, le général Brin-
court, commandant supérieur de Puebla, avait envoyé une
colonne de sept compagnies du 2*^ zouaves (commandant
Lalanne) sur Zacapoaxtla, une des positions fortifiées de la
Huasteca au nord de San Juan de los Llanos. Zacapoaxtla
fut enlevé le 12 septembre après un brillant combat. Un
officier et un zouave furent tués, neuf hommes blessés.
On prit un drapeau et deux canons.
Negrete, que tous ces mouvements inquiétaient, se dé-
cida à quitter Necaxa et, quelque temps après, rejoignit
Juarez à San Luis Potosi. On put confiner dans les mon-
tagnes les bandes de cette contrée, et la route entre Puebla
et Orizaba fut ainsi très-efficacement protégée du côté du
nord.
Du côté du sud, les populations s'étaient montrées fran-
chement disposées à maintenir l'ordre et avaient organisé
(•) Le colonel de la Canorgue, du Sh'de ligne, venait dYire promu général.
LE GÉNÉRAL FOREY. 303
des gardes civiles. Un parti libéral de l'État d'Oajaca , i8C3.
fort d'environ neuf cents hommes, ayant tenté de pénétrer
dans l'État de Puebla, trente-cinq braves Indiens du petit
village de Tepeji de la Seda, qui commande la route,
avaient résolument essayé de lui barrer le passage ; ils se
défendirent jusqu'à l'épuisement complet de leurs mu-
nitions, donnant ainsi un noble exemple à suivre aux
populations d'habitude trop craintives, dont les bonnes
dispositions étaient souvent paralysées par une poignée
de bandits.
Une colonne française, envoyée au secours de Tepeji,
poursuivit l'ennemi sans pouvoir l'atteindre, jusqu'à Hua-
juapan à cinquante lieues au sud de Puebla, et châtia sévè-
rement les villages, dont les habitants étaient hostiles.
Elle parcourut le pays pendant plusieurs jours, visita
Piaxtla, Chinantla, Tehuicingo, fit raser Tusantlan, brûler
le rancho San Vicente, propriété d'un des chefs ennemis,
punit encore le village de San Pedro Acoyuca et rentra à
Puebla, le 30 septembre, après avoir laissé sur son passage
des traces de dévastation, plus propres sans doute à terri-
fier les populations mal intentionnées qu'à les rallier à
l'intervention.
Dans les terres chaudes, le colonel Dupin, à la tête de la
contre-guérilla, avait adopté le même système de guerre.
Les adversaires qu'il avait à combattre étaient, il est vrai,
indignes de toute pitié. Leurs excès, leurs cruautés devaient
à juste titre les faire considérer comme des bandits avec
lesquels il était impossible d'admettre aucune composition ;
il arriva malheureusement que des gens inoffensifs eurent
à souffrir des mesures sévères dirigées contre les guéril-
leros. Pour rendre impossibles des coups de main sur les
convois, le colonel Dupin fit brûler, à plusieurs lieues de
20
306 T" PARTIE. CHAPITRE Vil.
1863. distance, toutes les cases isolées, les ranchos ou les pueblos,
qui pouvaient offrir à l'ennemi des abris pendant la saison
des pluies.
Quelques expéditions furent aussi envoyées au nord de
Cordova, où étaient les centres de rassemblement des gué-
rillas de Jalapa; mais l'ennemi, toujours prévenu à temps,
se retirait dans les montagnes voisines, emmenant avec
lui tous les habitants. Une garnison fut laissée à Goscoma-
tepec; toutefois les tentatives de pacification faites dans
ces contrées demeurèrent alors sans résultat. Il en fut de
même en général dans toutes les terres chaudes et sur
la côte du golfe, pays sans industrie, sans agriculture et
dont la population clair-semée était habituée depuis long-
temps à se passer d'ordre et de tranquillité. Des détache-
ments de la contre-guérilla, ou des colonnes françaises vi-
sitèrent plusieurs fois la vallée du Rio-Blanco, Tlaliscoyan,
Gotastla, etc., sans pouvoir y ramener le calme. Les troupes
réparties entre Mexico et Puebla, Puebla et Orizaba, Ori-
zaba et Vera-Gruz étaient en outre continuellement en
mouvement pour chercher à atteindre un ennemi presque
toujours insaisissable.
, , . Sur les côtes, l'intervention française n'avait recueiUi
Opérations
suriescôles. d'autre adhésion que celle des habitants de l'île de Gar-
men. Intéressés à faire protéger le commerce de bois de
la Laguna, ils avaient accepté le plan politiqlie du géné-
ral Â.lmonle. Au mois de mai 1862, la canonnière La Gre-
nade, envoyée dans ces parages, captura une goélette de
guerre mexicaine venue de Gam pêche dans le but de ré-
primer le pronunciamiento de Garmen et força deux autres
bâtiments à se jeter à la côte (').
<*) Happorl du commandant de la Grenade, 26 avril.
LE GÉNÉRAL FORE Y. 307
Peu après (17 mai 1862), la canonnière r Eclair alla -1863.
sommer le gouverneur de Campêche de s'abstenir de tout ~
acte d'hostilité contre l'île de Carmen ; mais cette dé-
marche n'aboutit qu'à un échange de coups de canon,
inoffensifs il est vrai, entre elle et les batteries de terre.
Les bâtiments de flottille français avaient une surveil-
lance très-difficile à exercer sur toute cette côte où leurs
équipages étaient fort éprouvés par les maladies ; malgré
leur faible tirant d'eau, ils étaient obligés de se tenir
encore à près de quatre milles du rivage et les embarca-
tions ennemies pouvaient, presque toujours, passer impu-
nément entre eux et la terre ; quelques petits bâtiments
furent cependant capturés par le Marceau et par ÏEclair,
on s'en servit pour aider au service des croiseurs. Le
gouvernement français, par égard pour les intérêts des
neutres, n'ayant pas déclaré le blocus complet des ports
mexicains, les navires de guerre étaient réduits à voir, à
portée de leurs canons, les douanes mexicaines percevoir
des sommes assez considérables, qui étaient aussitôt ap-
pliquées à l'entretien des guérillas. La présence d'une ca-
nonnière dans les eaux de Carmen avait été, pendant un
certain temps, utile au commerce de cette île , mais l'en-
nemi, maître du cours supérieur des rivières, intercepta
bientôt la descente des bois. Les embarcations françaises
remontèrent le cours du grand fleuve Usumacinta, d*abord
jusqu'à Palizada à dix-huit lieues de l'embouchure, puis
jusqu'à Jonuta à huit lieues plus loin, elles en chassèrent
les postes de guérilleros et dégagèrent momentanément la
navigation.
Le général en chef, dont tous les efforts étaient alors
concentrés vers Puebla, voulait éviter une dissémination
de forces préjudiciable à l'ensemble de l'entreprise et
308 l" PARTIE. CHAPITRE VII,
4863 s'opposait à ce que ces opérations prissent trop de dévelop-
pement; après être entré à Mexico, il reporta son attention
sur les côtes du golfe et se proposa d'enlever à l'ennemi
les ressources considérables qu'il tirait de la mer. Dans ce
but, il décida que des garnisons iraient s'établir à Mina-
titlan et à Tampico. Le consul de France de Vera-Cruz
avait beaucoup insisté pour faire décider l'expédition de
Minatitlan ; ce port est situé sur le Rio Goatzacoalco à huit
lieues de la mer, dans une position avantageuse; il devait
être la tête du canal et de la ligne ferrée que les Amé-
ricains avaient projeté d'établir à travers l'Isthme de Te-
huantepec. Le revenu de sa douane du 10 février au
i^'" mai avait été de 26,000 piastres, ce qui donne la me-
sure de son importance. *Le contre-amiral Bosse qui, de-
puis le mois d'avril 1863, avait succédé au vice-amiral
Jurien dans le commandement de l'escadre , ne voulait
pas assumer la responsabilité d'une occupation permanente
des villes du littoral ; il était contraire à ce projet, mais
M. de Stœcklin, l'ancien commandant de la contre-gué-
rilla des terres chaudes, se faisait fort, disait-il, de tenir
dans ce poste avec cent vingt aventuriers qu'il avait recrutés
et armés tant bien que mal ; l'expédition fut définitivement
résolue. L'amiral fit armer un petit bâtiment mexicain ré-
cemment capturé, le Pizarro, atin de le laisser devant Mi-
natitlan pour soutenir le détachement qu'on y établirait.
La troupe de M. Stœcklin fut débarquée sans résistance
le 17 juillet; un grave accident signala cependant cette
expédition ; pendant la nuit, la frégate îe Montezuma, par
maladresse ou par trahison du pilote, s'échoua sur un banc
de sable. Il fut impossible de la remettre à flot.
M. de Stœcklin obtint d'abord d'assez bons résultats ;
plusieurs localités voisines se soumirent, mais, le 17 août,
LE GÉNÉRAL FOREY. 309
s'étant imprudemment porté avec vingt-cinq hommes con- jsôs.
tre un rassemblement ennemi qui se formait à Jaltipan, il
fut entouré par des forces très-supérieures et succomba
sous le nombre de ses adversaires. Le capitaine Dubosc du
régiment étranger le remplaça. Grâce au concours du
Pizarro et d'une canonnière restée devant Minatitlan, il
put se maintenir dans le fort; cependant, le 14 octobre,
ayant tenté une sortie, il fut vivement ramené par l'ennemi
qui lui tua quarante hommes, en blessa quatorze et lui
enleva un canon. Il fallut envoyer de Yera-Cruz d'impor-
tants renforts et se résigner à garder une attitude toute
défensive. Du reste, le commerce était complètement inter-
rompu, le blocus de l'embouchure du Rio Goatzacoalco
eut donc été de beaucoup préférable à cette stérile et dan-
gereuse occupation.
Il en fut de même à San Juan Bautista, capitale de l'État
de Tabasco, que le général mexicain Marin, gouverneur
de Carmen, avait occupé le 18 juin; la garnison s'était
bientôt vue hors d'état de se suffire à elle-même et l'amiral
avait encore été obligé d'envoyer une canonnière station-
ner devant la ville.
L'expédition de Tampico devait se faire aussitôt après
celle de Minatitlan, mais la perte du Montezuma en retarda
les préparatifs. Le général en chef avait destiné à cette opé-
ration 900 hommes d'infanterie de marine sous les ordres
du colonel Hennique et un corps mexicain auxiliaire de
deux compagnies et d'un escadron composés en grande
partie d'habitants de Tampico réfugiés à Vera-Gruz. La
marine fournit en outre un détachement de quatorze ca-
nonniers pour le service de deux pièces de 4 et de deux
pièces de 12. L'effectif total de ces troupes s'élevait à 1280
liommes et 172 chevaux. Elles s'embarquèrent le 6 août.
310 l" PARTIE. — CHAPITRE VU.
1863. L'amiral Bosse dirigea lui-même l'escadre. Le 8 août, il
se présenta à l'embouchure du Piio Panuco, fit embosser
trois de ses bâtiments à quinze cents mètres de la côte et
réduisit au silence l'artillerie d'un fortin qui défendait
l'entrée du fleuve. Le débarquement s'opéra le lendemain;
les embarcations, remorquées par trois chaloupes à vapeur,
franchirent heureusement la barre et sept cents hommes
furent mis à terre sans résistance. Peu après, une des cha-
loupes à vapeur, La Jeanne d'Arc , sombra sur la barre ;
son équipage fut sauvé.
Le 11 août, le colonel Hennique entra à Tampico. L'en-
nemi ne songea pas à défendre la ville, mais comme l'an-
née précédente, il la bloqua étroitement du côté de la terre
et la priva de toute communication avec l'intérieur du pays,
tandis que le vomito se déclarant avec une extrême violence
décimait chaque jour sa garnison.
Enfin, le 6 septembre, le gouvernement français se dé-
cida à déclarer le blocus effectif des côtes du golfe, depuis
un point situé à dix lieues au sud de l'embouchure du Rio
Bravo jusqu'à et y compris Campêche ('). Cette mesure
était réclamée depuis longtemps par les commandants des
bâtiments dont les croisières ne pouvaient avoir aucun ré-
sultat sérieux.
situaiion A la fin de l'été de 1863, l'armée française se trouvait
politiquedu pavs. i t\ i i i •»«■ • -m
donc maîtresse de Puebla et de Mexico ; son influence se
faisait sentir dans un rayon d'une vingtaine de lieues au-
tour de ces villes ; ses détachements occupaient la ligne de
Mexico à Vera-Cruz. Le pavillon français se montrait sur
toutes les côtes du golfe, et l'escadre du Pacifique l'avait
fi) L'amiral Bosse au ministre de la marine, 30 août.
LE GÉNÉRAL FORET. 311
également fait voir sur plusieurs points des côtes du grand m3.
Océan, mais aucun mouvement sérieux ne s'était produit en
faveur de l'intervention.
Dans les diverses localités visitées par nos troupes, les
populations paraissaient, il est vrai, plutôt sympathiques
qu'hostiles, elles s'étaient assez volontiers associées à la
fête nationale du lo août ; d'autre part, elles avaient paru
flattées de voir l'armée française célébrer avec elles les
fêtes commémoratives de l'indépendance mexicaine des
16 et 20 septembre et donner ainsi un témoignage de
son respect pour la nationalité mexicaine. Il arrivait sou-
vent que des villages ou des petites villes, pressurées par
des bandes de guérilleros, sollicitaient la protection d'une
garnison française pour échapper à leurs violences, mais
là se bornaient toutes les manifestations intervention-
nistes ; Juarez était toujours le chef reconnu et obéi de la
presque totalité du pays. Le gouvernement de la Régence
était impuissant à se constituer et à se suffire ; pour lui per-
mettre de fonctionner, il avait fallu que le général en
chef autorisât des émissions de bons du trésor, garantis par
la France, jusqu'à concurrence de 200,000 piastres par
moisO). La coopération des forces alliées, dont le chiffre
s'élevait à environ six mille hommes, était, pour ainsi dire,
nulle. Le général Forey avait cru devoir abolir les enrôle-
ments forcés ou Levas, mode de recrutement peu moral
sans doute, mais le seul connu et appliqué au Mexique ; on
n'avait donc aucun moyen de maintenir l'effectif de ces
troupes que les désertions afPaibhssaient chaque jour. Près
de Pachuca, une compagnie était passée à l'ennemi , son
capitaine en tête ; si on les eût envoyées dans les terres
'*> Le général Forey au ministre de la guerre. 13 juillet.
312 l'" l'ARTIL". CHAPITRE VII.
18G3. chaudes, elles auraient déserté en masse. On n'avait donc
que fort peu de confiance dans les soldats, et l'on ne sa-
vait encore quels étaient ceux de leurs chefs sur lesquels
il était possible de compter.
Les guérillas ennemies et les forces dites régulières mon-
traient au contraire une grande énergie ; leurs exactions
leur donnaient les ressources dont elles avaient besoin ;
elles dominaient le pays par la terreur ; de toutes parts des
bandes surgissaient et inquiétaient les petits postes sans
vouloir s'engager d'une manière sérieuse. Elles se recru-
taient partout, même dans les villes occupées par les Fran-
çais, même à Mexico où les libéraux abusant de la protection
accordée aux gens paisibles de tous les partis poursuivaient
leurs menées hostiles.
Des réunions avaient lieu dans la maison du chargé d'af-
faires du Pérou, et le général en chef qui s'efforçait cepen-
dant de résister aux tendances réactionnaires de la Régence,
consentit, d'après les conseils de M. de Saligny, à faire
arrêter neuf personnes désignées par le gouvernement
mexicain et à les faire déporter sans jugement à Gayenne,
Il déclina toutefois la responsabilité de cette mesure qui
causa une vive émotion au Mexique et fut formellement
désapprouvée par le gouvernement français. Le chargé
d'affaires du Pérou reçut ses passe-ports et dut quitter le
Mexique (^).
L'ancien président Miramon était revenu à Mexico (28
juillet) et bien qu'il promît son concours à l'intervention ,
il était nécessaire de le surveiller. Le fils de Santa-Anna
vint aussi à Vera-Cruz, mais on jugea prudent de l'inviier
à quitter le Mexique.
<•) Le maréchal Forey au ministre delà guerre, 2i août, — Le général Bazaine
au ministre de la guerre, 27 août.
LE GÉNÉRAL FOREY. 313
A la suite du siège de Puebla, le général Forey avait été ^8G3.
élevé à la dignité de maréchal ; le ministre lui écrivit que Rappel
. ,..,., du général Forev
1 Empereur « pensait qu'étant revêtu de cette diernite, il et de
, • , f- 11,- , . 1 .\. M. deSalig'iy.
n y avait plus lieu de le laisser à la tête du corps expédi-
tionnaire » ; il l'invita à remettre son commandement au
général Bazaine. A cette époque , on ne connaissait encore
à Paris ni l'entrée à Mexico, ni la proclamation de l'Em-
pire (').
Au même moment, M. de Saligny recevait aussi l'ordre
de rentrer en France; les instructions adressées au général
Bazaine montrent que le cabinet des Tuileries était aussi
peu satisfait de la lenteur avec laquelle les opérations mili-
taires avaient été menées, que des mesures politiques prises
de concert par le commandant en chef et le ministre de
France. Cependant, ni le maréchal, ni M. de Saligny, ne
parurent se rendre compte des raisons qui avaient pu mo-
tiver leur rappel. Ils se décidaient avec peine à quitter le
Mexique ; l'un et l'autre différèrent leur départ. Le maréchal
voulut attendre la réponse aux dépêches annonçant la pro-
clamation de l'Empire sous Maximihen, pensant que cette
importante nouvelle modifierait peut-être les ordres de l'Em-
peï'eur (^). M. de Saligny espérait aussi que ce résultat, dont
il s'attribuait avec raison le mérite, lui vaudrait d'être
maintenu à son poste. En attendant, des manifestations
furent provoquées en sa faveur dans la presse mexicaine,
et les résidents français signèrent des adresses au gouver-
nement pour déclarer que sa présence aux affaires serait
absolument indispensable lorsque l'on réglerait les indem-
nités. Le général Almonte agit dans le même sens, mais en
<1) Le ministre de la guerre au maréchal Forey, 17 juillet.
'') Le maréchal Forey au ministre de la guerre, 24 août.
314 l" PARTIE. — CHAPITRE VII.
<863. vain (*). Le maréchal Forey et M. de Saligny furent de nou-
veau et plus impérativement rappelés. Le ministre de la
guerre écrivait au général Bazaine qu'il regrettait l'ajourne-
ment apporté à l'exécution des instructions envoyées au ma-
réchal parce qu'il devait en résulter « du trouble et de
l'irrésolution dans le pays, d'autant plus qu'une presse im-
prudente, pour ne rien dire de plus, se permettait d'élever
sur un piédestal un ministre plénipotentiaire, que son gou-
vernement rappelait et sans doute pour de bonnes rai-
sons (^) » .
Le maréchal Forey remit donc son commandement au
général Bazaine le 1^'" octobre; il s'embarqua le 21 à Vera-
Cruz. Quant à M. de Saligny, il cessa ses fonctions mais
ne partit pas encore, il était au moment de se marier et
désirait ne pas s'éloigner immédiatement. Cependant le
gouvernement français attachait une importance toute par-
ticulière à son départ. La dépêche suivante, adressée le 28
octobre au général Bazaine par le ministre de la guerre, en
donne la preuve :
« M. le minisire des affaires étrangères a adressé par trois fois
différentes à M. de Saligny l'ordre de rentrer en France, même
sans attendre l'arrivée de son successeur, M. de Montholon, mi-
nistre plénipotentiaire au Mexique.
« Je suis chargé de vous faire connaître que l'intention formelle
de l'Empereur est que l'ordre concernant M. de Saligny soit exécuté
au reçu de cette lettre, dans le cas où il serait encore au Mexique.
Vous donnerez connaissance à M. de Saligny du contenu de la pré-
sente dépêche, et le préviendrez qu'elle doit recevoir sa complète
exécution, quelque considération qu'il pût d'ailleurs faire valoir
pour provoquer un ajournement de quelque durée que ce soit.
« 11 vous appartient de prendre telle mesure que vous jugerez
convenable pour que les présentes dispositions soient accomplies
^1) Le général Almonte au général WoU, 25 août,
'*) Le ministre de la guerre au général Bazaine, 30 septembre.
LE GÉNÉRAL FOREY. 315
et que M. de Saligny s'embarque à Vera-Cruz par le premier pa- i863.
quebot qui sera en partance après la réception de cette lettre. ~
« Vous me rendrez compte de l'exécution.
« Post-scriptum. Alors même que M. de Saligny donnerait sa
démission, il ne devrait pas moins quitter le Mexique sans aucun
retard. »
Celle lettre est en réalité la condamnation la plus sévère
et la plus formelle de la conduite de M. de Saligny et de la
direction qu'il avait jusqu'alors imprimée à la politique
française au Mexique. Depuis le début de l'expédition, au-
cun des représentants delà France n'avait. donc su remplir
les intentions de l'Empereur. L'amiral Jurien, le générai
de Lorencez, le maréchal Forey, M. de Saligny avaient
tour à tour été désapprouvés. Seules, les appréciations de
M. de Saligny eurent pendant longtemps le privilège de
guider la politique des Tuileries ; l'intermédiaire du duc de
Morny donna une grande influence à sa manière de voir ;
l'Empereur déclara même dans ses instructions au général
Forey qu'il avait une entière confiance en lui. Le rappel du
ministre de France et le changement simultané du comman-
dant en chef indiquent par conséquent un mécontentement
sérieux et une intention bien arrêtée de modifier la ligne
de conduite suivie jusqu'alors.
L'inertie des populations que l'on avait prétendu si dis-
posées à acclamer l'intervention française, l'impuissance du
parti réactionnaire, qui ne s'était que trop révélée depuis
dix-huit mois, avaient sans doute fait évanouir bien des
illusions. Des dépêches du ministre des affaires étrangères,
datées du mois de juin, et qui malheureusement n'arrivèrent
à Mexico qu'à la fin de juillet, témoignent du désir du gou-
vernement français de mettre fin aussi promptement que
possible à l'expédition du Mexique.
316 l" PARTIE. CHAPITRE VII.
4863. Ces dépêches étaient écrites avant que l'on connût la
prise de Puebla, mais on la regardait comme prochaine et
M. Drouyn de Lhuis indiquait dans les termes suivants, au
général en chef, quelle conduite il aurait à tenir (*) :
« Général, au moment où je vous adresse cette dépêche, le gou-
vernement de l'Empereur est autorisé par vos derniers rapports à
considérer la prise de Puebla comme un fait accompli.
Après une résistance aussi longue et aussi opiniâtre, vous
ne serez sans doute pas en mesure de reprendre immédiatement
les opérations actives. Sa Majesté a pensé que vous emploieriez en-
viron deux mois pour rassembler les moyens de vous remettre en
marche sur Mexico dans toutes les conditions désirables de succès.
Ce temps d'arrêt nécessaire nous a paru opportun pour vous entre-
tenir de la situation politique et examiner si les circonstances ne
nous permettraient pas d'entrevoir dès à présent la satisfaction des
intérêts, qui nous ont obligés h porter la guerre au Mexique. »
Le ministre rappelait que les intentions et les devoirs de
la France étaient définis par les termes de la convention
de Londres, par les instructions données à l'amiral Jurien
et enfin par celles que le général Forey avait lui-même re-
çues. Il n'y était pas question « d'imposer aux Mexicains
une forme de gouvernement qui leur fût antipathique, mais
de les aider dans leurs efforts pour établir, selon leur vo-
lonté, un gouvernement qui eût des chances de stabilité et
pût assurer à la France le redressement des griefs dont elle
avait à se plaindre. »
ï Nous n'avons jamais dissimulé, continuait le ministre, les
sentiments que nous inspire l'administration de Juarez; nous n'a-
vons point caché que nous ne croirions pas pouvoir négocier avec
lui et nos dispositions n'ont pas varié. Mais nos engagements ne
vont point au delà de la poursuite de nos droits et de l'appui que
O) Le ministre des affaires étrangères au général Forey. 5 juin 1863.
LE GÉNÉRAL FOREY. 317
nous avons éventuellement promis de donner aux tentative:^ diri- igo.î.
gées contre le gouvernement actuel. —
Nous n'aurions pas d'objection à entrer en relations avec un
pouvoir nouveau ayant l'assentiment du pays et prêt à traiter sur
la base des indemnités et des garanties d'intérêt général que nous
sommes fondés à revendiquer. A nos demandes antérieures nous
ne voulons joindre la stipulation d'aucun avantage exclusif en
dehors des frais de guerre que l'étendue de nos sacrifices nous
oblige à réclamer.
Dans un pays où le pouvoir a si souvent changé de mains depuis
quelques années, la difficulté n'est pas de trouver des hommes qui
l'aient déjà possédé et qui aspirent à le ressaisir, ainsi que bon
nombre de personnalités plus ou moins considérables entourées
d'une notoriété suffisante pour y prétendre. Mais une société, dont
les malheurs viennent principalement de ses divisions, aurait
surtout besoin de voir à sa tête un nom capable de rallier les
partis opposés dont les succès alternatifs ont tour à tour déchiré le
pays. Notre désir serait donc que l'homme avec lequel vous essaye-
riez de vous mettre en rapport fût apte autant que possible à en-
treprendre cette œuvre de conciliation et eût reçu préalablement
de la nation elle-même, sous une forme quelconque, même provi-
soire, le pouvoir de traiter avec vous. Il se pourrait qu'il fallût le
chercher parmi les chefs mêmes qui, trompés par leur patriotisme,
croient servir la cause nationale en portant les armes contre nous.
Vous ne vous refuseriez point à sonder ses dispositions parce qu'il
serait aujourd'hui dans les rangs de nos adversaires. Notre politique
a été, dès le principe, de faire appel à tous ceux dont le concours
nous serait utile, et c'est la même penséequi doit vous guider dans
les ouvertures dont il vous paraîtrait opportun de prendre l'ini-
tiative.
Ces considérations, je le répète, restent subordonnées aux
exigences de notre honneur militaire, aussi bien que de la situation
générale dont vous êtes le meilleur juge. Mais Sa Majesté a pensé
qu'après la prise de Puebla et sous l'impression salutaire qu'elle
aura dû produire, vous seriez en mesure de provoquer la formation
d'un gouvernement avec lequel nous puissions négocier sur les
bases que je vous ai rappelées. L'entente que vous auriez à établir
préalablement avec le chef militaire qui se chargerait de diriger
les événements réglerait, d'ailleurs, les conditions de l'armistice
entre nos troupes et les siennes. Son intérêt serait d'accord avec
nos propres convenances pour admettre l'occupation amiable de
318 l" PARTIE. — CHAPITRE VII.
4863. Mexico jusqu'à la conclusion des arrangements définitifs qui de-
'"' vraient être signés par vous dans cette ville.
Si donc, des nécessités supérieures et que nous ne saurions pré-
voir à la distance où nous sommes ne s'y opposent pas, l'intention
de l'Empereur, dont j'ai pris à ce sujet les ordres, est que, tout en
continuant de vous préparer k reprendre votre marche en avant,
vous profitiez du moment de repos qui suivra la chute de Puebla
pour faire, dans l'ordre d'idées que je viens vous indiquer, tout ce
qui serait honorable et possible. Nous sommes allés au Mexique
pour réclamer des satisfactions déterminées. Après un brillant suc-
cès militaire, nous pouvons les accepter d'un gouvernement autre
que celui de Juarez et^ si vous en entrevoyez les éléments, vous
ne devez rien négliger pour en tirer parti de la manière la plus
conforme au sincère désir du gouvernement de l'Empereur de
mettre fin aux hostilités aussitôt que notre dignité nous le per-
mettra. »
A la même date, le ministre des affaires étrangères com-
muniquait au général en chef une série de documents rela-
tifs à Santa Anna, et que M. Guttierrez de Estrada lui avait
adressés. Ces documents étaient envoyés sans commen-
taires d'aucune sorte ; comme M. Guttierrez de Estrada
était le défenseur le plus ardent des projets monarchiques,
il est difficile de ne pas voir dans le laconisme même de la
lettre ministérielle un indice des appréciations personnelles
du ministre, peu favorable à la constitution d'un empire
mexicain.
Ces dépèches autorisent à penser que la proclamation
de la monarchie surprit désagréablement le gouvernement
français. Les procédés mis en œuvre pour obtenir ce ré-
sultat n'étaient pas de nature à. diminuer son mécontente-
ment ; l'Empereur et l'Archiduc Maximilien lui-même s'en
montrèrent peu satisfaits; ils ne voulurent pas considérer
le vote de l'Assemblée des notables comme une garantie
suffisante des vœux du pays.
LE GÉNÉRAL FOREY. 319
a Nous avons accueilli avec plaisir, écrivait encore
M. Drouyn de Lhuis (^), comme un symptôme de favorable
augure, la manifestation des notables de Mexico en faveur
de l'établissement d'une monarchie et le nom du prince
appelé à l'Empire. Cependant, ainsi que je vous l'indique
dans une précédente dépêche, nous ne saurions considérer
les votes de cette assemblée que comme un premier indice
des dispositions du pays. Avec toute l'autorité qui s'attache
aux hommes qui la composent, l'Assemblée recommande
à ses concitoyens l'adoption d'institutions monarchiques et
elle désigne un prince à ses suffrages. »
Avant d'accepter officiellement la couronne, l'Archiduc,
d'accord avec le gouvernement français, demanda que les
décisions de l'assemblée des notables fussent ratifiées par
l'adhésion des populations de l'intérieur. Ce tut un grand
désappointement pour les serviteurs trop zélés de la poli-
tique impériale qui, dans leur dévouement hâtif, n'avaient
fait en réalité qu'ajouter un nouveau pronunciamiento à la
liste déjà trop longue de ceux qui remplissent l'histoire du
Mexique. L'Empereur Napoléon se voyait désormais dans
l'impossibihté de dégager sa politique. L'Empire mexicain
avait été proclamé par une assemblée mexicaine, nommée
sous les auspices des représentants de la France et encou-
ragée par eux, comment refuser au nouveau gouvernement
la protection qui lui avait été officiellement promise? A
l'armée française va donc échoir la pénible tâche de faire
reconnaître l'Empire sur toute la surface d'un immense
pays habitué depuis longtemps à la décentrahsation d'un
gouvernement fédératif; c'est elle qui sera chargée de faire
(*) M. Drouyn de Lhuis au général Bazaine, 17 août.
1863.
4863.
320 l" PARTIE. CHAPITRE VU.
accepter le nouvel Empereur par des populations qui
ignoraient même l'existence du prince destiné à les gou-
verner.
Elle consacrera pendant plus de trois ans encore ses
efforts et son dévouement à cette œuvre ingrate (^).
'1' Depuis le début de Texpédition, les pertes de l'armée de terre étaient
de 47 officiers, 283 hommes tués ; 40 ofDciers, 1370 hommes morts de maladie.
Total : 1740 morts. (D'après un relevé fait le 7 novembre 1863).
Les pertes de la marine étaient relativement plus considérables. D'après un
relevé statistique du 22 janvier 1864, on comptait comme morts ou disparus :
19 officiers de vaisseau, 9 commissaires, 11 chirurgiens, 1 ingénieur du génie
maritime, 1259 officiers mariniers et matelots, 1 officier et 38 hommes d'artil-
lerie de marine, 11 officiers et 6S2 hommes d'infanterie de marine, 5 gendarmes,
9 sapeurs du génie colonial, 2 volontaires des compagnies créoles. Total ; 2017
morts ou disparus.
Le personnel de la flotte qui avait concouru à l'expédition s'élevait au chiEfre
de 20,312 hommes des équipages (dans ce chiffre les marins sont comptés autant
de fois qu'ils ont fait le voyage) ; on avait débarqué 1351 marins, 2150 hommes
d'infanterie de marine, 310 hommes d'artillerie de marine, 200 sapeurs du génie
colonial, 55 gendarmes. Total : 4,066.
DEUXIÈME PARTIE
21
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE PREMIER.
Le général Bazaine.
(Octobre 1863.) Ligne politique tracée au général Bazaine. — Réception de
la commission mexicaine par l'archiduc MaximiJien. — Forces militaires dont
disposait le général Bazaine. — Armée mexicaine alliée. — Préliminaires
de la campagne de l'intérieur. — Les colonnes expéditionnaires quittent Mexico.
— Poursuite de la division Doblado jusqu'à Aguascalientes. — Opérations du
général Douay contre le corps d'Uraga. — Opérations de la division Mejia. —
Occupation et défense de San Luis Potosi (23 et 27 décembre 1863). — Occu-
pation de Guadalajara (o janvier 1864). — Difficultés .suscitées par le clergé.
— Retour du général en chef à Mexico (4 février 1864). — Marche de la divi-
sion Douay sur Zacatecas, puis sur Guadalajara. — Situation politique. —
Acceptation officielle de la couronne par l'archiduc Maxirailien. — Emprunts.
— Convention de xMiramar (10 avril 1864). — Arrivée de l'empereur Maxi-
milien à Vera-Cruz (28 mai 186i). — Opérations du général Douay aux envi-
rons de Guadalajara. — Destruction des guérillas de l'État de Guanajuato. —
Opérations dans la Sierra Morones. — Combat de Matehuala (17 mai 1864).
— Opérations aux environs de Tampico. — Evacuation de Minatitlan (28 mars)
et de San Juan Bautista (27 février). — Occupation d'Acapulco (3 juin 1864).
Le 1*^'" octobre 18(33, le général Bazaine prit le comman- Ligne politique
dément du corps expéditionnaire et la direction des affaires genéraT^Ba^zainc.
politiques. Il se trouvait en présence d'une situation très-
difïicile. En effet, les instructions du sjouverneinent fran-
324 11* PARTffi. — CHAPITRE l".
''863. çais lui prescrivaient d'arrêter la régence de l'empire
dans la voie de réaction où elle paraissait disposée à s'en-
gager; il avait l'ordre formel de faire rapporter les mesures
relatives au séquestre et à l'interdiction de la sortie du
numéraire, et de s'efforcer de reprendre, sur la direction
générale de l'administration du pays, la part d'action qui
revenait de droit au représentant de la France ; il devait
enfin s'opposer énergiquement aux actes gouvernementaux
qui ne seraient pas en harmonie avec les déclarations faites
à diverses reprises par le gouvernement français. Le gé-
néral Bazaine se vit donc obligé de modifier l'organisation
défectueuse de la plupart des services, de surveiller les
détails de l'administration, et de faire élaborer sous sa
direction les projets de loi destinés à servir de bases au
nouveau gouvernement (*).
Le général Almonte avait toujours montré une grande
déférence pour les volontés de l'Empereur ; il était animé
de dispositions conciliantes et se conforma volontiers aux
indications données par le général Bazaine ; le général Salas,
' deuxième membre du gouvernement provisoire, s'associa à
cette manière de voir; mais il en fut tout autrement de
l'archevêque de Mexico, M^' Labastida, récemment revenu
d'Europe, et qui prit ses fonctions de régent le 19 octobre.
Les trois membres du gouvernement provisoire s'étant
partagé les divers ministères, l'archevêque se réserva
ceux de la justice et de l'intérieur; il voulut faire rap-
porter les décrets relatifs à la sécularisation des biens de
(*) Le ministre au général Bazaine, 17 juillet, 28 octobre. — Le général
Bazaine au ministre, 27 et 28 septembre, 15 novembre 1863.
Le décret interdisant la sortie du numéraire avait été d'autant plus regrettable
que l'exportation était continuée dans les ports occupés par l'ennemi et au moyen
des navires anglais. La régence perdait donc des droits d'exportation impor-
tants, et les métaux ;trriv:iipnt sur les niarch('s anglais au préjudice de la France.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 32o
mainmorte et restituer au clergé les propriétés vendues <863.
en vertu des lois de désamortissement. Il défendit aux juges
de connaître des causes concernant d'anciennes propriétés
ecclésiastiques et demanda que les locataires des immeu-
bles, adjugés en vertu de ces lois, payassent leurs loyers
aux anciens propriétaires et non aux adjudicataires dont il
se refusait à reconnaître les droits de propriété. Le général
Almonte lui représentait en vain que la France ne consen-
tirait jamais à admettre pareille prétention, qu'il était pru-
dent de ne pas augmenter, par des réclamations intempes-
tives, les embarras déjà trop considérables de la situation ;
l'archevêque ne voulut rien entendre. Ne pouvant, disait-il,
transiger sur une question de principes, il ne consentait
même pas à conserver le statu quo jusqu'au moment où
la cour de Rome aurait donné son avis.
Pour calmer Tagitation que ces discussions répandaient
dans le public, le général Bazaine obtint des généraux
Almonte et Salas la publication d'une note officielle
destinée à rappeler que, jusqu'à nouvelle décision, les
juges devaient se conformer à l'esprit du manifeste du
général Forey, dans lequel il était dit « que les ventes
régulières seraient confirmées, et que les transactions
frauduleuses seules seraient sujettes à la révision ». L'ar-
chevêque ayant protesté, ses collègues, d'accord avec le
général Bazaine, lui notifièrent qu'il cessait de faire partie
de la régence. Il répondit en déclarant que toutes les me-
sures gouvernementales prises en dehors de sa partici-
pation seraient frappées de nullité.
Déçus de l'espoir de recouvrer leurs richesses perdues et
leur prépondérance dans le pays, les évêques mexicains
deviennent dès ce moment les adversaires déclarés de l'in-
tervention française. Il ne leur suffit pas d'être revenus de
326
Il PARTIE. CHAPIIRE I
4863.
Réception
de la
commission
mexicaine
par l'archiduc
Maximilien.
l'exil, de voir la religion protégée, ses ministres honorés ;
sans se préoccuper du tort que cette attitude pourra causer
à leur propre parti, ils réclament encore la restauration,
de privilèges qui, dans la plupart des États catholiques,
ont disparu sous l'influence des idées modernes.
Le général Bazaine écrivit à l'archevêque pour l'engager
à rejeter les conseils des hommes imprudents contre
lesquels il était d'ailleurs décidé à sévir, et pour l'inviter à
quitter ses fonctions gouvernementales sans nouvelle in-
sistance. Les deux autres membres du gouvernement pro-
visoire persistèrent dans les idées de conciUation dont
s'inspirait la pohtique française, mais les esprits n'en restè-
rent pas moins fort agités ; le général en chef, obligé de
quitter Mexico pour se mettre à la tète des colonnes expédi-
tionnaires qui se dirigeaient vers l'intérieur, eut le regret de
laisser derrière lui une situation très-tendue et des embarras
de nature à compromettre l'influence même de la France.
La marche des troupes françaises, dans l'intérieur du
Mexique, avait pour but de provoquer l'adhésion des popu-
lations au vote exprimé par l'assemblée des notables, con-
dition expresse que l'empereur Napoléon et l'archiduc
Maximilien avaient mise à l'acceptation de la couronne of-
ferte à ce prince.
Le 3 octobre, en recevant au château de Miramar la dé-
putation envoyée par l'assemblée de Mexico, l'archiduc
avait répondu aux vœux qu'elle lui exprimait :
« Messieurs, je suis vivement touché du vœu émis par l'assem-
blée des notables de Mexico dans la séance du 10 juillet et que
vous êtes chargés de me communiquer.
« Il est flatteur pour notre maison que les regards de vos com-
patriotes se soient tournés vers la famille de Charles Quint, dès
que le mot de monarchie a été prononcé.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 327
« Quelque noble que soit la tâche d'assurer l'indépendance et la ''^^•
prospérité du Mexique, sous Tégide d'institutions à la fois stables et
libres, je n'en reconnais pas moins, en parfait accord avec Sa Ma-
jesté l'Empereur des Français, dont la glorieuse initiative a rendu
possible la régénération de votre belle patrie, que la monarchie ne
saurait y être rétablie sur une base légitime et parfaitement solide
que si la nation tout entière, exprimant sa volonté, vient ratifier le
vœu de la capitale.
« C'est donc du résultat des votes de la généralité du pays que
je dois faire dépendre en premier Heu Tacceptation du trône qui
m'est offert. D'un autre côté, comprenant les devoirs sacrés d'un
souverain, il faut que je demande en faveur de l'empire qu'il s'agit
de reconstituer, les garanties indispensables pour le mettre à l'abri
des dangers qui menaceraient son intégrité et son indépendance.
« Dans le cas où ces gages d'un avenir assuré seraient obtenus
et où le choix du noble peuple mexicain pris dans son ensemble se
porterait sur moi, fort de l'assentiment de l'Auguste Chef de ma
famille, et confiant dans l'appui du Tout-Puissant, je serais prêt h
accepter la couronne.
« Si la Providence m'appelait h la haute mission civilisatrice
attachée à cette couronne, je vous déclare dès à présent. Messieurs,
la ferme résolution de suivre le salutaire exemple de l'Empereur,
mon frère, en ouvrant au pays, par un régime constitutionnel, la
large voie du progrès basé sur l'ordre et la morale, et de sceller
par mon serment, aussitôt que le vaste territoire sera pacitié, le
pacte fondamental avec la nation.
« Ce n'est qu'ainsi que pourrait être inaugurée une politique
vraiment nationale où les divers partis, oubliant leurs anciens res-
sentiments, travailleraient en commun à rendre au Mexique la place
éminente qui lui semble destinée parmi les peuples, sous un gou-
vernement ayant pour principe de faire prévaloir l'équité dans la
justice.
« Veuillez, Messieurs, rendre compte à vos concitoyens des dé-
terminations que je viens de vous énoncer en toute franchise et
provoquer les mesures nécessaires pour consulter la nation sur le
gouvernement qu'elle entend se donner. »
328 II* PARTIE. CHAPITRE l".
4863. L'archiduc exprimait les mêmes intentions dans sa cor-
respondance avec le général Almonte ; il était donc urgent,
pour sortir le plus rapidement possible des difficultés
inhérentes à un gouvernement provisoire, d'obtenir l'adhé-
sion à l'empire des provinces de l'intérieur. Le général
Bazaine s'en occupa activement.
Forces militaires Le corps expéditionnaire était alors constitué de la ma-
dont disposait .,
le niere suivante :
général Bazaine.
Commandant en chef : le ge'néral de division Bazaine.
Chef d'état-major général : le général de brigade d'Auvergne.
Chef des services administratifs : l'intendant militaire Wolf.
Commandant de l'artillerie : le général de brigade Courtois d'Hurbal.
Commandant du génie : le général de brigade Vialla.
Vaguemestre général : le lieutenant-colonel Hugueney.
Grand -prévôt : le chef d'escadron de gendarmerie de Chastel.
Payeur en chef : M. Louet.
première division d'infanterie.
Le général de brigade de Castagny, commandant la division.
l'' brigade, général de Bertier,
7* bataillon de chasseurs, 51" et 62° régiments de ligne .... 4,692 hommes-
2° brigade, colonel Mangin,
20° bataillon de chasseurs, 95° régiment de ligne, 3° régi-
ment de zouaves 5,064
Total de la 1" division 9,736 hommes.
DEUXIEME DIVISION D INFANTERIE.
Le général de division Douay.
l"^ brigade. — Général L'Hériller.
i" bataillon de chasseurs, 99° régiment de ligne, 2° régi-
ment de zouaves 4,639 hommes.
2° brigade, général Neigre.
18° bataillon de chasseurs, 81° régiment de ligne, 1°' régi-
ment de zouaves 3,347
Total de la 2' division 10,206 hommes-
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 329
BRIGADE DE CAVALERIE.
Le général de brigade du Barail
(nommé par décret en date du 2 juillet 1863; il remplaçait le général de Mirandol, qui avait
été nommé général de division et qui était rentré en France).
1" régiment de marche (quatre escadrons), 2' régiment de
marche (quatre escadrons), b" hussards (un escadron). . . 1,700 hommes.
BRIGADE DE RÉSERVE.
Le général de brigade : de Maussion*.
7* régiment de ligne, régiment étranger 3,282 hommes.
1863.
TROUPES DE LA MARINE.
Régiment d'infanterie de marine 1,086 hommes.
Volontaires de la Martinique lOo
Marins-fusiliers 4o9
Total de l'infanterie 1,650 hommes.
Batterie d'artill. de marine, batt. de montagne des marins, 453
Compagnies du génie de la Guadeloupe et de la Martinique, 168
Total des troupes de la marine 2,273 hommes.
Troupes d'artillerie (') 3,105 hommes.
Troupes du génie 723
Troupes d'administration 2,306
Services administratifs 475
L'effectif total des troupes françaises était donc de. . 34,144 hommes,
ayant 7,477 chevaux ou mulets.
Outre les voitures du train des équipages, l'administration disposait de 274
grandes voitures mexicaines, de 30 voitures dites américaines, et de 1,200 mulets
de bât.
Les corps spécialement affectés aux terres chaudes, et
non compris dans l'effectif ci-dessus , se composaient de :
Un bataillon d'Égyptiens, de 400 hommes.
La tontre-guériila du colonel Dupin, de 203
(1) L'artillerie disposait de 20 canons rayés de 12 de siège, 6 cauons rayés de 12 de cam-
pagne, 24 canons rayés de 4 de campagne, 22 canons rayés de 4 de moatagoe, 4 mortiers de
27 c., 10 de 22 c., 6 de 13 c, largement approvisionnés
m3.
330 II" PARTIE. CHAPITRE l".
En y comprenant les troupes mexicaines, le chiffre total
des forces placées sous le commandement du général
Bazaine s'élevait à 47,667 hommes, dont 42,000 environ
sous les armes.
Le matériel était en bon état ; on avait mis à profit la
saison des pluies pour faire les réparations ; le ministre
avait envoyé de France les approvisionnements nécessaires.
L'artillerie, après avoir organisé ses atehers, s'occupait de
mettre en état le matériel des troupes alliées et de fabriquer
pour elles des munitions de toute espèce. Depuis l'arrivée
de l'armée française à Mexico on avait travaillé activement
à reconstituer les étabhssements militaires saccagés au
moment du départ du président Juarez, et qui compre-
naient : une capsulerie, une fabrique d'étoupilles, une ma-
nufacture d^armes, une poudrerie et un arsenal de cons-
truction. A la fin du mois de septembre, sept canons-obu-
siers de montagne étaient déjà fondus, la capsulerie, la
fabrique d'étoupilles et l'arsenal étaient k même de suffire
aux besoins courants des troupes alliées; la manufacture
d'armes allait être bientôt rétablie, mais elle ne serait à
même de donner que cent fusils par mois, et ce chiffre
étant insuffisant, le général en chef renouvela la demande
d'armes faite au ministre par le maréchal Forey. Quatre
mille fusils avaient déjà été expédiés, le ministre ordonna
d'en envoyer encore six mille (^).
Pour remplacer les libérables et com.bler les vides faits
(1) Le ministre au gênerai on chef, 31 août, 15 novembre.
Il avait en outre fait embarquer, sur un bâtiment parti de Cherbourg le 23
septembre, six cents harnachements, mousquetons, sabres et pistolets et deux
millions de cartouches pour les contre-guérillas des terres chaudes. Au mois de
novembre, il ordonna encore l'envoi de 4,000 fusils, 2,000 mousquetons, 2,000
sabres et 150 fusils à deux coups.
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 331
par les maladies ou par le feu de l'ennemi, le ministre de ^863.
la guerre fit envoyer au Mexique un renfort de 3,T00
hommes. Le maréchal Forey avait demandé une nouvelle
brigade d'infanterie et un régiment de cavalerie (0 ; le dé-
part de ces troupes fut préparé, mais le général Bazaine,
ayant exprimé l'avis que l'effectif du corps expédition-
naire était suffisant, on ne mit en route que le 2^ batail-
lon d'infanterie légère d'Afrique, un détachement pour le
régiment étranger et quatre escadrons, non montés, des
régiments de cavalerie, qui faisaient déjà partie du corps
expéditionnaire C^).
L'orfijanisation des troupes mexicaines athées était fort Amée
_ _ , _ _ mexicaine alliée.
irrégulière. On avait été forcé d'accueilhr tous les officiers
qui s'étaient présentés et les bandes de guérillas disposées
à se rallier au nouvel ordre de choses, quelle que fût l'au-
thenticité des grades auxquels prétendaient les chefs, quel
que fût le mode de formation des détachements qu'ils ame-
naient avec eux. Il n'existait alors au Mexique aucune loi
de conscription. L'armée se recrutait par la leva, c'est-à-
dire l'enrôlement forcé des Indiens, qu'on enlevait de leurs
villages. La plupart du temps ces pauvres gens, ignorants
des querelles des partis auxquels ils servent d'instruments,
se soumettent avec résignation au sort qui leur est imposé ;
sobres , infatigables marcheurs, sachant au besoin bien
mourir, ils deviennent quelquefois de bons soldats, mais
désertent à la première occasion.
Lorsque les chances de la guerre les font tomber aux
<l) Le maréchal Forey au ministre, 9 septembre.
(•) Le 2* bataillon d'Afrique arriva à Vera-Cruz le 14 avril 1864; deux
escadrons du 12' chasseurs le 10 février; un escadron du 1'^' chasseurs d'Afrique
et un escadron du o' hussards le 9 mars.
332 II* PARTIE. CHAPITRE l".
1863. mains du parti opposé, le vainqueur les enrôle dans ses
rangs; sans enthousiasme, sans esprit militaire, n'ayant
aucun espoir de voir se modifier leur misérable condition,
le triomphe des uns ou des autres ne leur importe guère.
Leurs femmes les suivent habituellement et partagent avec
eux la maigre ration qui suffit à leur sobriété indienne ; si
la solde est payée régulièrement, ils ne trouvent pas leur
vie trop malheureuse, mais lorsque l'argent fait défaut,
on est obligé, pour empêcher les désertions, de parquer
les soldats comme des troupeaux dans les cours des ca-
sernes ou des Mesones (') dont les issues sont soigneu-
sement gardées. Si l'on ajoute que les chefs, pour la
plupart officiers improvisés, sont fréquemment dépourvus
d'instruction et de moralité ; qu'ils sont disposés à consi-
dérer les changements de gouvernement comme d'excel-
lentes occasions d'obtenir de nouveaux grades ; que leur
avancement dépend du caprice de tel ou tel général, sans
qu'il y ait aucune loi protectrice des droits acquis et des
services rendus, on se rendra compte de la différence qui
existe entre ces troupes et les troupes européennes.
A côté des corps soumis à certaines règles de discipline
et d'administration, il existe de nombreuses bandes de vo-
lontaires ou guérillas affranchies de toute tutelle hiérar-
chique et qui font la guerre de partisans au gré du chef
qui les conduit. Piéunies aujourd'hui pour atteindre un but
déterminé, elles se dispersent le lendemain et deviennent
insaisissables ; quelque temps après on les trouve refor-
mées à plusieurs journées de distance. Ce sont presque tou-
jours des troupes de cavaliers, bandits de grands chemins,
aventuriers, ou quelquefois aussi les serviteurs ou les amis
(i) Meson se dit d'une auberge de passage avec grandes cours et dépendances
pour les convois d'arricros.
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 333
d'un riche propriétaire, d'un hacendero qui a levé le dra- ^863.
peau d'un parti et entraîne à sa suite les hardis vaqueras (^)
qui vivent sur les terres. Un grand nombre avaient surgi
dans les terres chaudes de Vera-Cruz ;un plus grand nombre
encore s'étaient constituées avec les débris de l'armée de
Gomonfortet les prisonniers évadés de Puebla.
Quant à l'armée mexicaine alliée, commandée par le
général Marquez , elle avait eu pour noyau la poignée
de soldats qui, suivant la fortune de cet officier, étaient
venus rejoindre le général de Lorencez à Orizaba. Leur
chiffre s'était grossi successivement de quelques déserteurs
de l'armée libérale et enfin, après la prise de Puebla, on
avait incorporé dans leurs rangs un grand nombre d'hommes
provenant de la garnison prisonnière (""). Plus tard, le géné-
ral Mejia avait amené d'importants contingents de la Sierra
Gorda ; quelques autres troupes s'étaient aussi ralliées ;
enfin beaucoup d'officiers des anciennes armées du parti
conservateur se présentaient chaque jour ; presque tous
aspiraient à une solde élevée et prétendaient être généraux,
colonels, ou au moins officiers supérieurs ; on ne trouvait
point d'officiers subalternes. Il était difficile de remettre
un peu d'ordre dans ce chaos et d'organiser ces troupes
de façon à les utiliser ; aussi la commission présidée par
le maréchal Forey s'était-elle bornée à prescrire les me-
sures les plus urgentes. Elle avait divisé les troupes
alliées en troupes permanentes et troupes auxiliaires. Dans
les troupes permanentes furent comptés :
<•) Les vaqueras sont les gardiens des troupeaux de chevaux ou de bétail vivant
en liberté sur les grandes haciendas; hardis cavaliers, ils passent leur temps à
dresser les chevaux sauvages confiés à leur surveillance.
(*) Ce sont ces soldais qui avaient figuré dans l'entrée solennelle de l'armée
franco-mexicaine à Mexico, le 10 juin 1863, et défilé devant le maréchal Forey,
au cri de : Viva Napokon t
334 II" PARTIE. CHAPITRE I^'.
^863. Les invalides, les officiers disponibles et la division Mar-
quez organisée en : six bataillons, six escadrons de cavalerie,
un escadron d'exploradores, une compagnie du génie et
trois batteries d'artillerie, formant un effectif total d'envi-
ron 7000 hommes.
Dans les troupes auxiliaires furent rangés tous les autres
corps qui, par leur mode de recrutement ou par le service
particulier auquel ils devaient être affectés, ne se prêtaient
pas aux formes administratives arrêtées pour les troupes
permanentes. C'étaient :
La division Mejia, forte de six bataillons, six escadrons,
une batterie. Effectif total : 1,900 hommes environ;
La brigade Vicario, forte de trois bataillons et demi, six
escadrons, une section d'artillerie de montagne. E^ctif
total : 1,900 hommes environ;
Et onze autres corps de moindre importance dont l'effec-
tif s'élevait à 2,300 hommes environ. Le trésor mexicain
étant vide et l'entretien de ces troupes incombant aux
finances françaises, elles furent soumises au contrôle de
l'intendance (^).
Préliminaires Avant d'entreprcndrc une expédition dans l'intérieur, le
de la campagne , , ^ in • i-i .i- i
(le l'intérieur, général en chei organisa solidement sa ligne de communi-
cation avec la mer. Il réduisit le nombre des postes des
terres chaudes, mais il fit installer ceux qu'il conserva dans
de bons réduits, susceptibles d'une défense prolongée, bien
approvisionnés en vivres et en munitions ; il imprima la
plus grande activité aux travaux du chemin de fer et créa
O Situation d'octobre 1863, — Le général en chef au ministre, 8 octobre
1863. — Règlement du 23 septembre 1863.
Le 8 octobre, les dépenses d'habillement s'élevaient déjà à trois millions de
francs.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 33S
des compagnies de contre-guérillas françaises pour pro- -1863.
téger les ateliers et assurer la sécurité des convois. Cette
formation provisoire comprit deux compagnies de cent
volontaires et un escadron de quarante cavaliers choisis
dans les troupes françaises et placés sous le commandement
supérieur du colonel Dupin. La contre-guérilla proprement
dite dut être réorganisée et portée à l'effectif de six cents
hommes.
Le général en chef compléta ces mesures en faisant
occuper d'une façon permanente, par quinze cents hommes
des troupes de Marquez, la petite ville de Jalapa, quartier
général des bandes des terres chaudes. La brigade de
réserve eut la mission de garder les districts de Cordova,
d'Orizaba et de Tehuacan ; une forte garnison, composée
du l^'" zouaves, fut laissée à Puebla, mais on évacua tous les
petits postes qui défendaient les débouchés de la Huas-
teca, Zacapoaxtla, Tlaxco, Zacatlan; un détachement de
deux compagnies resta seulement à Tlaxcala, et le 81' de
ligne fui appelé à Mexico.
Quatre compagnies de partisans, fortes chacune de cent
hommes de bonne volonté et commandées par des officiers
de choix, furent chargées de protéger les convois du com.-
merce et de faire une guerre à outrance aux bandes de
guérilleros et de voleurs qui coupaient les chemins ; elles
furent réparties entre Mexico, Puebla, Orizaba et Cordova.
Le général Bazaine put alors mobiliser la plus grande
partie du corps expéditionnaire. Il forma deux colonnes
principales, l'une sous les ordres du général de Cas-
tagny, composée des 7^ et 20® bataillons de chasseurs, du
3" zouaves, du 51® et du 95® de ligne, de deux escadrons
de cavalerie ; l'autre, à la tête de laquelle fut placé le gé-
néral Douay, comprit le l®"" bataillon de chasseurs, le ba-
336 II' l'ARTlE. CHAPITRE l".
^^^- laillon de tirailleurs algériens, un bataillon du 62" de ligne,
le 99^ de ligne, le 2" zouaves et trois escadrons de cava-
lerie. La division mexicaine du général Mejia dut marcher
avec le général Douay ; le général Marquez, avec 4,700
hommes, suivit le général de Gastagny. L'effectif total des
troupes mobilisées s'élevait à 14,000 Français et 7,000
Mexicains.
Les forces de l'ennemi, dont on ne connaissait pas exac-
tement l'importance, étaient réparties sur plusieurs points.
Entre Queretaro et Tepeji del Rio se trouvaient, disait-on,
treize mille hommes et une artillerie nombreuse sous les
ordres de Doblado. Le général Negrete, à la tête de huit
mille hommes, se tenait entre San Luis Potosi et Pachuca.
Le général Uraga avait quatre mille hommes en avant de
Morelia; il était appuyé par un corps de quatre mille
hommes sous les ordres d'Alvarez dans l'Etat de Guerrero
et par un autre de cinq mille hommes que commandait
Porfirio Diaz. On prêtait à l'ennemi l'intention de se retirer
sans combattre et de manœuvrer sur les flancs et les der-
rières des colonnes franco-mexicaines. Le général en chef
prit ses dispositions en conséquence.
La base d'opérations sur laquelle il devait s'appuyer
s'étendait de Pachuca à Toluca en passant par Mexico. Les
garnisons françaises qui, depuis le mois de juillet, occu-
paient ces deux villes, n'avaient d'abord eu devant elles
que des bandes de guérilleros sans consistance ; mais vers
la fin de septembre plusieurs corps réguliers de l'armée
ennemie, enhardis par leur immobilité, essayèrent de les
déborder dans l'intention de tourner Mexico et de gêner les
communications de l'armée française avec la mer. Les
engagements, qui eurent lieu aux environs de Toluca et de
Pachuca, préludèrent au mouvement général d'offensive.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 337
Du côté de Toluca, où commandait le général de Bertier, '^863.
on signalait à Zitacuaro un rassemblement ennemi consi-
dérable. C'était le corps de Porfirio Diaz qui se préparait à
faire im mouvement tournant par le sud, pour donner la
main aux forces libérales de l'Etat de Guerrero et se rendre
dans l'Etal de Oajaca. Porfirio Diaz exécuta en effet cette
manœuvre ; les détachements français s'étant avancés vers
Asuncion-Malacatepec et Villa del Yalle dans le but de
lui barrer la route, il élargit son mouvement, les évita,
poussa devant lui la troupe mexicaine du colonel Valdez
trop faible pour lui résister, et grossissant ses forces
avec des contingents du Guerrero, il vint, à la tête de
six mille hommes, menacer les positions de la brigade
Vicario au sud de Cuernavaca. Le 30 octobre, après un
siège de trois jours et malgré l'énergique résistance des
habitants, il enleva la petite ville de Tasco ; le 5 novembre,
il attaqua Yicario lui-même, qui s'était renfermé à Iguala.
L'alarme fut grande au camp des Mexicains alliés ; ils solli-
citèrent des secours avec instance ; les deux brigades de la
division Marquez, l'une envoyée de Mexico, l'autre venant
de Toluca par des chemins de montagne, arrivèrent assez
à temps pour empêcher l'ennemi de poursuivre ses succès.
Porfirio Diaz leva le sié^e d'iffuala le 7 novembre et se
dirigea sur Oajaca, où il se déclara gouverneur des Etats
de Puebla, d'Oajaca, de Vera-Cruz, et de Chiapas. Il ne
tenta plus aucun effort sur les postes franco-mexicains et
se contenta de renforcer les guérillas des terres chaudes.
Aux environs de Pachuca, extrême droite des positions
françaises, se montraient aussi de nombreux partis ennemis
appartenant à la division Negrete ; les détachements du
62^ et du corps de Mejia, qui occupaient ce pays, restèrent
sur la défensive jusqu'au moment où les dispositions pré-
22
338 11^ PARTIE. oIIAriTîîE l".
m2. liminaires de la campagne de l'intérieur étant terminées,
ils purent combiner leur mouvement en avant avec celui
des troupes qui suivaient la route de Queretaro. Le
11 octobre, le général Mejia enleva la petite ville d'Ac-
topan défendue par 1300 hommes, puis il vint prendre
position à Tula. Quelques semaines plus tard, il s'avança
jusqu'à l'hacienda d'Arroyo-Zarco et l'occupa après un
engagement de cavalerie. Un bataillon du 62^ le suivit,
l'autre bataillon resta dans le district des mines pour
tenir en respect les guérilleros qu'attiraient les richesses
de cette région. Les garnisons de Pachuca d'une part,
de Toluca et de Guernavaca de l'autre, couvraient ainsi
très-efficacement les flancs des colonnes qui allaient
s'avancer vers l'intérieur.
Deux routes carrossables conduisent de Mexico dans le
centre du pays. L'une, tracée par Toluca, Acambaro, Mo-
relia, la Barca, aboutit à Guadalajara. Dans la saison des
pluies, elle est impraticable non-seulement à cause de
son mauvais état d'entretien, mais encore parce que les
cours d'eau ne sont pas guéables. L'autre est la route
des diligences ; elle passe par Queretaro, Léon, Lagos,
franchit les rivières sur des ponts, traverse les contrées les
plus riches et les plus peuplées du Mexique et arrive éga-
lement à Guadalajara, d'où elle se prolonge jusqu'à San
Blas sur le Pacifique. C'est la grande artère commerciale
entre les deux océans. Les convois, qui se dirigent vers les
provinces du Nord-Est, la suivent jusqu'à Queretaro et
remontent ensuite du côté de San Luis Potosi ; ceux qui
vont dans les provinces du Nord-Ouest passent par Lagos,
Aguascalientes et Zacatecas.
Le général en chef choisit la route de Queretaro pour
ligne principale d'opérations; des postes chargés de garder
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 339
les communications devaient être répartis de distance en -|863.
distance. La division Douay, les grands parcs et les ré- ~
serves de vivres, suivirent cette direction. Le général
Bazaine, avec les divisions de Gastagny et Marquez, prit
l'autre route dans le but de s'assurer la possession de
Morelia avant de pénétrer plus à l'ouest.
Les mouvements des colonnes expéditionnaires com- Lcscoionnes
•■• expéditionnaires
mencèrent dès les derniers jours du mois d'octobre. A quiitent Mexico.
cette époque, les grandes pluies ont cessé et l'on entre dans
la saison la plus favorable aux opérations militaires. Les
généraux., commandant les divisions, se mirent en route,
le 9 novembre, pour rejoindre leurs têtes de colonne. Le
18, le général en chef partit à son tour, laissant la place
de Mexico sous le commandement supérieur du général
Neigre.
Le général Douay, poussant rapidement ses troupes, fit
occuper Queretaro le 17 novembre. Il s'y arrêta afm d'at-
tendre que la colonne de Gastagny fût à sa hauteur;
les ressources de cette ville importante lui permirent de
former des magasins en vue des opérations ultérieures.
Le général de Gastagny, de son côté, atteignit Acam-
baro, le 24 novembre, n'ayant eu avec l'ennemi qu'une
seule rencontre d'avant-garde près de Maravatio. Il fut
rejoint le 27 par le général en chef et par la division Mar-
quez. Gette division, soutenue par la brigade de Bertier, se
porta immédiatement sur Morelia, où elle entra, sans
coup férir, le 30 novembre.
Le général Marquez se hâta de s'y organiser défensive-
ment. Bien que la population fût généralement hostile (*), il
<1) Un sous-lieutenant du 31" de ligne fut assassiné dans la rue peu après
l'entrée des troupes.
340 II" PARTIE, — CHAPITRE l".
4863. pouvait se suffire à lui-même, et le général de Bertier
rétrograda aussitôt avec les troupes françaises.
Assuré désormais du succès delà campagne, puisque, en
moins d'un mois, les colonnes expéditionnaires s'étaient
avancées à soixante lieues dans l'intérieur, sans rencontrer
de résistance, le général Bazaine, tout en poursuivant ses
opérations dont le but précis, indiqué par l'Empereur
lui-même, était l'occupation des grandes villes du pays,
se proposait de manœuvrer de manière à mettre l'ennemi
dans l'obligation d'accepter le combat, ou du moins d'a-
bandonner l'important matériel de guerre qu'il traînait
avec lui. Les progrès faciles des forces interventionnistes
et l'accueil favorable qu'elles avaient reçu des populations
dans la plupart des localités, à l'exception de Morelia,
faisaient bien augurer des dispositions des habitants en
faveur de l'empire. Des actes d'adhésion, signés dans
chaque municipalité, avaient réuni les noms d'un certain
nombre de citoyens considérables par leur fortune et par
leur influence. Des troupes de guérillas commençaient à
s'organiser en faveur du nouveau gouvernement, et l'une
d'elles, ayant tendu une embuscade à un détachement
ennemi, venait de tuer le général Comonfort et une ving-
taine d'hommes qui l'escortaient. D'autres chefs, Zermefio
deLagos, Ghavez d'Aguascalientes, écrivaient qu'ils avaient
arboré le drapeau conservateur et demandaient leur incor-
poration dans l'armée impériale ; enfin Doblado lui-même,
inquiet de voir les armes françaises envahir les contrées
où se trouvaient ses grandes propriétés, paraissait vouloir
sauvegarder ses intérêts personnels. Quelques-uns de ses
amis firent des ouvertures que le général en chef était
disposé à bien accueillir, mais Doblado ne cherchait en
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 341
réalité qu'à gagner du temps et à vendre au trésor français i863.
d'importantes quantités de numéraire des mines de Gua-
najuato qu'il avait accumulées dans sa caisse particu-
lière. Au moment même où des démarches étaient faites
en son nom, il publiait une proclamation belliqueuse ,
et l'on assurait qu'il avait encore sous sa main près de
quinze mille hommes. Cependant, en reculant sans cesse,
l'ennemi s'était laissé enlever l'importante route d'Acam-
baro à Celaya, seule voie carrossable par laquelle les deux
corps principaux de l'armée libérale pouvaient commu-
niquer entre eux; afin de rétabhr ces communications,
Doblado faisait activement travailler à rendre praticable
aux voitures le chemin de la Piedad à Léon.
Aussitôt après la prise de Morelia, le général Bazaine Poursuite
s'était porté d'Acambaro à Gelava ; il dirigea la colonne division Dobiado
" I 1 rt • jusqu'à
du général Douay par San Miguel Allende sur Guanajuato, Aguascaiientes.
qui fut occupé, le 8 décembre, aux acclamations enthou-
siastes de la population. De son côté le général en chef
s'avança par la route principale jusqu'à Salamanca; il
allégea sa colonne en y laissant les parcs et les grands
convois et, le 12 décembre, concentrant à Silao la division
Douay et la majeure partie de la division de Castagny. il se
mit à la poursuite de Doblado. On était encore très-incer-
tain sur les intentions de l'ennemi. Une assez grande
réunion de forces, venues de Morelia, de Queretaro et de
Guanajuato, était signalée près de San Pedro Piedra-Gorda ;
Uraga et Doblado s'y trouvaient, et l'on supposait à l'en-
nemi le projet de faire un retour offensif sur l'aile gauche
française, afin d'écraser la division Marquez et lui enlever
Morelia.
Le général Bazaine résolut alors de se diriger de Silao
342 II' PARTIE. CHAPITRE I^^
4863. vers Piedra-Gorda, tandis que le général de Bertier, laissé
à Salamanca, s'avancerait vers Penjamo et que le général
Douay se porterait vivement sur Léon pour couper cette
ligne de retraite à l'ennemi. Le mouvement était commencé
sur ces données, lorsque de nouveaux avis firent connaître
que Doblado, avec son artillerie et ses parcs, défilait par
Léon et Lagos pour se jeter dans le nord. Modifiant son
premier plan, le général Bazaine lança derrière lui les
troupes le plus rapprochées, c'est-à-dire la division de
Castagny qui était déjà engagée sur la route de Piedra-Gor-
da ; il se mit à sa tête (*) et, le 14 décembre au soir, il
entrait à Léon, dont la population se montra fort sympa-
thique. Le lendemain, il arrivait à Lagos; Doblado, n'ayant
que quelques heures d'avance, en était parti la veille, mais
la nécessité de réunir des vivres força la colonne fran-
çaise à s'arrêter toute la journée du 17. La poursuite re-
commença le 18 dans la direction d'Aguascalientes. L'in-
fanterie laissa ses sacs ; la cavalerie, qui avait conservé les
traditions des campagnes d'Afrique, déposa une grande
partie des objets dont elle avait l'habitude de charger ses
chevaux, l'artillerie n'emmena que les batteries de combat ;
à 5 heures du soir, on avait parcouru 47 kilomètres, les
troupes se reposèrent quelques instants ; à une heure du
matin elles se remirent en marche, et vers 4 heures elles
arrivèrent à la grande hacienda de Ledesma, 14 kilomètres
plus loin.
Le général en chef avait fait réunir sur ce point les vo-
(') Le K<'ntTal Bazaine conservait toujours sons ses ordres directs unebrigad'
mixte, dite brigade cV avant-garde, qu'il avait organisée le 29 novembre et dont il
avait donné le commandement au général du Barail. Cette brigade se compo-
sait de six escadrons de cavalerie, du 3° zouaves, d'une section d'arlillcric de
inontagne et de la batterie montée de la garde.
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 343
lontaires de Chavez ; quelques heures avant, deux cents ^863.
cavaliers libéraux, envoyés de San Luis de Potosi pour
porter au général Uraga une forte somme d'argent, étaient
venus donner au milieu de leur bivouac. L'ennemi perdit
vingt-huit morts et dix-sept prisonniers.
Les éclaireurs mexicains annonçant que l'artillerie de
Doblado avait dépassé Aguascalientes depuis longtemps
déjà, le général Bazaine crut devoir renoncer à l'atteindre;
il arrêta sa colonne et la fit reposer le 19 ; le jour suivant,
il renvoya à Lagos la majeure partie de ses troupes et
continua sa route sur Aguascalientes avec la brigade du
Barail. Les derniers détachements de l'ennemi venaient
seulement d'en partir. Il remit Aguascalientes à la garde
de Chavez, et le 24 décembre, revint à Lagos après avoir
fait plus de cinquante lieues en moins de six jours.
Le général Douay avait été chargé d'exécuter vers Pie- opérations
dra-Gorda le mouvement que le général en chef avait eu générai Douay
> 1 1 I • 1 T • l'A >•! • 1 contre
d abord le projet de diriger lui-même et qu il avait aban- le corps duraga.
donné pour poursuivre Doblado. Précédé à une journée de
marche par une avant-garde légère commandée par le co-
lonel Margueritte, le général Douay se porta donc de Léon
sur Piedra-Gorda ; le général Uraga, réunissant toutes
les forces libérales des États voisins, s'était déjà jeté sur
Morelia avec douze mille hommes et trente-six bouches à
feu. Le 17 décembre, il paraissait devant la ville, et le 18 au
matin, il l'attaquait avec la plus grande vigueur. Un instant
il put croire au succès, ses colonnes parvinrent jusqu'à la
place principale , mais l'énergie de la défense répon-
dit à l'impétuosité de l'attaque. Le général Marquez .
donnant à ses soldats l'exemple du courage et de la con-
fiance, sut faire face de tous côtés et eut le bonheur do
344 II' PARTIE. CHAPITRE I*'.
1863. repousser les assaillants ; Uraga dut se replier en désordre
perdant près de six cents hommes tués, autant de prison-
niers, une grande partie de son parc et cinq obusiers de
montagne. Le général Marquez fut blessé grièvement à
la figure , il eut quarante-cinq tués et quatre-vingt-huit
blessés.
C'était la première fois que les troupes mexicaines alliées
se trouvaient en présence de l'ennemi sans être soutenues
par les Français ; elles firent belle contenance et relevèrent
ainsi leur réputation aux yeux de leurs adversaires comme
à ceux du corps expéditionnaire. Le général en chef se
félicita d'autant plus de ce succès qu'il était inespéré, et
que personne ne comptait alors sur une coopération sérieuse
des contingents alliés.
Le général Uraga avait battu en retraite par la route de
la Piedad, dans l'intention soit de se retirer sur Guadala-
jara, soit plutôt d'essayer de rejoindre Doblado ; mais ap-
prenant le mouvement du général Douay vers la Piedad, il
engagea ses convois sur la route de Zamora, seule voie
carrossable qui lui restât. Le 20 décembre, au moment où
il reçut la nouvelle du combat de Morelia, le général Douay
avait son avant-garde à la Piedad et la suivait à quelques
lieues de distance ; comprenant l'importance qu'il y avait
à devancer Uraga pour lui barrer le chemin, il fit accé-
lérer le mouvement de ses colonnes. Le 22 décembre, à
8 heures du matin, après avoir marché une partie de la
nuit, la cavalerie du colonel Margueritte arriva inopinément
sur Zamora, enleva les barricades qui défendaient l'entrée
de la ville, sabra un corps de trois cents cavaliers et de cent
fantassins qui se préparaient à se mettre en roule et ra-
mena un convoi de munitions.
Uraga se trouvait alors à Chilchota, il rétrograda aussi-
LE GÉNÉRAL RAZAINE. 345
loi sur Uruapan. La route de Zamora lui étant fermée, il <863.
allait tenter, malgré les difficultés de l'entreprise, de faire
passer les débris de sa division par le chemin de Los
Reyes et de Goalcoman auquel il fit travailler en toute hâte
pour permettre le passage des voitures; lui-même prit
position à Los Reyes, pour protéger l'évacuation de son
matériel.
Le général Douay, qui était arrivé à Zamora le soir même
du combat, après une marche forcée de vingt lieues exécu-
tée en trente-huit heures, se vit obligé de laisser reposer
ses troupes et d'attendre ses voitures de vivres. Il ne put
être à Los Reyes que le 28 décembre ; Uraga en était parti
la veille, mais tous ses convois n'étaient pas encore passés ;
la colonne française, en se portant sur Uruapan, arrêta com-
plètement leur marche et enleva une énorme quantité de
matériel, un outillage de fonderie de canons, une machine
à frapper de la monnaie, un approvisionnement considé-
rable de munitions, et une batterie de neuf pièces abandon-
nées sur la route. Les jours suivants, les Indiens retrou-
vèrent encore, dans les montagnes, beaucoup de munitions»
d'armes et d'équipements, ce qui témoignait du désarroi el
de la précipitation avec lesquels l'ennemi avait effectué sa
retraite. Sa désorganisation était complète ; il ne restait
dans le Michoacan que des bandes éparses et désormais
hors d'état de menacer de nouveau Morelia ; mais Uraga,
avec 2,500 hommes et la partie la moins pesante de ses
parcs, parvint à gagner Zapotlan dans le Jalisco, et s'occupa
aussitôt de reconstituer son corps d'armée, en concentrant
autour de lui les forces libérales de cette province et celles
de l'État de Gohma. Le général Douay revint à Zamora par
la route de San Pedro Paracho ; il y trouva des instructions
à la suite desquelles il se porta sur la Barca, pour concou-
'ises.
Opérations
de la
division Mcjia.
Occupation
et défense de
San LuisPotosi.
{2o et 27 déc.
4863.)
346 il" PARTIE. CHAPITRE l".
rir, s'il en était besoin, au mouvement que le général en
chef opérait alors sur Guadalajara.
En s'avançant vers l'ouest, le général Bazaine avait laissé
à Guanajuato la division Mejia ; quelque temps après il la
fit relever par une garnison française, et lui donna l'ordre de
se rapprocher de San Luis de Potosi, où se trouvait le siège
du gouvernement libéral. Le président Juarez maintint dans
cette ville la division Negrete, dont l'effectif était peu impor-
tant ; il jugea prudent de se retirer lui-même au Minerai de
Catorce à soixante lieues plus au nord. Le général Mejia ne
disposait que de 2,500 combattants et d'une batterie de
montagne ; il ne marchait donc qu'avec la plus grande
circonspection, mais son influence personnelle était con-
sidérable dans ce pays; des pronunciamientos en faveur
de l'empire se déclarèrent dans un grand nombre de loca-
lités voisines, et Negrete ne tarda pas à abandonner San
Luis. Les forces alliées en prirent possession, le 25 dé-
cembre, au milieu des démonstrations les plus enthou-
siastes ; cependant, le 27 décembre, Negrete, renforcé par
des troupes venues de Zacatecas, tenta un vigoureux retour
offensif avec environ cinq mille hommes et neuf pièces
d'artillerie. Il attaqua San Luis sur trois directions et pé-
nétra jusqu'au centre de la ville ; en ce moment une charge
heureuse de la cavalerie de Mejia repoussa l'ennemi, qui se
retira dans le plus grand désordre, abandonnant 850 pri-
sonniers, toute son artillerie et tout son parc. La divi-
sion Mejia perdit cinquante hommes tués et soixante-cinq
blessés ; elle se renforça des huit cents prisonniers qui,
selon la coutume mexicaine, furent incorporés dans ses
ransfs.
Avant d'avoir connaissance des succès du général Mejia,
le général en chef, ne voulant pas laisser cette division trop
LE GÉNÉRAL BAZAIKE. 347
exposée, avait pris la précaution de diriger le général de -1864.
Castagny de Lagos sur Aguascalientes, et lui avait prescrit
de s'avancer vers San Luis pour donner la main à la divi-
sion alliée. Le général de Castagny fit cette démonstration,
que l'issue heureuse du combat de San Luis rendit moins
nécessaire, et il revint ensuite prendre position à Aguas-
calientes pendant que le général Bazaine se dirigeait vers
Guadalajara.
Le général en chef avait quitté Lagos le 28 décembre, et jc*^G3ÏÏjara
ne rencontrant aucun obstacle, il arriva le 5 janvier devant ('j janvier \m\-).
Guadalajara, qui fut occupé sans résistance. Le général
Arteaga, gouverneur de l'État de Jalisco, s'étant trouvé trop
faible, avait évacué la ville et était allé dans le sud rallier
les débris d'Uraga.
Un important résultat était obtenu par les combinaisons
militaires à la suite desquelles les divisions françaises, tra-
versant le Mexique en moins de deux mois, avaient séparé
en deux tronçons les forces ennemies, rejeté Doblado dans
l'extrême nord, et refoulé Uraga dans les provinces du sud.
Elles avaient provoqué l'adhésion au nouvel ordre de
choses des grandes cités de Queretaro, Morelia, Guana-
juato, Léon, Aguascalientes, San Luis de Potosi, Guadala-
jara et rendu possible l'acceptation définitive de la cou-
ronne par l'archiduc Maximilien.
Les troupes françaises étaient à cent vingt lieues seule-
ment des côtes de l'Océan, et grâce au concours offert par
le général mexicain Lozada, elles allaient pouvoir entrer
en rapport avec l'escadre du Pacifique. A cette époque le
parti libéral semblait très-affaibli ; on pouvait espérer que
les gens d'ordre, fatigués des luttes intestines, se rallie-
raient autour d'un pouvoir fortement constitué et que, dans
leur propre intérêt, ils aideraient à sa consolidation. L'ave-
348 II* PARTIE. — CHAPITRE l".
<864. nir dépendait entièrement de l'attitude que sauraient
prendre les hommes importants du parti conservateur.
Quant aux chefs libéraux, la plupart se montraient décou-
ragés. Plusieurs d'entre eux, regardant Juarez comme le
principal obstacle qui s'opposât à une entente avec le gou-
vernement français, désiraient qu'il quittât le pouvoir.
L'archiduc Maximilien, leur avait-on dit, hésitait toujours
à venir au Mexique, et ils supposaient qu'il serait pos-
sible d'entrer en arrangement avec la France, tout en
conservant au gouvernement sa forme républicaine ; mais
ils échouèrent dans ces tentatives. Juarez, moins peut-être
par ambition personnelle que par dévouement passionné à
la cause de la réforme dont il était le plus tenace cham-
pion, resta inébranlable; il se déclara décidé à conti-
nuer la lutte jusqu'à sa dernière limite et à ne pas aban-
donner une autorité, dont il était légalement et constitu-
lionnellement le dépositaire. Près de lui était un petit
groupe d'amis fermes et dévoués qui l'encouragèrent à la
résistance et l'aidèrent virilement à défendre le drapeau
de leur parti.
C'est en vain qu'on eût cherché les marques d'une
semblable énergie politique dans les rangs du parti in-
terventionniste. Les libéraux avaient été contraints d'éva-
cuer la plupart des grandes villes ; dans certains en-
droits, les Français avaient même été acclamés comme
des libérateurs, mais le gouvernement provisoire n'ap-
portait aucune activité à l'organisation des administra-
lions publiques destinées à faire reconnaître et à maintenir
son autorité. Il ne manquait pas de solliciteurs pour les
places lucratives de préfets politiques. Cependant, une fois
nommés, les nouveaux préfets ne se souciaient que médio-
crement du bien public ; disposés à considérer ces fonc-
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 3ll9
lions comme la juste rémunération des donmiages soufferts ^^*-
sous l'ancien gouvernement, ils montraient peu d'em-
pressement à se rendre à leur poste et la Régence ne
savait pas les y contraindre. Le général Bazaine déplorait
cette apathie ; souvent il avait eu la plus grande diffi-
culté à constituer les administrations locales ; il s'était
vu forcé de laisser Aguascalientes aux mains de Chavez,
chef de guérillas dont la valeur politique et le désinté-
ressement étaient fort contestables ; nulle part se faisait
sentir l'impulsion vigoureuse grâce à laquelle peut se
fonder un régime nouveau ; l'action du pouvoir central
ne s'étendait pas aux provinces, et presque partout il fallait
que les commandants miilitaires français suppléassent h
l'absence ou à l'insuffisance des fonctionnaires mexicains.
Les évêques eux-mêmes, au lieu de rentrer dans les dio- Difficnités
. . -11 T» • 1 suscitées par le
cèses qui leur étaient ouverts, de travailler à 1 apaisement des cierge.
esprits et au rétablissement de la paix publique, restaient
à Mexico, groupés autour de W Labastida ; ils excitaient,
parleurs protestations et leurs réclamations intempestives,
les passions du parti catholique et augmentaient l'hostilité
du parti de la réforme. Une scission menaçait déjà de se
produire parmi les partisans de l'empire ; on répandait à
Mexico des écrits clandestins contenant d'ardentes atta-
ques contre les chefs de l'expédition française, des appels
aux armes, et des provocations à un soulèvement géné-
ral contre les Français; le clergé semblait favoriser ces
menées.
Soutenus et encouragés par le général en chef, les géné-
raux Almonte et Salas, chefs du pouvoir exécutif, s'effor-
çaient de résister aux tendances réactionnaires des évêques,
et par de nouvelles circulaires, en date du 9 novembre et
du 15 décembre, ils avaient jugé nécessaire de confirmer
350 11* PARTIE. — CHAPITRE l".
•<86.v. les communiqués du 24 octobre, et de maintenir le statu quo
relativement aux intérêts engagés sur les biens ecclésias-
tiques sécularisés. Ces mesures, inspirées par un esprit
de sage prudence, provoquèrent une violente protesta-
tion que signèrent sept prélats. Ils défendirent d'obéir
aux décrets de la régence, sous menace d'excommunica-
tion majeure , déclarèrent que l'absolution in articulo
mortis serait refusée à quiconque n'aurait pas restitué les
biens dont il pouvait être détenteur et n'aurait pas ré-
tracté formellement toute participation aux mesures atten-
tatoires aux droits de l'Eglise. La lutte prenait, on le voit,
un caractère de plus en plus tranché. Dans des correspon-
dances échangées avec le général Neigre, gouverneur de
Mexico, l'archevêque ne craignit pas d'accentuer positive-
ment son attitude hostile ; ainsi donc au lendemain même
de la proclamation de l'empire, lorsque les forces libé-
rales encore menaçantes venaient à peine d'être éloignées
des portes de la capitale, l'influence française trouvait déjà,
parmi ses adversaires les plus acharnés, ceux qui avaient le
plus ardemment appelé l'intervention. Ce n'était pas le
premier mécompte de la politique qui avait conduit le
drapeau français au Mexique, ce ne fut pas le dernier. On
verra dans la suite la plupart des partisans de la France et le
nouvel empereur lui-même se tourner contre elle.
Le tribunal suprême suivit les évêques dans la voie de
protestation où ils s'étaient engagés. Il adressa au gouver-
nement une longue remontrance dans laquelle il énumérait
les titres de l'Éghse mexicaine à la reconnaissance de la na-
tion, et rappelait l'attachement des populations aux immu-
nités ecclésiastiques ; l'intervention française, disait-il, avait
été sollicitée dans le but de renverser les lois de réforme,
mesures iniques des gouvernements révolutionnaires; en
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 3?)1
voulant les maintenir, même provisoirement, l'intervention iscv.
manquait à l'objet qu'elle devait se proposer; du reste elle
ne pouvait logiquement considérer ces lois comme des actes
réguliers, puisqu'elle avait refusé de reconnaître le président
Juarez, de qui elles étaient émanées ; enfin, les promesses
contenues dans le manifeste du maréchal Forey n'auraient
d'autre conséquence que de favoriser la mauvaise foi des
adjudicataires des biens ecclésiastiques ; en résumé, le tri-
bunal refusait de prêter le concours de la justice aux me-
sures édictées par les régents. La rébellion était formelle
et la Régence n'avait d'autre alternative que de céder ou de
dissoudre le Tribunal suprême. Ce fut à ce dernier parti
qu'elle s'arrêta (2 janvier 1 864 j ; cette décision énergique
eut un excellent effet, et la masse de la population ne se
laissa pas entraîner par les agitateurs.
Le général en chef était à Guadalajara lorsqu'il fut informé Reiouniu générai
en chef
des difficultés avec lesquelles la Régence était aux prises ; il à Mexico.
abandonna le projet qu'il avait formé de pousser jusqu'à
Colima pour compléter la destruction du corps d'Uraga ;
laissant à Guadalajara une garnison d'environ seize cents
hommes de troupe française et de quatorze cents Mexi-
cains sous le commandement supérieur du colonel Garnier,
il revint à Mexico en passant par la Barca, Valle San-
tiago, Salamanca et Queretaro. Pendant cette marche, il
lança plusieurs fois des détachements de la colonne qui
l'accompagnait, contre les bandes ennemies signalées
à sa portée. Le 21 janvier, deux escadrons de chasseurs
d'Afrique et quelques cavaliers mexicains alliés, com-
mandés par le colonel Petit, atteignirent un parti ennemi à
Penjamillo. à huit lieues de la Piedad, lui firent vingt-
neuf prisonniers, et mirent une trentaine d'hommes hors
<le combat. Des postes furent placés h la Picrlarl et à
352 II* PARTIE. CHAPITRE l".
4864. Zamora pour aider les populations à s'organiser défensi-
vement.
Le général Bazaine tenta, sans y réussir, de surprendre
un corps ennemi qui venait lever une contribution sur
Irapuato ; et le 4 février, ayant franchi en quatre jours les
soixante lieues qui séparent Mexico de Queretaro, il ren-
trait dans la capitale.
Marche Le général Douay était en observation à La Barca au
"^ Douay '"" momcnt où le général Bazaine se dirigeait sur Guadalajara.
*"%^^ïur'"''''^ L'occupation de cette place ayant eu lieu sans résistance,
Guadalajara. ^^^ coucours devenait inutile ; il reçut l'ordre de ramener
sa division à Léon et de prendre la direction supérieure
des opérations militaires dans le nord. La division de Cas-
tagny fut placée momentanément sous son commandement ;
avec ces forces réunies il devait s'emparer de Zacatecas, où
l'on supposait que Doblado chercherait à résister. Le gé-
néral Douay, après avoir concentré sa division à Lagos, la
dirigea sur Aguascalientes en deux colonnes ; avec l'une
d'elles, forte de trois escadrons et du 18*^ bataillon de
chasseurs, il fit au préalable une pointe à gauche de la
route sur Teocaltiche, où se trouvait un corps ennemi en
position de menacer les communications sur les derrières
des colonnes. Il parvint à dérober sa marche jusqu'à trois
kilomètres de la ville, et la fit alors rapidement cerner
par sa cavalerie. La place, défendue par six cents hommes
environ, fut enlevée par les chasseurs à pied; l'ennemi
perdit cinquante hommes tués et une centaine de prison-
niers. Les autres s'échappèrent, grâce à la connivence des
habitants. Les trois chefs, Jaureguy, Mendoza et Ramirez,
convaincus de brigandage à main armée, furent passés par
les armes (29 janvier). La colonne reprit ensuite le chemin
d'Agiiascalientes et se porta sur Zacatecas par la route di-
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 333
recte, tandis que le général de Castagny suivait celle de los ^864.
Angeles et de la Blanca. L'ennemi ne les attendit point,
et cette ville importante, centre de riches exploitations
minières, fut occupée sans difficultés, le 6 février. Laissant
dans cette province la division de Castagny, le général
Douay se hâta de rétrograder, afin de secourir le colonel
Garnier, sérieusement menacé à Guadalajara.
En effet, le général Uraga avait reconstitué sa division
plus vite qu'on ne l'avait pensé ; comptant sur les sympa-
thies des populations et sur les intelligences qu'il avait
dans la ville , il s'avança contre Guadalajara avec cinq
mille hommes. Le général Ortega, l'ancien défenseur
de Puebla, avait réuni deux mille hommes dans l'Etat
de Zacatecas, et devait aider ce mouvement en descen-
dant vers le sud ; mais l'énergique contenance du colonel
Garnier montra bientôt à l'ennemi qu'il ne serait pas
facile d'avoir raison de sa petite garnison. Il contint par
sa ferme attitude les dispositions hostiles d'une partie des
habitants, déclara la ville en état de siège, et se mettant à
la tête d'une portion de ses troupes, il prit lui-même l'of-
fensive et força les guérillas, qui s'approchaient de la place,
à reculer au delà de San Agustin. Pendant plusieurs jours,
on tirailla aux garitas, mais l'ennemi n'osa faire aucune
tentative sérieuse. L'arrivée du général Douay (23 février)
et de plusieurs détachements, envoyés par le général en
chef, mit Guadalajara complètement à l'abri des insultes
des forces libérales. Le général Douay installa dans cette
ville le quartier général de sa division.
De retour à Mexico, le général Bazaine affermit le gou- sitnation
vernement provisoire dans les dispositions qu'il avait mon- '^" '
trées; il lui recommanda de continuer à entourer les
23
354 II" PARTIE. CHAPITRE l".
'1864. évêques de considération, mais de sévir très-énergique-
ment contre tous ceux qui, leur servant d'instrument, cher-
cheraient à troubler la paix pubHque. Il fit revenir à Mexico
le général Miramon, resté à Guadalajara, et dont l'attitude
paraissait suspecte. Vers la même époque, Santa-Anna ar-
rivait à Vera-Cruz ; bien qu'il protestât de son dévouement
à Pempire et qu'il eût consenti à signer un engagement
formel de s'abstenir de toute démonstration politique, il
publia un manifeste dans un journal d'Orizaba. Le général
Bazaine donna l'ordre de l'arrêter et de le renvoyer à la Ha-
vane sur un navire de guerre. Il prescrivit à tous les com-
mandants miUtaires d'exercer une surveillance active sur les
autorités civiles et de s'opposer à ce qu'elles abusassent de
la protection des baïonnettes françaises en s'engageant dans
une voie de réaction. Les secours spirituels ayant été refu-
sés à un habitant de Morelia, acquéreur de biens ecclésias-
tiques, et son corps étant resté sans sépulture, le général en
chef, de sa propre autorité, ordonna l'inhumation et pro-
voqua, de la part de la Régence, l'envoi d'instructions for-
melles à tous les préfets, pour prévenir le retour de pareils
scandales , l'effervescence du parti clérical se calma, du
reste, peu à peu. L'acceptation définitive de la couronne par
l'archiduc et son arrivée au Mexique paraissant prochaines,
le clergé attendit dans l'espoir de trouver, chez le nouveau
souverain, des dispositions plus favorables. Les évêques de
Guadalajara, de San Luis, et de Zâcatecas partirent pour
leurs diocèses. Cependant, à Guadalajara, l'autorité ecclé-
siastique, de concert avec le préfet, ayant essayé de réta-
blir dans l'instruction publique certaines règles abrogées
et revendiquant, en outre, ses droits sur les anciennes
propriétés du clergé, le général en chef, dans l'intérêt de
l'apaisement des passions politiques, jugea nécessaire d'op-
LE GÉiNÉRAL BAZAINE. 355
poser à ces tendances un veto absolu. A chaque instant, 'isei.
il se voyait ainsi forcé d'intervenir dans les questions
d'administration intérieure; le général Almonte lui prêtait
un concours loyal, il est vrai, mais trop insuffisant pour
qu'il fût possible de réagir d'une manière efficace contre
les funestes habitudes et la démoralisation que les révolu-
tions incessantes avaient introduites dans la nation. Il était
difficile de faire revivre les traditions d'un pouvoir centra-
lisateur oubliées depuis longtemps et de rétablir ces règles
de déférence à l'autorité centrale, qui sont la base nécessaire
de tout gouvernement monarchique. Les préfets tendaient
à gouverner leurs provinces comme des Etats indépen-
dants. Ils s'organisaient avec un budget à part, une petite
armée particulière, acceptant les secours financiers ou l'ap-
pui des forces militaires du gouvernement suprême, mais
nullement disposés à se priver de leurs propres ressources
pour contribuer aux charges communes. Si l'on voulait
arriver à fonder l'empire, il fallait de toute nécessité faire
abandonner ces anciens errements (*).
Il est intéressant d'observer qu'au moment même où
le général Bazaine se plaignait des tendances fédéralistes
des autorités provinciales, le président Juarez se trouvait
lui-même au milieu de graves embarras dus à la même
cause. Forcé de reculer devant les colonnes franco-mexi-
caines, nous avons vu qu'il avait transféré le siège de son
gouvernement de San Luis de Potosi au Pieal de Gatorce. Il
continua son mouvement de retraite vers le nord et mani-
festa l'intention de s'établir à Monterey, capitale du Nuevo-
Leon et la ville la plus importante des provinces du nord-
est. Les États hmitrophes de Nuevo-Leon et de Coahuila
(*) Le général Bazaine au ministre de la guerre, !7 décembre 1863, 21 fé-
vrier et 28 mars 1864.
3S6 11^ PARTIE. CHAPITRE l".
486i. avaient alors pour gouverneur commun D. Vidaurri, qui
avait acquis une grande influence dans ces contrées et s'y
était rendu en quelque sorte indépendant. N'ayant pu dissua-
der Juarez de venir à Monterey, il déclara qu'il s'y opposerait
par la force, voulant, disait-il, préserver ses Etats du fléau de
l'invasion étrangère que la présence du président ne man-
querait pas d'attirer. Celui-ci ne tint aucun compte de ces
menaces. Il arriva, le 11 février, à Monterey, escorté par des
forces assez importantes; mais Vidaurri lui ayant enlevé
par surprise son artillerie, il se retira, craignant d'enga-
ger un conflit dont l'issue pouvait être douteuse.
Le général Bazaine crut voir, dans cette attitude de Vi-
daurri, un indice de dispositions favorables à l'empire ; il
lui fit faire des ouvertures confidentielles, et, dans le but
de hâter son évolution politique, il donna l'ordre à la divi-
sion Mejia de s'avancer jusqu'à Matehuala. Le colonel
Aymard, commandant à San Luis, se porta à Venado ;
mais, soit défiance de ses propres forces, soit espoir de se
maintenir indépendant, à la fois vis-à-vis du gouvernement
républicain de Juarez et du gouvernement de la Régence,
Vidaurri publia les lettres du général Bazaine et déclara que,
dans une aussi grave conjoncture, il ne pouvait prendre
de détermination sans consulter le peuple de ses provinces
qu'il avait toujours associé à son administration. Il donna,
en efl'et, l'ordre d'ouvrir des registres de vote et appela les
populations à se prononcer par oui ou par non sur la
question de savoir si l'on résisterait aux Français, ou si
l'on accepterait l'intervention et l'empire. Il n'eut pas le
temps de faire celte singulière application du sufl'ragc uni-
versel, idée louable à coup sûr, si l'on reste dans le domaine
de la théorie, mais en vérité bien étrange pour quiconque
connaît l'indifterence profonde avec laquelle, au Mexique,
LE GÉNÉRAL BAZAINE. SoT
la masse du peuple a l'habitude de subir les changements ^864,
de gouvernement. Vidaurri ne réussit pas dans son double
jeu ; violemment combatta par les partisans de Juarez, il se
vit bientôt forcé de lui céder la place et s'enfuit au Texas
avec Quiroga, son lieutenant, laissant aux mains du prési-
dent de précieuses ressources de toute nature, des forces
militaires bien organisées, et des sommes importantes qui
permirent au gouvernement républicain de reconstituer
son armée et de continuer la résistance. Le moment ne pa-
raissait pas opportun pour entreprendre une nouvelle cam-
pagne ; le général en chef rappela le colonel Aymard à San
Luis et fit cantonner, à Matehuala, Catorce, et Venado, la
division Mejia, que le typhus avait sérieusement éprouvée.
Juarez recouvra ainsi les moyens matériels de maintenir
son autorité et de résister aux intrigues qui se tramaient
au sein même du parti libéral. Les amis de Doblado pour-
suivaient toujours leurs démarches auprès du général
Bazaine ; mais, inspirés par la politique anglaise et espa-
gnole, ils proposaient des bases de conciliation maintenant
inadmissibles, telles que la reprise de la Convention de
Londres et rétablissement d'un nouveau gouvernement
sous le protectorat des trois puissances. Doblado désirait
que Juarez abandonnât la présidence; dans ce cas, les
pouvoirs présidentiels auraient été, d'après la constitu-
tion, exercés provisoirement par le général Ortega, pré-
sident de la cour suprême, sur les bonnes dispositions
duquel il pensait pouvoir compter.
Cette combinaison eût peut-être été acceptable quelques
mois plus tôt ; mais actuellement, le commandant en chef
devait attendre le développement de la situation créée par
le vote de l'assemblée des notables, et s'efforcer de ren-
verser les obstacles qui s'opposaient encore à l'édification
358
If PARTIE.
CHAPITRE f
1864.
Acceptation
officielle de la
couronne
par rarcliidiic
Maximilien.
du trône. En homme prévoyant, Doblado s'occupait, du
reste, de réaliser son énorme fortune et de se ménager
les moyens de passer aux Etats-Unis.
L'archiduc Maximilien était en efïet décidé à se rendre
au Mexique. Les actes d'adhésion à l'empire recueillis sur
le passage des colonnes françaises, avaient été envoyés à
Miramar, et lorsque le nombre en parut suffisant, l'ar-
chiduc prévint la commission mexicaine qu'il était prêt à
accepter la couronne. Le 10 avril 1864, il reçut solennelle-
ment les députés mexicains ayant à leur tête M. Guttierrez
de Estrada.
Sur une table étaient déposés les actes d'adhésion dont
le mûr examen, disait l'archiduc, lui donnait l'assurance
qu'il était l'élu du peuple mexicain. Il annonça aux députés
que la loyauté et la bienveillance de l'empereur des Fran-
çais lui avaient permis d'obtenir pour le nouvel empire des
garanties suffisantes, et que, de l'assentiment du chef de
sa famille, il acceptait la couronne des mains de la nation
mexicaine. Il promit l'établissement de lois constitution-
nelles aussitôt que le permettrait la pacification du pays,
et annonça l'intention d'aller, avant son départ pour le
Mexique, demander les bénédictions du Saint-Père.
Près de huit mois s'étaient déjà écoulés depuis le mo-
ment où les vœux de l'assemblée des notables avaient été
transmis à l'archiduc. La grave détermination qu'il venait
de prendre était donc sérieusement mûrie; on assure,
d'ailleurs, qu'il n'eut jamais d'hésitation, et ses lettres
au général Almonte en font foi. Tandis que les colonnes
françaises provoquaient l'adhésion à l'empire des popu-
lations du centre du Mexique , l'archiduc réglait d'im-
portantes questions financières, de la solution desquelles
dépendaient les conditions d'existence de son gouverne-
1864.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 339
ment. De plus, instruit sur les vicissitudes de la fortune,
il ne voulait pas abandonner sa patrie sans esprit de retour,
et tenait à conserver ses droits de succession éventuelle
au trône d'Autriche.
L'empereur, son frère, s'y opposait, et ces contestations
de famille ne furent terminées qu'au dernier moment.
L'archiduc, désirant ne pas retarder plus longtemps l'ac-
ceptation officielle de la couronne du Mexique, signa la
renonciation que l'empereur d'Autriche demandait ; mais,
quelques mois après, il protesta contre l'irrégularité de
cette renonciation.
L'archiduc Maximilien voulait, en outre, obtenir la re-
connaissance des puissances européennes, s'assurer un
appui financier sérieux par la conclusion d'un emprunt,
et enfin avoir la certitude que des forces françaises, en
nombre suffisant, resteraient pendant plusieurs années au
Mexique. Le gouvernement français avait trop grand inté-
rêt à mener à terme la difficile entreprise dans laquelle
il s'était si imprudemment engagé, pour ne pas mettre au
service du nouvel empereur sa diplomatie, ses finances,
et ses soldats.
La question financière était la plus difficile à régler. Emprunt.
Nous avons déjà dit dans quelle détresse le trésor mexicain
se trouvait depuis de longues années ; les sources de reve-
nus étaient presque entièrement taries, il fallnit donc
demander au crédit public les sommes indispensables aux
frais de premier établissement ; mais comment amener les
capitalistes à prêter leur argent à un débiteur jusqu'ici
insolvable et dont l'insolvabilité future n'était que trop
facile à prévoir? L'habileté de M. Fould, ministre des
finances, triompha de cet obstacle, en substituant, il est
vrai, aux graves difficultés du moment des difiicultés plu?
360 11" PARTIE. — CHAPITRE l".
«864 graves encore pour l'avenir. La plus grande partie des
" titres de la dette extérieure mexicaine, qui s'élevait au ca-
pital de 256 millions de francs, et dont l'origine remontait
aux premiers temps de l'indépendance, se trouvaient entre
les mains de créanciers anglais. En affectant au paiement
d'une partie de cette dette une fraction de l'emprunt pro-
jeté, on devait intéresser les créanciers anglais à son succès.
M. Fould sut faire accepter cette idée par une importante
maison de banque anglaise qui se chargea de l'émission.
Plus tard, la société du Crédit mobilier français fut associée
à cette combinaison, et les receveurs généraux des finances
furent invités à y prêter leur concours.
Il fut convenu que l'on créerait 18 millions de rente à
6 0/0, dont six millions seraient réservés à la France et
aux indemnités françaises. En émettant l'emprunt au taux
de 63 fr., on comptait sur un capital de 190 millions
environ ; mais la souscription publique fournit seulement
102,600,000 francs, que les frais de courtage et de com-
mission réduisirent encore à moins de 96 millions. Sur ce
produit, une somme de 8 millions fut immédiatement
comptée à l'archiduc Maximilien; 27 millions passèrent
aux mains des créanciers anglais; le reste fut déposé à la
Caisse des dépôts et consignations en garantie de deux
années d'intérêt, ou repris par le Trésor français à valoir
sur les frais de guerre. L'emprunt fut presque entièrement
souscrit en France, grâce à la confiance qu'inspirait la
prétendue coopération des capitalistes anglais, et grâce
surtout à la propagande faite par les agents de l'Etat. Le
résultat de cette opération financière était, en définitive, de
faire servir l'épargne française au remboursement des
créances anglaises, et au paiement des dépenses person-
nelles de l'empereur Maximilien.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 361
Une commission des finances mexicaines fut constituée <864.
à Paris sous la présidence du comte de Germiny, pour re-
présenter le gouvernement mexicain dans les opérations
financières nécessitées par l'emprunt.
Quant aux rapports qui devaient lier la France à l'em- ConTcntion
^ -"^ ^ ^ de Miramar (1)
pire du Mexique, ils furent déterminés par une convention (^o avril i864).
dont les termes avaient été préalablement discutés et qui
fut signée à Miramar le 10 avril 1864. Il y fut stipulé que
l'effectif des troupes françaises serait réduit au chiffre de
vingt-cinq mille hommes, et qu'elles évacueraient le Mexi-
que au fur et à mesure de l'organisation des troupes des-
tinées à les remplacer. La légion étrangère, dont l'effectif
serait porté à huit mille hommes, resterait au Mexique six
ans après le départ des troupes françaises. En cas de réu-
nion de troupes françaises et mexicaines, le commande-
ment appartiendrait toujours à l'officier français.
Les frais de guerre à rembourser par le Mexique furent
arrêtés, au l^*" juillet 1864, à la somme de 270 millions de
francs. A partir de cette époque, le gouvernement mexicain
paierait mille francs par homme et par an pour l'entretien
des troupes françaises.
Dans des articles additionnels secrets, l'empereur Maxi-
milien approuvait les principes et les promesses énoncés
dans la proclamation du maréchal Forey, en date du 12
juin 1863, ainsi que les diverses mesures prises de con-
cert entre la Régence et le commandant en chef du corps
expéditionnaire. L'empereur Napoléon s'engageait à ne
réduire que successivement l'effectif du corps expédition-
naire, de telle sorte qu'il resterait vingt-huit mille hommes
en 1865, vingt-cinq mille hommes en 1866 et vingt mille
hommes en 1867.
<n Voir le texte à l'appendice.
362 II* PARTIE. CHAPITRE l".
^864. Avant son départ, l'empereur Maximilien arrêta la créa-
tion d'un corps de volontaires autrichiens composé de :
trois bataillons d'infanterie, deux régiments de cavalerie à
cinq escadrons, deux batteries d'artillerie de montagne,
deux compagnies de pionniers dont l'effectif total devait
être de deux cent cinquante officiers et sept mille trois cents
hommes. On s'occupa aussi de former un régiment belge
à deux bataillons, fort de deux mille hommes. Le gouverne-
ment français ayant, de son côté, l'intention de développer
l'organisation de la légion étrangère française, on pensait
que ces troupes deviendraient le noyau de l'armée impé-
riale et resteraient au Mexique après le départ des Français.
Arrivée L'cmpcreur MaximiHen et l'impératrice Charlotte quit-
de l'emperear ^ i.. -i i^/ -i-
Maximilien tercnt Miramar, le 14 avril, sur la tregate autrichienne la
au Mexique , ^ n ' o • i m • r^ ^^y
(28 mai 1804). Novara, escortée par la tregate trançaise la Thémis. Ils allè-
rent à Rome s'agenouiller devant le Saint-Père et aussitôt
après, firent route pour Vera-Cruz, où ils arrivèrent le
28 mai.
A cette époque, la situation militaire et politique du
Mexique paraissait satisfaisante ; les troupes françaises oc-
cupaient la plupart des grandes villes ; à l'abri de leurs
baïonnettes, il commençait à se produire parmi les popu-
lations un mouvement en réalité très-favorable à l'empire.
Dans beaucoup d'endroits, les habitants demandaient des
armes et formaient des gardes civiles; à la Piedad, ils
avaient énergiquement résisté à une attaque des libé-
raux. De courageux citoyens ne craignaient pas de se
mettre à la tête des administrations locales, postes dan-
gereux, où ils s'exposaient aux cruelles vengeances des
chefs libéraux.
Cependant les vallées de Mexico et de Puebla étaient
LE GÉNÉHAL BAZAINE. 363
toujours parcourues par quelques guérillas , mais ces <864.
bandes sans consistance , activement poursuivies par les
compagnies de partisans , ne pouvaient inspirer aucune
inquiétude sérieuse.
Les terres chaudes même étaient plus tranquilles; Co-
tastla, sur le Rio-Blanco, ayant été occupé d'une manière
permanente, les guérillas s'étaient éloignées de la route de
Vera-Cruz; Diaz-Miron avait fait sa soumission. Depuis le
mois d'août 1863, les travaux du chemin de fer atteignaient
la Soledad ; il n'était plus nécessaire de faire escorter les
convois du commerce. Gamaron, Paso del Macho, la Sole-
dad se repeuplaient rapidement. Au mois de février, plus
de six cents chariots et huit mille mules étaient venus
prendre des chargements, et si l'aspect de ce pays désolé
et inculte devait encore frapper de tristesse les souverains
qui venaient de quitter les rivages de l'Adriatique, ceux
qui se souvenaient des misères des années 1862 et 1863,
reconnaissaient à peine cette contrée ainsi transformée où,
d'étape en étape, on était sûr d'avoir, au moins, des vivres
et un abri.
Le général Bazaine trouvait la situation aussi bonne que
possible. « Je suis plein de confiance dans la solution pa-
cifique prochaine de la question mexicaine, écrivait-il
au ministre de la guerre , et j'ai assez de troupes pour
la mener à bon terme. On ne parle plus de Juarez et de
son gouvernement ambulant, et je ne sais pas, quant à
présent, où ils sont. » Bien que ces appréciations ne fus-
sent pas justifiées, les progrès de la pacification étaient
incontestables. Ce résultat était dû à l'activité inces-
sante et à l'inteUigente énergie des troupes françaises.
Fractionnées en une infinité de détachements et de petites
colonnes, dont l'effectif dépassait rarement quinze cents
364 11'' PARTIE. CHAPITRE l".
4864. Qu dgQx mille hommes, elles cherchaient partout l'ennemi,
ne lui laissant ni trêve ni repos. Les soldats étaient aguer-
ris aux fatigues, vigoureux, dévoués ; on pouvait tout oser
avec de pareils éléments.
Ainsi le 4 février, le commandant Estelle, commandant
supérieur de Salamanca, avec quatre cents fantassins de
différents corps, dix-sept chasseurs d'Afrique et quarante
cavaliers mexicains , attaquait deux mille hommes des
guérillas du Michoacan qui avaient occupé Valle Santiago.
L'élan fut si impétueux qu'en une demi-heure il était
maître de la position, avait entre ses mains un drapeau,
trois obusiers de montagne, deux cents chevaux, et deux
cents prisonniers ; le détachement français perdit seule-
ment huit blessés.
Le 30 mars, le capitaine Mealhié sortait de Salamanca
avec cent soixante-quatre fantassins français et quatre-
vingts cavaliers mexicains; au point du jour, il attaquait, à
Cuitzeo de las Naranjas, sept cents fantassins et cinq cents
cavaliers ayant deux canons. Après avoir soutenu pendant
deux heures et demie une très-vive fusillade, il fit sonner
la charge, et sa poignée d'hommes, culbutant l'ennemi,
enleva les deux pièces et lui fit perdre plus de trois cents
tués, blessés ou prisonniers. Il n'eut que deux tués et vingt
blessés.
Les nombreuses colonnes que le général en chef diri-
geait de Mexico vers l'intérieur, afin de reformer d'une
façon à peu près normale les divisions désorganisées par
la multiplicité des petits postes laissés en arrière, aidaient
à la dispersion des guérillas ennemies. Le colonel Clin-
chanl, en se rendant de Puebla à Guadalajara, avec une
partie du 1" régiment de zouaves, traversa le Michoacan,
fil une pointe sans résultat sur Zitacuaro (26 mars), mais
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 363
soutint par sa présence dans le pays les petites opérations -tsci.
des détachements mexicains alliés. L'autre fraction de ce
régiment et un escadron du 12^ chasseurs à cheval, sous
les ordres du colonel du Preuil, étaient, à la même époque,
également dirigés sur Guadalajara par la route de Léon.
Cette colonne contribua à la poursuite des bandes de Ro-
mero entre Mexico et Queretaro; arrivé à Léon, le colonel
du Preuil, avec sa cavalerie, se porta rapidement par une
marche de nuit sur la Canada de los Negros, où il atteignit
et sabra une troupe de six cents cavaliers et cent fantassins.
L'ennemi perdit une centaine de morts, l'escadron fran-
çais cinq hommes blessés. (28 avril.)
De leur côté, les généraux Douay et de Castagny ordon-
nèrent des expéditions plus importantes, afin de déga-
ger les pays de production qui alimentent Guadaïajara et
Zacatecas.
Le général Douav, après avoir parcouru les environs de Opérations
° ./ 1 -i du général Douay
Guadalajara et pourvu à la sécurité des routes voisines, a^ environs
•> ^ , de Guadalajara.
s'avança vers l'ouest dans le but d'entrer en relations avec
le général Lozada, chef d'une grande influence qui, à la
tête des Indiens du district de Tepic, était le maître in-
contesté de cette partie du pays. Il lui donna rendez-vous
à Tequila, à trois journées de Guadalajara ; mais jaloux sans
doute de ménager l'indépendance de sa position en évitant
de se rencontrer avec un général français, Lozada prétexta
une maladie et se fit représenter par le général Rivas,
son lieutenant (19 mars). Il accepta, du reste, des subsides
pour ses troupes qu'il évaluait à deux mille fantassins et
mille cavaliers, et promit son concours à l'empire. A son
retour, le général Douay se porta au sud de Guadalajara
contre les bandes de Simon Gutlierrez et de Rojas, dont
les cruautés et les exactions désolaient la province.
'ISG'i
Destruction
des guérillas
de l'Etat
de Guanajuato.
360 II" PARTIE. — CHAPITRE l".
Le 21 mars, les chasseurs d'Afrique du colonel Margue-
ritte atteignirent Guttierrez à Cuisillo, après une course à
toute bride de cinq kilomètres ; les bandits, abrités derrière
des murs en pierre sèche, essayèrent en vain de résister ;
cent cinquante des leurs tombèrent sous le sabre des
chasseurs, qui enlevèrent deux cents chevaux et une pièce
d'artillerie.
Le général Douay visita les montagnes voisines de Co-
cula ; il fit détruire les fonderies et les fabriques d'armes
et de poudre de Tula et de Tapalpa (26 et 27 mars),
puis revint, le 31 mars, à Guadalajara, se réservant de
chasser plus tard le général Uraga des positions qu'il
avait prises sur les barrancas du nevado et du volcan de
Colima.
Un bataillon de marche de six cents hommes, venus de
Guadalajara sous les ordres du colonel Garnier, avait ap-
puyé ces opérations. Lorsqu'elles furent terminées, le co-
lonel Garnier quitta l'Etat de Jalisco avec le 51^ de ligne,
pour se rendre dans l'Etat de Guanajuato, dont il était nom-
mé commandant supérieur. Il s'occupa sans retard de
purger le pays, compris entre Léon et La Piedad, des gué-
rillas nombreuses qui avaient été déjà atteintes à Valle
Santiago, à Cuitzeo, à la Canada de los Negros. Il explora
la Sierra de San-Gregorio , enleva des approvisionne-
ments considérables cachés dans les grottes, prit trois
pièces d'artillerie, et força Rincon Gallardo, gendre de
Doblado, à disperser les bandes réunies sous son com-
mandement et à quitter lui-même la contrée (du 30 mai
au 3 juin). Quelques jours après, la compagnie de partisans
du 51® de ligne, sous les ordres du capitaine de Musset,
surprit à Cueramaro la bande de Guzman, et le fit prison-
nier avec vingt-huit de ses hommes (26 juin).
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 367
Enfin, le 17 août, Gantarito, qui venait d'être battu à 'isei-
Yuririapundaro, fut encore atteint par cette compagnie de
partisans au Rancho de Piodeo. Il fut tué avec vingt-quatre
guérilleros ; vingt-quatre hommes furent faits prisonniers
et deux cents chevaux enlevés. Cet heureux coup de main
acheva la destruction des bandes de l'Etat de Guanajuato et
rétablit dans cette contrée une tranquillité dont peu de
provinces jouissaient à cette époque.
Le général de Gastagny avait également voulu chasser opérations
les guérillas des vallées de Jerez et de Villa-nueva dont sierra Morones.
^es produits servent à l'alimentation des districts miniers
de Zacatecas et de Fresnillo. Il les parcourut avec des
colonnes légères sans pouvoir atteindre l'ennemi. Le 16
février seulement, un détachement de cent chasseurs
à pied et de soixante cavaliers mexicains, sous les ordres
du commandant Lepage de Longchamps, surprit, après
une marche de seize lieues, la petite ville de Golotlan
et enleva deux pièces de montagne , deux coulevrines
{Esinerillas) et soixante-seize prisonniers O. A peine le
général de Gastagny était-il de retour à Zacatecas, que les
bandes reparaissaient dans la Sierra Morones. José Maria
Ghavez réunissait de nouveau sous ses ordres cinq cents
hommes avec deux canons. Le 25 mars, il attaquait l'ha-
cienda de Malpaso, y massacrait femmes, enfants, vieil-
lards ; mais le lendemain, le capitaine Grainvillers, en-
voyé de Zacatecas avec une compagnie du 1*^' bataillon
de chasseurs à pied, le surprit à Jerez, le fit prisonnier
avec quarante des siens, tua une centaine d'hommes,
et enleva les deux canons. Un seul chasseur fut blessé.
(*) Parmi ces prisonniers se trouvait le général Gliilardi, ancien garibaldien,
échappé de Puebla après la capitulation ; il fut déféré à une cour martiale et passé
par les armes (17 mars),
368 II* PARTIE. — CHAPITRE l".
<864. Quelques jours après (11 avril), le commandant de
Courcy, avec cent cinquante chasseurs à pied, atteignit à
Colotlan la bande de Sandoval, forte de cinq cents cavaliers,
cent fantassins et deux pièces, et lui tua quelques hommes.
Il se remit en campagne accompagné d'un grand nombre
de rancheros armés, battit toute la Sierra, fit quatre-vingts
lieues en sept jours, et ramassa un obusier de 12 et une
grande quantité de munitions. Il devenait nécessaire de
combiner une opération sérieuse pour débarrasser complè-
tement le pays des bandes dont la présence entretenait une
grande agitation. Le général Douay fit placer une garnison
mexicaine à Cuquiosur la roule de Zacatecas à Guadalajara
par la Sierra Morones, envoya dans cette région une co-
lonne de six compagnies d'infanterie, un escadron et deux
pièces de montagne, sous les ordres du colonel de Potier.
Au même moment, le général L'Hériller, qui commandait
à Zacatecas (le quartier général du général de Castagny
ayant été transféré à Queretaro), faisait partir des déta-
chements de Zacatecas et d'Aguascalientes pour concourir
à cette expédition.
Le 13 mai, le colonel de Potier attaqua Nochistlan, où
se trouvaient environ cinq cents hommes commandés par
Jésus Mejia. La ville fut enlevée après un combat sanglant,
dans lequel périrent Jésus Mejia lui-même, presque tous
ses officiers, et plus de deux cents hommes. Le reste fut
pris ; quatre pièces d'artillerie et une grande quantité de
chevaux et de munitions restèrent entre les mains de la co-
lonne française, qui perdit seulement un homme tué, deux
officiers grièvement blessés, et vingt-quatre blessés.
Le colonel de Potier s'engagea ensuite dans la Sierra à
la poursuite de Sandoval ; toutes les issues étant fermées,
on espérait le cerner ; malheureusement le passage de
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 369
Tlaltenango ayant été momentanément abandonné par ''864.
suite de faux renseignements , Sandoval en profita et
se déroba en fuyant vers le nord. Le commandant de
Courcy se mit à sa poursuite avec une petite colonne de
cent quatre-vingt-dix fantassins, dix-sept cavaliers fran-
çais, et trente-trois cavaliers mexicains. Il finit par l'at-
teindre le 22 mai à Valparaiso. Le peloton de chasseurs h
cheval, réduit à treize hommes, aborda sans hésiter plus de
trois cents cavaliers, pendant que l'infanterie accourait au
pas de course. L'ennemi perdit cent vingt morts, trois
cents prisonniers, cinq canons, deux cents chevaux, une
grande quantité d'armes et de munitions. Le commandant
Japy, avec un détachement du 2' zouaves envoyé de Zaca-
tecas, arriva une heure après le combat. 11 avait franchi
vingt-huit lieues en vingt-quatre heures. Quelques instants
plus tôt, et les bandes de Sandoval étaient entièrement
anéanties. Ce combat coûta deux chasseurs à cheval tués,
l'officier commandant le peloton fut blessé de cinq coups
de lance. De son côté, le colonel de Potier avait parcouru
la Sierra, enlevé six canons, 60,000 cartouches, deux fau-
conneaux, des armes, des munitions. Le détachement venu
d'Aguascalientes surprit aussi, à Sandovales (24 mai), une
cinquantaine de guérilleros qui furent presque tous tués
ou faits prisonniers. Ces opérations rendirent pour quelque
temps la tranquillité aux vallées de Jerez et de Villanueva
dont les habitants s'organisèrent défensivement, sous la
protection des compagnies de partisans du 99*^ de ligne et
du 2<^ zouaves. Continuellement harcelés par les colonnes
françaises, la Gadena et Sandoval se décidèrent à faire leur
soumission (août 1864).
A Pinos, à peu près à égale distance de Zacatecas, de
San Luis de Potosi et d'Aguascalientes, se trouvaient aussi
24
370 if PABTIE. CHAPITRE l".
4864. de nombreux partis. Des détachements venus de ces trois
villes convergèrent sur ce point (8 mai) ; ils ne purent tou-
tefois atteindre qu'une fraction des forces ennemies, à
laquelle ils enlevèrent un canon et une trentaine de prison-
niers. Toutes ces guérillas se replièrent vers le nord dans la
Sierra Hermosa, où le général Ortega concentra trois mille
hommes et seize canons. Le but de l'ennemi paraissait être
de pénétrer dans les districts miniers afm de se procurer
de l'argent et d'affirmer la vitalité du parti républicain,
en provoquant une levée générale de boucliers au mo-
ment où l'empereur Maximilien débarquerait au Mexique.
Si les Français, obligés de renforcer leurs positions dans
le nord, dégarnissaient la route de Vera-Cruz à Mexico,
une guérilla hardie parviendrait peut-être à inquiéter le
cortège impérial, et l'opinion publique en Europe, comme
en Amérique, ne pourrait manquer d'en être sérieusement
impressionnée.
Combat Juarcz, dout l'armée s'était en partie reformée dans les
de Matehuala . . ^ .
(17 mai isôi;. provinccs du nord, se disposait donc à faire attaquer simul-
tanément les postes avancés du côté de Zacatecas et de San
Luis 0). Le mouvement sur Zacatecas n'eut pas lieu en
temps utile, mais Doblado, à la tête de six mille hommes
avec dix-huit pièces d'aitillerie, descendit de Monterey et
marcha sur Matehuala, centre des cantonnements de la di-
vision Mejia.
Le colonel Aymard, commandant supérieur de San
Luis, se porta au secours de la division alliée avec neuf
compagnies du 62^ de ligne, un escadron de chasseurs
d'Afrique, et trois sections d'artillerie, formant un effectif
<i) Correspondances interceptées jointes à la lettre du gonùral Bazaino au
ministre, du iO août 1864.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 371
d'environ huit cents hommes. Le 17 mai au matin, il arriva -1804.
en vue de Matehuala au moment où la division Doblado,
qui ignorait encore son approche, débouchait dans la plaine.
Les troupes alliées l'attendaient rangées en bon ordre
derrière des murs en pierres sèches. Laissant deux cents
hommes à la garde de ses bagages, le colonel Aymard tra-
versa rapidement la ville, forma une colonne d'attaque de
quatre compagnies, et la lança aussitôt sur l'aile gauche de
l'ennemi. Carbajal, à la tête de cinq cents cavaliers, essaya
de contrarier ces dispositions, mais il fut si vigoureuse-
ment chargé par les chasseurs d'Afrique et par un escadron
aUié, que sa cavalerie complètement culbutée s'enfuit en
désordre et ne reparut plus de la journée. Une batterie
ennemie de quatre pièces, concentrant alors son feu sur la
colonne française, s'efforça d'arrêter ses progrès; les chas-
seurs d'Afrique s'élancèrent de nouveau et l'infanterie les
suivant au pas de course enleva les canons.
A l'aile gauche, la division Mejia avait résisté avec succès
aux attaques de l'ennemi ; prenant ensuite l'offensive, elle
força également ses adversaires à lui céder le terrain. Les
troupes libérales se retirèrent en pleine déroute, abandon-
nant douze cents prisonniers, un drapeau, toute leur artil-
lerie, et tous leurs équipages à l'exception de ceux de la ré-
serve. On ne connut pas le chiffre des morts et des blessés.
Les troupes françaises perdirent quatre hommes tués et
quarante-cinq blessés; les Mexicains alliés, trente-deux
morts et quatre-vingt-sept blessés.
Cette campagne désastreuse n'abattit pas la persévérance
de Juarez. Il se maintint à Monterey ; mais Doblado, dont
l'intluence fut ruinée par cet insuccès, quitta la scène po-
litique et peu de temps après passa aux États-Unis, où il
mourut le 19 juin 1865.
372 II* PARTIE. — CHAPITRE l".
i8G4. Quant aux bandes des terres chaudes, elles furent te-
nues en respect; aucun nuage n'assombrit donc l'aurore
de l'empire , mais l'orage ne devait pas tarder à se former
et à grossir au-dessus du trône.
Cependant le combat de Matehuala avait dégagé l'état
de San Luis ; les gardes rurales suffirent à la poursuite des
quelques guérillas restées dans le pays. Cette bonne situa-
tion faisait espérer au général Bazaine de pouvoir rétablir
prochainement les communications commerciales entre
San Luis et Tampico ; c'était une question importante, car
en ramenant dans le port de Tampico les navires qui,
faute de trouver de débouché pour leurs marchandises,
préféraient aborder sur les points occupés par l'ennemi, le
gouvernement impérial bénéficierait d'importants droits
de douane dont la caisse de Juarez avait jusqu'alors
profité.
Opérations Tampico avait été réoccupé, le 11 août 1863, par le ré-
aux environs de . •,,•(> • ^ ■ • ^ • ,, . ,
Tampico. giment d inianterie de marine, mais la garnison, decimee
par les maladies, s'était vue réduite à un rôle purement
défensif. L'ennemi la bloquait de près du côté de la terre,
tandis que le mauvais temps de la saison d'hiver ne lui
permettait pas de communiquer régulièrement avec les
bâtiments de l'escadre. Les troupes de marine, devant ren-
trer en France (*), le général Bazaine les fit remplacer ,
(') Les troupes do la marine avaient été laissées dans les terres chaudes. Le
ministre de la marine, qui voyait ces contingents plus exposés que les troupes
de terre aux dangers des maladies, en provoqua le rappel. Le bataillon de marins
fusiliers précédemment réorganisé en deux compagnies et stationné à La Soiedad
fut remis à la disposition de l'amiral le 28 février 1864; l'infanterie de marine
quitta Tampico pour rentrer en France, le 9 m.irs suivant.
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 373
au mois de mars, par la contre-guérilla Dupin, réorganisée ^864.
et notablement augmentée. Un certain nombre d'anciens
soldats, libérés du service, y furent attirés par des avan-
tages particuliers, et l'on y détacha de bons officiers pris
dans les régiments du corps expéditionnaire. Cette troupe
comptait alors cinq cent cinquante hommes, et une section
d'obusiers de montagne. Le colonel Dupin eut en outre,
sous ses ordres, un corps mexicain de trois cents hommes
commandé par le colonel Llorente.
Après avoir réussi à occuper le petit port de Tuxpan, le
colonel Llorente avait été forcé de l'abandonner et se trou-
vait assiégé à Temapache par douze cents hommes, à la
tête desquels était Carbajal (avril 1864). Cortina, le chef
libéral le plus influent du Tamaulipas, était également
attendu et tous deux se flattaient de jeter à la mer la poi-
gnée de Français qui occupaient Tampico.
Le colonel Dupin , loin de se laisser intimider, entra
immédiatement en campagne. Le 11 avril, il partit de
Tampico avec cent quarante fantassins, cent vingt-cinq
cavaliers, vingt artilleurs, et ses deux pièces. Son mouve-
ment détermina Carbajal à lever le siège de Temapache,
mais le colonel Llorente, au lieu de rejoindre la contre-
guérilla, retourna à Tuxpan ; la population de race in-
dienne prêta heureusement un utile concours au colonel
Dupin, lui fournit des guides, et lui procura des vivres.
De leur côté, les hacenderos ralliaient les forces libé-
rales; le colonel Dupin fit ruiner leurs propriétés; sui-
vant l'ennemi l'épée dans les reins, il joignit enfin Carba-
jal, le 18 avril, au village de San Antonio et lui livra un
sanglant combat. La contre-guérilla eut six officiers blessés
dont un mortellement, huit hommes tués et vingt-six bles-
sés grièvement. On releva cent cinquante cadavres de l'en-
374 II® PARTIE. CHAPITRE f ^
1864. nemi parmi lesquels seize officiers. Un drapeau et la caisse
contenant huit cents piastres tombèrent entre les mains du
colonel Dupin ; on fit un seul prisonnier, c'était un aide
de camp de Carbajal ; les Indiens assouvirent leurs ven-
geances en massacrant les hommes isolés qu'ils rencon-
trèrent dans la campagne. Carbajal quitta définitivement
cette contrée, où ses troupes étaient incapables de tenir
contre les vaillants aventuriers de la contre-guérilla. Il
raUia la division de Doblado et nous avons déjà vu qu'il
prit part, sans plus de bonheur, au combat de Mate-
huala.
La contre-guérilla revint à Tampico, où elle attendit le
moment de reprendre ses opérations vers l'intérieur.
Évacnation La gamison française, qui gardait Minatillan, était loin
do Minatillan i, • ^ i^a /i t\
(-28 mars) Q avoir obtenu les mêmes heureux résultats. Des reniorts,
6t dô
San Juan Bautista envoyés par Porfirio Diaz , avaient élevé à trois mille
(27 février),
hommes l'effectif des troupes ennemies de Garcia ; il cernait
la ville de très-près, interdisait toute communication avec
l'intérieur, et arrêtait complètement le commerce. La gar-
nison, déjà très-éprouvée par les maladies, se trouvait fort
exposée ; le général en chef fit évacuer Minatitlan (28 mars),
et décida que l'on se bornerait à bloquer l'embouchure du
Goatzacoalco.
La même mesure avait déjà été prise à l'égard de San
Juan Bautista dans l'Etat de Tabasco. Une petite garnison
mexicaine de deux cents hommes, sous les ordres du com-
mandant Arevalo, s'y maintenait difificilement. La canon-
nière la Tourmente était venue s'embosser près de la ville, et,
pendant plus d'un mois, ce bâtiment resta exposé au feu de
deux pièces de 24 ; il était presque entièrement désemparé,
avait perdu quatre hommes tués et dix-neuf blessés. Le
LE GÉNÉRAL BAZAIKE. 375
général en chef autorisa l'amiral à faire cesser cette lutte
inutile et disproportionnée. Les cours d'eau, qui sillonnent
ce pays permettaient k l'ennemi de se mouvoir rapide-
ment dans tous les sens à l'aide de ses embarcations ; on ne
pouvait donc espérer aucun résultat de pacification dans
une province si éloignée du centre et dont la population
se montrait si peu disposée en faveur de l'empire. San
Juan Bautista fut abandonné le 27 février; l'ennemi ne
gêna pas le mouvement d'évacuation. L'embouchure du
Rio Tabasco fut bloquée, mais les bouches des autres bras
du fleuve étant praticables aux grandes embarcations,
l'ennemi conserva des communications faciles avec la mer.
L'abandon de Minatitlan et de San Juan Bautista pou-
vait nuire au prestige de l'influence française et aux pro-
grès des idées interventionnistes ; l'effet défavorable, pro-
duit sur les populations de la côte, fut en partie contre-
balancé par les avantages récemment obtenus auYucatan.
Un parti assez nombreux, à la tête duquel était le général
Navarrete, s'était déclaré en faveur de l'empire. La lutte
politique se compliquait d'ailleurs de rivalités locales et
les gens deMérida, ennemis de ceux de Campêche, étaient
entrés en campagne pour réduire celte ville qui soutenait
l'autorité de Juarez. L'appui des navires de l'escadre leur
assurait le succès ; en effet Campêche s'étant rendu le 22
janvier au commandant du Magellan (^), tout le Yucatan
reconnut l'empire , mais Navarrete fut impuissant à retenir
plus longtemps ses soldats sous les armes, et l'on ne put,
comme on l'avait espéré, les utiliser dans le Tabasco.
Ainsi, lorsque l'empereur Maximilien arriva, le drapeau
(1) Le commandant du Marjellaii enleva comme trophées une vingtaine de pièces
d'artillerie, la plupart d'origine française, portant le railltsimede 1?40.
4864,
376 11^ PAUnE. CHAPITRE l".
1864. impérial flottait sur toute la côte du Yucalan, à Carmen,
Alvarado, Vera-Gruz, ïuxpan, et Tampico; l'autorité de
Juarez était encore reconnue dans les autres ports du golfe
du Mexique.
Occupation iSur Ics côtcs de l'océan Pacifique, le général Lozada,
(3jniQ%64). rallié à l'Empire, occupait San Blas, et dans les premiers
jours de juin, un détachement français fut débarqué à
Acapulco. Ce port n'était pas le plus important au point
de vue du rendement des douanes, mais c'était un refuge
nécessaire pour les bâtiments de la croisière et le point
de relâche des paquebots américains par lesquels l'es-
cadre se procurait des ravitaillements.
L'amiral Bouët, commandant l'escadre du Pacifique,
avait demandé au général en chef d'y placer une garnison
permanente. Déjà, au mois de janvier 1863, il avait essayé
d'entrer en pourparlers avec le gouverneur de la ville, lui
proposant d'établir entre eux des rapports de neutralité
réciproque. Le gouverneur, tout en déclinant cette propo-
sition, avait cependant répondu qu'il laisserait les navires
entrer pour prendre de l'eau ; mais l'escadre, composée de
la Pallas, frégate à vapeur, la Galathée, corvette à voiles,
la Cornélie, corvette à voiles, le Diamant, aviso, fut reçue
à coups de canon lorsqu'elle se présenta (10 janvier
1863). Les bâtiments ripostèrent aussitôt; en vingt mi-
nutes ils firent taire les batteries ennemies. Des détache-
ments jetés à terre allèrent enclouer les pièces, et l'escadre
l'esta trois jours sur rade. Peu de temps après le blocus fut
mis devant Acapulco et Manzanillo ; toutefois on laissa aux
navires de guerre des puissances neutres et aux paque-
bots américains la faculté d'entrer à Acapulco, seus là
condition de ne prendre et de ne déposer ni passagers ni
LE GÉiNÉRAL BAZAIIVE. 377
inarchandises ; à quelque temps de là, les navires français i86i.
capturèrent trois petits bâtiments ennemis qui furent armés
par nos marins et concoururent à la croisière.
L'amiral Bouët ayant obtenu du général en chef l'envoi
d'une garnison à Acapulco, le bataillon de tirailleurs algé-
riens fut destiné à cette occupation ; on le croyait plus apte
qu'aucune autre troupe à résister à l'insalubrité d'un cli-
mat, moins mauvais que celui de Vera-Cruz, fort dan-
gereux cependant à cause des fièvres pernicieuses qui
régnent une partie de l'année. Ce bataillon, fort de trente
officiers et 464 hommes, fut embarqué à San Blas le 28 mai
et débarqué sans résistance à Acapulco, le 3 et le 4 juin ;
une partie avait été montée sur des chevaux du pays,
afin de former une sorte d'infanterie à cheval, pouvant se
transporter rapidement d'un point sur un autre, mais com-
battant à pied et conservant l'armement du fantassin.
Le lendemain du débarquement, les tirailleurs attaquèrent
un camp de huit cents Mexicains à Pueblo Nuevo, à trois
lieues d'Acapulco, lui enlevèrent quatre canons, et tuèrent
une cinquantaine d'hommes, quatre tirailleurs furent bles-
sés; quelques autres sorties heureuses éloignèrent les forces
mexicaines restées à portée de la place.
Tel était donc l'ensemble de la situation du Mexique à
l'arrivée de l'Empereur. Les opérations militaires étaient
loin d'être terminées puisque les troupes libérales tenaient
encore au nord les provinces de Tamaulipas, de Nuevo-
Leon, de Coahuila, de Durango, de Ghihuahua, de Sinaloa,
et de Sonora; au sud, elles occupaient les états de Mi-
choacan, d'Oajaca, de Tabasco, et de Chiapas; la circula-
tion commerciale, seule ressource qui alimentât le trésor
public, était rétablie seulement entre Vera-Gruz, Guadala-
jara, San Luis, Zacatecas, et Morelia. Les revenus des
378 11^ PARTIE. CHAPITRE l".
4864. douanes maritimes, à l'exception de celles de Vera-Cruz,
étaient complètement nuls ; les libéraux tiraient au con-
traire des sommes importantes des ports entre leurs
mains. Matamoros leur donnait ^00,000 piastres par mois ;
les revenus de Mazallan étaient également fort élevés. 11
fallait certainement se rendre maîtres de ces deux points,
mais on ne pouvait tout demander à la fois à une armée
d'un effectif restreint. Cependant les actes du général
Bazaine étaient déjà l'objet de critiques dont l'écho par-
vint à Paris. L'empereur Napoléon , auquel on représenta
l'urgence de s'emparer de Mazatlan , en donna Tordre
formel. Quelques-uns des conseillers du nouvel empire
allaient même jusqu'à se plaindre de l'inaction du corps
expéditionnaire, et à exciter l'empereur Maximilien contre
son commandant en chef; ce fut l'origine de difficultés
qui prirent dans la suite un grand développement.
Loin d'être inactive, on verra qu'avec un effectif de
moins de quarante mille hommes, l'armée française mon-
tra son drapeau , du nord au sud du Mexique, sur une
étendue de plus de six cents lieues; mais le premier de-
voir du général , qui disposait d*un instrument aussi pré-
cieux, était d'en ménager l'emploi, et non de le faire servir
à toutes les ambitions comme à toutes les impatiences.
Le général Bazaine le comprit ; il fut soucieux de la santé
et de la vie de ses soldats ; il sut éviter, à une si grande
distance de la mère-patrie, tout désastre qui eût été sans
doute irréparable. Si ceux des Mexicains, qui se disaient
impérialistes, eussent suivi les exemples de dévouement et
d'abnégation donnés par les troupes françaises, TEmpire
mexicain eût été fondé.
CHAPITRE DEUXIÈME
SOMMAIRE.
Manifeste de l'empereur Maximilien à son arrivée au Mexique (29 mai 1864). —
Voyage de l'Empereur dans les provinces de l'intérieur. — Situation générale
du pays. — Le nonce du pape. — Questions religieuses. — Opérations mili-
taires. — Expédition dans la Huasteca. — Combat de la Candelaria (!'='■ août),
— Opérations dans le nord. — Occupation de Durango (4 juillet). — Occu-
pation de Saltillo et de Monterey (20 et 26 août). — Combat du Cerro de la
Majoma (21 septembre). — Opérations de l'escadre à l'embouchure du Rio
Bravo del Norle. — Occupation de Matamoros (26 septembre). — Opérations
dans l'Etat de Jalisco. — Occupation de Colima (3 novembre), — Combat de
Jiquilpan (22 novembre). — Evacuation d'Acapulco (14 décembre 1864).
La nouvelle de racceptation officielle de la couronne Manifeste
,, , . , . 1 , V.. • V njT • V -1 ^'^ l'empereur
par 1 archiduc arriva, le lo mai, a Mexico ; a partir de ce Maximiiien
, r>T l'/iài -1^ ^^n arrivée au
lour la netçence tut dissoute et le mènerai Almonte prit les Mexique.
, . r . . 1 rT7 -1 (29 mai 1864.)
renés du pouvoir comme lieutenant de 1 Empereur ; il ne
les conserva que peu de temps puisque, le 28 du même
mois, la frégate la Novara, ayant à son bord les nouveaux
souverains, entrait dans les eaux de Vera-Gruz O.
O) On trouve, dans le recueil des documents diplomatiques des Etats-Unis, la
traduction d'une lettre que l'empereur Maximilien aurait écrite à Juarez pour lui
tlcmander de cesser la guerre civile, et de venir loyalement concourir avec lui
au bonheur du Mexique. Bien que ces sentiments soient en concordance avec les
illusions généreuses de l'empereur Maximilien et avec les idées qu'il exprimait
volontiers, l'authenticité de cette lettre nous parait discutable.
380 if PARTIE. CHAPITRE 11.
<864. L'empereur Maximilien, en mettant le pied sur la terre
du Mexique, adressa le manifeste suivant à la nation :
« Mexicains,
« Vous m'avez désiré I Votre noble pays, par l'expression spon-
tanée des vœux de ia majorité, m'a élu pour veiller dorénavant
sur ses destinées.
« Quelque pénible qu'il ait été pour moi de dire adieu pour tou-
jours à mon pays natal et aux miens, je l'ai fait, persuadé que le
Tout-Puissant m'a confié par votre intermédiaire la noble mission
de consacrer toutes mes forces et toute mon âme à un peuple qui,
fatigué de combats et de luttes désastreuses, aspire ardemment à
la paix et au repos, à un peuple qui, après avoir assuré glorieuse-
ment son indépendance, veut jouir maintenant des bienfaits de la
civilisation et du véritable progrès.
c Le sentiment de confiance réciproque, qui nous anime, sera
couronné d'un brillant résultat, si nous restons toujours unis pour
défendre courageusement les grands principes, seuls fondements
vrais et durables des sociétés modernes. La justice inviolable et
immuable, l'égalité devant la loi, la facilité pour tous de se créer
une carrière et une position sociale, la liberté individuelle bien
comprise s'accordant avec la protection des personnes et des pro-
priétés, le développement de la richesse nationale, l'amélioration
de l'agriculture, des mines, et de l'industrie, la création de voies de
communications propres à l'extension du commerce, et enfin le
libre développement de l'intelligence dans tous ce qui intéresse le
bien public.
« Les bénédictions du ciel, le progrès et la liberté ne nous man-
queront pas, si tous les partis, se laissant guider par un gouverne-
ment fort et loyal, se réunissent pour atteindre le but que je viens
d'indiquer, et si nous conservons le sentiment religieux qui a tou-
jours distingué notre belle patrie jusque dans les temps les plus
malheureux.
« Le drapeau civilisateur de la France porte si haut par son
noble Empereur, h qui vous devez le retour de l'ordre et de la paix,
représente les mêmes principes. C'est ce que vous disait, il y a
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 381
quelques mois, dans un langage sincère et désintéressé le comraan- 18G4.
dant en chef de ses troupes, lorsqu'il vous annonçait une nouvelle
ère de prospérité.
. Tous les pays, qui ont voulu devenir grands et puissants entre
les nations, ont dû suivre cette voie ; si nous sommes unis, loyaux
et fermes, Dieu nous donnera la force pour atteindre au degré de
prospérité que nous ambitionnons.
. Mexicains 1 L'avenir de notre beau pays est entre vos mains.
Quant à moi, je vous offre une volonté sincère, la loyauté, et une
ferme intention de respecter les lois et de les faire respecter avec
une autorité inviolable.
« Ma force est dans la protection de Dieu et dans votre con-
fiance; le drapeau de l'indépendance est mon symbole ; ma devise,
vous la connaissez déjà : « Equité dans la justice. . J'y serai fidèle
toute ma vie. Il est de mon devoir de prendre le sceptre avec con-
fiance et l'épée de l'honneur avec fermeté. A l'Impératrice appar-
tient la tâche enviable de consacrer au pays tous les nobles senti-
ments d'une âme chrétienne et toute la douceur d'une tendre mère.
« Unissons-nous pour atteindre le but commun ; oublions les
ombres du passé, ensevelissons les haines de parti; l'aurore de la
paix et d'un bonheur mérité se lèvera radieuse sur le nouvel em-
pire. »
Le 29 mai au matin, l'Empereur et l'Impératrice débar-
quèrent à Yera-Gruz. Gomme on était k l'époque du
Vomito, il avait été décidé qu'ils traverseraient la ville
sans s'y arrêter. Cette circonstance et l'heure matinale
du débarquement influèrent d'une manière fâcheuse sur
l'accueil qu'ils reçurent de la population vera-cruzaine,
fort peu sympathique du reste à l'empire. Ils en fu-
rent péniblement impressionnés, l'Impératrice surtout ; la
traversée des terres chaudes, le mauvais temps, et un
accident de voiture contribuèrent à attrister le début du
voyage ; mais à Gordova, où ils arrivèrent au milieu de la
nuit, l'Empereur et l'Impératrice furent chaleureusement
382 II" PARTIE. CHAPITRE II.
<86i. acclamés par les Indiens accourus en grand nombre des
campagnes voisines ; dans leur crédulité naïve, ces pauvres
gens saluaient en eux l'avènement d'une ère nouvelle, et
l'accomplissement des antiques traditions qui promettaient
à leur race, affranchie par un libérateur venu de l'orient,
l'éclat et la splendeur des temps passés. Ces ovations se
continuèrent sur toute la route jusqu'à Mexico. La veille
du jour fixé pour leur entrée solennelle dans la capitale,
l'Empereur et l'Impératrice s^ arrêtèrent à Guadalupe; la
plus grande partie de la société de Mexico se porta au de-
vant d'eux. Des députations étaient arrivées des provinces
de l'intérieur; les arcs de triomphe, les vivats, les accla-
mations, les démonstrations les plus enthousiastes ne man-
quèrent pas sur le passage du cortège impérial ; l'allé-
gresse paraissait générale, et, si l'on n'avait su que de
semblables manifestations accueillent généralement tous
les nouveaux pouvoirs, on eût pu croire que l'empire ré-
pondait en effet aux vœux sincères du peuple. L'Empereur
et l'Impératrice se montrèrent d'une aménité parfaite avec
les ofticiers français ; ils témoignèrent une grande consi-
dération au commandant en chef, et l'Empereur lui laissa
la libre direction des opérations mihtaires.
Le général Bazaine fut, peu de temps après, élevé à la
dignité de maréchal (*). « Mes relations avec Sa Majesté,
écrivait-il au ministre, sont des plus faciles, car Elle a
bien voulu me laisser entièrement la direction militaire;
je n'en abuserai certes pas et, quand je prends une déter-
mination d'une certaine gravité, j'en donne toujours con-
naissance à l'Empereur (-). »
(1) Décret impérial du 5 septembre 1864.
(2) Le général liuzaino au minisire de la guerre, 28 juin 1864. — Voir à
l'appendice la répartition des troupes au mois df juin 1864.
LE GÉNÉRAL BAZAIKE, 383
Les premiers jours, les choses marchèrent aussi bien -1864.
que possible, mais lorsqu'il fallut s'occuper sérieusement
des affaires , les difficultés surgirent de toutes parts. La
détresse financière, les animosités de parti, les désordres
administratifs, la stagnation commerciale rendaient la si-
tuation fort critique. Ce n'était pas seulement un trône qu'il
s'agissait de consolider, c'était une nation entière qu'il fal-
lait rappeler à la vie. Toute la puissance d'un homme de
génie eût à peine suffi à pareille entreprise.
L'empereur Maximilien était heureusement doué ; bon,
affable, intelligent, instruit, exerçant un grand charm.e sur
tous ceux qui l'approchaient, il manquait cependant de la
décision et de la force de volonté nécessaires pour triom-
pher d'une situation aussi difficile ; le soin d'organiser son
palais, de régler l'étiquette de sa cour, de distribuer les
hautes charges domestiques ou gouvernementales aux fa-
miliers qui l'avaient accompagné au Mexique, paraît avoir
absorbé une précieuse partie de son temps. L'Impératrice,
femme d'une inteUigence élevée, d'une grande vigueur
morale, et d'un caractère énergique, s'associa aux travaux
de l'Empereur ; mais comment pouvait-elle suppléer par
son activité à l'expérience politique qui faisait naturelle-
ment défaut à une princesse de vingt-quatre ans?
Avec les souverains, étaient arrivés d'Europe, deux
hommes dont l'influence fut considérable au début du
règne. L'un d'eux, M. Scherzenlechner, hongrois d'ori-
gine, avait été gouverneur de l'Empereur dans sa jeu-
nesse ; l'autre, M. Eloin, ingénieur belge, s'était attaché
à la fortune de l'impératrice Charlotte. Installés au ca-
binet de l'Empereur avec le titre de conseillers intimes,
ils se partagèrent toutes les questions. Piien ne se fit
sans leur intermédiaire; leur ignorance des hommes et
384 II" PARTIE. — ^ CHAPITRE II.
-1864. des choses du pays, l'impossibilité de suffire à la mul-
tiplicité des travaux, l'insuffisance de leurs connaissances
en matière politique et administrative, les entraves qu'ils
apportaient à la prompte expédition des affaires par un
examen minutieux et parfois incompétent, eurent les plus
fâcheux résultats. Les ministres supportèrent difficile-
ment l'ingérence de ces deux étrangers dans les affaires
du pays, et le maréchal Bazaine, lui-même, eut bientôt
à se plaindre des critiques dont ses opérations militaires
étaient l'objet. D'un autre côté , l'Empereur , obéissant
à des tendances libérales qu'il n'était pas opportun de
manifester, éloigna la plupart des hommes choisis par
la Régence , et nomma le général Almonte grand maré-
chal du palais, pour le reléguer dans une haute sinécure
honorifique qui ne lui laissait plus aucune influence. Il
constitua son ministère en y appelant des hommes connus
pour leur libéralisme ; il donna le portefeuille des affaires
étrangères à M. Ramirez, républicain ardent, remarqué par
son antipathie pour l'intervention, et qui n'avait pas voulu
siéger à l'assemblée des 'Notables; cette politique aliéna
la plupart des hommes du parti clérical conservateur sans
rallier sincèrement aucun de ceux du parti opposé.
Voyage Dcs tiraillements ne lardèrent pas à se produire ; sollicité
de l'Empereur , , i / • • i ,• • i- •
dans de prendre une décision sur les graves questions qui divi-
l'intérieur. ^ saicut Ic pays, et dout la plus sérieuse était toujours celle
des biens ecclésiastiques, l'Empereur n'osa pas trancher les
difficultés qu'elles soulevaient, et voulut gagner du temps
pour attendre l'arrivée d'un nonce apostolique. Afin de
se soustraire aux obsessions dont il était l'objet, et s'as-
surer personnellement des dispositions du pays, il laissa
la régence à l'Impératrice et quitta Mexico pour voya-
ger dans l'intérieur. Accompagné de quelques officiers
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 383
français mis à sa disposition par le général Bazaine et d'une 4864.
escorte de cavalerie franco-mexicaine, sous les ordres du
commandant Loysel, chef d'escadron d'état-major, il se mit
en route le 10 août.
Le 15 août, jour de la fête de l'empereur Napoléon, il
présida un banquet qu'il offrit à San Juan del Rio aux
troupes françaises ; il s'arrêta quelques jours à Queretaro,
et se rendit, le 16 septembre, à Dolores Hidalgo, où la fête
de l'Indépendance mexicaine fut célébrée au lieu mêm.e
d'où le curé Hidalgo avait jeté le premier cri de liberté.
L'Empereur saisit cette occasion de rendre publiquement
hommage à l'appui prêté au Mexique par la France (^).
Il visita Guanajuato, Léon, La Piedad, Moreha, Toluca,
et ne revint à Mexico que le 30 octobre, après une excur-
sion de près de trois mois ,'que les pluies continuelles et le
mauvais état des routes avaient plus d'une fois rendue
extrêmement pénible. Aucune réception officielle ne devait
avoir lieu à Mexico, mais la population fit spontanément à
l'Empereur une ovation plus enthousiaste encore qu'à son
arrivée ('■^). Partout, sur sa route, il avait été accueilli avec
les mêmes démonstrations et de nombreuses protestations
de dévouement ; aucun souverain héréditaire, visitant ses
États, ne trouva de réceptions plus chaleureuses que celles
qui lui furent faites à Guanajuato, à Léon, à Morelia sur-
tout, dont la population s'était cependant montrée si hos-
(1) La idea de la independencia habia nacido ya ; pero desgraciada-
mente aun no la de la union ; peleaban hermano contra hermano. las pasiones y
odios de partido amenazahan minar a lo que los heroes de nuestra hermosa palria
habian creado. La tricolor, ese magnifico simbolo de nuestras victorias, se habia
casi dejado invadir por un solo color, el de !a sangre. Entonces llego al pais dpl
apartado oriente y tambien bajo el siinjoolo de una gloriosa tricolor el magnanimo
auxilio; una aguila mostro à Jaotra el camino de la moderacion y de la ley, . . .
'') Le man'-chal au ministre, 9 novembre.
or.
386 H* PARTIE. CHAPITRE II.
4864. tile à l'intG^vention française au mois d'octobre précédent.
L'établissement de la monarchie semblait répondre aux
véritables désirs du peuple. On ne saurait en effet nier
la spontanéité des manifestations qui se produisirent sur
le passage de l'Empereur; mais la masse indienne rai-
sonnait peu ses acclamations, et comme, d'autre part, les
ennemis de l'empire s'éloignaient ou se taisaient, il était
possible de se faire illusion sur les sentiments du pays.
Cette fièvre d'enthousiasme une fois apaisée, les passions se
réveillèrent ; aucune plaie n'était cicatrisée, aucun esprit
mieux disposé aux concessions ; la popularité du souverain
allait être compromise le jour où il lui faudrait porter la
main sur les abus et entreprendre les réformes.
L'Empereur reçut avec bienveillance les hommes de tous
les partis ; il s'efforça de leur faire accepter une sorte de
trêve ; cependant il témoignait une préférence marquée à
ceux qui lui étaient signalés pour leurs idées libérales (^) ;
presque partout il changea les fonctionnaires nommés par
la 'Régence et les remplaça par d'autres d'opinions plus
avancées ; c'était agir avec une grande précipitation. Ces
mesures, froissant les intérêts et la susceptibilité d'hommes
souvent très-dévoués aux institutions monarchiques, les
désaffectionnèrent et les découragèrent profondément;
malgré ces modifications de personnel, aucune impulsion
vigoureuse ne fut donnée aux rouages administratifs. Les
nouveaux élus restèrent dans les errements traditionnels
de leurs prédécesseurs et nulle amélioration ne fut réa-
lisée dans les mœurs politiques du pays. L'Empereur visi-
(') 11 rerut avec distinction le général Uraga qui, depuis quelques jours, venait
de déposer les armes, et prit son fils comme officier d'ordonnance. 11 vit aussi le
général Vidaurri, lancicn gouverneur de Nuevo-Leon. Tuus deux onirérent au
Conseil d'iitat.
LE GÊNÉE AL BAZAINE. 387
lait les églises, les écoles, les prisons, accordait des grâces, 4864.
passait une grande partie du jour à examiner les sollicita-
tions des uns et des autres, et se perdait dans les détails
alors qu'aucune loi constitutionnelle n'était encore préparée
pour le pays, que le clergé presque menaçant revendiquait
ses privilèges, et que le canon des troupes juaristes se faisait
entendre de nouveau à quelques journées seulement de la
route qu'il suivait. Cédant toujours à cette prévention qui le
porlait à éloigner de lui les hommes de l'ancien parti inter-
ventionniste, l'Empereur ne voulait pas voir le général
Marquez dont la division, alors réunie dans le Michoa-
can, était en marche vers Golima; il essaya de l'éviter;
mais le général Marquez tenait à honneur de lui présenter
ses troupes alors très-convenablement organisées, et qui
pouvaient devenir un excellent noyau pour une armée
nationale. Il se trouva sur le passage du cortège impérial ;
TEmpereur, forcé de le recevoir, l'accueillit froidement,
ne s'arrêta que quelques instants, et ne daigna pas seu-
lement passer devant le front de cette petite division
mexicaine qui, la première, avait combattu sous la ban-
nière de l'empire. A cette époque, au contraire, il en déci-
dait le licenciement, et commettait la faute de n'entou-
rer son trône que de baïonnettes étrangères. Le général
Marquez était si compromis, par l'énergie souvent cruelle
dont il avait fait preuve, que, sans doute, il eût été diiïicile
de lui conserver une haute position dans l'armée ou dans
le gouvernement impérial ; sa présence pouvait être un
obstacle à la fusion des anciens partis ; mais il n'était
pas encore question de cette réconciliation, et il y avait
ingratitude de la part de l'empereur Maximilien à mécon-
naître les services rendus par ce général à la cause de
l'empire.
388 II® PARTIE. CHAPITRE II.
Pendant son voyage, l'Empereur avait pu se convaincre
du déplorable état dans lequel se trouvaient toutes les
branches de l'administration, du désordre des finances, de
l'ignorance du clergé, de son insouciance des choses reli-
gieuses, de sa préoccupation des intérêts matériels (*).
Il se préoccupa vivement du sort de la race indienne
maintenue presque partout dans un état voisin du servageC^).
Attaché à la culture des grandes haciendas, le travailleur
ou peon ne peut en quitter le territoire sans s'être acquitté
vis-à-vis de l'hacendero, non-seulement de ses dettes per-
sonnelles, mais encore de celles de son père que l'iniquité
des anciennes lois coloniales fait passer sur sa tète. Son sa-
laire est si modique qu'il ne peut jamais se libérer ; au con-
traire, sa dette s'accroît sans cesse, parce que, pour resserrer
les liens qui l'attachent à la glèbe, son maître se charge de
lui procurer de l'eau-de-vie, des vêtements, les menus ob-
jets de ménage dont il a besoin, et lui ouvre volontiers un
crédit dans la tienda (magasin de détail) de l'hacienda. La
douceur ordinaire des Indiens, l'intelligence qu'ils dénotent
souvent, leur reconnaissance pour les égards qu'on leur
témoigne, intéressèrent l'Empereur, comme elles avaient
déjà intéressé les chefs de l'expédition française. Ces pauvres
gens, habitués à être maltraités et pressurés par tous les par-
tis, se montraient parfois étonnés des ménagements dont les
Français usaient envers eux ; ils n'étaient pas éloignés de les
(') A son passage à Queretaro , il s"était (Uonné de ne pas y voir l'évèque du
diocèse, et Tavait fait immédiatement mander de Mexico, où il se trouvait; mais
ce prélat répondit que « le soin de sa famille » ne lui permettait pas de quitter la
capitale ; or, à quelques lieues seulement de Queretaro, des villages entiers d'In-
diens n'étaient pas baptisés ; l'empereur ayant formé le projet de s'y rendre et
de servir lui-môme de parrain à ces malheureux, les curés se hâtèrent de les bap-
tiser en masse.
tî) Voir à l'appendice la note sur la i'oloiiis;ition.
LE GÉiNÉRAL BAZAINE. 389
considérer comme des libérateurs ; aussi, flans plus d'un en- -1864.
droit, entourèrent-ils l'Empereur des témoignages non équi-
voques de leur dévouement, et ne cachèrent-ils pas les espé-
rances que leur faisait concevoir l'établissement d'un nouvel
ordre de choses. En profitant des aspirations de cette nom-
breuse population, en l'émancipant graduellement, l'Em-
pereur espérait trouver en elle les plus fermes soutiens de
son trône.
A son retour à Mexico, il fit publier, par le Journal officiel,
une lettre qu'il écrivit à M. Velasquez de Léon, et dans la-
quelle étaient résumées les impressions rapportées de son
voyage. Convaincu, disait-il, de l'adhésion à l" empire de l'im-
mense majorité du pays, fort du devoir qui lui était imposé
de ramener la paix et la tranquillité, il ne pouvait plus consi-
dérer comme des belligérants les bandes armées qui bat-
taient la campagne ; elles devaient donc être traitées comme
des rassemblements de malfaiteurs auxquels étaient appli-
cables toutes les rigueurs des lois. Il rétablit la juridiction des
cours martiales (^) qu'il avait d'abord cru pouvoir adoucir;
mais le général Bazaine, ne voulant pas laisser retomber,
sur l'armée française seule, la responsabilité des exécutions
sommaires, insista pour que ces tribunaux exceptionnels
fussent autant que possible composés d'officiers mexicains.
Les colonnes mobiles pouvaient suffire d'ailleurs à purger
le pays des bandes de voleurs, et à réduire ce qui restait
des forces juaristes dans les provinces du centre. Les diffi-
cultés réelles de la situation résidaient dans les questions
de finance et dans les questions religieuses; c'était là sur-
tout qu'on devait apporter un remède énergique.
Depuis l'arrivée de l'Empereur au Mexique, le général
^'•) Le maréchal au minisire, 9 novembre, 10 décembre 1864.
390 II* PARTIE. CHAPITRE II.
1864. en chef avait prescrit aux commandants militaires français
de nô plus s'immiscer dans les affaires administratives,
mais cependant de se tenir au courant de ce qui se passait
dans l'étendue de leur commandement, afm de pouvoir
l'instruire confidentiellement des mesures qui violeraient
les principes de l'intervention, ou compromettraient l'in-
fluence française ; d'un autre côté, les caisses publiques se
trouvant, dans la plupart des localités, hors d'état de sub-
venir aux besoins des services, il avait autorisé les com-
mandants supérieurs à adresser, aux payeurs de l'armée,
des réquisitions à titre d'avances remboursables à Mexico.
Cette mesure permit aux autorités impériales de fonctionner;
une pareille situation ne pouvait se prolonger longtemps ;
il était de toute nécessité que le gouvernement central arri-
vât à fournir à ses agents les moyens d'action dont ils
avaient besoin et qu'il leur inspirât l'énergie indispensable à
Taccomplissement de leurs devoirs. L'Empereur comprenait
le mal ; mais, impuissant à le guérir, il se bornait à indiquer,
dans des circulaires, les principes de bonne administration
qu'il désirait voir appliquer. Il instituait des commissaires
impériaux chargés de parcourir les provinces pour les ins-
pecter, redresser les abus, et faire droit aux réclamations (*).
Chaque jour paraissait au Journal officiel quelque décret
nouveau; il ne suffisait pas de décréter, il fallait agir; et
ni l'Empereur, ni les ministres ne montrant de résolution,
les travaux du cabinet restaient forcément stériles. Un con-
seil d'Etat fut créé ; l'Empereur, toujours désireux de conci-
lier les partis, y fit entrer des hommes d'opinions diverses;
rintention était bonne, cependant il eût mieux valu com-
mencer par asseoir l'autorité impériale sur des bases solides
0) Le maréchal au uiiiiistrc, 27 novembre.
LE GÉNÉUAL BAZAINE. 391
et ramener les uns et les autres dans l'obéissance, avant de 4864.
tenter une réconciliation chimérique.
Il existait alors au Mexique trois partis bien tranchés : . situation
^ •■ _ générale du pays.
Le parti libéral et républicain repoussait d'une façon abso-
lue l'idée monarchique, bien que les principes procla-
més par l'empereur Maximilien fussent susceptibles de don-
ner une am.ple satisfaction à ses désirs de réforme; cette
opposition ne pouvait être réduite que par la force. Le
parti réactionnaire et clérical regardait l'empire comme son
œuvre personnelle, et prétendait en conséquence à la répa-
ration des dommages subis sous le régime antérieur et au
rétablissement de ses privilèges perdus. La politique conci-
liatrice de l'Empereur et les intentions libérales du nouveau
gouvernement ne répondaient en rien à ses espérances
et à ses illusions ; depuis longtemps déjà, il ne dissimu-
lait plus son hostilité contre l'influence française; le mo-
ment n'était pas éloigné où il ferait preuve des mêmes dis-
positions à l'égard de l'empire. Enfin, un troisième parti
tendait à se former sous le nom de parti national pur.
Il réunissait des hommes honorables, modérés dans leurs
idées, portés jusqu'à un certain point à soutenir les insti-
tutions impériales, mais impatients de la tutelle d'une ar-
mée étrangère et hostiles à toute intervention du dehors.
C'était sur eux que l'Empereur pensait pouvoir le mieux
compter ; il leur donna la majorité dans ses conseils, et
bientôt alors se manifesta, dans les divers degrés de la hié-
rarchie, une tendance marquée à se dégager de l'influence
de la France, tout en profitant de l'appui indispensable de
son trésor et de son armée. On eût voulu que depuis le
commandant d'un simple poste militaire jusqu'au maréchal,
les officiers français ne fussent que les agents du gouverne-
ment impérial, une sorte de gendarmerie chargée de pour-
392 II* PARTIE. — CHAPITRE 11.
^864. voir à sa sûreté et de veiller à l'exécution de ses ordres.
L'armée française n'était pas disposée à accepter un
pareil rôle ; elle se savait le soutien indispensable de
l'empire et supportait avec quelque impatience les allures
singulières de certaines autorités. De nombreux froisse-
ments se produisirent ; des plaintes furent portées à l'Em-
pereur contre plusieurs mesures prises par des officiers
français, entre autres contre des amendes ordonnées par
des commandants militaires. Le général en chef, loin de
désavouer ses subordonnés, les couvrit de sa propre res-
ponsabilité ; il se plaignit à son tour de l'attitude malveil-
lante et taquine des fonctionnaires mexicains, et demanda
la révocation de plusieurs préfets 0). Le ministre de l'inté-
rieur, lui-même, en vint à adresser au commandant en chef
une lettre écrite en termes mal sonnants et signée par son
secrétaire. Le maréchal la lui renvoya C^). Il est facile de
comprendre quelles blessures d'amour-propre devaient être
la conséquence de pareilles relations ; forcés de céder de-
vant le commandant de l'armée entre les mains duquel
étaient non-seulement la force matérielle, mais encore les
ressources financières , les fonctionnaires mexicains s'en
vengeaient en critiquant ses actes auprès de l'Empereur,
et ils provoquaient ainsi cette mésintelhgence qui dura
jusqu'à la fin du séjour des troupes françaises au Mexique (').
Cependant l'empereur Maximilien se voyait obligé
d'avoir sans cesse recours à la protection de ces troupes, et
(') Le maréchal à l'impératrice CliarloUe, 24 septembre 1864.
O Quelques jours auparavant, le ministre de l'intérieur s'était permis de
iiiàmer oOiciellemcnt, dans une circulaire, les mesures ordonne'es par le général
Neigre à Guadalajara.
(3) Le maréchal Randun, alors ministre do la guerre, avait depuis longtemps
prévu ces difTicultés inévilahlcs ; aussi ne cessail-il de recommander au maréchal
d'inspirer à ses subordonnés et aux. agents civils des linances, la patience, le
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 393
d"appeler auprès de lui des employés français pour suppléer '86^'
au mauvais vouloir ou à l'incapacité des Mexicains. Confor-
mément à la convention de Miramar, les services financiers
ayant été remis entre les mains de fonctionnaires mexi-
cains, les recettes de toute nature avaient baissé et les
caisses s'étaient promptement vidées. Désireux de rétablir
l'rdre dans la perception et l'Eemploi des deniers publics,
l'empereur voulait rendre à des agents français la di-
rection et le contrôle des finances mexicaines. Il pria
l'empereur Napoléon de lui envoyer, pour réorganiser
le service, un fonctionnaire d'un ordre élevé (*) ; en
attendant, il convint, avec le maréchal Bazaine, que des
employés français seraient immédiatement placés dans
les principaux centres de perception, afin de s'efforcer
de faire rentrer, dans les caisses centrales, les ressources
que les autorités montraient trop de tendance à conser-
ver pour les affecter à des besoins locaux. Le maréchal
hâta le départ de ces employés, mais le ministre des
finances mexicaines avait intentionnellement omis de
transmettre des instructions à ses agents, et lorsque les
Français arrivèrent, ils se heurtèrent contre une force
d'inertie dont il leur fut impossible de triompher. Le ma-
réchal prévint le ministre que si celte hostilité se prolon-
geait, et si l'on se refusait plus longtemps à entrer dans
dévouement , l'abnégation qni leur étaient nécessaires, afin de consolider le gou-
vernement dont ils avaient la tutelle. Il n'était peut-être pas trop à regretter ,
pensait-il, que le souverain , tout en restant fidèle aux principes protégés par
l'armée française, cherchât en dehors de son influence des points d'appui dans le
pays. Les intérêts de la France ne s'en trouveraient que plus tôt dégagés. — Le
ministre au maréchal, 13 septembre, 30 octobre.
(1) Une bonne administration pouvait donner des ressources importantes. En
eflfet, dans les neuf premiers mois de Tannée 1864, les douanes de Vera-Cruz
rapportèrent 2,440,262 piastres. — Le maréchal au ministre, 27 septembre.
394 Tl^ PARTIE. CHAPITRE II.
la voie des réformes, il cesserait d'autoriser les avances d'ar-
gent que le trésor mexicain demandait chaque jour aux
caisses de l'armée (^).
Trop facilement disposé à céder aux influences de son
entourage, l'empereur Maximilien ne montrait pas assez de
fermeté. Loin d'accepter les projets financiers élaborés par
la mission française, il reculait devant l'établissement de
nouveaux impôts, et caressait l'idée d'arriver à d'impor-
tantes économies par une réorganisation complète du
système militaire mexicain. La base de cette combinaison
était le licenciement en masse de presque toutes les troupes
mexicaines. Il n'est pas nécessaire d'insister pour faire
apprécier l'inopportunité de cette mesure et l'effet déplo-
rable qu'elle devait produire dans le pays. La pacifi-
cation n'était pas achevée ; Juarez restait encore maître
des provinces du nord ; de sérieux rassemblements de
troupes libérales existaient dans les Etats de Michoacan,
de Guerrero , et d'Oajaca , et c'est dans ces conditions
que l'Empereur voulait dissoudre les quelques bataillons
mexicains qui représentaient l'armée impériale. A ces
soldats médiocres, il avait le projet de substituer les
troupes françaises et les contingents de volontaires autri-
chiens et belles dont il avait arrêté la formation avant
son départ d'Europe ; mais c'était une grande faute de
ne montrer autour du trône que des uniformes étran-
gers à l'exclusion de l'uniforme national ; de plus, tout
le poids de l'occupation militaire allait retomber ainsi
sur l'armée française , et le maréchal se disait fort op-
posé au projet de l'Empereur dont les conséquences lui
paraissaient devoir être onéreuses pour la France C'^). Il
(*) Le maréchal au ministre de la guerre, 27 nov., 10 et 27 décembre 1864.
(») Le maréclial au ministre, 28 octobre 1864, 9 et 20 janvier 1865.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 39S
savait que l'armée mexicaine coûtait très-cher, que les '1864.
chefs de corps présentaient souvent des effectifs imagi-
naires, qu'ils gaspillaient l'argent ; il voulait donc qu'on
cherchât à la morahser, qu'on essayât d'y introduire de
nouveaux éléments, mais il voyait un danger à désorga-
niser des troupes dont les services étaient utiles et qui ne
manqueraient pas de passer à l'ennemi le lendemain de
leur licenciement. Cependant l'Empereur persista dans son
intention de dissoudre au moins tous les corps auxihaires,
resguardos, contre-guérillas, volontaires, etc., répartis
dans les provinces ; il ordonna de licencier ces forces
le l'^^'" février 1865, et de les remplacer par des gardes
rurales stables ou mobiles, dont l'importance serait déter-
minée dans chaque district par une junte locale. La
solde et l'entretien de ces troupes devant être à la charge
des habitants, ceux-ci, pour diminuer l'impôt qui en était
la conséquence, furent naturellement portés à restreindre
l'effectif des nouveaux corps ; les gardes rurales ne s'orga-
nisèrent pas ou s'organisèrent mal, elles furent insuffi-
santes pour assurer la sécurité des routes, et beaucoup
d'officiers et de soldats congédiés, se trouvant sans solde
et sans emploi, entrèrent dans les guérillas ennemies. Les
commandants militaires français ayant signalé partout
les inconvénients de celte mesure, le maréchal obtint
qu'elle fût ajournée, mais déjà le mauvais effet était produit
et le mécontentement général dans l'armée mexicaine.
Ainsi, dans les affaires militaires comme dans les affaires
administratives , le gouvernement de l'empereur Maxi-
milien n'avait pu réaliser aucune amélioration.
Il n'arriva pas à un meilleur résultat pour le règlement des
questions religieuses. Le clergé persistait dans son attitude
396 u" PARTIE. CHAPITRE II.
4864. d'opposition ; il refusait les sacrements aux détenteurs de
biens ecclésiastiques, et il trouvait parfois, parmi les auto-
rités et près des tribunaux, de complaisants auxiliaires
pour ses revendications. APuebla, il avait su tirer parti du
décret du général Forey relatif à la restitution des pro-
priétés appartenant aux établissements de bienfaisance ;
en faisant classer dans cette catégorie la presque totalité de
ses biens, il parvenait à rentrer peu à peu dans ses an-
ciennes richesses (^).
L'Empereur, à son passage à Rome, avait obtenu du Pape
la promesse d'être soutenu dans le règlement des difficultés
religieuses , mais il avait négligé de déterminer les bases
principales du concordat à intervenir ; maintenant , il
attendait l'arrivée d'un nonce apostolique, et n'osait tou-
cher, sans l'assentiment du Sainl-Siége, aux prérogatives
de l'Eglise. Le nombre des mécontents ne fit que s'accroître ;
on se plaignit tout haut de la lenteur et des demi-mesures
du gouvernement. Les journaux de Juarez tournaient
l'Empereur en ridicule ; ils plaisantaient ses irrésolutions
et le peu de portée des décisions gouvernementales qui,
la plupart du temps, n'avaient pour objet que des questions
d'ordre secondaire C^).
il) Le maréchal au minisire, 28 juillet, 27 septembre, 28 octobre, 9 no-
vembre.
(») « Le temps se passe et le manifeste ne paraît pas; l'aventurier qui se voit
assailli par les importuns, s'occupe d'examiner les enfants des écoles, de visiter
les hôpitaux pour en étudier les misères et les lamentations, puis il rentre chez
lui lire les œuvres du baron de Humboldt. .. Parler d'une goutte de sang l^orripilc
Maximilien et c'est caché sous la crinoline do la gentille Charlotte qu'il veut
sauver Tempirc, tandis que d'autres le lui conquièrent. — Avec son ministre
Velasquez de Léon et la gentille Ciiarlolle, qu'on nous représente comme un
Lycurgue féminin, il ne reste pas même a. Maximilien la fatigue de noircir une
plume. » (Pcriodico officiai del gobierno conslitucioiial de Ix republica mexicana,
n" 41. Montercy, le 14 août 1864.)
LE GÉMÉRAL BAZAINE. 397
Enfin le nonce apostolique, i\P' Meglia, débarqua le 29 ^8C4.
novembre à Vera-Gruz. Il fut reçu par l'empereur le 10 Le nonce du Pape.
1 ' 1 • T^ • " r 1- 1 ■ Questions
décembre suivant. Dès son arrivée, M^' Meglia montra religieuses.
son peu de sympathie pour l'influence française. Il ne ve-
nait pas, disait-il, autoriser un compromis qui amenât la
conciliation des intérêts opposés, mais au contraire faire
restituer au clergé tous les biens dont il avait été injuste-
ment dépouillé (').
La situation, que l'empereur Maximilien voulait régula-
riser de concert avec le Saint-Siège, était fort complexe.
Elle avait pris naissance, sous la présidence de Comon-
fort, dans un décret du 25 juin 1856, par suite duquel
une partie des propriétés ecclésiastiques fut régulière-
ment aliénée, tout en sauvegardant, dans une certaine
mesure, les droits du clergé. Après la chute de Gomon-
fort, un décret du 28 janvier 1858, rendu par Miramon,
considéra comme nulles et non avenues toutes les aliéna-
tions faites sous l'empire du décret précédent. Mais à
la même époque, Juarez, résumant en lui les pouvoirs
constitutionnels, établissait son gouvernement à Vera-Gruz;
par un troisième décret de 1859, il déclarait tous les
biens du clergé, propriété nationale et en prescrivait la
vente au profit du trésor. Lorsque Juarez fut installé à
Mexico, des lois dites de réforme, promulguées au mois de
décembre 1860, confirmèrent le décret de 1859 dans toute
son extension. De ce conflit de lois, de décrets, de règle-
ments émanés de pouvoirs rivaux, étaient résultées de nom-
breuses complications. D'une part, il y avait eu des ventes
régulières et des droits légitimement acquis; d'autre part il •
i') Le raaP'clial au ininistro. 9 et 10 décembre.
398 II* PARTIE. CHAPITRE II.
4864. existait incontestablement des contrats frauduleux. Telles
étaient, en résumé, les difficultés que l'Empereur pensait
pouvoir résoudre avec le concours du nonce, en recon-
naissant, dans les limites de la justice, les conséquences des
faits accomplis, et en tenant compte de l'impossibilité dans
laquelle on était de reconstituer des biens dont un certain
nombre avaient déjà changé de nature, ou étaient passés
entre plusieurs mains. Il demandait donc que l'Eglise
mexicaine consentît à céder les propriétés que les gou-
, vernements antérieurs avaient vendus comme biens natio-
naux; de son côté, l'Etat pourvoirait aux frais du culte
et à l'entretien de ses ministres. A cette proposition, et
malgré les pressantes instances de l'Impératrice même,
le nonce se contenta de répondre que ses instructions
ne lui permettaient nullement d'accepter de pareilles
bases et qu'il devait en référer à la cour de Rome. « Sa
mission avait pour but, dit-il dans une lettre au ministre
Escudero, de voir révoquer et abolir en même temps que
les lois, dites de réforme, toutes celles contraires aux droits
sacrés de l'Eglise. L'épiscopat et le clergé, d'accord avec la
partie la plus saine de la nation, abhorraient l'idée d'une
indemnisation payée par le trésor et préféreraient vivre de
la charité des fidèles. Le Saint-Siège avait pu d'autant
moins donner des instructions sur les bases proposées,
qu'il ne pouvait supposer que le gouvernement impérial
consommerait l'œuvre commencée par Juarez (0. »
Les instructions du Souverain Pontife, résumées dans une
lettre du 18 octobre 1864, que le nonce apportait à l'Empe-
reur, prescrivaient d'obtenir l'abrogation des lois de ré-
forme, l'établissement de la religion catholique à l'exclusion
<i) LeUre du 25 décembre 1864.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 399
de tout autre culte, le rétablissement des ordres religieux, 1804.
la restitution du patrimoine ecclésiastique, la surveillance ~
du clergé sur l'instruction publique. L'Empereur répondit
à cette déclaration en faisant publier au journal officiel la
lettre suivante qu'il adressa au ministre de la justice :
Mexico, 27 décembre 1864.
« Afin d'aplanir les difficultés qui ont été soulevées au sujet des
lois dites de réforme, nous nous proposions d'adopter avant tout
des mesures à la fois satisfaisant les justes exigences du pays, ré-
tablissant la paix dans les esprits et la tranquillité dans les cons-
ciences de tous les habitants de l'empire.
a Dans ce but, nous sommes allé à Piome pour ouvrir des
négociations avec le Saint-Père , comme chef universel de l'Eglise
cathoHque.
« En ce moment le Nonce apostolique est à Mexico ; mais, à
notre extrême surprise, il a manifesté qu'il manquait d'instructions
et qu'il avait à les attendre de Rome.
« La situation violente, qu'avec de grands efforts nous avons pro-
longée pendant plus de sept mois, n'admet plus de délai et de-
mande une prompte solution; pour cela même nous vous chargeons
de nous proposer au plus tôt des moyens efficaces, pour que la jus.
tice soit administrée sans égard à la qualité des personnes; pour
que les intérêts légitimes créés par les lois de réforme soient assu-
rés, en réparant les excès et injustices commis sous le voile même
de Id justice, enfin pour subvenir au maintien du culte et à la pro-
tection des choses sacrées placées sous la sauvegarde de la religion,
et faire que les sacrements soient administrés et les fonctions
du ministère sacerdotal soient exercées , dans tout l'empire, sans
rétribution, ni charge aucune pour les populations.
f A cet effet, vous nous proposerez avant tout une révision des
opérations d'amortissement et de nationalisation des biens ecclé-
siastiques, basée sur là sanction de celles légitimement faites,
exécutées sans fraude et aux termes des lois qui ont décrété l'a-
mortissement et la nationalisation desdits biens.
« Agissez, enfin, conformément au principe d'ample et franche
400 if PARTIE. — CHAPITRE II.
>I864. tolérance, sans perdre de vue que la religion de l'Etat est la reli-
~ , gion catholique, apostolique et romaine, s
Le Nonce prolesta par une noie conçue en termes si
irrespectueux, que le ministre des affaires étrangères lui
répondit qu'il n'avait pas jugé convenable d'en donner
communication à l'Empereur; c'était le seul moyen de
sauvegarder la dignité du souverain, tout en évitant une
rupture éclatante.
Quelques jours après, un décret impérial ayant remis en
vigueur les lois relatives à Vexequatur des bulles émanant
de la cour de Rome, le Nonce protesta de nouveau en re-
vendiquant la souveraineté et l'indépendance de l'Eglise, et
le droit suprême de juridiction du Pape en matière de
dogme, de morale, et de discipline, droit auquel nul ide ses
sujets, fût-il empereur ou roi, » ne pouvait porter atteinte
en empêchant la promulgation de ses décrets. La société
moderne, même au Mexique, ne sait plus entendre un pa-
reil langage ; aussi M. Ramirez, ministre des affaires étran-
gères, répondit-il fièrement: « Maximilien, citoyen et
membre de la communion chrétienne, s'incline avec res-
pect et soumission devant l'autorité spirituelle du père
commun des fidèles ; mais Maximilien, empereur et repré-
sentant la souveraineté mexicaine, ne reconnaît pas sur la
terre de pouvoir supérieur au sien » (*).
Ce fut le dernier échange de communications officielles
entre le gouvernement mexicain et le Nonce qui demanda
ses passe-ports, et quitta Mexico à la fin d'avril 1863. L'Em-
pereur le fit accompagner avec les plus grands égards
jusqu'à Vera-Cruz, où il s'embarqua le 2 juin. De son côté,
(') M. Ramirez à M»'' Mcglia. 29 janvier 1863.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 401
l'empereur Maximilien envoya une mission extraordinaire
à Rome, afin d'essayer encore d'obtenir l'entente indis-
pensable pour ramener le calme dans les esprits.
Les conflits, qui s'étaient élevés entre le Nonce du Saint-
Siège et le gouvernement, avaient en effet singulièrement
empiré la situation et surexcité le parti clérical. Des menées
secrètes, aboutissant à une sorte de vaste complot, furent dé-
couvertes par la police. Dans des réunions tenues à Puebla,
la ville cléricale par excellence, on discutait les moyens do
combattre efficacement le gouvernement impérial et de sou-
lever les populations contre l'armée française. En prévision
des difficultés que pourrait causer l'opposition du clergé,
le maréchal avait déjà conseillé à l'Empereur d'éloigner du
Mexique les hommes qui pouvaient servir d'instrument ou
d'appui à cette faction. Le général Miramon, qui jusqu'a-
lors n'avait été que gênant, mais dont l'attitude paraissait
devenir hostile, fut envoyé en Europe avec la mission, assez
peu déguisée, d'étudier le système militaire de la Prusse.
Le général Marquez, qui était en expédition du côté de
Colima, fut rappelé à Mexico et, peu de temps après, partit
également, sous le prétexte de négocier avec le Sultan cer-
taines acquisitions dans la Terre-Sainte (^). Comme on le
voit, on ne s'était pas beaucoup préoccupé de trouver une
raison plausible à l'éloignement de ces deux personnages.
Le maréchal s'absentait en ce moment de Mexico pour
prendre la direction d'une expédition contre Oajaca ; il re-
commanda au général L'Hériller, entre les mains duquel il
laissa le commandement, de montrer la plus grande éner-
gie et, après avoir pris toutefois l'agrément de l'Empereur,
de ne pas hésiter à faire enlever les individus suspects. Le
(•) Le lientenant-colonel Boyer, chef du cabinet du man^-lial, au général
Ribourt, elicf du cahinot du ministre, 11 nfiviHiiljre.
26
186^
402 11* PARTIE. CHAPITRE 11.
1864. général Taboada fut arrêté, puis exilé en Europe ; le géné-
ral Vicario, fort compromis également, échappa par la
fuite aux rigueurs dont il était menacé ; ses troupes res-
tèrent d'ailleurs fidèles sous les ordres du colonel Ortiz de
la Peîia. Une de ces alliances hybrides, fréquentes aux
époques de crises politiques, s'était conclue entre des
hommes qui, placés par leurs idées, leurs intérêts, et leurs
passions, à des pôles opposés, étaient hier encore ennemis
acharnés, mais s'entendaient maintenant sur ce point com-
mun : le désir de renverser un gouvernement dont les al-
lures modérées ne convenaient aux exagérations, ni des
uns, ni des autres. Dans leurs proclamations, les libéraux
républicains déversèrent l'outrage sur les personnes du
parti libéral modéré qui, admettant l'intervention française
comme moyen, appuyaient l'empire parce qu'ils y trou-
vaient la solution la plus favorable aux intérêts du pays.
Ils tendaient au contraire la main aux cléricaux, en exaltant
le mérite des hommes influents de ce parti qui avaient des
griefs personnels contre le gouvernement impérial ; puis,
ils cherchèrent à surexciter l'amour-propre national en
montrant l'Empereur entouré de soldats étrangers, tandis
que les troupes mexicaines étaient licenciées. « S'il est vrai
qu'ils protègent le parti conservateur, pourquoi ne for-
ment-ils pas une armée mexicaine ? Pourquoi poursuivent-
ils et exilent-ils nos bons généraux, tels que Miramon,
Vêlez, Sanchez, Facio, et une foule d'autres qui ont tou-
jours été considérés comme les plus forts soutiens du parti
conservateur ? Pourquoi, en leur donnant des missions spé-
ciales à l'étranger, a-t-on exilé les hommes les plus capables
et les plus influents du Mexique ? Et enfin, pourquoi Maxi-
milion, empereur d'une poignée de traîtres, s'il est appuyé
parla volonté nationale, ne fait-il pas retirer l'armée fran-
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 403
çaise et n'adopte-t-il pas une nouvelle constitution pour m^
moraliser le pays? Au contraire, il a désarmé quelques
compagnies mexicaines qu'il avait formées W »
Les succès militaires des premiers mois de l'année 1865
ne permirent pas à ces menées de se développer d'une ma-
nière inquiétante; quelques chefs de troupes auxiliaires
firent seuls défection, et la main vigoureuse du comman-
dement empêcha le mal de se propager. L'archevêque de
Mexico voulut retourner en Europe; mais l'Empereur s'y
opposa, et tout en conservant une certaine déférence vis-à-
vis du clergé, il ne se départit pas de la fermeté qu'il
entendait montrer.
Le 26 février, l'Empereur décréta la liberté des cultes
et la révision de toutes les transactions relatives aux an-
ciennes propriétés ecclésiastiques, afin de confirmer celles
qui avaient eu lieu de bonne foi et concilier, autant que
possible, les divers intérêts engagés. Malheureusement, les
dispositions de ce décret, dont l'esprit était très-juste et
très-libéral, devaient être entravées par des lenteurs inter-
minables. Les propriétaires loyaux des anciens biens
ecclésiastiques, en faveur desquels il avait été rendu, le
trouvèrent même préjudiciable à leurs intérêts (^). Il était
impossible de satisfaire personne, si l'on voulait recher-
cher patiemment la vérité dans le dédale de ces affaires,
ne pas tolérer les abus, éviter de ressusciter des privi-
lèges aboHs. D'autre part, les évêques, appuyés par la
cour de Rome, étaient outrés des procédés du gouverne-
ment impérial. Sous le gouvernement de Juarez, ils avaient
été spoliés , la religion avait été outragée, les ministres
maltraités, mais c'était là une situation bien définie dans
(») Proclamation de Félix Diaz, janvier 1865.
(2) Le maréchal au ministre, 27 février.
404 if PARTIE. — CHAPITRE II.
4864. laquelle la justice était de leur côté, la violence et l'injus-
tice du côté de Juarez, en résumé, une crise révolution-
naire, après laquelle tous les droits méconnus ne manque-
raient pas d'être restaurés ; voici au contraire que le
pouvoir réparateur, à l'établissement duquel ils avaient
travaillé avec tant d'ardeur, dont les premières assises
avaient été posées par leurs soins, et qui se proclamait le
protecteur de la religion, ne restaurait rien, et, loin de
restituer à l'Eglise ses richesses perdues, lui en demandait
le sacrifice volontaire, afin de ratifier, à tout jamais, les
conséquences des lois de réforme rendues par Juarez. Ce
résultat était inattendu pour l'épiscopat mexicain ; sourd
aux leçons du passé, il ne voulut faire aucune concession
et, au lieu d'aider à la consolidation du trône , il unit
aveuglément ses efforts à ceux des libéraux républicains
qui voulaient le précipiter dans l'abîme. Ce que désirait
obtenir l'empereur Maximilien était-il donc une innovation
dont l'histoire de l'Eglise ne présentait aucun exemple ?
Voulait-il, lui le premier, porter atteinte à un principe in-
violable et jusqu'alors universellement respecté par la
société catholique? Au sortir de la tourmente de 93, lorsque
Bonaparte releva la religion de ses ruines, il eut à régler
avec le Saint-Siège des difficultés tout aussi importantes ;
mais il réussit dans son entreprise parce que son pouvoir
était fort, et qu'il imposait des volontés plutôt qu'il ne
demandait des services. Cependant, la France rentra dans
le giron de l'Eglise, et son clergé, purifié parles épreuves,
fut digne d'être donné comme exemple au clergé du monde
entier. Telle n'était pas la position de l'empereur Maximi-
lien. Sans armée, sans finances, presque sans partisans,
le nonce du Souverain Pontife prend à son égard une atti-
tude presque hautaine, et lui refuse tout concours pour la
LE GÉiNÉHAL BAZAINE. 403
réforme de l'Eglise mexicaine. Une lettre de l'impératrice
Charlotte, datée du mois de janvier 1865, fait voir quels
soucis environnaient alors le trône.
« Je ne sais si vous êtes au fait que le Saint-Père, qui a le carac-
tère enjoué, dit souvent de lui-même qu'il est jettaiore. Eh bien !
c'est positif que depuis que son envoyé a mis le pied sur notre sol,
nons n'avons eu que des déboires, et nous en attendons un nombre
qui ne sera pas moindre dans un avenir prochain.
€ L'énergie et la persévérance ne nous manquent, je crois, pas;
mais je me demande si les difficultés de toute espèce continuant de
la sorte, il y aura possibilité d'en sortir. En effet, voici l'état des
choses actuel. Le clergé, blessé à mort par la lettre du 27 dé-
cembre, n'est pas facile à dompter; tous les vieux abus se coalisent
pour éluder les dispositions de l'Empereur vis-à-vis de lui. Il y a
là-dedans, non peut-être du fanatisme, mais une telle ténacité
sourde et manœuvrière, que je crois impossible que les membres,
qui composent aujourd'hui le clergé, puissent jamais en former un
nouveau. Ce qu'on fera d'eux, voilà la question. Lorsque Napo-
léon P"" obtint du Pape la démission des évêques émigrés, ils vivaient
à l'étranger, et comme c'étaient de saints personnages, ils se rési-
gnèrent. Ceux-ci, nous les avons ici, ils quitteraient volontiers leurs
sièges, mais pas leurs revenus. Un traitement de l'Etat ne leur
rapporterait jamais autant, et leur idéal est de vivre en Europe avec
cet argent, pendant que nous bataillons ici pour fixer la position
de l'Eglise.
€ Les biens vendus vont être revisés, seconde pomme de dis-
corde , car par la reconnaissance des lois de réforme, nous nous
sommes mis les conservateurs sur les bras. Aujourd'hui, nous al-
lons avoir à dos les libéraux et les adjudicataires. Comme il ne
saurait y avoir qu'un poids et une mesure pour tous, ceux qui se
sont livrés à des opérations illicites vont devoir restituer leurs
gains, et je crains que cette œuvre de réparation et de justice n'ex-
cite autant de passions que la perte dos biens pour le clergé. »
C'était malheureusement trop vrai et très-exactement
prévu.
4864.
406 II® PARTIE. CHAPITRE II.
^864. Cependant, l'armée française, restant étrangère à ces agi-
Opéra'.ions tatîons politiques, avait poursuivi sa tâche. Une des plus
militaires. , . / i i / • i • i
Expédition dans grandes preoccupations du maréchal était, depuis long-
temps, le rétablissement des communications commerciales
entre Tampico et San Luis. Pour obtenir ce résultat, déjà
préparé par le combat de San Antonio (18 avril 1864), il
fallait amener la soumission des chefs de la Huasteca dont
les contingents, en donnant la main aux guérillas du Ta-
maulipas, étaient maîtres du pays qui sépare ces deux
villes. Le maréchal prescrivit au général Mejia d'envoyer
une garnison à Tula de Tamaulipas, afin de se mettre en
relations avec la contre-guérilla qui occupait Tampico ,
et il prépara une opération militaire dans la Huasteca.
Les conditions topographiques particulières de cette pro-
vince, dont les montagnes et les forêts sont des plus favo-
rables à une guerre de partisans, rendaient cette opération
fort difficile. L'expédition projetée avait pour objectif Hue-
jutla, à soixante-dix lieues environ au nord de Mexico et
l'une des bourgades les plus importantes de la Huasteca.
C'était le quartier général d'Ugalde et de Campfner, les
chefs les plus influents de la province.
Le colonel Dupin entra le premier en campagne (7 juin) ;
à la tète de 550 hommes, il se dirigea vers Tancasnequi,
point où cesse la navigation du Piio Tamesi, à trente-cinq
lieues de Tampico. En face de Tancasnequi, à Tantoyu-
quita, sur la rive opposée du fleuve, se trouvaient les entre-
pôts des marchandises que le commerce de Tampico expé-
diait vers l'intérieur, et un bureau de douane qui percevait
pour les libéraux un énorme droit de trente p. 0/0 ad va-
lorem.
Au moment où la contre-guérilla arrivait à Tancasnequi,
un convoi considérable venait d'en partir dans la direction
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 407
de Vittoria. La cavalerie, lancée à sa poursuite, en atteignit i^*-
plusieurs fractions et ramena, quelques jours après, un
certain nombre de voitures, les unes chargées de munitions,
les autres contenant du vin et des liqueurs que le colonel
Dupin considéra comme de bonne prise (*).
A la même époque, le général Olvera, avec quatre mille
hommes de la division Mejia, se portait de San Luis Po-
tosi à Tula. Le colonel Dupin lui demanda un bataillon
pour garder les entrepôts de Tantoyuquita, et continua sa
marche vers Tancanhuitz ; mais les populations se soule-
vèrent à l'instigation des chefs libéraux ; les pueblos d'Ozu-
luoma, de Panuco, de Tantima se prononcèrent contre
l'empire ; on disait, en outre, qu'Huejutla était défendu
par onze cents hommes, et le concours promis par les
chefs impérialistes se bornait à l'arrivée de deux généraux,
quatorze officiers, et dix-huit hommes. Plutôt que de con-
tinuer sur Huejutla une opération qui n'était pas sans
dangers, le colonel Dupin revint sur ses pas et, dérobant
sa marche, il fut assez heureux pour surprendre successi-
vement les bandes de Noriega, de Mascareiîas et de Ca-
sado. Il les détruisit en partie, fit pendre tous les guérille-
ros qui tombèrent entre ses mains, parcourut ensuite les
villages insurgés, et les fit rentrer dans l'ordre.
D'un autre côté, le colonel Tourre était parti de Mexico,
le 7 juillet, avec un bataillon du B'' zouaves, un escadron
du 5*^ hussards, et une section d'artillerie de montagne ; il
suivit la route de Tulancingo et de Zacualtipan. Le 28 juil-
let, il quittait ce dernier point et s'engageait au cœur de la
Huasteca, dans une région déserte, sans aucune ressource.
(•) Celte prise donna lieu à de vives protestations de la part du commerce de
Tampico et à des revendications qui n'étaient pas sans fondement.
408 II* PARTIE. CHAPITRE II.
1864. et dont les rares habitants s'enfuyaient à son approche. Il
comptait sur la coopération de la contre-guérilla ; mais
le colonel Dupin, dont le tempérament ne s'accommodait
guère du contact des troupes régulières et de la subordina-
tion qui en était la conséquence, prétexta une dépèche du
maréchal qui lui disait de se disposer à prendre part à
une grande opération vers le nord, et il revint à Tampico
(31 juillet), laissant le colonel Tourre livré à ses propres
forces.
Combat Les avantages du mouvement combiné par le maréchal se
de la Candelaria , .... , tt i i ' • i. j •
(1" août -1864). trouvaient ainsi perdus. Ugalde, rassure au sujet des inquié-
tudes que lui causait la présence de la contre-guérilla sur
ses derrières, prit position avec huit cents hommes au
défilé de la Candelaria, dangereux passage qu'il rendit plus
difficile encore en y faisant élever des retranchements.
Les guérilleros, embusqués dans des broussailles impéné-
trables, reçurent la colonne française par une fusillade
meurtrière. Il fallut un rude combat pour forcer le défdé.
La chaleur était suffocante ; les hussards , mettant pied
à terre, firent le coup de feu à côté de l'infanterie. Pour
gravir les pentes et en déloger l'ennemi, les zouaves du-
rent se pratiquer un chemin à travers les lianes avec leurs
sabres-baïonnettes ; enfin, les crêtes furent couronnées et
les Mexicains battirent en retraite. Ce vigoureux effort
coûta la vie à huit hommes asphyxiés; un officier et trois
hommes furent tués, et trente-trois, blessés ; la chaleur
rendait toutes les blessures fort graves. Le lendemain, le
colonel Tourre entrait à Huejutla, où il ne restait pas un
seul habitant.
Après quelques jours d'un repos indispensable à la
suite des fatigues de cette pénible marche dans les mon-
tagnes , sous un soleil ardent, il rétrograda vers Mexico.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 409
En plusieurs endroits, l'ennemi essaya encore de lui barrer i86i.
la route ; mais chaque fois, la colonne s'ouvrit rapidement
un passage.
On ne retira pas le moindre résultat de ces labeurs
et de ces souffrances; cependant, un peu plus tard, lassés
de cette lutte incessante dont le profit était en défini-
tive à peu près nul pour eux, les principaux chefs ennemis
manifestèrent des tendances de soumission. Dans l'espoir
de hâter leur décision, le maréchal fit partir de nouveau,
pour la Huasleca, deux compagnies de partisans comman-
dées par le capitaine du Bessol, tandis que, d'après l'ordre
de l'Empereur, le général mexicain Casanova se rendait
à Tampico pour entamer les pourparlers. Le capitaine du
Bessol, tout en opérant contre les guérillas, accepta les
ouvertures qui lui furent faites. On convint d'abord d'une
suspension d'armes, puis d'un armistice pendant lequel
deux des principaux chefs , Campfner et Andrade , et
trente de leurs officiers se rendirent à Mexico. Entre
autres conditions, ils demandaient le paiement d'une cer-
taine somme d'argent destinée, disaient-ils, à couvrir les
engagements personnels qu'ils avaient pris pour soutenir
la guerre. Cette prétention n'était pas exorbitante, et le
maréchal eût voulu la voir accueillir, mais les conseil-
lers de l'Empereur en jugèrent autrement ; aucune réponse
satisfaisante ne fut donnée aux délégués ; l'affaire fut
traînée en longueur et l'agitation dans la Huasteca fut ainsi
perpétuée. Le maréchal déclara que si le gouvernement ne
profitait pas de l'occasion qui se présentait, il se refuse-
rait à envoyer ses troupes s'user dans ce pays.
Cette menace ne produisit aucun effet. Les premiers dé-
tachements de volontaires autrichiens étaient arrivés, et
l'empereur Maximilien, qui projetait de s'en réserver l'eni-
410 II' PARTIE. CHAPITRE II.
-1864. pioi, pensait obtenir par la force une pacification que les
négociations n'avaient pas amenée. Du reste, il suffisait de
masquer les débouchés de la Huasteca, pour localiser
l'insurrection dont cette contrée était le foyer.
Opérations II importait au contraire d'en terminer avec le gouver-
nement de Juarez, de détruire son armée , et d'occuper
les provinces du nord qui obéissaient toujours à son au-
torité. L'ancien président était encore soutenu par des
partisans dévoués avec lesquels il fallait compter. Patoni,
gouverneur de Durango, avait sous ses ordres environ
3000 hommes ; des guérillas importantes du Sinaloa et de
la Sonora étaient à portée de lui prêter leur appui. Dans
la même région, Ortega commandait à 2,o00 hommes,
avec lesquels il tenait Sombrerete, Piio-Grande , San Juan
Mesquital. Auprès de Juarez , sous les ordres directs de
Negrete, ministre de la guerre, se trouvaient 4000 hommes
et une nombreuse artillerie. Enfin , dans le Tamaulipas,
les guérillas de Canales et de Cortina , et les forces dont
disposait le général La Garza, gouverneur de cet Etat,
s'élevaient environ à 3000 hommes. L'ensemble de ces
troupes formait donc un effectif total de 12 à 13,000
hommes. Les ressources financières du gouvernement li-
béral étaient assez considérables. Il disposait encore des
douanes de Matamores, de Piedras Negras, de Mazat-
lan, de Guaymas; on lui expédiait des armes de toutes
parts , mais surtout de San Francisco et du Texas ; on
suppose qu'il recevait aussi de l'argent des Etats-Unis;
enfin il avait toujours la ressource extrême des « presta-
mos » ou emprunts forcés. Mais il tirait sa plus grande
lorce de l'appui moral que lui prêtaient les Etats-Unis,
et des sympathies non déguisées du parti Hbcral dans
tous les pays européens. En France môme, au Corps légis-
LE GÉNÉRAL BAZAINE, 411
latif, les députés de l'opposition ne cessaient de réclamer i864.
très-énergiquement le rappel des troupes du Mexique.
Au commencement de l'expédition française, le prési-
dent Lincoln avait écrit à Juarez : « Nous ne sommes pas en
guerre ouverte avec la France, mais comptez sur de l'ar-
gent, sur des canons, et sur des enrôlements volontaires
que nous favoriserons. » Plus tard, M. Seward, dans ses
instructions au général Banks, commandant le département
du golfe du Mexique, prescrivait d'observer les règles d'une
stricte neutralité et de s'abstenir de toute intervention
armée sur le territoire mexicain; mais il lui rappelait
que les Etats-Unis étaient « en relations de bienveillance
et d'amitié avec la république mexicaine, et qu'ils entrete-
naient avec elle des rapports diplomatiques » (^). Juarez
avait en effet à Washington un représentant accrédité,
M. Piomero, dont l'influence et l'activité lui étaient des
plus précieuses. Enfin, le 4 avril 1864, la chambre des
représentants des Etats-Unis adopta, par un vote una-
nime, une résolution qui affirmait son opposition à la re-
connaissance de la monarchie au Mexique. Le gouverne-
ment français avait été fort ému de cette manifestation;
M. Drouyn de Lhuis, en recevant la visite du représentant
des Etat-Unis, l'accueillit par ces mots : « Nous apportez-
vous la paix ou la guerre? » (-). Mais M. Seward, trop
prudent pour ne pas ménager la France et s'engager dans
des complications extérieures qui eussent rendu plus mena-
çante la crise américaine, s'était hâté d'écrire que le gou-
vernement des Etats-Unis, tout en acceptant avec déférence
la résolution votée par la chambre, ne jugeait pas opportun
(») M. Seward au major général Banks, Washington, 23 novembre 1863.
(Senate documents, 1864-186o.)
(2) M. Dayton à M. Seward, 22 avril 1864.
412 II* PARTIE. CHAPITRE II.
^864. de l'exprimer dans les mêmes termes, ni de se départir,
quant à présent, de la politique qu'il avait jusqu'alors suivie
à l'égard de l'intervention française au Mexique. Cette
résolution, ajoutait-il, était l'interprète fidèle du sentiment
unanime du peuple des Etats-Unis; cependant pour avoir
un caractère législatif, il fallait qu'elle fût adoptée par les
deux chambres et sanctionnée par le président, ou, en cas
de refus du président, votée de nouveau par les deux tiers
des membres de chaque chambre. La France ne devait
donc ni s'alarmer, ni douter du bon vouloir du gouverne-
ment américain, et les instructions données aux autorités de
la frontière mexicaine leur prescrivaient toujours d'obser-
ver une stricte neutralité ('). Il était facile de voir que le
gouvernement des Etats-Unis attendait le rétablissement
de la paix intérieure pour se déclarer plus franchement.
D'ailleurs les manifestations anti-françaises se multipliaient
à New-York, à la Nouvelle Orléans, en Californie ; dans des
banquets publics, les vœux les plus ardents étaient émJs
en faveur de la république du Mexique ('■^). Pour Juarez, la
question se résumait donc en ceci : résister et vivre assez
longtemps pour que le triomphe déjà prévu des fédé-
raux sur les confédérés fût assuré et que, libres d'autres
préoccupations, les Etats-Unis pussent l'aider d'une ma-
nière plus effective. La France et l'empire mexicain
avaient, au contraire, intérêt à hâter le plus possible la dis-
solution du gouvernement républicain et à forcer Juarez de
quitter le pays ; si l'empire restait le seul gouvernement de
fait existant au Mexique, on pensait que les Etats-Unis ne
pourraient en reconnaître, ni en soutenir un autre.
Pendant la saison sèche, il eût été dangereux d'aventurer
(•) M. Seward à M. Dayton, 7 avril 1864.
(*) Le maréchal au ministre, 10 mai, 31 août.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 413
des colonnes dans les déserts arides qui séparent San Luis 4864.
de Saltillo ; il avait donc fallu attendre la saison des pluies
pour entreprendre les opérations vers le nord. Au mois de
juin, le moment d'entrer en campagne était arrivé.
Les troupes franco-mexicaines de la ligne du nord étaient
alors réparties de la manière suivante : la brigade L'Héril-
1er à Zacatecas, ayant des avant-postes à Fresnillo, et fai-
sant face aux divisions Paloni et Ortega.
La brigade Aymard à San Luis Potosi avec un avant-
poste à Venado.
La division mexicaine Mejia cantonnée à Tulade Tamau-
lipas, Piio Verde, Yalle del Maïz, ayant en avant-garde la
brigade Lopez à Matehuala, à Gatorce, et au Gedral.
La contre-guérilla Dupin à Tampico ; ces trois dernières
fractions faisant face à la division Negrete et aux guérillas
du Tamaulipas.
La division de Gastagny avait son quartier général à
Queretaro en seconde ligne.
Deux grandes routes conduisent dans le nord : l'une part
de Zacatecas et se dirige vers Durango et Ghihuahua;
l'autre va de San Luis à Saltillo, Monterey, et Matamores.
Des routes transversales unissent Zacatecas à San Luis par
Salinas ; Zacatecas à Saltillo par Mazapil; Durango à Sal-
tillo par Parras. Au nord de la route de Parras, s'étend un
vaste pays désert, le Bohon de Mapimi, dans lequel une
troupe ne pourrait subsister (^).
(') De Mexico à Zacatecas, on compte 163 lieues;
De Zacatecas à Durango, 71 lieues ; de Durango à Ghihuahua, 170 lieues ;
De Mexico à San Luis, 114 lieues; de San Luis à Saltillo, 112 lieues; de Sal-
tillo à Monterej', 40 lieues ; de Monterey à Matamoros, 90 lieues ;
De Durango à Parras, 92 lieues ; de Parras à Saltillo, 30 lieues ;
De Tampico ix Viltoria, 6b lieues ; de Vittoria à Monterey, 70 lieues ;
De Tampico à Tula de Tamaulipas, 77 lieues ; de Tula à San Luis Potosi, 6S
lieues; de Tula à Vitforin, 40 lieues.
414 II® PARTIE. CHAPIXnE II.
-1864. Le projet du maréchal était de pousser d'abord la bri-
gade L'Hériiler sur Durango, puis de faire avancer sur des
lignes parallèles la division de Castagny, la division Mejia,
et la contre-guérilla. La division de Castagny suivrait la
grand'route de San Luis à Saltillo, le général Mejia mar-
cherait par Vittoria et Linarès pour arriver, selon les cir-
constances, soit à Monterey, soit à Matamoros ; la colonne
légère du général Lopez prendrait la route de Galeana pour
maintenir en relations les colonnes du général de Castagny
et du général Mejia ; enfin, la contre-guérilla, suivant jus-
qu'à Yittoria la même direction que la division Mejia, se
rapprocherait ensuite de la côte vers Soto-la-Marina et San
Fernando de Presas, afin de se mettre en communication
avec l'escadre dont les compagnies de débarquement se-
raient mises à terre à l'embouchure du Rio Bravo del
Norte.
La marche du général L'Hériiler sur Durango étant com-
binée avec ces mouvements, il ne resterait à Juarez d'autre
alternative que de passer la frontière ou de s'enfoncer dans
les solitudes du nord-ouest.
Occupation Parti de Zacatecas le 22 juin, le général L'Hériiler entra
de Durango , , . -,1 , tn ' • . ' i ' • .
(4 juillet). le 4 juillet, a Durango, sans avon^ trouve de résistance sur
sa route. La population de cette grande ville accueillit les
troupes françaises avec beaucoup de sympathie. Les habi-
tants les plus considérables acceptèrent les fonctions pu-
bliques. Une adresse de reconnaissance à l'empereur Napo-
léon se couvrit de signatures; un riche propriétaire,
M. Florès, Ht don, par acte régulier, à l'armée française,
d'un territoire de 50 lieues carrées aux environs de Mapimi,
pour l'établissement de colonies militaires ; nulle part
l'intervention ne fut mieux accueillie. Ni Ortega, ni Patoni
n'avaient cherché à s'opposer au mouvement du général
LE TtÉNÉRAL BAZAINE. 413
L'Hériller. Le premier avait rejoint Juarez avec sa division, '864.
le second se trouvait à Chihuahua où il organisait les con-
tingents de cette province. Surpris, disait-on, par la rapi-
dité de la marche des colonnes françaises, il n'avait pas eu
le temps'de revenir.
Quelques jours après l'occupation de Durango , le gé-
néral L'Hériller, ayant appris que l'artillerie, qui avait
évacué la ville à son approche, se trouvait arrêtée par les
mauvais chemins à quelques lieues vers le nord, envoya
des troupes à sa poursuite ; une colonne légère s'avança
jusqu'à San Juan del Piio, mais sans pouvoir l'atteindre, et
dut se contenter de battre l'arrière-garde ennemie.
Une fraction importante des forces de Patoni, sous les
ordres de Gorona, s'était détachée de sa division ; ce chef
commença dans l'Etat de Durango, et plus tard continua,
dans celui de Sinaloa, une guerre de partisans plus gênante
que redoutable, mais qui harassait les troupes et les for-
çait à multiplier les colonnes mobiles. Le 19 juillet, deux
compagnies du 2' zouaves (capitaine Hurtel), surprit le
camp de Gorona, à Juana-Guerra, après une course de
quatre kilomètres au pas gymnastique. Elles lui enlevèrent
une trentaine de prisonniers, ses bagages, soixante che-
vaux, et tuèrent quarante-cinq hommes. Nous ne tarde-
rons pas cependant à retrouver Gorona, maître des passages
de la Sierra et paralysant tous les efforts de pacification
tentés dans le Sinaloa et l'ouest de l'Etat de Durango.
Pendant que le général L'Hériller opérait sur Durango,
le général de Gastagny faisait préparer le mouvement au
nord de San Luis. Un poste français, ayant pris possession
de Vanegas à soixante lieues de San Luis, on dirigea sur ce
point les approvisionnements de vivres et de munitions né-
416 II" PARTIE. CHAPITRE II.
1864. cessaires pour les opérations ultérieures. Le 29 juillet, le
général de Castagny quitta San Luis à la tête d'une colonne
de 3,500 hommes ; le 9 août, il était à Vanegas. Le succès
de l'opération dépendait en grande partie de la rapidité
avec laquelle elle serait conduite. Il importait, en effet,
d'arriver, sur chaque lieu d'étape, assez à temps pour empê-
cher l'ennemi de détruire, avant de se retirer, les réservoirs
dans lesquels sont conservées les seules eaux du pays.
La cavalerie de la division, soutenue par un bataillon de
chasseurs, ayant été rapidement poussée en avant, réussit
à empêcher la destruction complète des digues, et, le 16
août, après avoir battu un parti de deux cents cavaliers,
elle atteignit l'hacienda d'Agua-Nueva , située à huit heues
seulement de Saltillo ; des sources existant sur ce point,
la marche des convois était dès lors assurée.
A peu de distance au delà, se trouve le défdé de l'An-
gostura, forte position, célèbre par le combat que les Amé-
ricains y livrèrent en 1846. L'ennemi avait élevé quelques
ouvrages de fortification et paraissait disposé à disputer
le passage, mais inquiété sur ses derrières par un corps
de huit cents hommes commandés par Quiroja, lieutenant
de Vidaurri, il se décida, au dernier moment, à se retirer
en abandonnant huit pièces d'artillerie et une centaine
de caisses de munitions.
On se rappelle que Vidaurri, gouverneur des Etats de
Nuevo-Leon et de Coahuila , avait cherché à résister à
Juarez .. mais que, forcé de lui céder la place, il s'était
réfugié sur la rive gauche du Rio Bravo. Les confédérés
l'accueillirent bien, et lui fournirent les moyens de réor-
ganiser une petite troupe, dont ils facililèrent le passage
sur l'autre rive du fleuve. Ce sont ces partisans, com-
mandés par Quiroja, qui menaçaient h revers les positions
Monlerey
(20 et 26 août).
LE GÉNÉRAL BAZAINE, 417
des libéraux à l'Angoslura. Ils occupèrent Monterey, le 13 <864
août, au moment même où l'avant-garde française arrivait
à Agua-Nueva. Toutefois, la conduite de Quiroja était aussi
ambiguë que l'avait toujours été celle de Vidaurri ;^ il se
défendait d'être l'allié des Français et annonçait avec jac-
tance qu'il saurait bien les arrêter et conserver au Nuevo^
Léon son indépendance (^).
Juarez fit passer sa famille aux Etats-Unis; il prit lui-
même la route de Parras pour rallier Patoni et se rendre à
Ghihuahua.
Le 20 août, le général de Gastagny occupa Saltillo dont ^^^3;;^';;^",,^
la population se montra plutôt craintive que mal disposée ;
il fallut cependant employer des mesures de rigueur pour
faire accepter aux notables des fonctions administratives.
Une colonne légère, commandée par le général Aymard,
poursuivit Juarez sur la route de Parras ; les autres troupes
se dirigèrent sur Monterey, où elles entrèrent sans coup
férir, le 26 août. Quiroja en était parti la veille , non sans
avoir fait protester, près du général de Gastagny, de ses
dispQsitions favorables à l'empire et à l'intervention. On
trouva dans Monterey 55 pièces de divers calibres, 150,000
cartouches, et 15,000 projectiles, ce qui donne la mesure
des ressources dont Juarez disposait encore.
Arrivé à Monterey, le général de Gastagny se vit forcé,
avant de poursuivre ses opérations, d'attendre que la divi-
sion Mejia, qui marchait sur sa droite, fût à sa hauteur.
Gette colonne ayant trouvé de grandes difficultés dans
sa marche, était encore très en arrière, et ce retard para-
lysait le mouvement des troupes françaises; la saison
des pluies , époque la plus favorable pour la traversée
(') Journal fie Monterey. —Le rnarwlial au ministre, 29 août,
27
>I864.
418 II' PARTIE. CHAPITRE II.
des plaines de l'Etat de San Luis , gônaii au contraire
les opérations militaires dans les montagnes du Tamau-
lipas ; en quelques heures, les torrents grossis devenaient
parfois des rivières de deux cents mètres de large et oppo-
saient au passage des troupes des obstacles presque infran-
chissables. Les bagages ne pouvaient suivre les colonnes
à travers les chemins fangeux ; les soldats, exposés à mille
privations, mouillés toute la journée, épuisés de fatigue,
succombaient en grand nombre, et ces souffrances étaient
encore augmentées par l'insuffisance de l'organisation ad-
ministrative des troupes mexicaines qui n'avaient ni les
transports, ni les ambulances, ni les réserves de vivres
sans lesquelles une colonne française n'entrait jamais en
campagne. Partie de Tula de Tamaulipas le 5 août, la
division Mejia avait dû suivre des sentiers à peine tracés,
bordés de précipices ; assez heureuse encore pour ne pas
rencontrer l'ennemi, elle était arrivée à Vittoriale 14 août;
trente-huit hommes et quarante-cinq animaux étaient morts
de misère dans cette marche de neuf jours. 11 fallut s'arrê-
ter pour reposer les troupes, et le 26 août seulement, c'est-
à-dire le jour même où le général de Gastagny entrait à
Monterey, le général Mejia poursuivit son mouvement en
avant. Il arriva le 8 septembre à Gadeyreita dans un état
déplorable. Les bagages étaient restés embourbés sur les
routes, les hommes étaient exténués, et c'est à peine si, des
débris de sa division , il put tirer l'effectif d'une petite
colonne légère avec laquelle il se dirigea sur Matamoros.
Les lenteurs de la marche du général Mejia avaient été
des plus préjudiciables à l'ensemble des opérations. Le
général de Gastagny, craignant de le laisser trop en l'air,
était resté à Monterey pour l'attendre et l'appuyer au be-
soin ; il avait même jugé nécessaire de faire rétrograder le
LE GÉNÉRAL BAZALNE. 419
général Aymard, qui s'éiait avancé jusqu'à Parras à la -1864.
poursuite de Juarez. Toutefois le mouvement de cette der-
nière brigade n'avait pas été entièrement stérile; car,
serrés de trop près, plusieurs corps ennemis se jetèrent
dans les solitudes du Bolson de Mapimi, où les soldats se
mutinèrent et se débandèrent ; quarante officiers se pré-
sentèrent à Parras ; les déserteurs couvraient les routes, et
les coureurs de Quiroja enlevèrent trois cents hommes et
soixante voitures. Il était regrettable qu'au lieu de conti-
nuer son mouvement vers l'ouest, la brigade Aymard eût
rétrogradé vers Saltillo. Le Puo de Nazas débordé coupait
à l'ennemi la route de Chihuahua, et si un mouvement
avait été combiné entre le général Aymard et des colonnes
envoyées de Durango, il eût été possible de détruire com-
plètement l'armée libérale et peut-être d'enlever Juarez
lui-même.
Bien que le général L'Hériller, commandant à Durango,
ne disposât que de peu de troupes, il s'éclairait cependant
à d'assez grandes distances en faisant parcourir le pays par
des colonnes mobiles. L'une d'elles, commandée par le
colonel Martin et forte de cinq compagnies du 2' zouaves,
deux pelotons de cavalerie et une section d'artillerie, s'était
avancée jusqu'à l'hacienda de la Zarca au delà du Rio de
Nazas (^7 août) ; elle avait ramassé un matériel considérable
et tenait facilement en respect Patoni, dont les troupes ,
réduites par la désertion, ne s'élevaient plus qu'à sept ou
huit cents hommes ; mais, lorsque Juarez arriva de l'est
avec les corps réunis de Negrete et d'Ortega, le colonel
Martin craignit de se trouver trop isolé et se replia sur
San Juan del Piio (10 septembre). L'ennemi, enhardi
par le faible effectif des troupes qui gardaient Durango
et les communications en arrière, avait formé le projet
420 11^ PARTIE. CHAPITRE II.
'iSG'i. (l'enlever Durango aux Français et de rétablir d'un seul
coup son prestige détruit par des échecs continuels. On
estimait à cinq mille hommes les forces que Juarez pou-
vait encore concentrer ; outre le détachement du colonel
Martin, le général L'Hériller n'avait à Durango, pour
faire face à l'orage, qu'un bataillon de chasseurs à pied,
deux compagnies du 99' de ligne, et deux pelotons de
cavalerie. Trois compagnies étaient à Sombrerete ; quatre
compagnies et cinq cents cavaliers auxiliaires à Fresnillo.
Averti de la gravité de la situation, le maréchal ordonna
aux garnisons de Zacatecas , d'Aguascalientes et de Léon
de faire un mouvement vers le nord ; il arrêta le 99*^, qui
rétrogradait sur Mexico, et dirigea rapidement , de San
Luis sur Zacatecas, une colonne de renfort primitivement
destinée au général de Castagny. Mais les distances à
franchir étaient trop considérables pour permettre à ces
troupes d'arriver en temps utile ; seule, la brigade Aymard
aurait pu prêter un secours efficace au général L'Hé-
riller, si elle avait prolongé son mouvement au delà de
Parras.
Le 10 septembre, les têtes de colonne ennemiesét aient
signalées simultanément : Paloni à Guencamé ; Negrete et
Juarez à La Noria ; Carbajal àYerbaniz.Le général L'Hériller
donna l'ordre à tous les détachements militaires mexicains
de sortir de leurs postes pour éclairer le pays. Le colonel
Martin, laissant une petite garnison à San Juan del Rio, se
porta sur Santa Lucia, de manière à observer San Juan tout
en couvrant Durango. Dans la nuit du 15 au 16 septembre,
une reconnaissance, sortie de Fresnillo sous les ordres
du capitaine Hurtel, surprit Carbajal, qui était venu lever
une contribution il l'hacienda de Juan Ferez, et le rejeta
sur Yerbaniz; enfin, un autre détachement d'une compa-
LE GÉNÉRAL BAZAIIVE. 421
gnie de chasseurs et de deux pelotons de cavalerie, corn- i864.
mandé par le capitaine Marqué et venant de Durango, re-
connut, le 16 septembre, la présence à Tapona d'un corps
de 3,000 hommes ayant 26 canons. L'ennemi paraissait
descendre vers le sud par Mesquital et Nieves de façon à se
porter soit sur Sombrerete, soit sur Fresnillo ; le colonel
Martin résolut de l'attaquer pendant cette marche de flanc.
Le 18, il atteignit Porfias, le 20, Saucillo, le 21 , il prit la di-
rection de l'hacienda de la Estanzuela située à douze lieues
de Saucillo. A trois lieues de l'hacienda, il fut prévenu, par
des bergers, que l'ennemi se dirigeait également sur ce
point; une vedette, enlevée un peu plus loin, lui apprit que
la cavalerie s'y trouvait déjà et que l'infanterie et l'artillerie
avaient pris position plus en arrière. Le colonel Martin, qui
avait été rallié par le détachement du capitaine Marqué,
disposait alors de six compagnies d'infanterie, un esca-
dron de chasseurs, deux obusiers de montagne, et un
escadron mexicain, ensemble cinq cent trente Français et
quatre-vingts Mexicains.
L'escadron de chasseurs formant l'avant-garde fouilla les combot
abords de l'hacienda ; après un court engagement, les cerro deVijoma
avant-postes ennemis se replièrent, mais avec un aplomb (2< septembre).
inaccoutumé, d'où l'on conclut qu'ils se sentaient fortement
soutenus. Le colonel Martin prit ses dispositions d'attaque;
il massa son convoi derrière les bâtiments de l'hacienda,
plaça les m.uletiers aux créneaux des terrasses, et, lais-
sant la compagnie de chasseurs comme réserve, il marcha
sur l'ennemi, une compagnie en avant pour soutenir la
cavalerie, les quatre autres compagnies déployées, l'artille-
rie au centre.
En sortant de la Estanzuela, la route de San Miguel Mes-
quital s'infléchit à droite et s'élève sur un petit plateau ;
422 II* PARTIE. CHAPITRE II.
-1861. à trois kilomètres environ, elle passe au pied du Gerro de
Majoma dont le relief est de trente mètres. C'était derrière
ce mouvement de terrain que le général Ortega, dissimu-
lant des forces assez considérables, avait rangé son corps
d'armée en bataille. Le colonel Martin croyait d'abord
n'avoir devant lui qu'une division de quinze cents hommes;
il ne tarda pas à reconnaître l'énorme supériorité numé-
rique de ses adversaires, mais il était trop avancé pour
pouvoir hésiter. Il allait lancer sa poignée de cinq cent
trente Français contre plus de quatre mille Mexicains ,
appuyés par vingt pièces de canon. C'étaient les divisions
Alcade (ancienne division Negrete), Patoni et Ortega, for-
mant trois mille cinq cents hommes d'infanterie, et la cava-
lerie de Carbajal, forte de sept cents chevaux W. Patoni était
à l'extrême droite, Alcade au centre, Ortega à gauche, une
partie de l'artillerie près de la route de San Miguel-Mes-
quital, l'autre partie en batterie sur le Cerro de Majoma.
Le colonel Martin dirigea l'effort de ses soldats sur le ver-
sant nord de la hauteur, dont l'escalade était favorisée par
les arbustes qui la couvraient. Aussitôt l'artillerie ennemie
ouvrit le feu, et l'un des premiers boulets vint le frapper
mortellement. Le chef de bataillon Japy du 2*^ zouaves,
ayant pris le commandement, ordonna l'assaut.
Quatre officiers et un grand nombre d'hommes tom-
bent bientôt grièvement blessés ; les zouaves , dont la
disproportion du nombre exalte l'ardeur, gravissent les
pentes du Cerro, abordent résolument et enlèvent à la
baïonnette une batterie de huit pièces qui, placée à mi-côte,
balayait le plateau. Ils couronnent ensuite la hauteur,
refoulent les bataillons ennemis sur le versant opposé, et
(') Ces chiffres résullenl d'une siluatio» trouvée sur le corps d'un ollicier
mexicain tué dans le coinbal.
LK GÉNÉRAL BAZALXE. 423
restent maîtres de trois autres canons. Tant d'audace dé- -1864
concerte l'ennemi ; mais Ortega ramène franchement ses
bataillons à la charge. Il ne leur demande que « dix mi-
nutes d'énergie » et les pièces vont être reprises. Les
zouaves se serrent pour résister au choc. Le commandant
Japy engage alors sa dernière réserve ; l'escadron de chas-
seurs fournit une charge à fond sur les masses ennemies,
les culbute sans retour et dégage les zouaves, tandis que,
les chasseurs à pied, accourant au pas de course, se jettent
sur la batterie de neuf pièces en position sur la route de
Mesquital, et s'en rendent maîtres ; ils la retournent contre
l'ennemi et chargeant eux-même les canons, ils précipitent
sa retraite par l'efficacité de leur tir. L'artillerie du Gerro est
également retournée contre les Mexicains; leur déroute est
complète. L'obscurité de la nuit et l'extrême fatigue des
troupes qui, avant de combattre, avaient fait une étape
de douze lieues, mirent fm au combat. Les cadavres cou-
vraient les pentes du Gerro de Majoma ; on ne recueillit que
vingt etun blessés de l'ennemi. Toute l'artillerie, c'est-à-dire
vingt pièces, une grande quantité d'armes, lo2 prisonniers
furent les trophées de cette journée ; deux généraux mexi-
cains étaient tués ; deux autres grièvement blessés furent
transportés à Mesquital. La colonne française comptait un
officier et vingt hommes tués, quatre officiers et quarante-
six hommes blessés. Les moyens dont disposait le comman-
dant Japy ne lui permettant pas de poursuivre l'ennemi,
il rétrograda sur Durango, où il rentra le 26 septembre
au milieu de l'allégresse générale. Si, dans ce moment, la
division de Gastagny avait pu déboucher de Parras, c'en
était fait de l'armée libérale. Juarez, qui attendait à Nazas
le résultat de ces opérations, se retira avec Negrete et une
petite escorte de deux cents cavaliers, et se réfugia à Chi-
424 11^ PARTIE. CIIAl'lTl'.E II.
^864. huahua, où il fut d'ailleurs chaleureusement accueilli.
Patoni , accompagné de quelques officiers, mais sans un
soldat, se rendit à Nazas, d'où il gagna également Ghihua-
hua. Carbajal conserva deux cents cavaliers ; l'infanterie
se révolta et un grand nombre de déserteurs se rendirent
aux avant-postes français. Les reconnaissances envoyées
aux environs de la Estanzuela ne trouvèrent plus un
seul groupe ennemi ; elles ramassèrent encore une grande
quantité de matériel et sept pièces de canon.
Le combat du Gerro de Majoma termina brillamment la
campagne; cependant le résultat ne fut pas décisif, puisque
Juarez restait sur le territoire mexicain, et que, loin de se
décourager, il avait simplement transporté de Monterey à
Ghihuahua le siège de son gouvernement.
Opérations L'Etat dc Duraugo se trouvait dès lors soumis en entier
lie l'escadre à ^ . . . "^ i nr •
l'embouchure du à l'autorité impériale. Au nord-est du Mexique, les opéra-
Rio Bravo dcl . , • , , , t • • nr •• i i , mi
Norie. tions combinecs de la division Mejia, de la contre-gueriila
et de l'escadre avaient également fait reconnaître l'empire
dans les provinces de Nuevo-Leon et de Tamaulipas.
Dès le mois d'août, l'amiral Bosse, commandant l'escadre
du golfe, avait envoyé, à l'embouchure du Pdo Bravo, le
Darien, le Colbert et la Drôme; il s'y était ensuite rendu
lui-même avec la Belloîie, et, le 22 août, 400 marins de dé-
barquement, commandés par M. le capitaine de vaisseau
Véron, avaient pris possession de la petite ville de Bagdad
située sur la côte, près du tleuve. A cette époque, Mata-
moros était au pouvoir de Gortina, qui l'occupait avec 400
fantassins, 500 cavaliers et 12 pièces de canon.
L'amiral ne disposait pas de moyens suffisants pour s'em-
parer de la ville; n'ayant aucune nouvelle de la contre-gué-
rilla, ni du général Mcjia, il se contenta de bloquer l'embou-
LE GÉNÉRAL BAZAIAE. 42o
chure du fleuve et de le faire remonter par quelques embar- ^^^•
cations qui tiraillaient avec les postes ennemis embusqués
sur les rives. Le voisinage des forces américaines fédérales
et confédérées, qui se disputaient la possession du fort
Brownsville, situé en face de Matamoros sur la rive gauche,
rendait en outre fort délicate la position des détachements
français. Trois cents cavaliers confédérés étaient maîtres du
fort ; neuf cents fédéraux, parmi lesquels deux cents soldats
noirs, étaient campés à peu de distance dans une île voi-
sine de Tres-Brazos. Les chefs de f une et de l'autre force
envoyèrent complimenter l'amiral ; les confédérés, comp-
tant plus particuHèrement sur sa sympathie, firent tous
leurs efforts pour l'amener à leur prêter quelques secours,
et s'offrirent eux-mêmes à l'aider s'il voulait attaquer Ma-
tamores ; en revanche, les fédéraux avaient déjà recherché
Talliance de Cortina, et ils n'étaient pas éloignés de le favo-
riser dans ses entreprises contre les Français, tout en
prétendant respecter la neutralité.
Le 6 septembre, Cortina vint déployer ses forces devant
Bagdad et fit un simulacre d'attaque ; mais cette démons-
tration n'avait d'autre but que de dissimuler le passage
sur la rive opposée de 400 de ses hommes, qui allèrent
soutenir les fédéraux dans une attaque contre les confé-
dérés.
L'amiral ayant protesté près du colonel Day, comman-
dant des troupes fédérales, en lui demandant l'interne-
ment des gens de Cortina, cet officier répondit, avec une
mauvaise foi évidente, qu'il n'avait encore reçu aucun avis
officiel de l'arrivée des Mexicains dans ses lignes et qu'il
s'efforcerait du reste de les empêcher de repasser la fron-
tière. Il vint lui-même à Bagdad le iO septembre, et promit
que Cortina ne tarderait pas à faire des ouvertures de con-
426 II® PARTIE. CHAPITRE II.
1864- ciliation. La nuit suivante, Gortina repassa cependant sur
la rive droite, et revint à Matamores pour en chasser Ca-
nales, son lieutenant, qui avait profité de son absence"
pour faire un pronunciamiento contre lui. Les chefs amé-
ricains étaient très-intéressés dans les débats personnels
entre Gortina et Ganales; ni les fédéraux, ni les confédérés
n'avaient d'artillerie ; celle qui se trouvait à Matamoros
était l'objet de leurs convoitises. Les confédérés entrèrent
à ce sujet en pourparlers avec Ganales, tandis que les fédé-
raux, s'étant concertés avec Gortina, proposaient de sa part
à l'amiral une suspension d'hostilités à condition que ses
troupes seraient libres de passer au camp fédéral avec leur
matériel et leur artillerie. Au même moment, le colonel fédé-
ral faisait secrètement embarquer sur un bâtiment américain
deux des pièces mexicaines. Gependant. peu de temps après,
une embarcation française, portant pavillon parlementaire,
était accueillie à coups de canon par la garnison de Ma-
tamoros, et forcée de rétrograder après s'être trouvée dans
une position critique. L'amiral n'avait aucun moyen de
venger cette insulte, mais il reçut enfin des nouvelles du
général Mejia, qui lui annonçait son arrivée prochaine.
Occupation Matamoros fut en effet occupé sans coup férir, le 26 sen-
ne Matamoros ^ i ^ x
(26 septembic). tcmbrc, par les troupes impériales. Ne sachant plus que
devenir, ne pouvant redescendre vers San Fernando, où il
aurait rencontré la contre-guérilla, n'ayant plus la possibi-
lité de déjouer la surveillance de la marine pour passer au
camp fédéral, Gortina, afin de gagner du temps, avait pris
le parti d'offrir sa soumission pure et simple, et de livrer
les quinze pièces qui armaient encore Matamoros ; quant à
\ Ganales, il passa avec deux cents hommes à Brownsville
où il fut bien accueilli par les confédérés.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 427
Le général Mejia envoya un détachement relever le -iscï.
poste français de Bagdad; l'escadre laissa un bâtiment à
l'embouchure du Piio Bravo et revint à Vera-Gruz.
La contre-guérilla avait également coopéi'é aux opéra-
tions dans le Tamaulipas. Le 12 août, le colonel Dupin,
avec cinq cents hommes, était parti de Tampico, où ne de-
vait rester qu'une petite garnison; mais avant son départ,
fidèle au système de terrorisme par lequel il jugeait néces-
saire de dominer le pays, il fit pendre aux réverbères de la
place principale quatre guérilleros récemment arrêtés. Il
se rendit d'abord à Vittoria, où était encore la division
Mejia; le 12 septembre, après avoir reçu la soumission
du général La Garza, gouverneur du Tamaulipas, et avoir
organisé les administrations, il continua son mouve-
ment ; comme à Tampico, il ne quitta pas la ville sans
laisser des exemples de sa justice sommaire; trois hommes
furent pendus sur la place. Très-gênée par les pluies tor-
rentielles de la saison , la contre-guérilla franchit péni-
blement les trente heues qui séparent Vittoria de Soto la
Marina; le débordement des rivières la retint sur ce
point, du 15 au 23 septembre. Le 29, elle occupa San
Fernando de Presas, quartier ordinaire des bandes de
Cortina, où elle trouva d'importants approvisionnements;
sept pièces d'artillerie furent découvertes soit dans la ville,
soit dans les environs où elles étaient embourbées. Ayant
appris l'occupation de Matamores, le colonel Dupin laissa,
pour garder San Fernando, un bataillon mexicain mis à
sa disposition par le général Mejia, et rétrograda sur Vit-
toria ; nulle part il n'avait rencontré l'ennemi et l'on pouvait
croire le Tamaulipas pacifié ; mais en réalité les guérillas
s'étaient simplement dispersées en attendant le retour de la
belle saison.
428 11^ PARTIE. CHAPITRE II.
4864. Il est incontestable cependant que la cause de l'empire
avait fait d'importants progrès. Yidaurri et Quiroja s'étaient
enfin décidés à faire leur soumission. Yidaurri fut nommé
conseiller d'Etat par l'empereur Maximilien. Beaucoup
d'autres chefs moins importants avaient également offert de
déposer les armes. L'armée de Juarez était presque entière-
ment anéantie. Dans cette dernière campagne, on lui avait
enlevé 118 pièces d'artillerie, vingt mille projectiles, un
million de cartouches ; ses moyens de guerre ne pouvaient
être reconstitués de longtemps.
Le maréchal confia la garde des Etats de Nuevo Léon et
de Coahuila et du district de Matamores à la division Mejia ;
le colonel Dupin fut nommé gouverneur du Tamaulipas ;
quant au général de Castagny, il reçut l'ordre de transpor-
ter son quartier général à Durango, pour relever la brigade
l'Hériller qui devait prochainement rentrer en France.
Des résultats satisfaisants furent également obtenus dans
les provinces centrales de Guanajuato et de Zacatecas, soit
par la dispersion des bandes , soit par la soumission de
leurs chefs.
Opérations Daus le sud-oucst, restait encore un groupe important de
jaiisco. forces libérales provenant du corps d'armée d'Uraga. Avant
l'arrivée de l'empereur , des pourparlers avaient été enta-
més avec le général Uraga ; il ne partageait pas les préven-
tions de la plupart de ses compatriotes contre l'étranger ,
et croyait que l'influence des idées européennes pouvait
être utile à son pays ; au début de l'expédition il avait don-
né, comme on le sait, des preuves nombreuses de sympathie
pour la France. Cependant, au mois de mars 1864, les gé-
néraux et les officiers de sa division signèrent une protes-
tation formelle contre la monarchie ; une copie de ce
LE GÉNÉRAL BAZAINE'. 429
manifeste, conçu d'ailleurs en termes modérés, respectueux i864
même pour le nom de l'empereur Maximilien, avait été en-
voyée au commandant en chef par le général Uraga. En lui
exprimant d'une manière fort courtoise son attachement aux
principes républicains, il ajoutait que sa conviction sincère
était que « la monarchie perdrait le Mexique et coûterait cher
à laFrancei^) », et qu'il désirait sincèrement voir l'ordre, la
paix et la tranquillité rétablis par des moyens de concilia-
tion en dehors de l'idée monarchique ; après l'arrivée de
l'empereur Maximilien, lorsque l'empire eut obtenu l'au-
torité du fait accomph, se voyant dans l'impossibilité de
tenir la campagne d'une façon honorable, répugnant à
rester à côté d'hommes tels que Rojas, Guttierrez et
quelques autres dont les actes déshonoraient la cause
républicaine, le général Uraga écrivit qu'il adhérait à
l'empire et prévint le général Marquez qu'il traverserait
ses lignes, pour se rendre à Léon, avec une escorte d'une
centaine de cavaliers ; il vit l'empereur lors de son voyage
dans l'intérieur, et, comme Vidaurri, il accepta un siège
au conseil d'Etat. Cinq généraux et plusieurs officiers
suivirent son exemple ; quelques-uns cherchèrent à re-
joindre Juarez et furent arrêtés en route par les gué-
rillas impérialistes ; d'autres enfin restèrent à la tête des
troupes qui se fractionnèrent en deux groupes princi-
paux, l'un sous les ordres d'Arteaga, l'autre sous ceux
d'Etchegaray. Resserrés dans un espace étroit entre les
montagnes duMichoacan, Guadalajara et la mer, ces chefs
comprenaient l'inutilité de leur résistance : aussi es-
sayèrent-ils toujours, sans jamais y réussir, de percer la
ligne des postes français pour gagner les provinces du
(') Le général Uniga au général Bazaine, 16 avril l8iM.
430 II*" PARTIE. — CHAPITRE II.
4864. nord où Jiiarez avait transporté la guerre. Un corps de
quatre bataillons, qui tentait de s'ouvrir une issue du côté
de Cocula, fut complètement battu au Chifflon par le colo-
nel Clinchant, commandant la ligne des avant-postes de
Guadalajara, et perdit environ deux cents hommes, six
canons, de nombreux prisonniers (9 août). Ces troupes
furent donc forcées de rester dans leurs anciennes positions
au sud de Zapotlan ; dès que la saison des pluies fut passée,
le maréchal prescrivit au général Douay de concerter
une expédition avec le général Marquez, afin de prendre
possession de Colima et du port de Manzanillo.
Lg 15 octobre, le général Douay partit de Guadalajara,
marchant directement au sud ; sur sa droite des corps
mexicains devaient observer le pays jusqu'à la mer, tandis
que le général Marquez , étabh à Zamora avec quinze
cents fantassins, trois cents cavaliers et quelques pièces
d'artillerie, couvrirait sa gauche et s'avancerait par la route
de los Reyes. Cette dernière colonne le rejoignit, le 26
octobre, à Zapotitlic, non loin des volcans de Colima (^).
D'énormes barrancas prennent naissance dans ces mon-
tagnes ; les plus importantes, celles d'Atenquique et de
Beltran, ont près de dix-sept cents mètres de profondeur.
Aucune voiture ne peut les traverser; les chemins étroits
et rapides tracés sur leurs versants ne sont praticables
qu'aux bêtes de somme. Les Mexicains s'étaient étabKs en
arrière de ces immenses tranchées dont leur artillerie
balayait facilement le bord opposé. Il eût été imprudent
d'aborder ces obstacles de front : aussi le général Douay,
laissant une partie de sa colonne devant les barrancas pour
(') Lo volcan de Colima est à 3,800 miHres au-dessus du niveau de la mer;
le Nevado, munlagne couverte de neiges perpétuelles, est ù 4,300 mètres.
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 431
occuper et surveiller l'adversaire, traversa le Rio Coahua- isei.
nejo dans lequel les barrancas viennent déboucher et,
faisant un grand détour sur sa gauche, il suivit un chemin
de montagne par lequel il pouvait, d'après les circons-
tances, soit prendre la position à revers, soit marcher
directement sur Colima.
Dès que l'ennemi eut connaissance de ce mouvement, il Occupation
de Colima
se relira précipitamment, détruisit son matériel, culbuta (o novembre),
dans les ravins ses douze pièces de grosse artillerie, et
s'échappa par le sentier de Javali qui contourne le volcan
au sud-ouest. La route était donc ouverte ; le 5 novembre,
le général Douay se rendit à Colima, où le général Marquez
était entré déjà depuis trois jours. Il y laissa les troupes
mexicaines alliées, et rétrograda aussitôt pour se mettre à
la poursuite de l'ennemi. Trois colonnes convergèrent sur
Autlan ; les Mexicains, sous les ordres du général Arteaga,
marchant avec une extrême rapidité, n'avaient fait que
traverser cette ville; ils s'étaient ensuite concentrés àTeco-
lotlan, et, le 15 novembre, on apprit inopinément à Gua-
dalajara qu'ils avaient coupé la ligne d'avant-postes entre
Cocula et Ameca, et qu'ils se dirigeaient à marches forcées
vers l'est. Déjà les postes franco-mexicains de cette région
avaient été plusieurs fois attaqués par les bandes de Rojas
et de Guttierrez, qui disposaient alors de huit cents hommes
et de deux pièces d'artillerie. Le général Rivas s'était
même trouvé très-compromis à Ameca, et n'avait été
dégagé que par l'arrivée très-opportune de la compagnie
de partisans du capitaine Berthelin, qui tua une centaine
d'hommes à l'ennemi et lui enleva cinquante prisonniers
et un canon (7 novembre).
Inquiet pour les troupes disséminées dans la plaine, le
général Neigre, commandant à Guadalajara, leur donna
432 II' PARTIE. CHAPITRE II.
<864; l'ordre de se replier sur Santa Ana Acallan, et envoya pom-
les soutenir une colonne sous les ordres du lieutenant-
colonel Lepage ; mais un détachement de quatre-vingts
hommes, s'étant mal éclairé, fut enlevé dans la nuit du J6
au 47. La compagnie qui occupait le poste de Santa Ana,
dissimulant son petit nombre à la faveur de l'obscurité,
harcelait au contraire les Mexicains, cherchait à entra-
ver leur marche , mettait une quarantaine d'hommes hors
de combat, et portait le désordre dans leurs rangs.
Le lieutenant-colonel Lepage suivit l'ennemi qui lon-
geait le bord sud du lac de Chapala ; mais comme il n'a-
vait que trois cents hommes, il ralentit sa marche de
manière à attendre que d'autres colonnes envoyées par le
général Douay fussent à sa hauteur.
De son côté, le maréchal fit rapidement descendre un
fort détachement de Léon sur Jalpa, pour barrer la route
du nord.
Le général Douay , averti du mouvement d'Arteaga ,
dirigea trois détachements sur trois chemins parallèles.
Le lieutenant-colonel Cottat partit de Zapotlan ; le colonel
de Potier se porta de Zacoalco sur Teoquitatlan ; le colonel
Clinchant prit une direction intermédiaire entre le colonel
de Potier et le lieutenant-colonel Lepage. Celui-ci mar-
chait sur la route la plus rapprochée du lac et par consé-
quent de l'ennemi; cependant, le 22 novembre au matin,
il entendit le canon en avant de lui. C'était le colonel Clin-
chant qui, avec deux cent cinquante zouaves, un escadron
de chasseurs et deux pièces de montagne, avait gagné les
Mexicains de vitesse et était déjà aux prises avec eux. Le
21 au soir, après une marche forcée, il était arrivé à une
lieue et demie de Jiquilpan, où se trouvaient campés quatre
mille hommes et vingt pièces de canon.
LE GÉNÉRAL BAZAlNi". 433
Après avoir fait reposer ses hommes, il repartait au mi-
lieu de la nuit, et vers 5 heures du malin, il abordait un petit
plateau au-dessus de Jiquilpan, sur lequel l'ennemi était en
position. Tout d'abord son avant-garde, culbutant les pre-
miers postes à la baïonnette, délivra le détachement fran-
çais fait prisonnier quelques jours avant, puis les zouaves
gravirent la hauteur en poussant l'ennemi devant eux ;
pendant un moment, ils se virent entourés de tous côtés,
mais une charge décisive de l'escadron de chasseurs les
dégagea et assura le succès. Les Mexicains se retirèrent lais-
sant un grand nombre de morts, neuf obusiers de mon-
tagne, et une grande quantité de munitions. Un général et
une vingtaine d'officiers se constituèrent prisonniers. Le
colonel Clinchant, un officier, et quinze zouaves furent
blessés ; un officier et six zouaves, tués.
Le lieutenant-colonel Lepage arriva peu après le combat.
Le colonel de Potier, qui avait élargi son mouvement vers
le sud, se trouvait à Tinguindinle soir même, et son avant-
garde put encore atteindre une partie des forces battues le
matin à Jiquilpan. Le corps d'armée d'Arleaga, se dispersa
dans les montagnes du Michoacan, où il renforça les guérillas
qui tenaient ce pays. D'après les ordres du maréchal, le gé-
néral Douay, au lieu de revenir à Guadalajara, se rendit à
Moreha afin de s'occuper de la pacification de cette province.
Le général Marquez, qui avait pris possession de Man-
zanillo le 18 novembre, ne crut pas devoir y laisser de
garnison permanente ; il répartit sa division entre Colima
et Za.potlan sous les ordres d'un de ses lieutenants ; lui-
même revint à Mexico et fut obligé, ainsi que nous l'avons
dit, de partir pour l'Europe.
Le maréchal regretta qu'on n'eût pas conservé le port de
Manzanillo, car les ordres venus de France lui prescrivant
28
Combat
de Jiquilpan
22 no V. 4864).
Evacuation
(l'Acafiulco
(li-déci'niliiv;.
434 II" PARTIl!). CHAPITRE II.
4864. d'occuper Mazatlan, il dut employer à cette opération les
troupes de la garnison d'Acapulco, et l'escadre allait ainsi
perdre le seul port de relâche qu'elle possédât sur la
côte méridionale du Mexique. Le gouvernement mexi-
cain ne jugeait de l'importance d'Acapulco qu'au point
de vue commercial ; c'était lui, comme on l'a vu précé-
demment, qui avait provoqué les instructions auxquelles
le maréchal devait obéir. Il est vrai que le revenu des
douanes de ce port était à peu près nul, tandis que les nom-
breux navires, qui fréquentaient Mazatlan, y acquittaient
des droits considérables. L'occupation de Mazatlan était
donc utile, mais il eût fallu conserver également Acapulco
où l'escadre trouvait des ravitaillements, du charbon et
d'où elle pouvait se mettre en relations avec la ligne des
paquebots américains.
Bien que ses équipages y fussent décimés par les fièvres,
que la Victoire eût près de cent malades, que la Pallas en
eût deux cents, l'amiral Bouët tenait à l'occupation d'Aca-
pulco comme à une question de première nécessité. Le ca-
pitaine de vaisseau de Kergrist, qui le remplaça par inté-
rim, était du même avis. Le maréchal essaya donc de con-
server cette position en donnant l'ordre au général Vicario,
qui était à Iguala, d'y envoyer un détachement de ses
troupes. Vicario n'obéit qu'à regret ; il lui fallait s^éloigner
de ses propriétés, s'exposer à un climat meurtrier, et affron-
ter les Indiens Pintos du vieil Alvarez, dont le nom seul
inspirait de la terreur aux Mexicains des plateaux. Il descen-
dit cependant vers le sud, mais arrivé à Chilapa, où l'ennemi
était renfermé, il tourna autour de la place pendant plu-
sieurs semaines sans oser l'attaquer, finalement se fit bous-
culer dans une sortie, et se replia en désordre. Tout espoir
de faire arriver des troupes mexicaines à Acapulco, se trou-
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 435
vant perdu, le maréchal expédia l'ordre formel et définitif ^86*-
d'évacuation. Le 14 décembre, les quatre dernières com-
pagnies de tirailleurs, qui restaient dans ce port, furent
embarquées et transportées à Mazatlan, où se trouvait déjà
l'autre fraction du bataillon.
Lorsque s'acheva l'année 1864, l'armée française avait
fait reconnaître l'autorité impériale sur la plus grande
partie de l'immense territoire du Mexique, de nombreuses
adhésions s'étaient manifestées, et cependant l'existence
de l'empire était toujours en question. C'est qu'au-
cune solution n'avait encore été donnée aux graves diffi-
cultés qui divisaient le pays ; même dans les villes les plus
dévouées au nouveau gouvernement, on sentait que les
succès militaires des troupes françaises étaient les seules
bases sur lesquelles reposât l'édifice, et l'on disait partout
que, l'armée française partie, l'empire s'écroulerait. Il res-
tait encore à pacifier le Michoacan, à chasser Juarez de
Chihuahua, à occuper les ports de l'océan Pacifique , et
à se rendre maître de la province d'Oajaca, dans laquelle
Porfirio Diaz commandait à un corps important de troupes
libérales ; ce fut la tâche que le maréchal entreprit avec
l'année nouvelle. L'effectif du corps expéditionnaire s'éle-
vait alors au chiffre de trente mille hommes ; les volon-
taires autrichiens et belges commençaient seulement à
arriver au Mexique, et l'on ne savait quel parti il serait
possible d'en tirer ; du reste, aucune organisation sérieuse
n'avait encore été donnée à l'armée mexicaine. En France,
après avoir espéré que l'avènement de l'empereur Maximi-
lien serait le signal de la rentrée successive des troupes,
on s'alarmait aujourd'hui de voir l'occupation se prolonger.
Le maréchal, désireux de donner quelque satisfaction au
436 II" PARTIE. CHAPIIRE II.
<864. sentiment public, renvoya une brigade entière : le l^"" ba-
taillon de chasseurs , le 99^ de ligne , et le 2« zouaves ,
troupes qui étaient arrivées les premières au Mexique. La
batterie de la garde était déjà partie. L'empereur Maxi-
milien et l'impératrice Charlotte regrettaient cette mesure.
Ils se rendaient assez exactement compte de la situation et
n'étaient pas rassurés pour l'avenir. Dans une lettre dont il
a déjà été donnée des extraits au sujet des questions reli-
gieuses, l'impératrice Charlotte écrivait :
« Le fait capital est que Tarmée diminue et avec elle la force
matérielle du gouvernement. Je crains toujours qu'on ne lâche la
proie pour l'ombre. Certes, le corps législatif parlera en France,
mais il ne s'agit que de discours plus ou moins sonores. Tandis
qu'ici, ce sont des faits qui peuvent compromettre le succès d'une
œuvre que la France a fondée, et qui est destinée à porter le nom
de Napoléon III aux générations futures. Il est fort beau de dire,
comme dans le parlement anglais : Le Mexique est si bien organisé
qu'il n'a besoin du secours de personne. Mais, pour ma part, je
préfère m'en tenir aux réalités.
« Pour civiliser ce pays-ci, il faut en être complètement maître, et
afin d'avoir ses coudées franches, il faut pouvoir tous les jours réa-
liser sa force en gros bataillons; c'est un argument qui ne se dis-
cute pas.
t Toute la force que l'on n'est pas à même de réaliser, telle que
le prestige, l'habileté, la popularité, l'enthousiasme, n'a qu'un prix
conventionnel, ce sont les fonds qui montent et qui baissent il
faut des troupes. Les Autrichiens et les Belges sont très-bons en
temps de calme, mais vienne la tempête, il n'y a que les pantalons
rouges; s'il m'est permis de vous dire toute ma pensée, je crois
qu'il nous sera très-difficile de traverser toutes les premières crises
vitales, si le pays n'est pas plus occupé qu'il ne l'est. Tout est fort
disséminé et il me semble qu'au lieu de rien rappeler, il aurait
peut-être fallu augmenter. Je crains fort que le maréchal ne se
repente de n'avoir pas écrit au mois d'octobre ce que nous lui
LE GÉNÉRAL BAZAINE. 437
avions demandé. Il a craint du mécontentement en France, et a, je -i864,
crois, échangé un petit désagrément contre un plus grand. Ceci ~"
n'est pas mon opinion toute seule que je n'oserais avancer avec au-
tant d'assurance, c'est celle de juges compétents. Ils disent qu'ils
ne sont pas rassurés non point tant à cause de nous, qu'à cause de
Tarmée ; car nous pouvons supporter un accroc, personne ne s'en
étonnerait, mais pas les armes françaises ; nous pouvons au besoin
nous retirer comme Juarez dans une province éloignée, nous pou-
vons retourner d'où nous sommes venus; mais la France ne peut
pas ne pas triompher, parce qu'elle est la France d'abord, et parce
que son honneur est engagé. »
f
('-. .^l..^ l'A|,.Ml,l,i,n .lu M.-.,x,.,„.- IHCl [Mû l'i.m.t...
COMBAT des CUMBRES-
( 26 Avril 186Z )
COMBAT delà BARRANCA-SECA
18 Mai i8t)Z;
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CHAPITRE TROISIÈME.
SOMMAIRE.
Opérations militaires dans la province d'Oajaca. — Siège et prise d'Oajaca (8
février 1865.) — Opérations contre les guérillas de l'Etat d'Oajaca, de la Huas-
teca , des terres chaudes de Vera-Cruz, du Michoacan, de l'Etat de Jalisco. —
Occupation de Mazatlan (13 novembre 1864). — Marche de la di\'ision de
Castagny de Durango à Mazatlan. — Combat de l'Espinazo del Diablo (1" jan-
vier 1863). — Combat de Veranos (11 janvier). — Occupation de Guaymas de
Sonora (29 mars). — Agitation dans les pro\ànces du nord. — Mouvement de
Negrete, de Chihuahua sur Saltillo, Monterey, et Matamoros. — Appréhensions
d'une intervention des Etats-Unis. — Forces militaires à la disposition du ma-
réchal Bazaine. — Mésintelligence entre le gouvernement mexicain et les au-
torités françaises. — Etat des finances. — Emprunts.
Avant la fin de l'année 1864, l'influence française ne Opéraiions
militaires dans
s'était pas encore fait sentir dans les provinces au sud i^ province
d'Oajaca.
de Puebla; les Etats de Guerrero, d'Oajaca, et de Chiapas
n'avaient pas reconnu l'autorité impériale.
Porfirio Diaz, un des meilleurs généraux du parti répu-
blicain, s'était établi à Oajaca, avec un corps de troupes
assez considérable qu'il entretenait facilement à l'aide
des ressources de cette riche province. La présence de
ces forces ennemies à peu de distance de la grand'route
de Vera-Cruz, obligeait le maréchal à conserver des
postes importants sur cette ligne de communication, et
entravait les progrès de la pacification parmi les popula-
440 11^ PARTIE. CHAFITllE 111.
-1864. lions de ces contrées généralement bien disposées pour
l'empire ; mais, avant de s'engager dans une expédition
contre Porfirio Diaz, il désirait attendre que les opérations
entreprises dans le nord eussent été menées à bonne fin,
et qu'il lui fût possible de disposer d'un nombre de troupes
sufïisant pour réduire toute résistance.
Oajaca est situé à cent vingt lieues de Mexico et à quatre-
vingt-dix lieues de Puebla ; il fallait tout d'abord ouvrir
une route carrossable pour le passage des convois. C'est
dans ce but, et aussi avec l'intention d'arrêter les in-
cursions de l'ennemi dans les districts pacifiés de l'état
de Puebla, que le maréchal avait, dès le mois de juillet
1864, prescrit au général Brincourt, commandant supé-
rieur de Puebla, de se porter à Huajuapan à cinquante
lieues au sud de Puebla et d'y établir un poste de deux
bataillons. En même temps, une colonne française devait
s'avancer d'Orizaba sur Teotitlan, une colonne mexicaine
marcher d'Atlixco sur Tlapa, enfin la brigade Vicario
s'efforcerait de descendre de Guernavaca sur Chilapa. Le
maréchal espérait, par ce mouvement combiné, resserrer
Porfirio Diaz dans la province d'Oajaca.
Le général Brincourt se dirigea donc sur Huajuapan
qu'il occupa sans résistance le l^"" août ; le même jour, le
colonel Giraud, parti d'Orizaba, entrait à Teotitlan , au
lieu de s'y arrêter, il poursuivit son mouvement vers San
Juan de los Cueïs en laissant plusieurs petits détache-
ments derrière lui.
Porfirio Diaz se trouvait alors sur la ligne d'Iïuajuapan ;
dérobant sa marche à travers les montagnes, il se porta
vers Teotitlan, et, le 10 août, à la tête de deux mille
hommes, il tomba inopinément sur le village de San An-
tonio où se trouvait une compagnie du 7'' do ligne, tandis
Lli MARÉCHAL BAZAINii. 441
que son frère Félix Diaz (surnommé el Ghato), avec six ^864.
cents fantassins, cent cinquante cavaliers, et trois canons,
attaquait une autre compagnie à l'hacienda d'Ayotla. Les
détachements français, commandés par d'énergiques offi-
ciers, résistèrent vigoureusement, cependant ils eussent
succombé sous la supériorité du nombre, sans la prompte
arrivée de quelques renforts. L'ennemi subit des pertes
sensibles ; les troupes françaises eurent cinq morts et une
trentaine de blessés. Dix cavaliers mexicains alliés se firent
bravement tuer à côté d'elles.
Le colonel Giraud, revenu à Teotitlan, se préparait à
rétrograder sur Orizaba ; ayant appris que Porfirio Diaz mé-
ditait une nouvelle attaque, il arrêta son mouvement; le
17 août, le général Brincourt rejoignit le colonel Giraud, et
ne pouvant résister au désir de poursuivre l'ennemi, bien
que le maréchal ne l'y eût pas autorisé, il poussa jusqu'à
Nochistlan situé à trente-cinq lieues de Tehuacan et à
vingt lieues environ d'Oajaca. Il se croyait même assez
fort pour enlever cette ville, mais il fut, contre son gré,
forcé de céder aux injonctions formelles du comman-
dant en chef. Le maréchal Bazaine s'opposait à cette
expédition parce qu'il n'avait que fort peu de monde
sous la main, et qu'il lui aurait été impossible de soute-
nir le général Brincourt, en cas d'insuccès ; de plus il
était nécessaire de renforcer les colonnes engagées dans
le nord ; le mouvement vers Oajaca fut donc arrêté, une
garnison fut laissée à Yanhuitlan dans une excellente po-
sition militaire ; les autres troupes rétrogradèrent. On
continua de faire activement travailler aux routes; des
corvées d'Indiens y furent employées sous la direction des
ofticiers français pendant les mois de septembre, d'octobre,
et de novembre 1864 ; comme le temps manquait pour
442 II* PARTIE. CHAPITRE III.
4864. des études nouvelles sur le terrain, on se contenta d'élar-
gir le chemin muletier et d'en adoucir les pentes les plus
roides ; la tâche était déjà des plus difficiles ; il y avait
d'énormes crevasses à franchir, et souvent les gorges
étaient si étroites qu'il fallait cheminer dans le lit même
des torrents, entre les hautes murailles granitiques qui
les encaissent. A la fin du mois de novembre, les tra-
vaux étaient cependant assez avancés pour que des voi-
tures pussent arriver jusqu'à Yanhuitlan. C'est à cette
époque que furent repris les projets contre Oajaca. Une
forte colonne des trois armes fut organisée sous les ordres
du général Courtois d'Hurbal, commandant l'artillerie du
corps expéditionnaire.
La colonne principale, les convois, et un parc de siège
s'acheminèrent par la grand'route de Puebla à Yanhuitlan ;
deux autres petites colonnes légères furent dirigées sur
Oajaca ; l'une, partant d'Orizaba, suivit le chemin muletier
de Teotitlan; l'autre, partant de Mexico, eut l'ordre de
passer par Cuernavaca, Morelos, et Matamoros, afin de
rassurer les populations de ces contrées, alarmées par
quelques échecs récents des forces mexicaines alliées ; elle
devait rejoindre le général Courtois d'Hurbal à Acatlan.
Le système de défense d'Oajaca était analogue à celui
de Puebla ; presque toute la population avait quitté la ville
qui était couverte de retranchements et de barricades. Les
maisons de l'enceinte extérieure ayant été démolies, leurs
décombres, amoncelés dans les maisons de la deuxième
ligne, formaient d'immenses parapets de maçonnerie aux-
quels de solides couvents servaient de réduit. Un fort
carré de construction ancienne dominait la ville ; Porfîrio
Diaz avait fait élever des ouvrages en terre sur les hau-
teurs voisines. Il disposait d'environ sept mille hommes,
LE MARÉCHAL BAZAINE. 443
dont trois mille de troupes régulières, le reste formé par ^864.
des contingents de montagnards, tireurs habiles, qu'on
avait armés de rifles américains, et ardents libéraux, fort
attachés à Juarez, leur compatriote.
Le frère de Porfirio Diaz commandait en outre un corps
de sept cents cavaliers ; l'un et l'autre déployaient la plus
grande énergie et ne reculaient devant aucune considé-
ration pour organiser la résistance. Ils avaient enlevé
les vases sacrés des églises pour les convertir en argent,
et les cloches pour fondre des boulets ou s'en servir
comme fougasses en avant des retranchements. Ils avaient
ruiné non-seulement les maisons de la ville, mais encore
un grand nombre de propriétés suburbaines ; aussi l'ani-
mosité des Indiens était-elle à son comble.
Ces hommes doux et paisibles, habitant les riches vallées
de cette pro\dnce, propriétaires ou usufruitiers de la terre
qu'ils cultivent, bien moins soumis que dans les autres par-
ties du Mexique à la domination tyrannique des hacenderos
et, par suite, vivant dans une meilleure condition, étaient
intéressés au maintien de l'ordre et de la tranquilhté. Le
pillage de leurs églises, l'enlèvement de leurs cloches les
avaient vivement indisposés contre les libéraux ; ils accueil-
lirent avec une joie non déguisée l'arrivée des colonnes
françaises et vinrent en grand nombre travailler aux routes ;
ils répondirent toujours avec empressement à l'appel qui
leur fut fait par les autorités impérialistes, et se prêtèrent
volontiers et sans apparence de servilité, à toutes les cor-
vées que nécessitait le passage des convois dans les endroits
difficiles.
Le 12 décembre, le général Courtois d'Hurbal atteignit
Yanhuitlan ; au delà de ce poste, la route n'était pas encore
ouverte ; il fallait, pour descendre dans la vallée d'Oajaca»
444 11' PARTIE. CHAPITRE 111.
im. franchir une sierra difficile, et c'était là que les plus grands
obstacles attendaient les colonnes. Tout le matériel roulant
fut laissé à Yanhuitlan ; suivi seulement des troupes lé-
gères, le général se porta en avant pour organiser les ate-
liers de travailleurs sur les routes et reconnaître les posi-
tions de l'ennemi.
A douze lieues d'Yanhuitlan, au rancho de las Minas, un
ravin, profond de plusieurs centaines de mètres et encaissé
entre des berges presque verticales, coupe la route ; d'un
côté, la descente n'a pas moins de cinq kilomètres de déve-
loppement ; sur le bord opposé, la disposition des escar-
pements ne permet pas d'en adoucir les pentes ; après les
• travaux qui furent exécutés, elles conservèrent encore une
rapidité excessive qui atteignait en certains endroits 0",40
par mètre. La colonne légère passa néanmoins sans trop
de peine; le 17 décembre, elle fit sa jonction, à San Fran-
cisco Huitzo, avec celle qui venait d'Orizaba et dont les
guérillas de Figueroa avaient essayé de gêner la marche. Le
lendemain, on rencontra, en avant d'Ella, les grand'gardes
ennemies ; elles se replièrent après un combat de quelques
instants, dans lequel furent tués un ofïicier et six cavaliers
du peloton français d'avant-garde. Le général Courtois
d'Hurbal s'établit à Etla, à quatre lieues d'Oajaca; pendant
que l'on travaillait à préparer l'arrivée du parc de siège, il
fit autour de la place des reconnaissances préliminaires qui
amenèrent plusieurs engagements.
Les démonstrations des colonnes françaises et les prépa-
ratifs ostensibles d'un siège, ne paraissant pas décider Por-
firio Diaz à quitter Oajaca, le maréchal se résolut à prendre
la direction de cette opération dont l'importance s'accusait
chaque jour de plus en plus, il prépara l'envoi de nouveaux
renforts, et emmenant avec lui quelques escadrons, il
LK MARÉCHAL BAZ INE. 445
franchit en douze jours les cent vingt-cinq lieues qui ^8C3.
séparent Mexico cl'Etla ; il rejoignit le général Go^irtois
d'Hurbal le 15 janvier 1863 (').
Au prix d'incessants travaux et d'efforts inouïs, la plus
grande partie du matériel de siège avait été amenée dans
la vallée d'Oajaca. De nombreux attelages de bœufs et plu-
sieurs centaines d'Indiens ayant été réunis au ravin de las
Minas, on avait pu descendre les chariots de parc tout
chargés, en enrayant complètement les roues et en appli-
quant cinquante hommes par voiture à des cordes de re-
traite, mais il avait été impossible de leur faire gravir la
pente opposée. On dut vider les caissons d'artillerie, et
transporter les projectiles et les cartouches à dos de mulet
jusqu'au sommet de la pente; on attela quatre et quelque-
fois cinq paires de bœufs à chaque pièce ; quarante à
cinquante hommes poussaient aux roues ou tiraient à des
cordes fixées au joug des bœufs et aux anses des canons ;
sans le concours de ces nombreux auxiliaires , il eût
été probablement impossible de triompher des difficultés
exceptionnelles qui se présentèrent.
Lorsque le maréchal prit le commandement direct, il
avait sous sa main : deux bataillons du 3« zouaves, douze
compagnies du régiment étranger, un bataillon d'infanterie
légère d'Afrique, une compagnie de zouaves montés, trois
escadrons de cavalerie française, commandés par le général
de Lascours, quatre escadrons mexicains, une batterie de 4,
une batterie de 12, quatre sections d'artillerie de montagne,
et une compagnie du génie. En attendant l'arrivée des
grands convois qu'il avait mis en route avant son départ,
il fit investir la place. Il établit son quartier général à l'ha-
(I) Le colonel Osmont, cliof d'étcat-major général, accompagnait le maréchal.
446 Tl" PARTIE. CHAPITRE III.
'1865. cienda Blanca, et commença, le 17 janvier, à faire tour-
ner la ville simultanément par le nord et par le sud. Le
bataillon d'Afrique, passant par le nord, devait franchir,
au col de Tres-Gruces, le contrefort montagneux à l'extré-
mité duquel étaient établis les ouvrages qui dominaient la
ville ; les postes , chargés de garder les hauteurs, dispu-
tèrent le passage, cependant on s'établit le même jour au
village de San Felipe, et l'on coupa l'aqueduc qui fournit
les eaux à la ville.
L'investissement se compléta les jours suivants ; pour
suppléer à l'insufFisance du corps de siège, le maréchal or-
donna que chaque petit poste se couvrirait par des travaux
de campagne de façon à pouvoir soutenir pendant quelque
temps l'eftbrt d'une troupe supérieure ; il fit élever des bar-
ricades sur toutes les avenues et tracer une hgne de cir-
convallation autour de la place; on profita des obstacles
naturels toutes les fois qu'on le put et, partout ailleurs, on
creusa une tranchée ; les Indiens vinrent en grand nombre,
moyennant salaire, concourir à ces travaux. Le développe-
ment de cette hgne avait trente-sept kilomètres, pour la
surveillance desquels on comptait moins de quatre mille
hommes. L'ennemi, qui s'était laissé enfermer sans trop
s'en rendre compte, fut ainsi privé de toute communica-
tion avec l'extérieur ; il aurait pu sans doute forcer ce
faible cordon, mais les travaux de circonvallation devaient
assez retarder la marche d'une colonne pour que les
troupes d'investissement eussent le temps de se concentrer
et de se mettre à sa poursuite. La cavalerie de Félix Diaz,
sortie de la place au commencement du mois, tenta inuti-
lement d'y rentrer; l'artillerie des forts et des couvents
essaya, sans y réussir, de gêner les travaux ; le 22 janvier
seulement, Porfirio Diaz disputa l'occupation de l'hacienda
LE MARÉCHAL BAZAINE. 447
de l'Aguilera. La position resta aux troupes françaises ; 486o.
le maréchal , qui n'avait pas ordonné de prendre pos-
session de ce point, ne voulut pas y exposer un poste;
l'hacienda fut évacuée et l'on se contenta d'établir des
embuscades aux abords.
La place devait être attaquée par les hauteurs du nord,
en même temps que des cheminements seraient commencés
dans la plaine sur plusieurs directions. Les ouvrages dé-
fensifs de l'ennemi étaient assez importants pour exiger
dans une certaine mesure le développement des opérations
d'un siège régulier. Quatre grands couvents, placés aux
quatre points cardinaux de la ville, formaient en quelque
sorte les bastions d'un vaste réduit carré, dont une double
ligne de barricades et de maisons fortifiées représentaient
les courtines. C'étaient au nord : les couvents contigus de
San Domingo et de Carmen ; à l'est : le couvent de la
Merced ; au sud : San Francisco ; à l'ouest : la Soledad. De
l'artillerie en armait les terrasses ; les murs des cours et
des chambres étaient percés de créneaux ; des communica-
tions couvertes les reliaient entre eux et avec le centre de
la ville.
Des ouvrages permanents ou des retranchements s'éta-
geaient sur les hauteurs dont ils couronnaient les sommets.
Sur le Cerro de la Soledad, à 170 mètres au-dessus de
la place d'armes, s'élevait un fort carré en maçonnerie,
appelé fort Zaragoza ; à deux cents mètres en avant, était un
ouvrage en terre appelé la Libertad ; à onze cents mètres
plus au nord et à deux cent quatre-vingt-dix mètres au-
dessus de la place, le l^"" Cerro du Dominante était défen-
du par une redoute carrée en terre ; enfin le 2^ Dominante,
à quatre cents mètres du précédent, portait un ouvrage
ouvert à la gorge et une flèche encore inachevée. Ces for-
4865.
448 II" PARTIE. CHAPITRE III.
tifications étaient protégées par un système complet, et fort
judicieusement établi, de fougasses, trous de loup, petits
piquets, réseaux de fil de fer et de cordes de cuir.
Les convois de vivres et de munitions et les dernières
troupes étant arrivées à la fin du mois de janvier, le maré-
chal disposait de :
4,000 hommes d'infanterie,
200 sapeurs du génie,
500 cavaliers,
800 artilleurs.
Total. . 5,500 combattants, et environ cinq cents
hommes des services administratifs. Il avait en outre trois
cents cavaliers mexicains alliés, une centaine d'cxplora-
dores (volontaires du pays), une section du génie, et une
demi-section d'artillerie mexicaines.
Le matériel d'artillerie était considérable ; on avait ras-
semblé un parc de douze pièces de 12 de siège approvi-
sionnées à trois mille coups, huit canons de 4 de montagne,
et six mortiers de divers calibres.
La tranchée fut ouverte, le l^"" février, sur la crête étroite
qui relie les cerros Dominante au col de Très Cruces, à
douze cents mètres du saillant des ouvrages avancés ; mais
les cheminements ne se continuèrent pas régulièrement (*).
Presque aussitôt, une batterie fut commencée à mille mètres
de l'ennemi et la communication en arrière, avec le dépôt
de tranchée, se fit à découvert par un sentier à peu près
défilé des vues de l'artillerie. Deux autres batteries furent
construites sur les hauteurs voisines appelées cerro Mojote
et cerro Pelado. Elles ouvrirent le feu le 4 février, tandis
(*) Les travaux du génie du siège d'Oajaca furent diriges par le colonel
Doutrelainc, sous les ordres du général Vialla. Le général Courtois d'Hurbal fut
spécialement chargé do l'allaquc sur les Iiauleurs.
LE MARÉCHAL BAZAINP:. 449
que dans la plaine, la ligne d'investissement se resserrait -isgo.
chaque nuit et que les zouaves, avec leur audace tradition-
nelle et leur intelligente initiative, s'avançaient peu à peu
dans les faubourgs mêmes de la ville.
Une gabionnade fut établie, dans la nuit du 5 au 6 février,
à moins de trois cents mètres du cerro Dominante, et trans-
formée le lendemain en batterie de mortiers dont le tir eut
une grande efficacité, bien qu'ils fussent placés à une cin-
quantaine de mètres en contre-bas. L'ennemi couvrait les
tranchées d'obus, de mitraille et de balles ; dans la nuit du
5 au 6 et dans la journée suivante, il tira plus de quatre
cents coups de canon sur l'étroit espace où se faisaient les ^,
travaux d'approche , mais quelques hommes seulement ^j "^'-^
furent atteints. >a .Z
Le roc affleurant presque partout, il était difficile de <i:>-*/
pousser les cheminements plus loin : aussi le maréchal ré- -^
solut-il de tenter une attaque de vive force ; il donna l'ordre
de livrer l'assaut le 9, au point du jour; les troupes étaient
déjà massées dans lestranchées^ lorsque le général Porfirio
Diaz, après avoir demandé une capitulation qui lui fut re-
fusée, se présenta en personne au quartier général et rendit
la place à discrétion.
Un plus beau résultat ne pouvait être obtenu avec moins
de sacrifices. Quatre mille prisonniers, soixante pièces de
canon, un matériel de guerre important tombaient entre
les mains des troupes françaises, dont les pertes ne se mon-
taient qu'à huit ou dix tués et à une trentaine de blessés.
Les habiles dispositions du maréchal Bazaine se trouvaient
couronnées d'un plein succès.
Le général Porfirio Diaz, les officiers, et une partie des
soldats furent dirigés sur Puebla ; mais, comme il était dif-
ficile de conserver un aussi grand nombre de prisonniers,
29
450 II" PARTIE. — CHAPITRE III.
-1863. le maréchal remit en liberté la plupart des soldats enrôlés
~ de force; ceux qui appartenaient aux provinces éloignées
de Sinaloa et de Sonora y furent renvoyés par les soins des
autorités impériales ; d'autres furent incorporés dans les
troupes mexicaines alliées.
Après quelques jours de repos, le maréchal reprit la
route de Mexico avec la plus grande partie de ses troupes.
Il rentra dans la capitale le 25 février (^).
On apprit, vers la même époque, que Tehuantepec venait
d'être occupé par des partisans de l'empire. Des armes et
des munitions leur furent envoyées.
Opérations Le général Mangin C^) restait à Oajaca avec deux batail-
ronf ro
les guérillas lons du régiment étranger et le bataillon d'infanterie légère
l'Etat d'Oajaca. d'Afriquc. Son premier soin fut d'y rappeler les habitants
que le siège avait chassés et de les encourager à recons-
truire leurs demeures pour la plupart détruites, non par le
feu des batteries de siège, mais bien par suite de l'impi-
toyable exigence des chefs mexicains qui, ayant sacrifié
toute autre considération aux nécessités de la défense et
transformé cette riche cité en un amas de décombres, ne
s'étaient pas fait pardonner leur vandalisme en poussant la
résistance jusqu'à ses dernières limites. Le général Mangin
se préoccupa ensuite de faire reconnaître l'autorité impé-
riale dans toute l'étendue de la province, où ne se trouvaient
plus d'autres forces ennemies que le corps de cavalerie de
Ghato Diaz et les guérillas de Figueroa.
Chato Diaz, sorti d'Oajaca au commencement de janvier,
(1) Du 1'^' juillet 18G4 jusqu'au i'='' mai 1865, on dépensa en transports pour
les expéditions sur Oajaca, 1,806,000 francs, qui furent imputés aux finances
mexicaines.
(2) Le colonel Mangin, du 3" zouaves, avait reçu, quelques jours auparavant
sa nomination île L'énéral.
LE MABÉCHAL BAZAINE. /J5l
avait battu le pays à d'assez grandes distances, et cherché m6.
à inquiéter la marche des convois du corps de siège ; il ~
avait tenté des coups de main sur Huajuapan et sur Tehua-
can ; repoussé par les gardes rurales mexicaines, il se
replia sur Teotitlan et se jeta dans la Sierra d'Ixllan où ses
forces ne tardèrent pas à se disperser. Des colonnes, en-
voyées dans cette région et dans le district de Villa-Alta,
purent sans difficultés installer les autorités impériales et
organiser des troupes locales ; mais Figueroa, avec ses con-
tingents, dominait toujours le pays au nord-est de Teo-
titlan. Son quartier général était établi dans les montagnes
voisines de Huehuellan.
Le général Mangin essaya de détruire ce centre de ré-
sistance. Le lo mars au matin, après une pénible marche
de nuit de treize lieues, il attaqua les hauteurs d'Huehuet-
lan ; les premières positions furent rapidement enlevées ,
mais un épais brouillard vint paralyser l'élan des assaillants
et permit à l'ennemi de battre en retraite. Les fortifications
furent rasées ; un poste d'observation fut laissé à Teotitlan
pour surveiller les guérillas dont le voisinage était dan-
gereux et gênant.
Les populations qui vivent dans les pays de montagnes
et d'un accès difficile sont généralement plus jalouses
de leur indépendance et plus énergiques que celles des
terres basses ; les guérilleros trouvent dans ces régions
des refuges où il est presque impossible de les forcer. Il
fallait donc, ou négocier la soumission des chefs, ou se
borner à occuper les défilés des Sierras, afin de ga-
rantir la tranquillité des habitants de la plaine, en gé-
néral plus paisibles et disposés à se soumettre à n'im-
porte quelle autorité, pourvu qu'ils eussent la possibilité
de vaquer à leur négoce ou à leurs travaux agricoles.
452 H* l'ARTIE. CHAPITRE III.
4865. Il en fut ainsi presque partout au Mexique, dans la pro-
"" vince d'Oajaca comme dans le Michoacan, dans le Sinaloa,
et dans laHuasteca.
Guérillas Lgs mauvaises dispositions des ministres de l'Empereur
de laHuasteca. ^y^^^ £jj-|. ^chouer les pourparlers entamés avec les chefs de
cette dernière contrée, les hostilités recommencèrent.
Le 8 décembre 1864, l'ennemi attaqua une première fois
Zacatlan ; il en fut repoussé. Quelque temps après, les gué-
rillas, ayant réuni quinze cents hommes, triomphèrent delà
résistance que leur opposaient les habitants de cette petite
ville. Le maréchal, fort mécontent de voir que le gouver-
nement mexicain n'avait pas voulu accepter les conditions
de soumission offertes par les chefs du pays insurgé, était
résolu à ne plus envoyer de troupes dans la Huasteca ; il
lui était difficile cependant de refuser tout concours aux po-
pulations qui s'armaient d'elles-mêmes et demandaient à
être soutenues. L'ordre fut donné aux commandants des
postes français de Tulancingo et de San Juan de Los Llanos
d'appuyer les gardes rurales. Zacatlan fut repris (27 dé-
cembre 1864); toutefois le capitaine Hurtel, commandant
supérieurde Tulancingo, dépassa les intentions du comman-
dant en chef; à la tête de quatre compagnies du 2^ zouaves,
il tenta une expédition dans le cœur même de la Sierra
d'Huauchinango. Le 28 janvier, il attaqua l'ennemi au col de
Tres-Cruces, et, après l'avoir délogé de cette position, il se
porta vers Pehuatlan ; les guérilleros occupèrent alors toutes
les crêtes voisines et dirigèrent sur la colonne française une
fusillade si meurtrière qu'elle dut rétrograder. La retraite
se fit sous une pluie de balles, mais avec calme et en bon
ordre, comme il convenait à ces vigoureux soldats dont la
valeur avait été maintes fois éprouvée ; quatre officiers et
LE 3IAUÉCUAL BAZALNE. 453
huit zouaves tombèrent mortellement frappés , un officier ises.
et vingt-six hommes furent blessés ; le détachement s'ar^
rêta quelques instants au sommet du col, puis rentra au
milieu de la nuit à Acazuchitlan.
A la même époque, le premier détachement des volon-
taires autrichiens entrait en campagne. Sur un ordre direct
de l'empereur MaximiUen, qui était en désaccord avec le
maréchal relativement à l'opportunité des opérations dans
la Huasteca, le major Rodolich marcha sur Tesuitlan, au
nord de Jalapa, et enleva la place après un brillant combat
(6 février) ; ce fut un heureux début pour ces nouveaux
contingents. Le 17 février, un détachement autrichien
et une petite colonne française s''emparèrent également
de Zacapoaxtla où l'ennemi avait repris position ; mais
le mois suivant, cinquante hommes tombèrent dans une
embuscade à Xochiapulco ; vingt-trois hommes furent
tués et les autres faits prisonniers (19 mars). Il fallut
renouer les négociations avec les chefs ennemis; on con-
clut un armistice et les prisonniers furent rendus à Tulan-
cingo le 6 avril.
Cette suspension d'armes, dont la durée fut de plusieurs
mois, correspond à une période d'assez grande tranquillité
dans les provinces cenUales du Mexique. En effet, l'Etat
d'Oajaca venait d'être pacifié presque complètement, les
Etats de Puebla, de Mexico, de Queretaro, de Guanajuato,
de San Luis étaient fort paisibles.
Dans l'Etat de Vera-Gruz, Daquin, l'un des principaux Gucniias
des
chefs des guérillas, s'était soumis. Seules les bandes du Rio terres chaudes
(Je
Blanco continuaient à donner quelque inquiétude. Un cer- vera-cruz.
tain nombre de prisonniers de guerre de la garnison d'Oa-
jaca rendus à la liberté ou qui s'étaient échappés, et des
' Il PARTIE. CHAPITRE III.
'ises. hommes provenant des auxiliaires mexicains des terres
chaudes, licenciés d'après les ordres de l'empereur Maxi-
mihen, avaient notablement grossi leurs rangs. La garde
rurale d'Alvarado avait fait défection. Pour arrêter les
progrès de l'ennemi, le chef de bataillon Maréchal, com-
mandant supérieur de Vera-Gruz, se porta sur le Rio Blanco
avec cent Autrichiens, cent vingt Egyptiens et une trentaine
de cavaliers mexicains. Il s'empara de Tlaliscoyan, le 26
février, à la suite d'un violent combat, puis il enleva la
position du Gocuite; mais, le 2 mars, il tomba dans une
embuscade au Gallejon de la Laja et y fut tué avec vingt-
cinq de ses soldats. La petite colonne revint à Vera-
Gruz, emmenant, non sans peine, vingt-sept blessés que
l'excessive chaleur faisait affreusement souffrir. Du reste
cet insuccès ne compromit en rien la situation générale
des terres chaudes.
Guérillas Dans le Michoacan, les bandes deRomero venaient d'être
du Michoacan. J^|^^.^j^gg . j^^ partie de cette province, voisine du Rio de
Lerma, avait retrouvé quelque sécurité ; mais, à l'ouest
et au sud, les guérillas s''étaient renforcées, depuis l'ar-
rivée dans ce pays des forces d'Arteaga chassées de l'Etat
de Jalisco.
Jusqu'au mois de décembre 1864, aucune opération
d'ensemble n'avait été entreprise contre les bandes du
Michoacan. Le général Marquez , qui commandait à
Morelia , ayant trop peu de troupes , s'était borné à
protéger un rayon assez restreint autour du chef-lieu
de la province, et à placer des garnisons sur quelques
points, à Zitacuaro entre autres qui était le lieu de con-
centration ordinaire des bandes ennemies, lorsqu'elles
tentaient un mouvement du côté de l'Etat de Mexico.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 4S5
Au mois de juin 1864, Riva Palacio s'était avancé
jusqu'à Toluca.
Les guérillas de cette région avaient un effectif de plus
de deux mille hommes. Elles attaquèrent Zitacuaro et déter-
minèrent les détachements mexicains alliés à leur aban-
donner cette position (8 août). Le général en chef prescrivit
d'en reprendre possession, ce qui eut lieu le 25 août. Ro-
mero reparut cependant dans la vallée de Toluca, pilla
plusieurs haciendas, et réussit à se dérober à toutes les
poursuites. Il fallait mettre à l'abri des insultes de l'en-
nemi la route que l'empereur Maximilien devait parcou-
rir, lors de son voyage dans l'intérieur. Une colonne
mobile, composée d'une compagnie de zouaves et de qua-
rante-cinq chasseurs d'Afrique, fut donc envoyée de
Mexico sous les ordres du capitaine de La Hayrie; les zoua-
ves furent montés sur des mulets, afin de pouvoir suivre
la cavalerie et d'être encore à même, après une longue
étape, de faire une marche de nuit, ou de tenter un coup
de main dans les montagnes. Cette organisation donna
d'excellents résultats et fut, dans la suite, appliquée à
quelques autres compagnies.
Dans une affaire de nuit à Irimbo, Crescendo Morales,
un des chefs les plus influents, ayant été tué, sa mort
amena la soumission d'un grand nombre de villages
(13 octobre) ; l'Empereur passa sans être inquiété.
Le capitaine de la Hayrie continua de battre le pays avec
les troupes mexicaines des colonels Lamadrid et Valdez.
Le l^"" novembre, une rencontre eut lieu entre les contin-
gents aUiés et la bande de Romero. Yaldez, sur la fidélité
duquel on pouvait compter, fut blessé mortellement ; son
fils prit le commandement à sa place et fit défection, mais
4863.
456 11° PARTIE. CHAPITRE 111.
i86s. une compagnie de partisans, envoyée à sa poursuite, re-
prit une partie du matériel et les deux pièces d'artillerie
de cette troupe (9 janvier). Quant à Romero, il fil sans
succès une tentative sur Toluca (25 décembre), et rentra
dans les montagnes de Zitacuaro,
L'expédition sur Colima ayant dégarni le Michoacan,
on ne put mener les opérations dans cette région aussi
activement qu'il eût été nécessaire. Au mois de décem-
bre, l'arrivée des troupes de la 2*^ division d'infanterie
permit de s'en occuper de nouveau. Le quartier général
de cette division fut établi à Morelia le 27 décembre;
le général Douay, rentrant en France (11 janvier), re-
mit le commandement provisoire au colonel du Preuil,
qui parcourut le pays entre Tacambaro, Ario, Taretan,
Uruapan, Tancitaro et Patzcuaro ; il laissa des garnisons
mexicaines à Taretan et à Uruapan. D'un autre côté, le co-
lonel de Potier, placé avec un bataillon du 81* de ligne à
Maravatio, entrait en campagne dans les montagnes voi-
sines de Zitacuaro ; il fractionna sa colonne en détache-
ments qui atteignirent plusieurs fois l'ennemi , et le
31 janvier, avec une compagnie du 81*^ de ligne, deux
pelotons de cavalerie, et les cavaliers mexicains alliés de
Lamadrid, il surprit à Apacingan les bandes réunies de
Komero. Deux cents hommes furent tués, cent soixante faits
prisonniers, tous les autres dispersés. Un nombre consi-
dérable de chevaux, d'armes et de munitions tombèrent
entre les mains du détachement franco-mexicain, qui
perdit seulement quelques blessés. Romero était au
nombre des prisonniers. 11 fut conduit à Mexico, déféré à
une cour martiale pour crimes de brigandage et d'assas-
sinats, et passé par les armes avec deux de ses officiers.
L'empereur Maximilien fit grâce aux autres.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 457
Dans l'ouest et le sud du Miclioacan. les résultats ne ^863.
furent pas aussi complets. Le général Neigre, ayant pris le
commandement le 2 février, organisa une ligne d'avanl-
postes à Tacambaro, Ario et Acuitzeo, pour garantir Morelia
contre les entreprises des troupes d'Arteaga. Le 20 février,
un détachement de deux compagnies de zouaves se heurta
à los Reyes contre huit cents hommes. Les auxiliaires
mexicains ayant lâché pied, il fut forcé de rétrograder
laissant aux mains de l'ennemi un officier grièvement
blessé et deux zouaves qui furent d'ailleurs traités avec
égards et recueillis, quelque temps après, par une colonne
française. Comme nous l'avons dit, la pacification de l'Etat
de Michoacan offrait des difficultés toutes particulières, .
par suite de la configuration du pays et de la possibilité
pour les guérillas de se ravitailler et de se reformer dans
la vallée du Rio de las Balzas.
Presque au même moment, dans l'Etat de Jalisco, les Guériiia?
bandes de Simon Guttierres, d'Herreira Gairo et de Rojas l'Etat d^jaii
étaient atteintes par les colonnes légères françaises. Rojas,
le bandit le plus redouté du pays, avait été surpris, le
28 janvier, à Potrerillos par la compagnie de partisans
de Guadalajara. Il avait été tué ainsi que soixante
hommes; un obusier, cinq cents chevaux et mulets,
cinq cents armes, sept mille piastres, une grande quantité
de matériel furent pris dans son camp, et la tranquillité
revint dans cette province. Plusieurs généraux du parti
libéral avaient déposé les armes (*) ; l'ennemi cédait
partout devant les troupes françaises , et il semblait
'•) Les généraux Komulo del Valle, Etchegaray , Solis, Xcri. Juliu Garcia.
Herreira y Cairo, liront leur soumission à ceUe t'^oque.
458 II* PARTIE. — CHAPITRE III.
-1865. alors que l'influence de l'empire faisait de sérieux pro-
grès.
ci?MaSn Mazatlan venait d'être occupé ; on ne pouvait supposer
(i3nov. 1864). encorc que la soumission des provinces de Sinaloa et de
Sonora dût rencontrer des difficultés particulières, et le
maréchal avait assez de confiance dans l'avenir pour son-
ger à renvoyer d'autres troupes en France..
A.U commencement de l'année 1864, la Cordelière ^\?iit
essayé de canonner Mazatlan ; mais son artillerie ayant
une portée inférieure à celle de la place, elle reçut une
dizaine de boulets dans sa coque ou dans sa mâture, et
fut obligée de se retirer sans avoir obtenu aucun résultat.
Les opérations sérieuses contre Mazatlan n'eurent lieu
qu'au mois de novembre 1864. M. le capitaine de
vaisseau de Kergrist, commandant par intérim l'escadre
du Pacifique, prit deux des compagnies de tirailleurs
algériens de la garnison d'Acapulco et les conduisit
d'abord à San Blas, où elles furent rejointes par le
commandant Munier et un détachement venu de Mexico.
Le 13 novembre, il débarqua ces troupes à Mazatlan,
qui fut occupé après une canonnade de quelques ins-
tants, par deux cent vingt tirailleurs algériens et cent
cinquante marins.
Le général Lozada, à la tête de trois mille Indiens, s'était
avancé de Tepic par la route du Rosario, afin d'appuyer
cette opération. L'état de la mer n'avait pas permis aux bâ-
timents de se rapprocher assez de la côte pour entrer en
relations avec lui; mais dès qu'il entendit le canon, il se
porta vivement sur Mazatlan, et sa cavalerie atteignit en-
core quelques troupes de l'arrière-garde ennemie ; le
général Lozada ne pouvait maintenir longtemps ses con-
LE 5IARÉCHAL BAZAINE. 459
tingents sur pied ; il lui fallut ramener ses Indiens dans '•ses.
leurs villages où les appelaient les travaux des champs,
et la garnison de Mazatlan, forte de trois cents hommes à
peine, se trouva livrée à ses propres forces ; elle ne tarda
pas à être étroitement bloquée dans la place. Le 11 dé-
cembre, un corps de quatorze cents hommes menaça la
ville, et s'avança à portée de canon des remparts. Un
renfort de deux cent trente tirailleurs montés étant
arrivé le 16 décembre, le commandant Munier en pro-
fita pour rompre le cercle qui l'enveloppait ; il sortit le
lendemain et culbuta ks avant-postes ennemis. Mais
un regrettable événement survint alors et rendit sa po-
sition plus difficile en portant un coup sérieux au pres-
tige des armes françaises. Une compagnie de tirailleurs
algériens , forte de soixante-huit hommes , avait été
envoyée à bord du Lucifer pour aider à l'installation des
autorités impériales à Culiacan. Le 20 décembre, M. le
capitaine de frégate Gazielle la conduisit à Altata et
débarqua lui-même avec une compagnie de marins et
deux obusiers. Il se dirigea sur Culiacan avec une troupe
mexicaine de quatre cents hommes sous les ordres du
général Cortez. Le 22 décembre, l'ennemi, commandé
pai Rosalès, fut rencontré à San Pedro, à six lieues de
Culiacan. Les auxiliaires alliés ne tinrent pas, et, après
un combat de deux heures, le détachement français se vit
forcé de se rendre. Quatre-vingt-cinq hommes, dont sept
officiers, furent faits prisonniers. Le général Cortez s'é-
chappa.
Le général Vega, qui soutenait la cause de l'empire
dans le nord de l'Etat de Sinaloa, venait également de
tomber entre les mains des libéraux; Patoni le fit fu-
siller (16 décembre).
460 II' PARTIE. — CllAl'llRE III.
186a. La situation pouvait devenir grave, mais des colonnes
Mai7he importantes allaient prochainement arriver de Durango. Le
de'^Castagiy de général de Gastagny avait reçu l'ordre de transporter son
à nSba. quartier général à Mazatlan et préparait les moyens de faire
passer ses troupes à travers les montagnes abruptes de la
Sierra Madré du Pacifique. Les habitants de Durango, dont
les intérêts commerciaux étaient fort étroitement liés au
rétabhssement des communications avec la mer, le secon-
dèrent en fournissant des subsides pour les réparations du
chemin qui conduit à Mazatlan. La distance entre ces deux
villes est de 80 lieues, et le sentier qui les unit est à peine
praticable pour les convois de mulets. Des pentes, que la
durelé du roc ne permet pas d'adoucir, s'accentuent en
certains endroits jusqu'à 45 degrés ; les pierres roulantes,
le peu de largeur du sentier, les précipices qui le bordent,
en rendent les passages fort périlleux, même pour les pié-
tons et les bêtes de somme. Au fond des gorges qui sépa-
rent les chaînons parallèles des montagnes, coulent des
ruisseaux dont les gués n'ont d'ordinaire que quarante à
soixante centimètres d'eau, mais que la moindre pluie
transforme en torrents infranchissables. Enfin, jusqu'à
Durasnito, situé à cinquante lieues de Durango, on ne
rencontre aucun village, aucune ressource ; au delà, le pays
est moins pauvre, mais les bandes de Corona l'avaient
dévasté, et les habitants se déclaraient tous hostiles à l'in-
tervention française. Ces obstacles ne devaient pas néan-
moins empêcher l'expédition. Le 18 novembre, un déta-
chement avait été envoyé jusqu'à Durasnito pour diriger
les travaux de réparations de la route, pendant que le l'^rba-
taillon de chasseurs, le ol*^ et le 62° de ligne, destinés à
cette opération, se concentraient à Durango.
Une avant-garde de trois compagnies, sous les ordres du
-180",
LE MARÉCHAL BAZAINK. ^61
lieutenant-colonel Deplanque, commença le mouvement le
18 décembre; elle fut suivie le 22 par une première co-
lonne de deux bataillons du 31% commandée par le colonel
Garnier. Le quartier général avec un bataillon et un esca-
dron se mit en route le 26 ; enfin, une dernière colonne
partit le 4 janvier. Chacune de ces fractions était accompa-
gnée d'un grand convoi de mulets chargés de vivres et de
munitions ; on emmena des troupeaux et l'on emporta des
fours de campagne, de manière à pouvoir distribuer
chaque jour du pain aux hommes et leur permettre de
surmonter les fatigues qu'on allait affronter.
Aux difficultés inhérentes à une marche dans de pareilles
montagnes, par d'étroits sentiers taillés en corniche, où
l'on devait se suivre à la file, et où le moindre faux pas pou-
vait coûter la vie, vinrent s'ajouter d'autres souffrances
physiques, conséquence de la raréfaction de l'air et du
froid qui règne dans ces régions à 3,000 mètres au-dessus
du niveau de la mer 0). Enfin, à l'endroit le plus difficile,
sur une crête à laquelle son âpreté a fait donner le nom
de rEspinazo del Diablo, les bandes de Gorona attendaient
les colonnes et s'apprêtaient à leur disputer le passage. L'a-
vant-garde s'arrêta.
Le colonel Garnier la rejoignit bientôt, et le l^^janvier au ^^ ^,g'^^^\\ j^j
matin, il lança trois détachements à l'assaut de cette for- ^^,, ja^nî.^'ks).
midable position ;'* celui qui devait l'aborder de front ren-
contra des obstacles insurmontables, mais les deux autres,
gravissant résolument les rochers sans répondre au feu des
■ gens de Gorona, atteignirent les redoutes derrière lesquelles
ils étaient abrités, les attaquèrent à la baïonnette, et les
(1) Pendant la nuit, le thermomètre descend à plusieurs degrés au-dessous de
462
ir PARTIE.
CHAPITRE III.
4865.
Combat
de Veranos
(11 janvier).
poursuivirent de sommet en sommet. Onze barricades ou
retranchements furent ainsi enlevés ; l'ennemi eut une cen-
taine d'hommes hors de combat ; la colonne française
compta dix tués et trente-neuf blessés. Les jours suivants,
et jusqu'à l'arrivée à Mazatlan, les guérillas ne cessèrent de
harceler la marche de cette première colonne, mais aucun
combat sérieux ne fut plus livré.
Le général de Castagny suivait de près le colonel
Garnier. A son passage à Veranos, il laissa une com-
pagnie de chasseurs à pied pour garder les communi-
cations avec Durango. La nuit suivante (10 au 11 janvier)
ce détachement fut attaqué, il résista énergiquement ; mais
le feu ayant été mis aux maisons voisines du réduit, il dut
chercher son salut en se faisant jour à la baïonnette.
Quelques hommes seulement réussirent dans cette tentative
désespérée et se réfugièrent dans les bois^» les autres furent
faits prisonniers. Dès qu'il apprit ce malheur, le général de
Castagny rétrograda et put encore sauver quatorze soldats
et deux officiers ; on releva dix-sept cadavres; le reste avait
été pris et emmené. Tandis qu'on enterrait les morts, quatre
cents cavaliers firent soudain irruption dans le village
qu'ils traversèrent au galop; une division de chasseurs
d'Afrique sauta immédiatement à cheval et les poursuivit
pendantdeuxheues, leur sabrantune soixantaine d'hommes;
cette charge, si vigoureusement menée, coûta la vie au chef
d'escadron de Montarby qui la commandait et à un chas-
seur; un officier fut blessé. Le général de Castagny fit en-
tièrement brûler le village de Veranos, dont il accusait les
habitants de connivence avec les guérilleros. Corona, de son
côté, mit ses prisonniers à mort et laissa leurs corps (^) sans
(1) Cinquante hommes, d'après le rapport de Corona.
LE MARÉCHAL BAZAI>E. 463
sépulture. C'est ainsi que fut inaugurée dans l'Etat de ]S6b.
Sinaloa une guerre qui allait être implacable et sans ""
merci.
Arrivé à Mazatlan le 13 janvier, le général de Castagny,
se conformant aux ordres du maréchal, renvoya le ba-
taillon de tirailleurs algériens à San Blas, et bien qu'il n'eût
avec lui que :2,800 hommes, il organisa, pour battre
les environs, deux colonnes mobiles, fortes chacune de
six compagnies, d'une section d'artillerie de montagne,
et de quelques cavaliers. Ces détachements ne purent ja-
mais joindre l'ennemi; familiarisés avec la-contrée, dont
ils connaissaient tous les chemins et tous les couverts, les
guérilleros insultaient presque chaque jour le bivouac des
colonnes et osaient même venir, jusqu'aux portes de Ma-
zatlan, enlever les mules au pâturage ; ils étaient les maîtres
du pays et trouvaient de l'appui chez presque tous les
habitants.
Cependant la population du district de la rsoria, au
nord-est de Mazatlan, ayant témoigné le désir de vivre
en paix avec les Français, le général de Castagny lui
envoya une garnison; au contraire il donna mission au
colonel Cottret de se rendre dans le district de San Se-
bastien, compris entre les Rios de Mazatlan et du Rosario,
et de raser le pays dont les habitants étaient partisans de
Gorona. Le rancho de Baron, le village de Malpica, la petite
ville de San Sebastien furent livrés aux flammes, puis
ensuite San José Matatlan, Copala, où l'ennemi essaya de se
défendre, et Guacimas. Une autre colonne détruisait au
même moment el Verde, Santa Catalina, Naranjas, Zigue-
ros, et Jacobo, où furent retrouvés les corps des prisonniers
de Yeranos.
Ces exécutions, loin de comprimer les mauvaises dispo-
i865.
464 11'" PARTIE, CHAPITRE ill.
sitions du pays, augmentèrent encore l'acharnement des
guérillas ; les détachements envoyés en reconnaissance et
les postes permanents placés à La Noria et à Mesillas,
étaient continuellement aux prises avec elles. Les intérêts
des populations agricoles de la plaine les amenaient, dans
plusieurs endroits, à demander la protection des troupes
françaises pour s'occuper de leurs travaux de culture et
sauver leurs récoltes ; quelques villages organisaient même
des gardes rurales ; mais les habitants des districts mi-
niers et montagneux de Gopala, de Panuco et de Petaca
fournissaient aux chefs libéraux des hommes et des res-
sources.
Le maréchal , espérant que le général Lozada , dont
l'influence était considérable le long de la côte du Paci-
fique, pourrait être un utile auxiliaire dans le Sinaloa,
lui demanda de venir de nouveau prêter son concours
au général de Gastagny. Le 5 avril, Lozada arriva en
effet au Rosario avec ses contingents, et, quelques jours
après, battit complètement un corps de quinze cents
hommes que Corona conduisait contre lui ; en peu de temps,
il parvint à organiser, dans les régions bien disposées, un
millier d'hommes de gardes rurales, tandis que le lieute-
nant-colonel Cottret poursuivait ses opérations dans les dis-
tricts hostiles et détruisait encore Panuco, Petaca, Sanla
Lucia et Charcos. Guzman, un des lieutenants de Corona,
fit sa soumission ; Corona lui-même quitta momentanément
le pays. La route de Tepic à Mazatlan se trouva dégagée, et
l'Etat de Sinaloa étant alors assez tranquille, Lozada ren-
tra dans le district de Tepic. Le général de Castagny, qui
avait été rallié par un bataillon du 62*^ venu de Durango,
put envoyer une partie de ses troupes s'établir au port de
Guaymas en Sonora.
LE MARÉCHAL BAZAIKE. 465
Au début de l'expédition du Mexique, et sur la foi
4865.
de renseifi'nements peu précis, on avait dit des merveilles Occupation
.de Guaymas de
sur les richesses minières de l'Etat de Sonora, pays viersje, sonora
, " . ^ (29 mars).
inexploré, si éloigné du pouvon^ central que son action ne
s'y faisait nullement sentir. A Paris, on avait même dis-
cuté, dans les conseils du gouvernement, la possibilité pour
la France de prendre possession d'une partie de ce terri-
toire et d'en exploiter les mines pour couvrir les dépenses
de la guerre (*) ; bien que ce projet présenté par quelques
esprits plus aventureux que sages n'eût pas été accepté, il
avait cependant inquiété assez sérieusement les Mexicains.
Le gouvernement français s'empressa de les rassurer à cet
égard, et lorsque l'escadre française fit voile pour Guaymas,
il ne s'agissait d'aucune entreprise sur les richesses sup-
posées de cette province, mais seulement d'enlever à Jua-
rez le dernier port par lequel il communiquait avec les
Américains de San Francisco.
Le 25 mars 1865, la division navale du Pacifique, com-
posée du Lucifer, du d'Assas, de la Cordelière et de la
Pallas, prit à Mazatlan un détachement d'un millier
d'hommes, placé sous lo commandement du colonel Gar-
nier, et formé de dix compagnies du 51 '^ de ligne et d'une
section d'artillerie de montagne. Le général de Castagny
accompagna les troupes destinées à cette expédition. L'es-
cadre arriva devant Guaymas le 29 mars; Patoni, qui oc-
cupait la ville, se retira sans essayer de résister. Le débar-
quement s'opéra sur le môle même, et les premiers détache-
ments mis à terre purent encore échanger quelques coups
de feu avec l'arrière-garde des troupes mexicaines.
(') La maison de banque Jccker était concessionnaire de vastes terrains en Sonora:
l'influence des personnages qui avaient des intérêts dans ses affaires ne paraît pas
avoir été titrnngère à ces projets, auxquels du reste aucune suite ne fut donnée.
30
466 II" PARTIE. — CHAPITRE III.
4fi6S. Les reconnaissances envoyées autour de la place signa-
"" lèrent toutefois les avant-postes ennemis à très-petite dis-
tance ; la situation se présentait donc la même qu'à Mazat-
lan ; la garnison française, bloquée de très-près et isolée
de toute communication avec l'intérieur, allait être ré-
duite à un rôle passif. D'ailleurs la ville, laissée sous
le commandement du colonel Garnier, officier sur l'éner-
gie duquel on savait pouvoir compter, était à l'abri d'un
coup de main. Le général de Gastagny revint à Ma-
zatlan.
Il était maintenant bien prouvé que l'autorité du gou-
vernement impérial ne s'établirait nulle part dans le Sinaloa
et la Sonora, sans la protection permanente des troupes
françaises. Dans le Sinaloa, il eût été difficile de trouver
des partisans sincères de l'Empire. La population de Ma-
zatlan, presque exclusivement composée d'étrangers, sur-
tout d'Américains, dont le commerce avait été arrêté par
l'arrivée des Français, regrettait le gouvernement républi-
cain. Autrefois, malgré l'insécurité des routes, les transac-
tions commerciales étaient encore possibles ; aujourd'hui
elles étaient entièrement interrompues. Gonflant dans son
courage et dans sa supériorité morale qui en imposent aux
Mexicains, l'Américain du Nord ne redoute guère les pil-
lards des grands chemins ; bien armé, bien monté, il ne
craint jamais d'aller partout où peuvent l'attirer les inté-
rêts de son négoce. Ge n'est pas chez ces hardis pionniers
que l'intervention française et l'Empire devaient trouver de
sympathiques auxiUaires ; à la protection gênante et
aux entraves d'une administration régulière, leur caractère
indépendant préférait de beaucoup la liberté d'action avec
le souci de se protéger eux-mêmes. Depuis quelque temps,
les avantages d'une terre particulièrement propre à la cul-
LE MARÉCHAL BAZAINE. 467
ture du coton entre l'Océan et le pied de la Sierra Madré, -isgo.
les attirait dans le Sinaloa, de même que les richesses mi-
nérales les avaient conduits dans les provinces du nord du
Mexique. C'est par cette émigration, lente mais continue, de
la race saxonne, que se prépare l'absorption successive des
plus riches contrées du Mexique dans le vaste système ré-
publicain des Etats-Unis. L'initiative personnelle de ces
aventuriers, bien plus encore que l'habileté politique du
gouvernement américain, favorise les progrès d'une invasion
qui, sous des apparences actuellement pacifiques, n'en
aura pas moins, plus tard, toutes les conséquences d'une
conquête. La terre reste toujours au plus digne; il est donc
probable que, dans ces régions, les races indienne, créole
et métisse se fondront dans la race plus puissante qui s'im-
plante au milieu d'elles ou disparaîtront d'un sol qu'elles
n'ont pas su féconder. Sans doute, l'intervention euro-
péenne n'aura fait que hâter ce résultat ; trop faibles, en
effet, pour résister seuls aux forces de la France, les libé-
raux du Mexique ont appelé à eux les Américains du Nord,
qui se sont empressés de leur fournir des armes, des sol-
dats, de l'argent, en échange de concessions importantes.
Beaucoup d'hommes du parti libéral voyaient cependant le
danger d'une intimité trop grande avec les Etats-Unis ; op-
posés à la monarchie, qu'ils croyaient incompatible avec les
mœurs du pays, ils déploraient à la fois, et la conduite des
partisans de l'Empire et celle du gouvernement de Juarez,
dont le résultat commun devait être une regrettable in-
gérence des Etats-Unis dans les affaires intérieures du
Mexique (^).
<U Le maréchal au minislre, 10 mai, dO auùt 1865, et les pièces annexées.
du Nord.
468 II" PARTIE. ■ — CHAPITRE III,
4865. Le combat du cerro de Majoma, en détruisant la dernière
Agitation armée de Juarez, n'avait cependant ni abattu son courage,
dans . . 1 - , , Ti j ' • , ^
les^ provinces m amoindri sa persévérance, il s était occupe de reconsti-
tuer ses moyens de guerre et ne se résignait même pas à
une attitude défensive. Bientôt, les corps de partisans, qui
se tenaient dans le nord de l'Etat de Durango, devinrent
assez gênants pour déterminer les commandants supérieurs
de cette province à envoyer des colonnes légères de ce côté;
au mois de novembre 1864, l'une d'elles s'avança jusqu'au
Rio Florido et peu après il fut nécessaire d'établir une
forte ligne d'avant-postes sur le Rio de Nazas. On disait
alors que Negrete, à la tête de 2,o00 hommes bien armés,
bien équipés, bien soldés, ayant seize pièces de canon, mé-
ditait une entreprise sérieuse sur les provinces soumises
à l'Empire.
Par suite de l'occupation du Sinaloa, l'Etat de Durango
se trouvait très-dégarni de troupes ; le maréchal, préoc-
cupé des projets attribués à Tennemi, dirigea rapidement
des renforts vers le nord ; il prépara la réunion à San Luis
Potosi d'une colonne mobile d'un millier d'hommes, et or-
donna la formation, à Queretaro, d'un corps de réserve
prêt à se porter où le danger menacerait. En ce moment,
on craignait de voir les Etats-Unis se déclarer enfin d'une
manière formelle contre l'intervention française en faveur
de Juarez. Comme s'ils eussent été assurés de la coopéra-
tion active des Américains, un grand nombre de chefs li-
béraux se rapprochaient de la frontière du Rio Bravo et y
réunissaient des troupes ; leurs proclamations affirmaient
l'espoir d'être soutenus par une armée américaine, et, de
fait, l'attitude des chefs des troupes fédérales sur la fron-
tière du Nord était de nature à justifier ces prévisions. Ils
avaient cherché à s'entendre avec les confédérés, en don-
LE MARÉCHAL BAZALNE. 469
nant pour base à leur réconciliation un projet d'inlerven- -isôo.
tien armée au Mexique, et ceux-ci en avaient prévenu le
général Mejia, qui commandait à Matamoros. Carbajal,
Texien d'origine, servait d'intermédiaire habituel entre
les fédéraux américains et les libéraux du Mexique ; il
était allé à la Nouvelle-Orléans pour nouer des relations
avec eux et en avait reçu des preuves certaines de sympa-
thie et des promesses d'appui qui se seraient sans doute
réalisées, sans la prudence et la réserve que le gouvernement
de l'Union apportait encore dans ses relations internatio-
nales. Les chefs des bandes juaristes persistaient néanmoins
dans leurs espérances ; Escobedo et Mendez étaient prêts
à commencer une vigoureuse campagne ; d'autres venaient
les ralHer de différents points de l'intérieur. En même
temps, sous l'influence des agents de Juarez, toute la La-
guna, c'est-à-dire le pays compris entre Parras, Aviles et
Guencamé, s'était insurgée et de nombreuses bandes s'y or-
ganisaient. Les guérillas du Sinaloa remontaient au nord à
travers la Sierra et paraissaient vers Tamasula et Guana-
sevi. Negrete continuait, de son côté, ses préparatifs mili-
taires ; il se tenait entre Parral et Piio Florido, pays de
grandes ressources, et manifestait hautement l'intention de
pénétrer dans l'Etat de Durango, où l'effectif des troupes
françaises était fort restreint.
Gette situation réclamait sérieusement l'attention du
maréchal. 11 envoya un bâtiment de guerre à l'embou-
chure du Rio Bravo pour surveiller les menées américaines,
et donna l'ordre k la contre-guérilla française 0) de se
rendre de Tula à Matehuala pour servir d'avant-garde à
(1) La conlri'-i-'Uérilla était alors comiioiijc de trois coiuiiagnies d'infanterie,
deux escadrons et une section d'artillerie, formant ensemble environ six cent'^
Jiommes sous le commandement du capitaine IS'ey d'Elchingcn. Le colonel Dupiii,
1865.
Mouvement
do Negrete de
Chihuahua sur
Saltillo,
Monterey
et Matamores.
470 II® PARTIE. CHAPITRE 111.
une colonne en formation à San Luis Potosi sous les
ordres du colonel Jeannin^ros.
Le général Aymard, commandant supérieur de Durango,
crut nécessaire de prendre en personne le commandement
des avant-postes du Piio de Nazas, afin d'observer de plus
près les mouvements de l'ennemi ; il sollicita des renforts
avec instance.
Le général Brincourt reçut donc l'ordre de se porter
rapidement de Léon sur Fresnillo et sur Cuencamé. Le
général Neigre, commandant provisoirement la 2^ divi-
sion, dut quitter le Michoacan et prendre position à Fres-
nillo avec dix compagnies , deux escadrons , et six pièces
d'artillerie, afin d'être à même de se porter, soit sur Parras,
soit sur Sierra Hermosa.
Le maréchal les prévint que, selon toute probabilité,
Negrete chercherait à étendre dans les provinces de l'Est
l'agitation qui se produisait dans celles de l'Ouest ; il leur
recommanda de surVeiller ses mouvements, et, dans le cas
où il paraîtrait se diriger vers Monterey, de s'établir sur la
route de Parras pour lui barrer le passage ('),
Le 28 mars, le général Brincourt était à Cuencamé.
Il supposait encore Negrete au Rio Florido, et il se rendit
à Nazas pour se mettre en relations avec le général Ay-
mard, qu'il devait remplacer dans son commandement,
puis il se dirigea sur Mapimi par la route d'El Gallo ;
mais Negrete, qui se trouvait à Mapimi, en partit le 30
mars pendant que le général Brincourt était à El Gallo ;
il déroba sa marche et se jeta sur le chemin de Parras,
que désormais personne ne pouvait plus lui fermer. Le
contre lequel des plaintes nombreuses avaient été portées, était rentré en France,
sur la demande formelle de l'empereur Maximilien.
(') Le maréchal au ministre, 19 mai.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 471
général Neigre arriva le 8 avril à Fresnillo ; mal rensei- ^^'
gné aussi sur les mouvements de l'ennemi, ne recevant
du général Brincourt aucune nouvelle qui lui confirmât
les craintes exprimées par le maréchal, il continua sa route
sur Durango. Le général Brincourt, de son côté, ne trou-
vant personne à Mapimi, se rabattit au sud par San Salva-
dor et San Juan del Rio, afin de contenir les guérillas du
Sinaloa qui cherchaient à déboucher par Papasquiaro, puis
il revint à Durango.
Quant àNegrete, il marchait avec la plus grande rapidité,
et le 9 avril entrait au Saltillo, que les insurgés de Parras
avaient momentanément envahi après un petit engagement
avec la garnison impérialiste; poursuivant ses succès, il
occupa Monterey le 12 avril, y laissa une garnison, et se
dirigea "aussitôt sur Matamores. Des partis de guérilleros
insultaient déjà la place ; Cortina avait fait défection avec
sept cent cinquante hommes, et s'était réuni à Carbajal ; sa
troupe, grossie de nombreux flibustiers américains, s'em-
para de toutes les villes des bords du Rio Grande.
Le général Mejia concentra en toute hâte, à Matamoros,
sa division éparse. Il ne disposait que de trois mille hommes
de troupes ; les habitants et les commerçants étrangers
s'étant armés formèrent en outre un corps de huit cents
volontaires. Au même moment, la plus grande partie du
Tamaulipas se souleva ; de nombreux pronunciamientos
eurent lieu, la garnison impérialiste de Vittoria fut atta-
quée par Mendez le 5 avril ; livrée à elle-même, privée
de tout appui, elle capitula le 22 du même mois. Grâce
à l'énergie de son préfet politique, Tula de Tamauhpas
résista pendant quelque temps ; mais, le 4 juin, l'ennemi
s'en rendit maître. Cependant, au nord, la situation s'ag-
gravait chaque jour ; on redoutait de voir les Américains
472 11^ PARTIE. CHAPITRE 111.
-ises. entrer en scène. Le maréchal Bazaine se hâta d'envoyer
par mer au secours du général Mejia un bataillon de cinq
cents hommes du régiment étranger, sous les ordres du
commandant de Brian. Ce renfort .ayant été débarqué le
2 mai à l'embouchure du Rio Bravo, son arrivée détermina
Negrete à battre en retraite ; il s'était, du reste, borné à
échanger quelques coups de canon avec la place et n'avait
rien entrepris de sérieux.
A en juger par la mollesse de ses attaques, il semblerait
qu'il eût été fort désappointé par l'attitude réservée des
forces fédérales américaines, sur la coopération desquelles
les libéraux avaient cru pouvoir compter ; pour les entraî-
ner à faire en sa faveur quelque démonstration compro-
mettante, il allégua faussement que sa retraite avait été dé-
terminée par un mouvement d'un corps de confédérés, ce
qui donnait la preuve de leur aUiance secrète avec les
Français. Le statu qiio n'en fut pas moins maintenu sur les
deux rives du fleuve, et Negrete prit le parti de rétro-
grader. Le 17 mai, il était au Saltillo ; ses forces s'élevaient
alors à quatre mille fantassins, huit cents cavaliers et vingt
et un canons.
Désireux de combattre le mauvais effet produit par la
manœuvre hardie à la suite de laquelle les Etats de Coa-
huila et de Nuevo-Leon paraissaient être rentrés sous l'au-
torité de Juarez, le maréchal Bazaine voulut essayer d'en-
velopper Negrete et de détruire ses troupes. Il donna
l'ordre à trois colonnes de converger sur Saltillo ; l'une,
commandée par le général Brincourt, devait arriver par la
route de Parras ; la seconde, sous les ordres du colonel
Jeanningros, venir par la roule de San Luis, et la troisième
être envoyée deMalamoros.Les deux premières effectuèrent
le mouvement ordonné, mais le général Mejia, occupé à
LE MARÉCHAL BAZAINE. 473
régler ses rapports avec les autorités fédérales récemment i865.
installées à Brownsville, craignit d'affaiblir sa garnison et "^
ne concourut pas à cette opération. , j^
Negrete s'était fortifié dans les gorges de rAngostura>( J^j r f^ b.
Le colonel Jeanningros arriva devant l'ennemi, le 31 mai; Ivaa^j^v^ #
il attendit le général Brincourt pour attaquer, mais au der- y^-''*^^ x^^o^a^
nier moment, Negrete refusa le combat ; il évacua ses po- "^"^ . ^^t,'.
sitions dans la nuit du 6 au 7 juin, et se retira par la route ^V. i' '^^
de Monclova avec deux mille cinq cents hommes et seize ca- à^^j
nons. Une autre fraction de deux mille hommes, conduite
par Escobedo, prit le chemin de Galeana.
Le 7 juin, les colonnes réunies du colonel Jeanningros
et du général Brincourt entrèrent au Saltillo ; cette dernière
rétrograda immédiatement sur Parras afin de fermer cette
ligne de retraite à Negrete, tandis que le colonel Jeannin-
gros, se mettant à sa poursuite, put atteindre et sabrer son
arrière-garde à Mesillas. Les troupes ennemies, forcées de se
jeter dans le désert de Mapimi, se débandèrent ; un grand
nombre de déserteurs se présentèrent à Parras, et Negrete
ne put conserver avec lui qu'une poignée d'hommes. Il
rapportait, il est vrai, des sommes importantes prove-
nant des contributions de guerre , mais la destruction
presque complète de sa division ayant indisposé contre
lui les chefs du gouvernement républicain, il se sé-
para d'eux.
Juarez se trouvait donc de nouveau sans armée, isolé
dans sa capitale de Chihuahua. Le moment paraissait venu
d'en finir avec lui et de le contraindre à quitter le Mexique.
Le cabinet de Mexico attachait toujours à cette question
une grande importance ; il conservait l'illusion de voir les
Etats-Unis reconnaître l'empereur Maximilien dès que l'an-
474 II® PARTIE. CHAPITRE III.
-1865. cien président aurait définitivement abandonné le territoire
mexicain. C'était singulièrement se méprendre sur les dis-
positions des Américains et sur leurs véritables sentiments à
l'égardderEmpirequelegouvernement français avait essayé
de fonder à leurs frontières. Le dernier coup venait d'être
porté à la résistance des confédérés ; le 26 mai 1865, avait
été signée la convention qui terminait la guerre de la Séces-
sion. L'heure était venue pour les Etats-Unis de se souvenir
que l'intervention française au Mexique était la consé-
quence d'une politique hostile, d'ailleurs très-clairement
manifestée par la reconnaissance du droit de belligérants
accordée aux Etats du Sud. Si, à cette époque, le Mexi-
que complètement pacifié eût été soumis en entier à l'au-
torité de l'empereur Maximilien, peut-être les Etats-Unis,
fatigués par une longue lutte, occupés à cicatriser les
plaies de la guerre civile, eussent-ils craint de s'engager
dans de trop grandes complications extérieures et consenti
à vivre momentanément en bonne intelligence avec ce
nouveau gouvernement ; mais telle n'était pas la situa-
tion. L'Empire était seulement reconnu dans les pro-
vinces où flottait le drapeau français ; il ne subsistait que
grâce à cette protection , tandis que la récente tentative
de Negrete, l'existence des forces libérales encore maî-
tresses du Tamaulipas et de la plus grande partie du Mi-
choacan, la résistance des guérillas du Sinaloa et de la
Sonora, qui tenaient en échec les garnisons de Mazatlan
et de Guaymas, prouvaient la vitalité du parti républicain.
Dès ce moment, on pouvait prévoir qu'à moins d'affronter
une rupture avec les Etats-Unis, rupture contraire aux
sympathies et aux intérêts de la nation française, l'empe-
reur Napoléon se verrait forcé de rappeler prochainement,
et non sans quelque humiUation, les régiments qui, depuis
LE MARÉCHAL BAZAINE. 475
plus de trois ans, s'épuisaient dans des efforts aussi glorieux ^865.
que stériles. C'en était donc fait du trône de Maximilien.
En effet, les Etats-Unis affirment dès lors leur volonté
formelle de ne pas tolérer plus longtemps un seul soldat
européen sur leur continent ; ils déclarent l'intention d'ap-
pliquer la doctrine Monroë de la manière la plus absolue,
et c'est à peine s'ils prennent le soin d'adoucir leurs ré-
clamations près du gouvernement français, sous les formes
ordinairement courtoises du langage diplomatique. Bien
qu'ils ne se départissent pas encore de la neutralité officiel-
lement observée depuis le commencement de l'expédition,
aucune entrave n'était apportée aux enrôlements faits ou-
vertement, sous la direction du général Ortega, àPittsburg,
à Philadelphie et à New-York ; des armes, des munitions,
des équipements étaient expédiés sur les douanes de Pie-
dras Negras, de Paso del Norte et d'Acapulco. Ils inter-
disaient, au contraire, l'exportation des fourrages que
l'administration française faisait venir de San Francisco
pour les garnisons de la côte du Pacifique, et ils s'oppo-
saient à l'émigration de la Californie vers le Mexique, de
peur que le gouvernement impérial ne profitât de l'appui
des nombreux confédérés alors disposés à chercher un éta-
blissement en SonoraW. [1 y avait certainement une grande
exagération dans les assertions des chefs libéraux qui ne
cessaient d'annoncer le prochain passage du Piio Bravo
par un corps de 30,000 hommes, mais il était néanmoins
prudent de se rendre compte de quel poids pèserait l'épée
des Etats-Unis si elle venait à être jetée dans la balance.
Au mois d'avril 1863, les forces militaires à la disposi- Forces militaires
. . . à la disposition
tion du maréchal Bazame se composaient environ de : du marôchai
Bazaine.
^•) Le maréchal au ministre, 28 mars, 8 avril.
lllQ if PARTIE. — CHAPITRE III.
i865. 28,000 hommes de troupes françaises,
20,000 hommes de troupes mexicaines,
8,500 hommes de gardes rurales ou de corps de police,
difficilement mobilisables.
6,000 hommes des contingents volontaires autrichiens.
1,300 hommes des contingents belges.
Ce qui donnait un total de
63,800 hommes, dont la moitié pouvait entrer en ligne ;
effectif assez imposant pour que le maréchal se crût à même
de résister pendant longtemps à une invasion américaine.
Le corps d'armée français formait un noyau de troupes
excellentes, autour duquel se groupaient des corps indi-
gènes ou auxiliaires dont quelques-uns n'étaient pas sans
valeur. On avait cependant peu fait pour créer au Mexique
un état militaire en rapport avec les exigences de la situa-
lion politique. A proprement parler, l'armée nationale
n'existait pas ; du moins, ce n'était toujours qu'une agglo-
mération sans consistance d'hommes obéissant à tel ou tel
chef, et qu'il n'avait pas été possible de soumettre à une
énergique centrahsation de com.mandement et d'adminis-
tration ; à l'exception des divisions Mejia et Marquez, les
• troupes mexicaines étaient employées dans les expéditions
seulement comme appoint des colonnes françaises. Leur
effectif s'accroissait à mesure que le rayon d'opérations
du corps expéditionnaire s'étendait , mais aucun progrès
sensible n'avait été réalisé dans leur organisation depuis
le règlement provisoire du mois de septembre 1863. L'em-
pereur Maximilien n'avait pas apporté à cet objet une sol-
licitude suffisante. Peu attiré vers les choses militaires par
la nature de ses études antérieures, il était incompétent sur
la plupart des questions qui s'y rattachaient. 11 forma une
LE 3IARÉCHAL BAZAINE. 477
commission sous la présidence du maréchal Bazaine et se ^sos
déchargea entièrement sur lui du soin important de cons-
tituer son armée. Les soldats mexicains lui inspiraient peu
de sympathie. Les Indiens malingres, gauches, mal habillés,
avaient, il est vrai, une triste apparence militaire et n'of-
fraient rien qui pût flatter l'amour-propre d'un souverain,
aussi s'était-il peu soucié de savoir quel parti on pouvait
tirer de ces pauvres gens. Quant aux officiers, ce qu'il en
entendait dire, ce qu'il en avait vu par lui-même, n'était
pas de nature à corriger la mauvaise impression produite
par l'aspect extérieur des soldats. L'empereur Maximilien
avait donc l'armée mexicaine en médiocre estime ; il la né-
gligea ; le jour où il s'occupa d'elle, ce ne fut que pour rui-
ner le peu d'organisation qu'elle possédait et en réduire
l'effectif sous prétexte qu'elle coûtait trop cher.
Le décret du 7 novembre 1864, relatif au licenciement
des corps auxiliaires et à la création de gardes rurales,
porta le premier coup à l'armée mexicaine, et bien que
l'exécution en eût été suspendue après quelques essais mal-
heureux, il désaffectionna un grand nombre d'officiers.
Ensuite l'éloignement du général Marquez, opportun peut-
être au point de vue politique, paraissait fort regrettable
au point de vue militaire, car, de l'avis général, c'était un
des meilleurs officiers du Mexique et l'un des plus expéri-
mentés. Enfin, la promulgation d'une loi organique de
l'armée (loi du 25 janv. 1865), résultat des travaux de la
commission, avait été tout à fait inefficace pour porter
remède à la situation militaire (^). L'organisation de VslY-
(•) Cette loi déterminait les cadres et les effectifs de l'arme'e ainsi qu'il suit :
18 officiers généraux, 40 officiers d'état-major, 66 officiers d'administration, 10
officiers d'état-major de place.
Tne frarde palatine, 50 hommes; une léorion de gendarmerie, 1.918 hommes;
478 11^ PARTIE. CHAPITRE III.
4865. mée mexicaine sur ces nouvelles bases était beaucoup plus
~ théorique que pratique. L'empereur Maximilien eut l'im-
prudence d'inaugurer cette réorganisation par un décret de
licenciement qui devait être appliqué, le 1^^ février 1865, à
l'ensemble de toutes les troupes permanentes ou auxiliaires,
et il avait décidé qu'on ne reformerait d'abord que quelques
corps modèles destinés à servir de type aux nouveaux ba-
taillons ou régiments. A lire ce décret, on ne peut croire
vraiment qu'il eût pour objet de réorganiser une armée en
présence de l'ennemi. Le mécontentement fut général, les
protestations arrivèrent de toutes parts, des corps entiers
firent défection (').
Bien que le licenciement ne dût amener qu'une trans-
formation des corps existants et non leur suppression, il fut
difficile de calmer les esprits ; les commandants supérieurs
français, témoins des désordres qui résultaient de Tan-
nonce de cette mesure, l'appelaient un désastre, et c'est alors
qu'en l'absence du maréchal occupé au siège d'Oajaca, le
général L'Hérillerj commandant à Mexico, obtint de l'em-
pereur Maximilien de faire surseoir à sa mise à exécution.
Sauf quelques modifications de détail, l'armée mexicaine
douze bataillons d'infanlerie, commandés par des colonels ou lieutenants-colonels
et deux bataillons de chasseurs (à huit compagnies), 17,600 hommes;
Six régiments de cavalerie à quatre escadrons, 4,740 hommes;
Douze compagnies présidiales, 1,524 hommes;
Un bataillon d'artillerie à pied, à six batteries ; un régiment d'artillerie à
cheval, à huit batteries, dont quatre montées et quatre de montagne ; un escadron
du train d'artillerie, 2,595 hommes;
Un bataillon du génie, 837 hommes ;
Un escadron du train des équipages, une compagnie d'ouvriers d'administration,
830 hommes.
Total, avec les cadres d'officiers, 31,000 hommes.
(1) Fragoso, dans l'Etat de Mexico ; Valdez, aux environs de Toluca. Fragoso,
véritable chef de bandits, s'était rallié à l'empire au commencement de 1864 ; on
avait eu la faiblesse de lui reconnaître le grade de colonel et de le laisser à la tête
de sa troupe.
LE MARÉCHAL BAZAINE. Ù79
conserva donc son ancienne formation. 11 fallait cependant ^ggg
prendre une décision à l'égard des nombreux officiers dis- ""
ponibles dont on devait reviser les brevets ('). Aucune loi
de recrutement n'était encore arrêtée. La Leva ayant été
supprimée, le maréchal eût désiré voir établir la conscrip-
tion, mais l'Empereur craignait avec raison que ce système
ne fût pas applicable au Mexique où existent des castes très-
tranchées. On employa parfois avec succès le recrutement
à prime pour le recruteur et pour la recrue ; dans d'autres
cas, particulièrement pour les gardes rurales, les munici-
palités et les haciendas furent tenues de fournir un certain
nombre d'hommes, dont elles étaient responsables ; on in-
corporait les déserteurs et les prisonniers de l'ennemi,
et, afin de conserver les hommes sous les drapeaux, on
était obligé, suivant la coutume ordinaire au Mexique, de
les tenir renfermés dans les casernes.
Pour réorganiser une armée, il faut une main ferme et
une volonté puissante. Les commissions étudient les diffé-
rentes questions, proposent des projets, mais elles sont na-
turellement incapables de faire exécuter un ordre, de faire
appliquer un décret. Le maréchal avait la force et l'influence
nécessaires pour être obéi ; il se désintéressa de cette ques-
tion et se contenta de se plaindre de l'insuffisance ou de
la mauvaise volonté des ministres de l'Empereur, sans pa-
raître se rendre compte que c'était à lui, surtout, que reve-
naient le droit et le devoir de constituer autour du trône
mexicain les troupes destinées à le défendre. L'empereur
(*) Il n'y avait pas au Mexique de général de quelque notoriété qui n'eût
nommé des officiers de tous grades ; d'autres s'étaient conféré leurs litres à eux-
mêmes, et le justifiaient sur le chiffre des hommes qui s'étaient groupés autour
d'eux. L'appât d'une solde les attirait maintenant en grand nombre, et il
fallait reviser toutes ces positions fort irrégulières.
'i'80 n^ PARTIE. — CHAPITRE III.
ises. Maximilien comprit la nécessité de dissoudre les commis-
sions et sous-commissions dont le rôle d'élaboration était
terminé. Il en prévint le maréchal et le remercia par une
lettre particulière O. Il eût désiré cependant qu'un officier
général français fût chargé de continuer l'organisation à
peine ébauchée. Cette combinaison n'ayant pu aboutir,
l'Empereur confia ce soin au général autrichien de Thun,
commandant la brigade austro-belge.
Les volontaires autrichiens et belges étaient arrivés dans
les premiers mois de 1865, et nous avons déjà parlé de
plusieurs opérations militaires auxquelles ils prirent part.
Cette brigade se composait :
l'' D'un régiment belge à deux bataillons;
2^ D'un corps autrichien comprenant :
Trois bataillons de chasseurs à pied.
Deux compagnies de pionniers,
Deux batteries de montagne,
Un régiment de hussards à cinq escadrons,
Un régiment de uhlans à cinq escadrons (^).
Le maréchal avait fait venir les Belges à Mexico ; quant
(') L'empereur Maximilien au maréchal, 26 mars 1865.
(") Le premier détachement belge arriva au Mexique le 13 octobre 1864 ;
les autres furent amenés successivement par les paquebots mensuels. Le pre-
mier détachement autrichien arriva le 30 décembre 1864, le dernier le 5 mai
1863.
L'uniforme des Belges se rapprochait de celui de nos cliasseurs à pied ,
avec un chapeau conique en feutre noir.
Les Autrichiens portaient un pantalon garance avec jambière, une vareuse
bleu foncé et un chapeau conique en feutre gris.
Les volontaires autrichiens étaient formés d'hommes do loutcs provenances, de
nationalités diverses, d'âges très-différents ; un certain nonilire avaientun passé forl
obscur, aucune cohésion n'existait entre eux ; aussi, au début, inspiraient-ils une
très-médiocre confiance à leurs officiers; la plupart des fantassins n'avaient jamais
LE MARÉCHAL BAZAINE. 481
aux Autrichiens, ils restèrent en majeure partie à Orizaba <«cb.
et dans l'état de Puebla.
Au mois d'avril 1865 0), les troupes françaises étaient
touché un fusil, beaucoup de cavaliers ne savaient pas monter à cheval ; d'ail-
leurs ils étaient venus au Mexique sans chevaux, et la remonte fut longue etdilli-
cile. (Aus den Gefechlen des œsterreichischea Freicorps in Mejico, par le major
vox ScHONOvsKY, Vienne, 1873.)
Si les volontaires autrichiens se mirent rapidement à la hauteur du service que
l'on attendait d'eux, s'ils se distinguèrent souvent par leur bravoure et leur fer-
meté, on doit en reporter le mérite au corps d'officiers placés à leur tête.
Le régiment belge, également bien commandé, était formé en partie d'hommes
très-jeunes ; ce corps avait besoin d'être instruit et discipliné avant de pouvoir
iHre employé activement ; les Belges avaient cru venir au Mexique comme garde
d'honneur de l'impératrice Charlotte. Les fatigues et les privations d'une cam-
pagne pénible n'étaient compensées par aucun avantage réel ; il y eut chez ces vo-
lontaires, comme chez les Autrichiens, de nombreuses désillusions.
(') La i" division : général de Gastag.vy ; quartier général à Mazatlan.
1", brigade : 7' bataillon de chasseurs, ol^ de ligne, 62' de ligne; en majeure
partie à Mazatlan et aux environs, avec des détachements à Guay mas et à Durango.
2'^ brigade : 2' bataillon d'Afrique, à Oajaca ; 3' zouaves, à .Mexico ; régiment
étranger, à Oajaca, Mexico, Queretaro.
La 2' division : général Douay (provisoirement commandée par le ''énéral
Xeigre) ; quartier général en marche, de Jlorclia sur Durango.
1" brigade : bataillon de tirailleurs algériens, ù Guadalajara; 81* de ligne, à
Mexico, Morelia, etc.; i" zouaves, à Aguascaliefites, Zacatecas, Guadalajara
Léon, Lagos.
2" brigade : 18» bataillon de chasseurs, en colonne au nord de Durango;
7° de ligne, à Guanajuato, San Luis Potosi, Léon ; 93» de ligne, à Aguascalientes,
Zacatecas, Guadalajara et environs.
brigade de cavalerie : général de Lascûurs ; 1" régiment de marche , à Ma-
zatlan et nord de Durango ; 2* régiment de marche, à Mexico; 12« chasseurs, à
Mexico, Guadalajara.
Compagnie da génie colonial : à CorJova et Campêche.
Contre-guérilla : à Vcnado, Tampico.
Bataillon égyptien : Terres chaudes de Vera-Gruz.
La compagnie de volontaires créoles , dont les engagements n'avaient qu'une
durée de deux ans, était partie du Mexique le 17 novembre 1864. Les troupes
de la marine avaient été successivement rappelées, et depuis le mois de janvier
186S, il ne restait à terre que les matelots de la direction du port de Vera-Cruz.
Le contre amiral Bosse avait été nommé au commandement en chef de la divi-
sion navale des Antilles, du golfe du Mexique et de l'Amérique du Nord ; il fut rem-
placé dans le commandement direct de l'escadre des côtes du Mexique par M. le
capitaine de vaisseau Cloué (26 août 1864).
31
482 II'' PARTIE. CHAPITRE III.
4863.
— fort disséminées ; le maréchal Bazaine voulut les répartir
d'une manière plus normale qui permît une concentra-
tion rapide. Nous avons déjà vu qu'un bataillon fran-
çais avait été envoyé à Matamores, et que des colonnes
s'étaient dirigées au nord vers Saltillo et Monterey ;
quelques-unes de ces troupes restèrent dans ces contrées
comme pointe avancée, de manière à surveiller de près
les mouvements de l'ennemi sur les rives du Rio Bravo ;
une colonne se porta sur Chihuahua, tandis qu'une
partie de la division de Gastagny, rappelée de Mazatlan,
reprenait position dans l'état de Durango. Des corps de
réserve se concentrèrent en arrière, à Léon, Lagos, Que-
retaro.
Le maréchal Bazaine, portant alors toute son attention
vers la frontière américaine, négHgeait les soins de la paci-
fication dans les provinces du centre et du sud. Sa corres-
pondance prouve qu'à cette époque il se préoccupait ex-
clusivement de tenir tête, avec sa poignée de Français,
aux armées que les Etats-Unis pourraient envoyer contre
lui, et qu'il reléguait toutes les autres questions au second
plan.
Mésintelligence H u'cxistait plus de rapports bienveillants entre le
le goivcrnemeiit commaudaut cu chef et r Empereur dont les conseillers
et JèïanToHtés étaient, en général, peu favorables à la France. M. Eloin,
lanraiv.b. ^^^^ ^^^^^ ^^ cabiuet, avait particulièrement montré, dès
les premiers jours, une hostilité à peine déguisée contre
tout ce qui portait l'empreinte de l'influence française. Le
maréchal sentait ses actes discutés, ses opérations militaires
critiquées ; il fut froissé plus d'une fois des mauvaises- dis-
positions de l'entourage impérial et, de son côté, ne
témoigna plus aux souverains la même sympathie. Il fai-
sait mouvoir les troupes, aussi bien les Autrichiens et
\
LE 3IARÉCHAL BAZAINE. 483
les Mexicains que les Français, comme il l'entendait; 4865.
il imposait des amendes aux populations mal disposées, ~
ordonnait des réquisitions de transport à la charge du
trésor mexicain, en un mot agissait en maître, et prenait
à peine le soin d'en informer l'Empereur. Intervenant
même dans les questions d'administration civile, il fit,
de sa propre autorité, arrêter et traduire devant les con-
seils de guerre, en vertu des décrets sur l'état de
guerre, rendus en juin et novembre 1863 et non rap-
portés, cinq rédacteurs de journaux qui, à l'occasion
du procès du chef de bande Romero, avaient publié
des articles critiques ou injurieux contre l'armée française.
Cette mesure avait ému l'Empereur qui laissa cependant la
justice française suivre son cours, de peur de provoquer une
rupture de la part du maréchal (0. Les rédacteurs furent
condamnés à la prison et à l'amende.
Cette mésintelligence s'accentua de jour en jour; au
commencement de l'année 1865, le siège d'Oajaca glorieu-
sement terminé, le maréchal eût peut-être envisagé avec
satisfaction la possibilité de quitter le Mexique ; l'empe-
reur Maximilien, de son côté, aurait vu avec plaisir le
commandement supérieur passer aux mains du général
Douay qui, rentrant momentanément en France avec un
congé de convalescence, s'était arrêté quelques jours à
Mexico, et dont les idées et les appréciations sur la situa-
tion générale du Mexique et la conduite de la guerre
avaient séduit l'Empereur et l'Impératrice C'^).
A cette époque, le maréchal prétendait en effet que la
(0 Le maréchal au ministre, 28 mars 1863.
(') L'empereur Maximilien demanda (février 180a ) le rappel du maréchal
Bazaine. Tel est du moins un des motifs que l'on attribua au voyage en France du
général mexicain Woll ; mais celui-ci aurait atténué dans ses rapports à l'empereur
Napoléon les expressions du mécontentement do l'empereur Maximilien.
484 11* PARTIE. CHAPITRE 111.
-1865. « situation était très-bonne et croyait le moment favorable
~ au rétablissement des finances par des réductions d'eftec-
tif ; » il avait maintenu ses ordres relatifs au renvoi de
nouvelles troupes en France. L'empereur Maximilien en
était fort mécontent (*).
Cependant le maréchal ayant formé le projet d'épouser
une jeune fille d'une des principales familles de Mexico, ma-
demoiselle de iaPena, l'empereur espéra que ces nouveaux
liens l'intéresseraient plus intimement à l'avenir de l'em-
pire ; ce fut l'occasion d'un rapprochement entre eux. Le ma-
réchal, trouvant que les affaires politiques marchaient mal,
n'en continua pas moins à blâmer les mesures prises par le
gouvernement impérial ; l'Empereur, jugeant que les opéra-
tions militaires auraient dû être difteremment conduites,
s'en prenait toujours au maréchal des difficultés de la situa-
tion. Les tiraillements se renouvelèrent ; le préfet de Guana-
juato ayant montré du mauvais vouloir au commandant mi-
litaire français, le maréchal retira la garnison française, et
fit savoir à l'Empereur qu'il en agirait de même partout où
il ne rencontrerait pas un concours loyal et dévoué de la
part des autorités politiques et adminislralives.Les anciens
partis relevaient la tête ; à Mexico, un comité directeur tra-
vaillait par tous les moyens à la ruine de l'empire. Des lettres
de Santa-Anna, qui furent interceptées, ne laissaient aucun
doute à cet égard, et le maréchal croyait que plusieurs mi-
nistres, certains commissaires impériaux, beaucoup de fonc-
tionnaires de tous rangs étaient en rapport avec les conspi-
W Le maréchal au ministre, 27 février 18G5. — Outre la batterie de .'i garde,
et de nombreux libérables et convalescents, on avait renvoyé en France, au\ mois
de septembre et d'octobre d864 , le 1" et le 20'-" bataillons de chasseurs à pied ;
Ift 99* de ligne panit en deux convois , au mois de décembre suivant, et le
2* zouaves au mois de mars 186S.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 48o
rateurs. Il écrivit à Paris au ministre de la guerre qu'un 1863.
grand nombre d'hommes, importants par leur position ~
dans le pays, étaient mécontents du gouvernement, qu'ils
cherchaient à se grouper : « leurs inquiétudes s'aggravant
depuis les derniers événements d'Amérique, ils se comptent
et forment un faisceau dont la force s'augmente en propor-
tion de la faiblesse du gouvernement, et du danger que
peut créer l'apathie apparente qui préside aux destinées du .
pays ou le choix des agents du pouvoir exécutif.
« J'ai reçu à cet égard des confidences qui émanent
d'une source qui ne me permet pas le doute, et je sais que,
plutôt que de subir le joug américain auquel tend le parti
démagogique, les conservateurs n'hésiteraient pas à se
donner au bras qui les a soutenus, et sur lequel ils basent
toutes leurs espérances d'avenir. C'est une annexion à la
France, ou tout au moins un protectorat sous sa forme la
plus absolue, que le parti conservateur est décidé à propo-
ser, le jour où par suite d'événements, qui ne sont point
improbables, le souverain que l'intervention a donné au
pays viendrait à lui manquer (*). »
Le ministre de la guerre répondit que « si ces tendances
prenaient quelque consistance », il fallait « les repousser
de la manière la plus péremptoire, car, à aucun titre et dans
quelque circonstance que ce fût, une pareille combinaison
ne saurait être admise ou seulement entrevue, elle serait
en opposition formelle avec les intérêts delà France et avec
les intentions de l'Empereur C^). »
Le mariage du maréchal fut célébré, le 26 juin, à la cha-
pelle du palais; le maréchal écrivit au ministre de la guerre
(') Le maréchal au ministre, 28 mai 1865.
(2> Le ministre au maréchal Bazaine, 30 juin 1865.
486 II* PARTIE. CHAPITRE III.
4863. que l'Empereur et l'Impératrice avaient été pour lui « d'une
parfaite bonté (*). »
Loin de s'apaiser, le mécontentement de l'Empereur était
cependant entretenu par des nouvelles fort peu satisfai-
santes reçues de tous les points du territoire ; il pensait
qu'on aurait pu remédier à cet état de choses, si le maré-
chal, au lieu de présenter la situation sous des couleurs
trop favorables et de renvoyer des troupes en France, avait,
ainsi qu'il le lui conseillait, sollicité de nouveaux renforts.
Les sentiments de l'empereur Maximilien se trouvent nette-
ment exprimés dans une lettre datée du 29 juin 1865 :
« Je reçois des nouvelles fort alarmantes. Il faudra pourvoir à
la sûreté de cette place importante de Guanajuato.
8 Si le moindre scandale arrive, j'en rends responsable le ma-
réchal.
« Il faut le dire nettement, notre situation militaire est des plus
mauvaises, Guanajuato et Guadalajara sont menacés.
« La ville de Morelia est entourée d'ennemis; Acapulco est perdu
et donne par son excellente position un chemin toujours ouvert
pour alimenter la guerre, et pour fournir l'ennemi d'hommes et
d'armes.
« Oajaca est presque dégarni ; San Luis Potosi est en danger.
« Du nord ne viennent pas de nouvelles, de manière que la posi-
tion militaire est, je le répète, bien mauvaise, plus mauvaise que
l'automne passé.
« On a perdu un temps précieux, on a ruiné le trésor public, on
a ébranlé la confiance, et tout cela parce qu'on a fait croire îi Paris
que la guerre est glorieusement finie, que d'immenses territoires
plus vastes que la France étaient redevenus calmes et paisibles.
(•) Le mari-chal au ministre, 28 juin.
L'Empereur donna en dot à la inarécliale le palais de Bucna-Vista, résidence du
commandant en chef. Une clause du contrai spécifiait que, dans le cas où le muré-
chal quitterait le Mexique, cet hôtel serait repris par l'Etat moyennant une somme
de cent mills piastres. Aprùs la cliulc de l'empire, le gouvernement républicain s'en
empara.
LE 31ARÉCHAL BAZAINE. 48/
« Donnant suite à ces rapports complètement faux, on a rappelé <868.
une grande quantité de troupes, voulant ainsi gagner l'opposition;
on a laissé un nombre insuffisant de soldats.
« D'un autre côté, on nous a fait dépenser des sommes énormes
pour les mauvaises troupes auxiliaires, et de cette manière le pauvre
pays doit payer des troupes françaises,.... des hordes d'indigènes
qui ne lui font que du mal, et en récompense de ces immenses
sacrifices pécuniaires, nous voyons les principales villes du pays,
les centres de la richesse, menacés par des troupes audacieuses
qu'on se plaît à appeler « ladroms », mais qui montrent un talent
militaire très-remarquable, profitant immédiatement des grandes
faiblesses de notre position.
« Dans tous ces points, il y a deux questions sérieuses à régler :
l'insuffisance des troupes et les sommes inouïes que cette lente et
malheureuse guerre engloutit.
« Le point le plus brûlant pour le moment est d'assurer les
grandes villes.
« La perte de Guanajualo serait un malheur irréparable ; la
prise de Morelia un scandale sans nom.
€ A propos de Morelia, je me rappelle très-bien les promesses
qu'on m'avait faites l'année dernière. On parlait comme à présent
du temps des pluies. On disait qu'en hiver tout serait fait. On fai-
sait mille promesses aux malheureuses populations, et il se passe
une année et nous voilà dans la position la plus déplorable. »
Il y avait beaucoup de vrai dans ce triste exposé de la
situation du pays, bien que les alarmes au sujet de la con-
servation des grandes villes de l'intérieur, toujours proté-
gées par l'armée française fussent des plus exagérées. II
eût été certainement avantageux d'avoir un eftectif français
plus considérable, mais enfin ces mauvaises troupes auxi-
liaires, ces-hordes d'indigènes, dont l'Empereur parle avec
tant de dédain, étaient en définitive composées des mêmes
éléments que les troupes républicaines ; qu'elles fassent
médiocres, et sur tous les points de beaucoup inférieures
488 II* PARTIi;. — CHAPITRE III.
<86S. à des corps européens, c'est incontestable ; l'Empereur
devait le savoir avant d'accepter la couronne. Il assurait
d'ailleurs ne s'être jamais fait d'illusions sur le véritable
état du pays (0; d'autre part, il ne pouvait espérer que le
gouvernement français continuerait indéfiniment ses sacri-
fices d'hommes et d'argent, malgré le désir maintes fois
exprimé par la France de voir mettre un terme à l'inter-
vention au Mexique. Quand les Mexicains eux-mêmes
restaient inertes, que les plus ardents partisans de la
monarchie se montraient impuissants à provoquer quel-
que manifestation sérieuse en faveur de l'empire, était-il
sage de croire que les troupes françaises, leur effectif fùl-il
double ou triole, arriveraient à rélablir l'ordre dans un
pays déchiré depuis quarante ans par la guerre civile? Le
clergé était de plus en plus hostile ; la reconnaissance des
lois de réforme avait porté son irritation au comble, tandis
que la révision des ventes des biens ecclésiastiques avec
les lenteurs de la justice mexicaine et les vexations qui en
étaient la conséquence, ne satisfaisait personne et grossis-
sait les rangs de l'opposition. Les plaintes de milliers de
veuves de militaires, d'estropiés, et de blessés, auxquels on
ne payait pas régulièrement la pension qu'ils recevaient des
autres gouvernements, faisaient le plus mauvais effet. Une
lettre, datée du 30 juin 1865, adressée à l'Empereur par le
(*) J'ai bien voulu croire ce que Teran me disait avant mon départ d'Europe,
et je savais que les idées des pauvres exilés de la Régence embarrassée n'étaient
que des fantasmagories. Je ne me fis jamais d'illusions, mais j'ai trouvé que la
situation n'était pourtant pas si triste que Teran la peignait alors et qu'il vou-
drait encore la faire paraître ; ce pays est meilleur qu'il n'en a la réputation, et
il est précisément meilleur dans le sens contraire aux exilés (Extrait d'une
lettre de l'empereur Maximilien au baron de Pont, 8 décembre 186S.)
M. Teran, agent du gouvernement de Juarez en Europe, était allé voir l'em-
pereur Maximilien à Miramar, pour lo détourner d'accepter la couronne du
Mexique.
LE MARÉCHAL BAZAliNE. 480
préfet de Morelia pour lui donner sa démission, est inté- i86o
ressante à connaître comme indice des dispositions actuelles
des anciens partisans de l'empire :
« Sire, la marche politique que S. M. a cru devoir imprimer à
son gouvernement n'a pas répondu au grand but que S. M. se pro-
posait sans doute en l'adoptant; tout au contraire, les populations
l'ont vue avec une extrême défiance et les révolutionnaires avec un
dédain marqué.
« L'enthousiasme des premières est éteint, elles sont tombées
dans l'indifférence, d'où elles passeront h. l'aversion.
« La révolution dont les titres ont été reconnus par S. M., de la
façon la plus explicite et la plus solennelle, méprise les concessions
parce qu'elle se croit autorisée aies regarder comme de justes répa-
rations qui lui sont dues. Elle marche à son but, rien ne l'arrête et
peut-être triomphera-t-elle dans ce département.
« Ce n'est pas qu'elle soit forte par le pouvoir des armes ; sa
force est dans la faiblesse du gouvernement. Celui-ci n'a pas de
pensée fixe, il n'a pas d'ensemble dans ces mesures ; l'opi^ortunité
et l'unité d'action manquent dans tout. En un mot, Sire, on cherche
en vain l'intelligence supérieure qui dirige, la volonté ferme qui
décide, la main vigoureuse qui exécute; le chaos en est la consé-
quence forcée.
« Telle est la situation du Michoacan. Il convient à mon devoir
comme autorité, à ma loyauté comme homme d'honneur, de l'ex-
primer franchement à S. M. en insistant pour la quatrième fois sur
la démission que je donne de la préfecture politique.
« Je prie S. M. de l'accepter pour me sauver au moins du ridi-
cule qui est le sort réservé aux fonctionnaires publics de ce mal-
heureux département. »
La désaffection était en effet générale. L'Empereur, au
lieu d'exercer le pouvoir d'une main ferme et sous sa
propre responsabilité, laissait paralyser ses excellentes in-
tentions par le mauvais vouloir ou l'apathie de ses agents ;
il avait la faiblesse de soumettre ses décisions au contrôle
de ses ministres, et en subordonnait l'exécution à leur au-
490 II* PARTIE. — CHAPITRE III.
mo. torisation préalable (*). Très-fréquemment, des questions
arrêtées dans un sens entre l'Empereur et le maréchal re-
cevaient, quand elles avaient passé par les ministres, une
solution toute différente, ou bien elles étaient indéfiniment
ajournées.
L'expérience était faite, l'épreuve était "tentée ; de plus
la guerre civile d'Amérique une fois terminée, l'influence
française devait inévitablement succomber sous l'influence
bien autrement puissante de la république américaine. Les
moins clairvoyants reconnaissaient actuellement l'impossi-
bilité de maintenir l'empire ; la fraction la plus active et la
plus intelligente du pays était entraînée dans le courant
des idées républicaines démocratiques ; la masse indienne
restait inerte, et les conservateurs monarchiques ne repré-
sentaient qu'une minorité fort insuffisante ; avec plus d'é-
nergie, l'empereur Maximilien aurait peut-être tiré meil-
leur parti de la situation, il n'est pas probable qu'il fût
parvenu à la dominer.
Il était également injuste de rendre le maréchal Bazaine
responsable des difficultés de l'heure présente. L'empe-
reur Maximilien se montrait cependant trop disposé à le
faire (^).
(1) Un Français, qui était allé à Mexico pour s'occuper de la fondation d'éta-
blissements de crédit, écrivait le 12 août 1865 : « Comme étranger, ce qui se
passe dans ce pays ne me regarde pas; mais je ne puis m'empècher de plaindre
sincèrement S. M. Maximilien d'être entouré d'hommes aussi arriérés; en vérité,
on serait porté à croire que c'est de mauvaise foi qu'ils agissent. Sa Majesté est
trop bonne et a trop de déférence pour eux ; avec de pareils hommes, ses efforts
pour faire le bien du pays sont frappés de stérilité. »
(2) La lettre suivante, de l'empereur Maximilien, fera connaître l'aigreur de
ses sentiments à l'égard du maréchal.
ChapuUepec, 18 juillet 1865 — « Je ne me plains pas contre les Français
auxquels le Mexique doit tant do reconnaissance, mais je me plains amèrement
LE MARÉCHAL BAZAINE. 491
Un rapide exposé de la situation financière du pays I860.
achèvera de prouver combien étaient précaires les condi-
tions d'existence de l'empire.
Les ministres de l'empereur Maximilien s'exprimaient
ainsi dans un rapport qu'ils lui adressaient à ce sujet :
Sire, en montant sur le trône du Mexique, ce dont Votre Majesté
pouvait le moins se flatter c'était de venir gouverner une nation
prospère. V. M. reconnut de la manière la plus formelle que l'Em-
pire et la présence de l'Empereur étaient acceptés comme l'espoir
et directement contre quelques Français qui servent mal leur Empereur et l'hon-
neur de leur dropeau. Je parle de ces hauts fonctionnaires qui dépensent Targent
et le sang du Mexique inutilement, qui font toutes les intrigues pour contrecarrer
la formation d'une armée nationale, qui renvoient des troupes sans la permission
do leur souverain et contre les traités les plus sacrés, qui permettent et autorisent
le vol et le saccage, qui démoralisent de plus en plus, tous les jours, une helle et glo-
rieuse armée, qui foulent à leurs pieds les principes de la civilisation, la gloire
de Napoléon et de ses drapeaux ; je parle de ces chefs qui me laissent dans
l'ignorance la plus complète de faits militaires, qui me parlent de victoires
quand il y a des défaites, qui sacrifient inutilement de braves troupes, qui ont
mis mon empire dans une position militaire plus triste qu'elle n'a été l'année
passée, qui permettent à Juarez d'enrôler une nouvelle armée et de se moquer
d'un maréchal de France et de son armée.
« Si je ne me plains pas ouvertement, si je ne montre pas mon mépris, c'est
par égard pour mon meilleur ami, pour l'empereur Napoléon, par respect pour
cette grande nation à laquelle nous devons tant. J'avale bien des injustices, bien
des humiliations auxquelles je n'étais accoutumé de ma vie, par amour pour ma
nouvelle patrie, par amitié pour la France. Je fais comme si j'étais dupé, pour
sauver l'avenir, et vous savez bien que je ne suis la dupe de personne et que ma
mémoire, malheureusement trop bonne, me fait rappeler toutes les promesses et
tous les mensonges qu'on m'a faits et dits depuis quatorze mois. Aucune des pro-
messes n'a été tenue et, je le répète, la position militaire est plus mauvaise que
l'année dernière, chose que je peux vous prouver sur la carte et par les rapports
que je reçois, qui, c'est vrai, ne me parviennent pas malheureusement du quar-
tier général comme cela devrait être, mais qui pour cela ne sont pas moins au-
thentiques. Du reste, je me console de ne pas recevoir des rapports inexacts du
quartier général, puisque le même malheur arrive comme je viens de le savoir po-
sitivement à l'empereur des Français.
« On se joue des deux Empereurs, voilà la situation ; mais elle ne durera pas
longtemps ; les deux Empereurs commencent à voir clairement et le Mexique et la
gloire de l'armée française seront sauvés et triompheront de toutes les intrigues
méprisables. »
492 11° PARTIE. CHAPITRE III.
/)865. d'un remède à d'immenses malheurs qui pesaient douloureuse-
— ment sur ce pays depuis longues années, et que le gouvernement
de V. M. était l'héritier de beaucoup d'autres qui avaient accumulé,
peu importe à qui en revient la faute, une foule de désordres et
de calamités, d'engagements et de déceptions....
« Grande renommée de richesses, pauvreté réelle^ brillantes illusions
et amères déceptions, telle est notre histoire financière. »
On disait que les revenus du Mexique, sous le gouverne-
ment des vice-rois, s'élevaient à vingt millions de piastres;
mais, en regardant les chiffres de près et en déduisant les
frais de perception, on arrive seulement à un total de
treize millions et demi de piastres qui s'était abaissé à huit
ou neuf millions au moment où l'indépendance fut procla-
mée. On estimait que, lorsque l'empereur Maximilien
accepta la couronne , le revenu public s'élevait à quinze
millions de piastres au plus ; il était dû dix annuités sur la
dette étrangère, plus de cinquante millions de piastres à la
France pour frais de l'expédition, et cent millions à la dette
intérieure. Quoique ce bilan ne fût pas alors très-bien
connu, la première préoccupation du nouveau souverain,
avant même son départ de Miramar, avait été de négocier
un emprunt. Nous avons déjà dit qu'il réussit, grâce à
l'habileté de M. Fould, ministre des finances de France;
on obtint cet emprunt au chiffre nominal d'un peu plus de
cinquante millions de piastres, à un taux de 6 ''/o, mais les
frais et les conditions de la souscription le réduisirent à
moins de vingt millions de piastres, ce qui fit ressortir
l'intérêt à plus de 12 % ; pour le Mexique ces conditions
n'étaient pas encore trop mauvaises ; « dans ses jours les
plus prospères, la république mexicaine eût été heureuse
de trouver de l'argent à ce prix » (').
fl) Rapport du minisfe des finances.
LE MARÉCHAL BAZAIINE. 493
Mais c'est à peine si, après les prélèvements faits pour ^soo.
les créanciers anglais, pour les garanties d'intérêts, et pour
le trésor français, il était resté, sur le produit de cet em-
prunt, quelques millions que l'empereur Maximilien reçut
à Miramar et appliqua en partie aux dépenses de premier
établissement. Il fallait, de toute nécessité, faire un nouvel
appel au crédit public.
Dans les premiers mois de l'année 1864, le ministre des Mission
finances avait envoyé au Mexique M. Corta, député .au
Corps législatif, u homme d'un excellent esprit, calme, et
instruit,» disait le ministre lui-même (*); il avait pour mis-
sion spéciale d'étudier la situation financière, de se rendre
compte des difficultés, d'en préparer l'aplanissement, de
régler les différentes questions d'indemnités et de réclama-
tions françaises, sans oublier surtout la créance Jecker (^),
et de faire la lumière sur les incertitudes de l'avenir.
Après un séjour de quelques semaines àMexico, M. Gor-
ta revint à Paris, ébloui, disait-il, de la fécondité de ce sol
privilégié. C'est alors que fut conçue cette nouvelle et har-
die combinaison financière de l'émission d'un emprunt
mexicain sur la place de Paris, malgré la dépréciation qui
frappait déjà les titres précédemment émis. M. Corta arriva
juste à point pour facihter le succès de cette aventureuse
opération. Il fit à la tribune du corps législatif un récit
merveilleux des richesses du Mexique (^), de l'avenir fortu-
né qui lui était réservé par le développement du commerce,
de l'agriculture, et de l'industrie; sous le gouvernement
(») Lettre de M. Achille Fould, 31 mars 1864.
<*' Voir à l'appendice.
(3) Séances des 9 et 10 avril 1865 : • Le Mexique, au point de vue agricole,
commercial et industriel, est tout simplement le pays le plus favorisé du globe. •
La plupart des chiffres cités par M. Corta au sujet des revenus des impôts, aux
différentes époques, sont erronés.
494 ïl" PARTIE. CHAPITRE III.
1865. sage et populaire de Teoipereur Maximilien,(( apparaissant
aux Indiei^ comme l'homme de la prédiction, l'homme
venu d'Orientaux cheveux blonds et aux yeux d'azur.»
M. Rouher, ministre d'Etat, corrobora les assertions
de M. Corta dans un pompeux langage, où il était ques-
tion de découverte et d'exploitation de mines de fer, de
houille, de sources d'huile de pétrole ; il donna, en ces
termes, aux futurs souscripteurs de l'emprunt, la garantie
morale du gouvernement français : « Le but doit être
atteint, la pacification doit être complète, l'armée française
ne doit revenir sur nos rivages que son œuvre accomplie
et triomphante des résistances qu'elle aura rencontréesC^).»
Quelques jours après, l'emprunt était lancé et, en trois
jours, entièrement souscrit avec un engouement indes-
criptible C^). L'épargne française s'engloutissait de nouveau
dans ce gouffre où l'influence politique et le prestige de
la France étaient déjà près de disparaître. Enfin, quelque
argent était trouvé pour satisfaire aux exigences pres-
santes du moment. Déduction faite des frais de négocia-
tions et des prélèvements divers, il ne parait pas être resté
au gouvernement mexicain une somme de 50 millions de
francs, sur les 170 millions ou environ qui furent versés
par les souscripteurs.
On comprend que, dans de telles conditions, il était dif-
ficile que l'état financier du Mexique parvînt à s'améliorer.
(>) Séance du 10 avril 1865.
(2) Par un syndicat de trente-cinq banquiers, auxquels s'adjoignirent deux cents
banques secondaires.
On émit 500,000 obligations à 340 fr., devant produire un capital de
170 millions. — Ces obligations, remboursables à 500 fr., étaient productives
d'un irUérêt annuel de 30 fr. La grande attraction de celte combinaison él;iit le
tirage de lots semestriels de 500,000 fr., de 100,000 fr., de 50 et de 10.000 fr.
Les banquiers chargés de l'émission prélevèrent une commission de 10 p. lot).
LE MARÉCHAL BAZAINE. 49o
Avec une bonne gestion, on aurait pu notablement aug- -iSCo.
menler les revenus publics, mais il y avait peu d'ordre
dans l'administration , peu d'intégrité chez beaucoup
d'agents. Nous avons dit que l'empereur Maximilien avait
voulu confier le contrôle et la direction des services finan-
ciers à des employés français, et nous avons fait connaître
les difficultés que la mauvaise volonté des Mexicains op-
posait à l'application de cette mesure. Cependant, l'Empe-
reur ayant demandé à la France un fonctionnaire d'un
rang élevé pour organiser le système financier du Mexique,
un inspecteur général des finances, M. Bonnefons, fut mis à
sa disposition. Il se rendit àMexico au mois de février 1865.
L'Empereur et l'Impératrice désiraient qu'il acceptât le
portefeuille de ministre des finances, mais il se récusa
sagement, d'accord avec le maréchal Bazaine qui écrivait
à ce sujet :
« J'ai reçu M. Bonnefons, et nous sommes tombés d'accord sur
les difficultés qui surgiraient, et sur le peu d'indépendance que lui
laisserait, vis-à-vis des intérêts de la France, sa position officielle
de ministre des finances mexicaines. De son côté, l'empereur Maxi-
milien voudrait qu'il fût ministre titulaire, mais je crois qu'il y a
une arrière-pensée qui peut se traduire ainsi: « M. Bonnefons une
fois ministre, je ne serai jamais embarrassé, puisqu'il aura à sa dis-
position la caisse et le crédit de larmée française»; je puis me
tromper, mais M. Bonnefons ne serait qu'un banquier officiel ayant
rang de ministre. Il vaut donc mieux qu'il prenne la direction des
services financiers à titre de conseiller, de commissaire général,
de contrôleur général, comme on voudra, avec son admission au
conseil des ministres.
« J'ai donc parlé dans ce sens à l'Empereur et à l'Impératrice
qui, avec raison, s'occupe des affaires du pays, et LL. MM. trouvent
que M. Bonnefons est trop timide quant à la responsabilité et qu'il
faut qu'il soit ministre réel; l'aftaire en est là ('), »
(') Le maréchal au ministre, 10 mars 1865.
49G U^ PARTIE. — CHAPITRE III.
^8C5. Ce n'était pas sans arrière-pensée d'intérêt personnel que
le gouvernement français envoyait un fonctionnaire des
finances à l'empereur Maximilien. Il entendait s'exonérer
autant que possible des charges que lui imposait le maintien
de son armée au Mexique, et des instructions confidentielles
avaient été adressées à ce sujet au maréchal .(^) On ne con-
sentait à venir en aide à l'empereur Maximilien au moyen
de la trésorerie de l'armée qu'à certaines conditions déter-
minées, entre autres la remise, aux mains d'agents français,
de la direction de tous les services financiers, le règlement
des indemnités françaises , et le remboursement d'une
somme de 2,100,000 fr., payée pour la construction du
chemin de fer de Vera-Gruz. L'empereur Maximilien,
n'ayant pas le choix des moyens, souscrivit à toutes ces
exigences ; mais on ne peut s'empêcher de plaindre ce
malheureux souverain qui n'avait le droit de disposer ni
d'un écu, ni d'un soldat.
M. Bonnefons, étant tombé malade, fut remplacé par
M. Langlais, consedler d'Etat ; en attendant l'arrivée
de ce nouveau fonctionnaire, les ministres mexicains se
hâtèrent de prendre nombre de mesures qui devaient pa-
ralyser son action, et, à l'insu des représentants de la
France, consentirent même avec la maison Jecker à un
arrangement onéreux pour le Trésor mexicain (^).
M. Langlais fut d'abord assez mal reçu; plus tard, l'em-
pereur MaximiUen apprécia combien était précieux un
auxiliaire aussi dévoué et aussi intelligent ; mais sa santé
était déjà ébranlée par le changement de climat ; il ne put
résister à l'excès de travail, et mourut après une courte
maladie. L'empereur MaximiUen le pleura comme un ami.
(*) Instructions du 15 mars. — Le maréchal au ministre, 28 avril.
(*) Voir à l'appendice. — Le niaréclial au ministre, 27 et 28 octobre.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 497
M. Langlais avait élaboré un plan d'organisation finan- -1860
cière et un projet de budget où les recettes et les dé-
penses s'équilibraient à peu près ; on ne réussit pas, du
reste, à mettre ses combinaisons en pratique.
32
CHAPITRE QUATRIÈME.
SOMMAIRE.
Politique des Etats-Unis. — Emigration des confe'déres au Mexique. — Création
des divisions militaires et des grands commandements. — Opérations militaires
dans le Miclioacan. — Premier combat de Tacambaro (11 avril 1863). —
Combat d'Huaniqueo (23 avril). — Deuxième combat de Tacambaro (11
juillet). — Combat de Santa Ana Amatlan (12 ociobre). — Menées du général
Santa Anna. — Réoccupation d'Acapulco (11 août). — Opérations des volon-
taires autrichiens dans la province d'Oajaca et dans la Huasteca, — Expédi-
tion sur Ghihuahua. — Décret du 3 octobre 1863. — Opérations militaires en
Sonora. — Opérations dans leTaraaulipas. — Opérations des colonnes françaises
dans le nord-est. — Voyage de l'impératrice Charlotte au Yucatan.
Vers le milieu de l'année 1865, la possibilité d'une in- Poiniqne
tervention armée des Etats-Unis dans les affaires du Mexique
préoccupait vivement le maréchal Bazaine : aussi, comme
nous l'avons dit, il cherchait à concentrer ses troupes de
manière à les diriger promptement sur la frontièredunord,
dans le cas où les circonstancesl'exigeraient. On s'appliqua,
du reste, à écarter toute cause de conflit, et la plus grande
patience fut recommandée au général Mejia à l'égard des
chefs militaires de la rive gauche du Rio Bravo.
Avant d'évacuer Brownsville, les confédérés avaient fait
passer sur la rive mexicaine d'assez grandes quantités de
marchandises et une batterie d'artillerie. Les fédéraux en
des Etats-Unis.
500 II* PARTIE. CHAPITRE IV.
réclamèrent la restitution. Pour que cet incident ne prît
pas trop d'importance, le maréchal conseilla au gouverne-
ment mexicain de restituer purement et simplement la bat-
terie d'artillerie, ce qui était conforme au droit internatio-
nal ; la question des marchandises fut réservée, et M. Roblès,
ministre de Fomento (^\ fut envoyé en mission spéciale à
Matamoros, pour régler les questions litigieuses et arranger
les différends à l'amiable. Les bandes de Gortina et d'Esco-
bedo continuaient à recevoir bon accueil sur le territoire
des Etats-Unis, où elles passaient fréquemment, soit pour
se ravitailler, soit pour échapper aux poursuites des forces
impérialistes ; cependant d'assez bons rapports s'établirent
entre le général Mejia et le général Brown, commandant à
Brownsville; celui-ci protesta de son intention d'observer
une stricte neutralité; le cabinet de Washington parais-
sait mieux disposé ; le gouverneur de la Californie s'oppo-
sait au départ pour le Mexique d'un bâtiment portant quatre
cents flibustiers; il faisait surveiller la frontière de l'Arizona
afin d'en interdire le passage aux bandes armées (^) ; les
alarmes, causées par les dispositions hostiles des Etats-Unis,
s'apaisèrent, et le maréchal crut possible de proposer au
ministre de la guerre de faire encore rentrer en France un
régiment d'infanterie, un bataillon de chasseurs, et deux es-
cadrons (3). Cependant on apprit bientôt que les Américains
envoyaient des troupes au Texas ; le général Shéridan était
attendu, disait-on, avec 60 à 70,000 hommes ; les rapports
de la marine signalaient, à Brazos-Santiago, la présence de
(•) Le ministère de /'omenio correspond aux ministères des travaux publics, de
l'agriculture, du commerce, etc. La signification de fomento est : encouragement,
appui, protection.
(») Le maréchal au ministre, 28 juin,
'3) Le maréchal au ministre. H juillet.
LE MARÉCHAL BAZAINE. oOl
quinze navires à vapeur ; 25,000 hommes étaient déjà -1865.
réunis, parmi lesquels 15,000 soldats noirs dont les Etats-
Unis étaient fort embarrassés, et qu'ils auraient sans doute
lâchés volontiers sur le Mexique (^). On savait que le gou-
vernement américain n'avait aucune envie d'augmenter ses v
difticultés en s'engageant dans une guerre avec la France ;
mais l'animosité du peuple était si grande, que le cabinet
pouvait se voir débordé, soit par l'opinion pubHque, soit
par le congrès. M. de Montholon, ancien ministre de
France à Mexico, où il avait été remplacé par M. Dano, et
qui remplissait alors les mêmes fonctions à Washington,
écrivait au maréchal, le 30 juillet (^) : « La guerre étrangère
est à l'ordre du jour aux Etals-Unis ; le gouvernement lutte
pour l'éviter, afin de ne pas augmenter sa dette publique,
qui s'élève déjà à plus de quinze milliards de francs, mais
il n'est pas assez fort pour s'opposer aux cris que l'on pro-
fère partout autour de lui, et particulièrement dans l'armée
qui est encouragée dans le sens de la guerre par son chef le
général Grant. »
Au même moment, l'empereur MaximiHen, s'abusant sur
les véritables sentiments du cabinet de Washington, écri-
vait personnellement au président Johnson, sans avoir pris
la précaution de faire sonder ses dispositions ; celui-ci
refusait de recevoir la lettre de l'Empereur et déclinait
tout rapport avec l'envoyé chargé de la lui remettre. En
faisant part de cet incident au ministre de France à Was-
hington, M. Seward, secrétaire d'Etat aux affaires étran-
gères, en prit occasion pour affirmer, de nouveau et officiel-
lement, l'intention bien arrêtée des Etats-Unis de re- ■
connaître seulement le gouvernement républicain et son /
(*) Le maréchal au ministre, 28 juillet.
(*) Le maréchal au ministre, 27 août.
502 11' PARTIE. CHAPITRE IV.
4865. président Juarez. Bien que le gouvernement français fît
valoir, auprès du cabinet de Washington, que le rappel du
corps expéditionnaire serait la conséquence presque immé-
fi diate de la reconnaissance de l'Empire, au moins comme
pouvoir de fait établi à Mexico, toutes ses démarches
échouèrent.
Émigration L'accucil reçu au Mexique par les nombreux émigrés
des confédérés . , ^
au Mexique, confédérés, forcés de s'expatrier, augmenta l'irritation
des Américains du nord, dans le cœur desquels les
vives passions, suscitées par la guerre civile, n'étaient pas
encore calmées. L'empereur Maximilien et le maréchal Ba-
zaine pensaient, avec raison, que celte émigration d'hommes
énergiques était une bonne fortune pour le Mexique. Leur
industrieuse activité féconderait le sol, et, par leur esprit
pratique, ils développeraient les idées d'ordre et de respect
aux lois, dont le pays avait grand besoin ; mais les Etats-
Unis étaient mécontents de voir s'établir près de leurs
frontières une population essentiellement hostile, toute
disposée à combattre leur influence et à recommencer
la guerre dès que les circonstances le permettraient. Le
maréchal s'attacha autant que possible à faire disparaître
cette cause d'excitation en donnant l'ordre au colonel Jean-
ningros, commandant à Monterey les troupes françaises les
plus avancées, de faire désarmer les Américains qui se
présenteraient dans ses lignes, et de les diriger immédiate-
ment vers l'intérieur (*). Tout en évitant de heurter directe-
ment les Etats-Unis, il était de la poHtique du gouverne-
ment impérial, d'accueillir ces hôtes et de chercher à les
fixer dans le pays.
(') Un certain nombre d'oflGciers, dont plusieurs avaient acquis de la noto-
riété dans la jçuerrc de la Sécession, passèrent au Mt'xi(iue ; c'étaient les généraux
Allen, Magruder, Walker, Wilcox, Leabster, Stevens, Kings, Terrel, ilardeman,
Harris, Price, Polo, Preston, Smith, Kirby, etc., et le conimodore Maury.
LE 5IARÉCHAL BAZALNE. o03
Un ancien représentant de l'État de Californie au Sénat
américain, le docteur Gwin, avait formé un vaste plan
de colonisation pour la Sonora; il fut reçu en audience
par l'empereur Napoléon ; des correspondances inter-
ceptées ayant appris au cabinet de Washington l'accueil
bienveillant que ces projets avaient trouvé aux Tuile-
ries, il chargea M. Bigelow, son représentant à Paris, de
demander des explications à ce sujet. Le ministre amé-
ricain fit donc savoir, par une note officielle, au ministre
des affaires étrangères, qu'il était « chargé de déclarer
franchement que les sympathies du peuple américain
pour les républicains du Mexique étaient très-vives, et
qu'on verrait avec impatience la continuation de l'in-
tervention française dans ce pays;.... que toute faveur
accordée au projet du docteur Gwin par l'empereur ti-
tulaire du Mexique, ou par le gouvernement impérial de
France, tendrait notablement à accroître cette impatience
populaire parce qu'elle serait regardée, peut-être avec jus-
tice, comme impliquant un danger pour les Etats-Unis » .
Le ministre des affaires étrangères répliqua que le gou-
vernement français, « toujours prêt à répondre loyalement
aux demandes d'explications inspirées par un esprit de
conciliation et présentées sur un ton amical, était au con-
traire résolu à repousser toute interpellation qui serait
faite sur un ton comminatoire » . Toutefois, en écrivant au
ministre de France à Washington, M. Drouyn de Lhuis
lui fit connaître l'intention du gouvernement de rappeler
les troupes françaises, au fur et à mesure du rétablisse-
ment de l'ordre et delà pacification du pays ; il ajouta « qu'il
hâtait de ses vœuxlesplus sincères lejouroùle dernier soldat
français quitterait le Mexique », et que le terme assigné à
l'occupation de ce pays serait très-avancé, si les Etats-Unis
504
Il PARTIE.
CHAPITRE IV.
4865.
Création
des divisions
militaires
et des grands
commandements.
cessaient d'encourager l'anarchie et d'appuyer de leurs
sympathies le parti hostile à l'Empire ; au surplus, on
devait savoir que la France n'avait pas l'habitude de pres-
ser son pas sur des injonctions hautaines (^). Cependant,
quelle que fût l'aigreur de ces communications, on ne par-
tageait pas les craintes du maréchal Bazaine, relativement à
une intervention armée des Américains du nord. D'ailleurs
les ministres de l'empereur MaximiHen, inspirés par un
faux sentiment de susceptibiHté nationale, se montraient
hostiles à tout ce qui venait de l'étranger; les entraves qu'ils
apportèrent aux projets de colonisation les firent avorter (^).
#
Un des corollaires de la loi organique de l'armée mexi-
caine avait été le partage du territoire de l'empire en huit
divisions militaires (^).
Il fut convenu, entre l'Empereur et le maréchal, que
pour donner plus d'unité aux opérations militaires, il
serait établi en outre deux grands commandements.
San Luis de Potosi fut désigné pour être le chef-lieu
du premier commandement, formé par la réunion des 3' et
5' divisions militaires, et comprenant les anciens Etats de
San Luis, de Tamaulipas, de Nuevo-Leon, et de Coa-
huila. Il fut confié au général Douay, qui était revenu au
Mexique. Durango devint le siège du deuxième grand com-
mandement, à la tête duquel fut placé le général de Cas-
tagny. Il comprenait les 6^ et 8' divisions territoriales,
c'est-à-dire les anciens Etats de Zacatecas, de Durango, de
(') M. Drouyn de Lhuis à M. de Montiiolon, 17 août 1865.
(') Voir à l'appendice une nolo sur la colonisation et sur les efforts géné-
reux tentés par l'empereur Maximilicn pour émanciper la classe des travailleurs
agricoles.
(3) Au point de vue administratif, et pour arriver à détruire l'autonomie pro-
vinciale, le pays avait été divisé en cinquante départements.
LE MARÉCHAL BAZAINE. o05
Chihuahua, de Sonora, etdeSinaloa. Le maréchal remania mb.
l'organisation divisionnaire des troupes du corps expédi- ~
tionnaire ainsi qu'il suit :
1'''' division : général Douay.
1" brigade: ( '^ " rég. de zouaves.
< 8'P rég. de ligne.
gênerai INeigre. i d i -n i /• -n i • •
( bataillon de tirailleurs algériens.
2« brigade: l 3« rég. de zouaves.
< 2« bataillon d'infanterie légère d'Afrique. ^
général Mangin. in/-..,
* ( Régiment étranger.
2* division : général de Gastagxy.
jre brigade ■ ( ^^^ bataillon de chasseurs à pied.
. . . „ W^ rég. de ligne.
gênerai Bri.xcourt. / ^^î» . i i-
( 9o^ reg. de ligne.
2e brigade • ( '" h^^sUloii de chasseurs à pied.
, ° < ol« rég. de ligne,
général Aymard. J r>-,„ . i -,■
{ Dz^reg. de ligne.
O- "^ ^^S'
Le général Douay se rendit à San Luis ; le général de
Gastagny quitta Mazatlan et revint à Durango (l^"" juillet).
Comme il était à présumer, si la guerre éclatait, que l'ef-
fort principal des Américains se porterait sur la ligne de
San Luis, le général de Gastagny devait, dans cette hypo-
thèse, se replier de Durango sur Zacatecas, puis sur Que-
retaro, position centrale et avantageuse pour la concen-
tration de l'armée. Des mesures de précaution furent
prises sur la route de Vera-Gruz à Mexico ; des fortifications,
élevées sur plusieurs points, et l'on prépara les moyens de
ramener promptement les garnisons de Guaymas et de
Mazatlan.
Outre les deux grands commandements du Nord-Est
et du Nord-Ouest, l'empereur Maximilien aurait désiré
-1860
506
ir PARTIE. CHAPITRE IV.
constituer au Sud, sous les ordres d'un général français,
un troisième commandement dans lequel eût été comprise
la province de Michoacan. Le général L'Hériller, à qui
cette mission fut offerte, crut impossible de l'accepter sans
avoir un chiffre suffisant de forces françaises, et comme le
maréchal n'était pas disposé à faire opérer ses troupes
dans une direction qui les éloignait des lignes stratégiques
du Nord, il ne fut pas donné suite à ce projet.
Opérations
militaires dans
le
Michoacan.
C'était dans le Michoacan que les forces libérales se
maintenaient avec le plus de succès ; elles étaient organi-
sées en cinq brigades, commandées par Piegules et Riva-
Palacio, sous les ordres supérieurs du général Ar-
teaga. A la tête des troupes mexicaines impériales se
trouvait le colonel Mendez, officier sur lequel on pouvait
compter.
Au commencement de l'année 1865, lorsque le quartier
général de la division Douay fut transporté à Morelia, de
sérieux efforts avaient été faits pour pacifier ce pays. On
était parvenu à détruire quelques guérillas; cependantl'en-
nemi continuait à tenir la campagne ; lorsqu'il avait besoin
de se reposer ou de se réorganiser, il se retirait dansla vallée
du Rio de las Balzas, où des armes, des munitions et de
l'argent lui arrivaient par les ports du Pacifique; les colonnes
françaises s'avancèrent jusqu'à Huetamo ; mais il leur
eût été impossible de rester longtemps dans cette région,
sous un climat énervant et sans communication assurée
avec le centre du pays. Elles revinrent sur leurs pas et l'on
dut se borner k couvrir Morelia par une ligne d'avant-
postes, placés à Tacambaro, Ario et Acuitzeo.
Au mois de mars 1865, le départ de la plus grande par-
lie des troupes françaises, appelées, par les événements du
LE MARÉCHAL BAZAINE. 507
Nord, dans l'Etat de Durango, fut pour les guérillas libé- i86o.
raies le signal de nouvelles entreprises. Dès le 7 mars,
Arteaga occupait Tacambaro ; Ugalde, Valdez, le curé
Traspena enveloppaient Zitacuaro et faisaient la garnison
prisonnière. Le colonel Mendez reprit possession de cette
petite ville ; une garnison mixte de cent vingt Belges
et de cent Mexicains y fut placée ; mais l'ennemi revint
et, sans se compromettre dans une attaque, il alluma
des incendies qui consumèrent toutes les maisons, à l'ex-
ception du réduit (15 avril) ; on fut obligé de l'aban-
donner.
Quant à Piegules, avec deux mille hommes, il paraissait
vouloir s'ouvrir, par la Piedad, un chemin qui lui permît
de gagner les provinces du Nord. Les détachements en-
voyés en toute hâte de Léon et de Guanajuato le forcèrent
à renoncer à cette tentative.
A cette époque, les opérations dans le Michoacan étaient
dirigées par le colonel de Potier, qui, outre la brigade
mexicaine du colonel Mendez, disposait d'un bataillon du
81* de ligne, du régiment des volontaires belges et d'un
escadron du o' hussards; il envoya deux colonnes à la
poursuite de Régules ; celui-ci, manœuvrant avec une
grande habileté, leur échappa, et, marchant avec une pro-
digieuse vitesse, passa de Zipimeo à Guitzeo, puis à Que- Premier combat
^ ... . . de Tacambaro
rendaro; il se dirigea ensuite vers le Sud et, le 11 avril, (n avrinsGo).
tomba inopinément sur Tacambaro , où se trouvaient
quatre compagnies belges et un escadron mexicain. Enva-
hissant la ville avec une rapidité telle que pas un coup de
fusil ne fut tiré, il attaqua aussitôt le réduit où les Belges
s'étaient précipitamment renfermés. Après une résistance
de quatre heures, pendant laquelle sept officiers et vingt
hommes furent tués, trois officiers et onze hommes blessés,
508 II* PARTIE. CHAPITRE IV.
1865. le major Tydgadt, mortellement blessé lui-même, capi-
tula. Régules emmena deux cent dix prisonniers.
A la nouvelle de ce malheureux événement, le colonel
de Potier se dirigea immédiatement sur Tacambaro ; il y
arriva le 16 avril, recueillit les blessés et une vingtaine
de prisonniers qui s'étaient échappés des mains de l'en-
nemi, et reprit la poursuite de Régules. Celui-ci, après
avoir échoué, le 17 avril, à Uruapan, devant l'énergique
résistance d'une garnison mexicaine de deux cents hommes,
crut avoir assez d'avance sur la colonne française pour se
porter vers Morelia et tenter un coup de main contre cette
ville, alors dégarnie de troupes.
Combat H ne réussit pas et fut atteint, le 23 avril, à Huaniqueo,
d'Huaniqueo , i i i tw • i ^ , i ,
(23 avril). par le colonel de Potier, battu, complètement desorga-
nisé et forcé de reprendre la route du Sud. L'escadron
du 5^ hussards, qui était à l'avant-garde de la colonne,
fut, pendant quelque temps, très-sérieusement engagé
contre un ennemi fort supérieur en nombre. L'arrivée
de l'infanterie décida le succès du combat. Les troupes
françaises perdirent dix-sept hommes, dont dix hus-
sards.
Cette guerre se continua pendant les mois suivants avec
des chances diverses ; les corps français ayant été rap-
pelés à Mexico (1^' juin), Arteaga et Régules rentrèrent
en campagne avec 2,500 hommes; le 19 juin, après
un combat acharné, ils s'emparèrent d'Uruapan et fu-
sillèrent le commandant militaire et le préfet politique.
Une colonne française, sous les ordres du colonel Clin-
chant, était alors en observation à Puruandiro, près du
Rio de Lerma ; elle se porta rapidement sur Uruapan
et chassa l'ennemi (23 juin); mais le maréchal persistait à
ne vouloir laisser aucun détachement de ses troupes dans
LE MARÉCHAL BAZAINE. 509
le Michoacan. Il prescrivit au colonel Glinchant de re- «ses.
tourner à Léon. Le régiment belge et les troupes mexi-
caines de Mendez restèrent seuls dans cette province, et
reçurent l'ordre de se borner à l'occupation permanente
de Patzcuaro, de Morelia, et d'Acambaro.
Le 11 juillet, le régiment belge prit à Tacambaro une Deuxième combat
brillante revanche du combat malheureux du mois d'avril, lu^iuim).
Le lieutenant-colonel Yan der Smissen, à la tête de 850
Mexicains et Belges, attaqua les forces d'Arteaga, qui avait
pris position à une lieue de la ville, mit trois cents hommes
hors de combat et leur enleva six canons, leur parc, six
cents fusils et cent soixante-cinq prisonniers. Il perdit
onze Belges tués dont un officier. Gêné par ses blessés
et de nombreux malades, le colonel Van der Smissen
revint à Morelia; mais Arteaga était mis dans l'im-
possibilité de reprendre la campagne avant quelque
temps W.
Le rapport envoyé par le lieutenant-colonel Van der
(') Le succès remporté par les Belges charma tout particulièrement l'Impé-
ratrice, dont il flattait l'amour-propre national ; le colonel de Potier, à la tète de
son régiment qui avait fait la campagne du Michoacan avec les Belges, alla l'en
féL'citer au château de Chapultepec. L'Impéralrice en fut vivement touchée ; on
lit dans une lettre qu'elle écrivait le même jour :
« J'ai passé devant le front des troupes en parlant à la plupart des ofiBciers et
à plusieurs soldats , puis le régiment a déûlé aux cris de : Vive l'Empereur t
Vive l'Impératrice ! Ils étaient superbes , avec leur air martial, leurs pantalons
rouges, couvre-nuque et guêtres blanches.
• A vous dire vrai, la vue de tout régiment français me cause un battement
de cœur indéfinissable et je ne sais quel sentiment de consanguinité. Les dra-
peaux troués, qui sont restés parmi les premiers souvenirs de mon existence,
produisent sur moi une sensation que je ne saurais dire. C'est de l'afTection, de
l'admiration, le tout ensemble, mais tout en la retenant; car que suis-je pour ces
hommes-là qui me sont touti »
1865.
510 II" PARTIE. CHAPITRE IV.
Smissen à la suite du combat de Tacambaro fut la cause
de dissentiments graves entre lui et le colonel Mendez, qui
trouvait trop amoindrie la part de succès attribuée aux
troupes mexicaines ; d'un autre côté, le lieutenant-colonel
belge ne voulait pas se placer sous les ordres de Mendez ;
des officiers envoyèrent leur démission, et le maréchal,
pour couper court à ces difficultés, éloigna ce régiment du
Michoacan, et l'envoya dans le Nord, sous les ordres du
général ûouay.
Combat
de Santa Ana
Amallan
(-12 octobre).
Au mois d'octobre, Arteaga ayant reparu à Uruapan, le
colonel Mendez, à la tète de trois cents cavaliers et de
quatre cents fantassins , se mit à sa poursuite ; après
une marche de nuit , il atteignit et battit à Santa Ana
Amatlan un corps d'un millier d'hommes (12 octobre).
Les généraux Arteaga et Salazar, dix officiers supérieurs,
une quarantaine d'officiers subalternes et quatre cents
hommes tombèrent entre ses mains. L'empereur Maximi-
lien venait, par un décret du 3 octobre, de déclarer hors
la loi les chefs dissidents qui persistaient à ne pas déposer
les armes ; Mendez s'en autorisa aussitôt et , en repré-
sailles de l'exécution du commandant militaire et du
préfet d' Uruapan, il fit fusiller les deux généraux et trois
colonels.
Régules ne vengea pas la mort de ses compagnons sur les
prisonniers de Tacambaro qui étaient en son pouvoir; mais
les chefs libéraux refusèrent de traiter directement de
leur échange avec le gouvernement mexicain; les négo-
ciations à ce sujet furent réglées entre Riva Palacio et le
quartier général français. Le 5 décembre, sept officiers
belges, neuf officiers mexicains et cent quatre-vingts sol-
dats belges furent rendus à Acuitzeo.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 511
Les succès précédemment obtenus par les libéraux dans 1860.
l'Etat de Michoacan avaient donné à plusieurs des chefs Menées
de spartis hostiles à l'Empire l'idée d'y transporter le sa'ntaTnna.
centre de la résistance, afin de se rapprocher de Mexico
et d'avoir plus de chances de profiter des soulèvements
qu'ils comptaient provoquer. Le haut clergé, des minis-
tres mêmes de l'Empereur, s'il faut en croire les rapports
du maréchal, s'entendaient avec Santa Anna.
Des lettres saisies avaient indiqué le plan général du
mouvement projeté ; Santa Anna devait débarquer sur la côte
de Vera-Gruz ou sur celle du Pacifique; les guérillas du
Michoacan, les Indiens du Guérrero conduits par Alvarez,
et les corps que Portirio Diaz pourrait organiser dans
l'Etat d'Oajaca 0), se porteraient alors simultanément sur
Mexico ; une insurrection générale ne manquerait pas
d'éclater et renverserait l'étranger du trône. Santa Anna
travaillait à cette combinaison avec l'ardeur et l'inconsé-
quence dont sa vie poUlique ne donne que trop d'exemples;
un de ses neveux était son agent à Mexico ; son fils s'étant
permis de protester contre une de ses proclamations au
peuple mexicain, il déclara qu'il le déshériterait et qu'il
consacrerait toute son immense fortune(^) à la guerre sainte.
On devait certainement faire la part de l'emphase ordinaire
de ce personnage, mais, dans l'éventuahté d'une rupture
avec les Etats-Unis, il fallait prévoir les embarras qui pour-
raient surgir de ce côté, d'autant plus que les Américains
lui avaient déjà vendu une assez grande quantité d'armes(^),
(') Le maréchal au ministre, 10 août. — Porlirio Diaz s'était évadé de Puebla,
où il était iruerné depuis la prise d'Oajaca.
<*> Cent vingt millions de francs, disait-on.
(5) Quatre mille carabines, quatre mille pistolets, douze canons. — Le maré-
chal au ministre, 9 octobre.
l86o.
512 II* PARTIE. CHAPITRE IV.
et récemment une frégate des Etats-Unis s'étant rendue
à Saint-Thomas , Santa Anna en grand uniforme était
monté à son bord où il avait reçu des honneurs tout par-
ticuHers.
Réoccupation
d'Acapulco
(U août).
Il paraissait donc urgent de réoccuper Acapulco. Deux
des bâtiments de l'escadre, la Victoire et le Lucifer, prirent
à Manzanillo quatre cents hommes de troupes mexicaines,
sous les ordres du général Oronoz, et, le 11 août, les dé-
barquèrent sans coup férir devant Acapulco. La ville était
presque entièrement abandonnée par ses habitants. Le
maréchal, de son côté, envoya des reconnaissances vers
le Guerrero, et fit ouvrir une route carrossable entre
Guernavaca et le Piio Mescala. Le pays au sud de Mexico
était alors dégarni de troupes françaises ; la brigade mexi-
caine de la Pena (ancienne brigade Yicario) surveillait seule
la vallée du Rio de Mescala.
Opérations
des volontaires
autrichiens
dans la province
d'Oajaca
et dans)
la Uuasleca.
L'Etat d'Oajaca était gardé par des troupes austro-
mexicaines ; mais bien que, de l'avis du maréchal, les
contingents autrichiens eussent une excellente composition
en officiers et en soldats, les dispositions ordonnées par
le général de Thun avaient été si malheureuses, qu'au
mois d'août, Figueroa battit un faible détachement autri-
chien sorti de Tehuacan ; il entra ensuite dans la ville et
fit prisonniers une vingtaine d'hommes réfugiés dans le
réduit (14 août). Une petite colonne française, venant
d'Acultzingo, le chassa de cette position ; mais il réussit
encore à détruire un détachement austro-mexicain de
cent quarante hommes envoyé d'Oajaca. Figueroa fut à
son tour battu le 25 octobre, à Acalpan, par un escadron
autrichien.
LE MARÉCHAL BAZAINE. ol3
Il perdit deux cents hommes et offrit sa soumission qui ^865.
fut acceptée ; un mois après, il reprenait la campagne à la
tète de cinq cents guérilleros. Les garnisons laissées dans
cette province, paraissant beaucoup trop faibles au ma-
réchal, il donna l'ordre formel au général de Thun d'a-
bandonner les expéditions inutiles et meurtrières dans la
Huasteca, et d'augmenter le chiffre des troupes autri-
chiennes dans l'Etat d"Oajaca.
Les opérations dans la Huasteca s'étaient continuées
contre le gré du commandant en chef. L'armistice conclu
au mois d'avril n'ayant été suivi d'aucun arrangement défi-
nitif, les hostilités furent reprises au commencement de
juillet. Le général de Thun, après avoir concentré ses
forces à Zacapoaxtla, attaqua, le 16 juillet, les positions des
Gumbres d'Apulco et les enleva après un combat opiniâ-
tre ; il y construisit un blockhaus ; quelques jours plus tard
(22 juillet), les Mexicains l'incendièrent, et firent prison-
niers les vingt-cinq hommes qui s'y trouvaient. Plusieurs
autres engagements eurent encore lieu avec des chances
différentes, mais toujours sans conséquences utiles pour la
pacification. L'expérience démontrait de nouveau l'impos-
sibilité de soumettre un pays, dont les montagnes, les
gorges, les ravins, sont autant de positions presque inex-
pugnables ; les Autrichiens suspendirent leurs opérations
et laissèrent seulement des postes à Tesuitlan, Zacapoaxtla
et Tulancingo. Des négociations reprises avec les chefs
de la Huasteca ayant amené, à la fin du mois de no-
vembre, la soumission de Martinez, un des plus impor-
tants d'entre eux, les troupes autrichiennes se bornèrent
dès lors à quelques petites expéditions au nord de Jalapa,
afin de faire respecter la route de Vera-Cruz ; la majeure
partie de ces contingents ainsi rendus disponibles fut en-
33
514 if PARTIE. r.HAPITnE IV.
1865. voyée dans l'État d'Oajaca, pour arrêter les progrès de
Porfirio Diaz.
Expédition Le maréchal, ainsi rassuré au sujet des tentatives que les
sur Cliihualiua, . ** ■^.
chefs libéraux pourraient faire sur ses derrières, prit ses
mesures afin de relancer Juarez jusque dans l'Elat de Ghi-
huahua. Depuis l'insuccès de la campagne du général
Negrete, le commandement des troupes libérales du Nord
était partagé entre Ruiz, Aguirre, Villagran, Ojinaja et
Carbajal. Ils rallièrent les soldats dispersés, rassemblèrent
le matériel épars, firent des levées d'hommes et d'argent,
et s'efforcèrent, par tous les moyens, de reconstituer une
nouvelle armée.
Dès le mois de mai, avant même la dispersion du corps
de Negrete, le maréchal avait prescrit au général Brincourt
de se préparer à marcher sur Chihuahua, et de pousser
cette opération avec assez de vigueur pour que Juarez eût
quitté le territoire du Mexique au mois d'octobre, époque
de la réunion du Congrès des Etats-Unis. Gomme nous
l'avons dit, on espérait à Mexico que le départ de l'ancien
président déterminerait le cabinet de Washington à recon-
naître l'empire. G'élait le seul but que se proposait le ma-
réchal en envoyant des troupes à Ghihuahua. « Je ne veux
d'aucune façon, écrivait-il, que nos troupes dépassent
Ghihuahua de plus d'une journée de marche; et, tout en
laissant croire que nous resterons dans cette province, dès
que les troupes seront reposées, le général Brincourt se
mettra en route sur Rio-Florido, puis sur Durango Il
fera reconnaître l'empire, organisera les autorités civiles
et militaires, s'il y a les éléments suffisants et de honrie vo-
lonté, sans compromettre les uns ou les autres... Ainsi, il
est bien entendu que la colonne Brincourt doit se mettre
LE MARÉCHAL BAZAINE. olo
en retour quinze ou vingt jours au plus après son arrivée, ^86o-
pour revenir àDurango... Les événements, qui peuvent se
produire d'un instant à l'autre sur la frontière nord, ne
nous permettent pas de tenir les troupes aussi éparpillées.
Nous aurons fait le possible, advienne ce qui pourra de
Juarez et des populations, et pensons avant tout à l'hon-
neur de nos armes, le cas échéant !
« En résumé, la diplomatie veut s'appuyer sur la fuite
de Juarez de sa dernière capitale, pour amener les Etats-
Unis à la reconnaissance de l'empire mexicain ; nous ne
pouvons faire plus, et ce serait folie que de vouloir le sui-
vre en ce moment dans tous les recoins où il voudra aller.»
Des ordres étaient donnés pour que la garnison de
Guaymas fit, à la même époque, une pointe offensive vers
l'intérieur, afin que Juarez ne put se réfugier en Sonora.
Les limites de l'opération sur Chihuahua étaient donc bien
définies ; il importait en outre qu'elle fût rapidement effec-
tuée, aussi le maréchal prescrivit-il au général Brincourt,
à moins d'impossibilité absolue, de marcher sur Chihuahua
par la route la plus courte, c'est-à-dire de se porter direc-
tement de Parras, où il se trouvait, sur Mapimi, en tra-
versant la Laguna. La saison des pluies était déjà fort
avancée, et dans ce pays coupé de rivières et inondé à
chaque instant, la marche de colonnes suivies de voitures
ne laissait pas que de présenter de sérieuses difficultés.
Le 9 juin, à la Sauceda, entre Saltillo et Parras, le
général Brincourt avait eu un exemple des dangers que
présentent ces inondations subites. « Le bivouac était éta-
bli près d'une petite rivière, et à peu de distance de pro-
fondes barrancas alors à sec, ayant en moyenne six mètres
de profondeur sur vingt mètres de largeur et qui, réunies,
eussent contenu les eaux d'un grand fleuve de Franco.
1
S16 II' PARTIE. CHAPITRE IV.
4865. Un violent orage éclate, les barrancas se remplissent, l'eau
~ s'y écoule avec une rapidité prodigieuse, et cependant la
colonne se trouve tout à coup au milieu d'un lac immense,
les eaux s'élevant à plus de cinquante centimètres au-
dessus du sol (^). »
Le général Brincourt commença son mouvement le 1^"*
juillet; de Parras, oii restait momentanément un poste fran-
çais, il devait se rendre à Mapimi ; de Mapimi, à Rio Flo-
rido; il se proposait d'établir sur ce point des magasins,
des dépôts de vivres, et d'y préparer les moyens de traver-
ser en tout temps le Rio Florido, obstacle le plus impor-
tant entre Durango et Ghihuahua. Le village de Rio Florido
est situé sur la rive gauche du fleuve dont la largeur, en
cet endroit et à cette époque de l'année, est d'environ mille
mètres ; c'est une bonne position militaire, à peu de dis-
tance des villes de AUende et de Parral, à 86 lieues de
Durango et à 75 de Ghihuahua (^).
Le général Brincourt avait sous ses ordres trois batail-
lons , deux escadrons de chasseurs d'Afrique , et quatre
sections d'artillerie, ensemble 2,500 hommes (^) ; le 8 juil-
let, il traversa, non sans grande peine, le Rio de Nazas,
au gué de Torreon. Entre le Rio de Nazas et le Rio
Florido, le pays n'est qu'un désert; la colonne arriva, le
22 juillet, à Rio Florido et le lendemain à Villa Allende;
(*) Le général Brincourt au Maréchal, 14 juillet.
(«) De Durango à San Salvador 42 lieues 1/2
De San Salvador à Rio Florido 43 —
De Rio Florido à Allende 8 — 1/2
De Allende à Santa Rosalia 21 —
De Santa Rosalia à Sanla-Gruz de Rosales 18 — 1/2
De Santa-Cruz de Rosales à Ghihuahua 27 —
160 lieues 1/2
De Allende au Parral, 7 lieues.
(3) 18" bataillon do chasseurs à pied, Ofi'- de ligne, 1" chasseurs d'Afrique.
LE MARÉCHAL BAZALNE. 517
de ce point, un détachement fut envoyé chercher de l'ar- -«865.
gent au Parral, ville de 10,000 habitants et centre minier
important, à 29 kilomètres de Allende.
C'était au Parral, à Allende, et à Piio Florido que l'en-
nemi cherchait à reconstituer ses forces. Ruiz , qui était au
Parral, se replia sur Santa Rosalia ; puis, se voyant suivi
dans cette direction par les colonnes françaises, il se mit en
retraite sur Chihuaha emmenant dix-huit pièces d'artillerie,
dont quatorze de gros calibre, tandis que Aguirre, avec
environ sept cents hommes, se retirait vers le désert. Le
général Brincourt fut arrêté pendant huit jours à Las Gar-
zas par le Rio de Conchos, dont le passage oftVit des diffi-
cultés inouïes ; Piuiz était au même moment arrêté par le
Rio San Pablo, à Santa-Gruz deRosales ; mais ayant appris
que la tête de colonne française commençait à franchir le
Rio de Conchos, il fît enclouer ses pièces, noyer ses muni-
tions, briser ses affûts, et passa le Rio San Paj-jlo à la nage
avec une partie de ses troupes ; le général Yillagran ,
accompagné d'un bataillon de cinq cents hommes et de
quatre pièces de montagne, se sépara de lui et remonta à
l'ouest, vers la Sierra.
Le 9 août, une avant-garde du général Brincourt arrivait à
Rosales, où elle s'emparait du matériel et des quatorze pièces
abandonnés par l'ennemi. On était alors à vingt-sept lieues
de Chihuahua ; Juarez avait quitté cette ville depuis le o
août et se retirait vers Paso del Norte ; les troupes hbérales
s'étaient dispersés. Le général Brincourt ayant assuré ses
communications par des postes laissés au Piio Florido, à
Allende, au Parral, à Santa Rosalia, et à Santa Cruz de Ro-
sales, marcha sur Chihuahua avec une colonne légère et
entra dans la ville le 15 août; il s'occupa aussitôt de rétablir
es autorités municipales et de réorganiser l'administration.
SIS II* PARTIE. CHAPITRE IV.
1865. A la suite de cette courte mais pénible campagne que les
troupes avaient fournie avec une remarquable vigueur, le
drapeau français était ainsi porté à plus de quatre cents
lieues de Mexico et à cent soixante lieues de Durango. On
avait perdu seulement un officier et un soldat noyés au pas-
sage du Rio de Conchos ; mais le général Villagran, qui avait
quitté le gros des troupes libérales à Santa-Gruz de Piosa-
les, s'était porté rapidement sur le Par rai, et avait écrasé
une compagnie du 95*^ de ligne, envoyée dans cette ville
pour chercher de l'argent. Le lieutenant Pyot, qui com-
mandait cette compagnie forte de soixante-six hommes, fut
attaqué le 8 août, dans la nuit ; il résista pendant deux
heures, et se faisant ensuite jour à la baïonnette avec
quatorze de ses hommes, il parvint à gagner la campagne
et à rentrer au Rio Florido ; un officier et seize hommes
furent tués, vingt-quatre faits prisonniers. D'après le
rapport de Villagran, les Mexicains perdirent un général,
un officier, quatre hommes tués et trois blessés. Averti de
ces événements, le colonel Cousin, du 95*^, se porta rapide-
ment de Allende sur le Parral ; il arriva le lendemain du
combat et recueillit treize soldats blessés.
En rendant compte au maréchal du succès de son expé-
dition, le général Brincourt mentionnait certains bruits,
venant de la frontière, d'après lesquels Juarez aurait quitté
le territoire mexicain et serait passé aux Etats-Unis. Cette
nouvelle, également rapportée par plusieurs journaux amé-
ricains, fut accueillie à Mexico avec grande satisfaction.
L'empereur Maximilien croyait y voir la fin de la résis-
tance du parti républicain, et comptait plus que jamais sur
la reconnaissance prochaine de l'Empire par les Etats-
Unis. « Le gouvernement des Etats-Unis est assez bien
disposé, écrivait-il; il reçoit déjà mes agents avec amabi-
LE MARÉCHAL BAZAINE. ol9
lité et encouragement, mais faisant toujours la craintive ^86o.
question : a Juarez est-il parti? (*). >> C'est à cette époque
cependant, que le président Johnson éconduisait l'envoyé
porteur d'une lettre de l'empereur du Mexique, et qu'il
faisait ofticiellement savoir au gouvernement français son
intention formelle de ne pas reconnaître l'empire mexi-
cain.
L'empereur Maximilien pensa que le moment était venu ^^"^ilbre
de faire une sérieuse manifestation politique. Il adressa -isso.
au pays une proclamation dans laquelle il déclarait que,
l'ancien président ayant quitté le territoiue national, per-
sonne ne pouvait s'abriter désormais derrière le masque de
la légalité pour continuer la guerre contre l'Empire ; par
conséquent les bandes de guérillas • devaient être considé-
rées comme des associations de malfaiteurs auxquelles
serait appliquée toute la rigueur des lois martiales :
« Mexicains, la cause soutenue avec tant de courage et de cons-
tance par D. Benito Juarez avait déjà succombé non-seulement
devant la volonté nationale, mais devant la loi même que ce chef
invoquait à l'appui de ses titres. Aujourd'hui, cette cause, dé-
générée en faction, est restée abandonnée par le fait de la sortie
de son chef du territoire de la patrie.
« Le gouvernement national a été longtemps indulgent et il a
prodigué les actes de clémence pour laisser aux hommes égarés, à
ceux qui ne connaissaient pas l'état des choses, la possibilité de
s'unir à la majorité de la nation et de rentrer dans le chemin du
devoir.
ï Tl a obtenu le résultat désiré ; les hommes honorables se sont
groupés autour de son drapeau, et ont accepté les principes justes
et libéraux qui guident sa politique. Le désordre n'est ])lus entre-
tenu que par quelques chefs égarés par des passions qui n'ont rien
de patriotique, et par une soldatesque sans frein qui reste toujours
comme le dernier et triste vestige des guerres civiles.
« Dorénavant la lutte sera entre les hommes honorables de la
(') LeUre de l'empereur iM;i\imilieu, du 17 aoùl 1865.
520 II" PARTIE. CHAPllRE IV.
-1865. nation et les bandes de malfaiteurs et de brigands. Le temps de
~ l'indulgence est passé, elle ne servirait plus qu'au despotisme des
bandes, à ceux qui incendient les villages, à ceux qui volent et as-
sassinent les citoyens pacifiques, de malheureux vieillards et dcç;
femmes sans défense.
« Le gouvernement, fort de son pouvoir, sera désormais in-
flexible dans le châtiment; ainsi l'exigent les droits de la civilisa-
tion, le respect de l'humanité, et les exigences de la morale ^*\ »
Mexico, le 2 octobre 186S.
Cette proclamation était suivie d'un décret, daté du 3
octobre, contresigné par tous les ministres, édictant des
peines sévères coptre les bandes et rassemblements armés,
et tous ceux qui leur prêteraient appui.
Art. If'. — Tous les individus faisant partie de bandes ou ras-
semblements armés existant sans autorisation légale, qu'ils pro-
clament ou non un prétexte politique, quels que que soient d'ailleurs
l'organisation de ces bandes, le caractère et la dénomination qu'elles
prennent seront jugés militairement par les cours martiales; s'ils
Sont déclarés coupables, lors même que ce ne serait que du seul
fait d'appartenir à une bande armée, ils seront condamnés à la
peine capitale, et la sentence sera exécutée dans les vingt-quatre
heures ^^K
Les individus de cette catégorie, faits prisonniers à la
suite d'un combat, devaient être jugés par le commandant
de la troupe au pouvoir de laquelle ils tomberaient, l'en-
quête terminée et la sentence exécutée dans les vingt-quatre
heures.
Art. 5. — Seront jugés et condamnés conformément h l'art. P"" (');
L Ceux qui, volontairement, auront procuré aux guérilleros de
l'argent ou toute autre espèce de secours.
IL Ceux qui leur auront donné des avis, nouvelles, ou conseils.
IIL Ceux qui, volontairement et sans ignorer la qualité des gué-
rilleros, Survendront ou procureront des armes, des chevaux, des
munitions, des vivres, et en général tout article de guerre.
(') D'après une tniducUon.
LE MARÉCHAL BAZALNE. 52 i
Les personnes qui entretiendraient des relations avec les '•ses.
guérilleros, leur donneraient asile, répandraient des nou-
velles de nature à troubler l'ordre, n'avertiraient pas du
passage d'une bande ou de son approche, devaient être
traduites devant les cours martiales et condamnées à la
prison ou à des amendes. Les habitants et les hacenderos
qui, pouvant le faire, ne se défendraient pas contre les
guérillas, étaient également rendus passibles des mêmes
peines. Une amnistie fut accordée aux individus ayant ap-
partenu à une bande armée, à la condition de se présenter
aux autorités avant le lo novembre.
La rigueur des peines portées dans ce décret n'était
nullement en dehors des conditions ordinaires dans les-
quelles vivait le Mexique, et fut loin d'émotionner le pays,
comme la presse hostile voulut le faire croire. Chaque
changement de gouvernement, chaque crise politique
sérieuse a toujours amené les chefs de parti à user de
semblables moyens pour réduire leurs adversaires, l'his-
toire du Mexique présente un grand nombre de faits ana-
logues; il suffit de rappeler le décret rendu par Juarez, le
25 janvier 1862 au commencement de la guerre, décret
qui appliquait la peine de mort à des cas si nombreux
qu'on l'avait ironiquement désigné sous le nom de Loi
mortuaire (^)
Rendu sur les instances et d'après les conseils du maré-
") Ces d«îcret3de rigueur portent d'ordinaire leurs correctifs en eux-mêmes, car
leur sévérité les rend la plupart du temps inapplicables. Cependant les exécutions
des généraux Arteaga et Salazar et de leurs compagnons, fusillés sur l'ordre du
colonel Mondez, ont été la conséquence du décret du 3 octobre ; elles n'étaient
du reste que des représailles de la mort du commandant militaire et du préfet
d'Uruapan, exécutés peu de temps avant par les chefs libéraux. L'empereur
Maximilien en fut douloureusement impressionné ; son intention était beaucoup
plutôt de menacer que de frapper ; aussi l'ordre fut immédiatement donné à
Meudez d'épargner les chefs honorables qui viendraient à tomber entre ses mains,
mn.
522 II* PARTIE. CHAPITRE IV.
chai Bazaine(0,le décret du 3 octobre n'avait pas en vue
les chefs honorables du parti libéral ; il se proposait la
répression du brigandage qui, sous le drapeau politique,
avait pris d'effrayantes proportions. Plutôt que de faire une
nouvelle loi sur laquelle la malveillance et l'hostilité des
partis ont eu tant de prises, il aurait mieux valu appliquer
purement et simplement, mais d'une manière ferme et
équitable, les décrets déjà rendus, en 1863, par le maréchal
Forey sur l'organisation et la juridiction des cours martiales;
au lieu de faire un crime à l'empereur Maximilien des dis-
positions du décret du 3 octobre, on aurait pu, avec beau-
coup plus de raison, lui reprocher d'avoir trop souvent,
par excès débouté, adouci la sévérité des peines prononcées
par les tribunaux militaires. S'il n'avait pas craint d'indis-
poser l'armée française, il eût étendu sa clémence sur le
plus grand nombre des gens condamnés parles cours mar-
tiales C^). Enfin, si le décret du 3 octobre avait besoin d'être
justifié, il suffirait de citer le texte même de la circulaire
datée du même jour et envoyée aux préfets par le ministre
de l'intérieur :
« Le gouvernement de S. M. suit une marche libérale; il tolère
toutes les opinions, respecte tous les droits; d'après cela vous com-
prendrez que les considérations de parti ne doivent être d'aucun
poids dans vos actes qui, de cette manière seulement, seront con-
formes à l'esprit de la loi promulguée à la date de ce jour.
Riva-Palacio particulièrement, dont le père siégeait au Conseil d'Etat et fut plus
tard, à Queretaro, un des défenseurs de l'Empereur.
Le décret du 3 octobre a été un des principaux cliefs d'accusation portés contre
l'empereur Maximilien; mais il fallait Tinjustice des passions politiques et la
mauvaise foi pour lui reprocher d'avoir été cruel un seul jour ; les journaux
libéraux eux-mêmes ne s'étaient-ils pas moqués de sa clémence et de son liorreur
de la guerre, en disant qu'une goutte de sang le faisait évanouir?
(1) Le maréchal au ministre, 9 octobre.
<2) L'Empereur voulait même gracier Uoniero , chargé de plusieurs crimes de
droit commun.
LE MARÉCHAL BAZAINt:. 323
« Les bandes armées, qui saccagent les centres de populations, ises,
enlèvent les habitants, incendient, assassinent, et volent, n'ont pas ~
de drapeau; et si elles en arborent un, dans le but de couvrir leurs
crimes, la dignité humaine et l'honneur du pays exigent qu'il
soit arraché de leurs mains.
« Le gouvernement espère que les chefs honorables qui, par
suite d'un déplorable aveuglement, conservent une attlitude hos-
tile de nature à encourager les criminels, finiront par comprendre,
suivant les dispositions de la loi, que la cause, qui ne peut plus être
dignement défendue, est en dehors du droit de la guerre^ qu'il
n'est jamais permis d'armer le brigandage contre la société, et que
les principes libéraux et de progrès réel qui, solidement établis,
ouvriront à notre pays une ère de prospérité, ne doivent pas être
sacrifiés à des questions d'intérêt personnel et de simple forme du
gouvernement ^^K »
La préoccupation constante de l'empereur Maximilien,
comme le prouvent le préambule de sa proclamation et
la circulaire du ministre de l'intérieur, était de rallier les
dissidents libéraux, Juarez lui-même s'il était possible. Vi-
vant d'illusions, il nedésespérait pas d'arriver à ce résultat,
et penchait de plus en plus vers le parti que l'intervention
française avait combattu au Mexique, tandis qu'il délaissait,
au contraire, ses premiers et plus fidèles partisans. Les
hommes, dont l'empereur Maximilien recherchait l'appui et
dont il s'entourait le plus volontiers dans ses conseils, étaient
ceux qui, ne pouvant souffrir la tutelle française, auraient
à tout prix voulu chasser l'étranger de leur pays. Naturelle-
ment le quartier général n'approuvait pas cette tendance
politique, les journaux, qui recevaient ses inspirations, cri-
tiquèrent l'hommage rendu à Juarez par ces termes de la
proclamation impériale : « La cause soutenue avec tant de
courage et de constance par D. Benito Juarez.» Leurs obser-
vations provoquèrent un vif mécontentement et leur atti-
(1) D'après une traduction.
524 11* PARTIE. CHAPITRE IV.
i865. l'èrent les sévérités de l'administration mexicaine; l'Ère
nouvelle reçut un avertissement. La docilité, avec laquelle
les ministres avaient contresigné le décret du 3 octobre, do-
cilité dont l'Empereur lui-même s'était étonné, faisait sup-
poser au maréchal qu'ils pourraient bien avoir une arrière
pensée et, en échange de leur complaisance, chercher à
obtenir de l'Empereur quelque mesure hostile à la France.
On prétendait même que les libéraux promettaient de se
rallier à l'Empire, si l'on renvoyait l'armée française. Le
maréchal rapporta ces bruits au gouvernement français ;
cependant ils ne paraissent pas avoir été vraiment sé-
rieux (^). En effet Juarez, au lieu de quitter le territoire
mexicain, comme on le supposait, envoyait de Paso del
Norte aux différents agents de son gouvernement la note
suivante, signée par son ministre Lerdo de Tejada :
Paso del Norte, 15 août 1865.
« Ayant quitté la ville de Chihuahua le 5 courant, le président
de la république est arrivé à Paso del Norte hier ; il a ordonné que
le siège du gouvernement y serait établi pour le présent.
ft Ici, comme sur tout autre point de la République oîi les cir-
constances pourront rendre convenable que le siège du gouverne-
ment soit établi, le citoyen président fera tout son possible pour
remplir son devoir avec courage et constance ; il répondra ainsi
aux vœux du peuple mexicain, qui ne cessera jamais de lutter par-
tout contre l'envahisseur, et finira infailliblement par triompher
dans la défense de son indépendance et des institutions républi-
caines. »
a Indépendance et Liberté. »
Le général Brincourt avait obtenu de bons résultats
dans l'État de Chihuahua ; les Indiens de cette province
se montrèrent sympathiques à l'empire ; ils se pronon-
cèrent en sa faveur du côté de Concepcion et s'armèrent
(') Le maréchal au ministre, 9 octobre.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 523
pour résister aux forces libérales. Ojinaja, gouverneur 4865.
militaire du pays pour Juarez, fut tué dans un combat
contre eux et ses troupes se débandèrent. Bien que les
ordres du maréchal fussent formels, le général Brincourt
trouvait que l'abandon de Ghihuahua serait si impolitique
qu'il retarda, autant qu'il le put, le moment de rétrograder
et sollicita de nouvelles instructions. Il suffisait, disait-il,
d'un millier d'hommes pour conserver à l'Empire tout un
immense territoire, en interdire l'accès aux juaristes, et
amener ainsi la ruine totale de leur parti ; mais le maré-
chal se montrait toujours inquiet de la possibilité d'une
collision avec les Etats-Unis, plus inquiet peut-être qu'il
ne l'était en réalité et que la situation ne le compor-
tait ; ses ordres furent maintenus. On a voulu voir, dans
cette évacuation fort intempestive, une preuve des mau-
vaises dispositions du maréchal à l'égard de l'empereur
MaximiHen, et du médiocre intérêt que lui inspirait la con-
solidation de sa couronne. Cependant, peu après, cédant
aux instances de l'Empereur, il consentit à laisser provisoi-
rement une garnison française à Ghihuahua ; un contre-
ordre ne pouvant arriver à temps pour arrêter le général
Brincourt, une nouvelle colonne fut dirigée de Durango
vers le nord, sous le commandement de M. le chef d'esca-
dron d'élat-major Billot (^).
Le général Brincourt avait, bien à regret, quitté Ghi-
huahua le 29 octobre ; le 20 novembre suivant, Juarez y
revenait avec une centaine de ses partisans, mais il devait
y rester seulement quelques jours. Sa politique n'était
pas de concentrer autour de lui les forces militaires du
parti libéral ; il cherchait, au contraire , à grossir les
<•) Elle se composait d'un bataillon du 7^ de ligne, de deux pelotons de cava-
lerie et d'une section d'artillerie ; ensemble ; oOO hommes environ.
526 II" PARTIE. — CHAPITRE IV.
-1865. troupes qui opéraient dans le Tamaulipas sous Escobedo,
dans le Sinaioa et la Sonora avec Patoni (^), afin de diviser
les efforts des Français et les empêcher de ruiner d'un seul
coup les espérances des républicains en anéantissant toute
l'armée libérale dans une campagne heureuse. Quant à
lui, il se contentait d'une petite escorte, et ne mettait aucun
amour-propre à reculer de village en village ; lorsque la
deuxième colonne expéditionnaire du nord, venant de Du-
rango, s'approcha de Chihuahua, il en repartit simplement
(9 décembre) et retourna au Paso del Norte attendre, avec
la patience inépuisable des hommes de sa race, des cir-
constances plus favorables. Sa petite armée, sous les ordres
de D. Luis Terrazas, représentée alors par quatre cents
fantassins, une centaine de cavaliers, et six canons, se retira
également. Chihuahua fut réoccupé sans coup férir, le 11
décembre.
Cependant la désunion s'était glissée parmi les adhérents
de Juarez ; il était arrivé au terme de ses pouvoirs depuis le
30 novembre 1865; mais, de sa propre autorité, par un
décret du 8 novembre, il les avait prorogés jusqu'à la fin de
la guerre, et avait destitué le général Ortega qui, d'après la
constitution et en qualité de président de la Cour suprême,
auraitdûexercerl'autoritéprésidentielle jusqu'aux nouvelles
élections. Le général Ortega s'était rendu aux Etats-Unis
sans autorisation. Juarez saisit ce prétexte pour se débar-
rasser d'un compétiteur gênant. Sa conduite fut désap-
prouvée par plusieurs membres influents du parti libéral, .
Don Manuel Ruiz entre autres, membre de la Cour suprême
et suppléant légal du président de cette cour. M. Ruiz se
présenta au commandant Billot à Rio Florido, le l^"" dé-
(^) Lettre de Juaroz à D. Jésus Teran, Paso del Norte, 17 août.
LE MARÉCHAL BAZAINE. o27
cembre, et déclara rentrer dans la vie privée. La veille, il iscy.
avait publié au Parral une protestation, longuement moti-
vée, contre la violation des principes fondamentaux de la
constitution dont Juarez s'était rendu coupable. La notoriété,
dont jouissait D. Manuel Ruiz, et la place qu'il occupait
dans le parti libéral, donnaient à ce manifeste une impor-
tance toute particulière ; ces incidents paraissaient devoir
favoriser les efforts tentés par l'empereur Maximilien pour
rallier les hommes politiques encore attachés au régime
répubhcain. Si Juarez eût, en cette occasion, montré
quelque défaillance, peut-être la république mexicaine
eût-elle sombrée ; il ne serait resté que des chefs de bande
n'ayant aucune cohésion, sans mandat d'aucune sorte, ca-
pables tout au plus d'entretenir l'anarchie et la guerre
civile ; l'Empire se serait fortifié de tout ce que le parti
opposé aurait perdu. La protestation de Manuel Ruiz et celle
qui fut publiée quelque temps après par le général Ortega,
n'empêchèrent pas Juarez de rester toujours la véritable
personnification de la résistance à l'intervention française
et à l'Empire ; il continua d'être reconnu comme président
de la république par la grande majorité des chefs libéraux.
Ortega ne rallia qu'un très-petit nombre de partisans.
Malgré les intentions bien formulées par Juarez de n'ac-
cepter aucun compromis avec l'Empire, et les gages certains
donnés à cette politique par sa conduite même, l'empereur
Maximihen poursuivait toujours son rêve d'alliance avec
le parti libéral. Un de ses amis, le baron de Pont, était
en relations avec D. Jésus Teran, ancien secrétaire dé
Juarez et son agent confidentiel en Europe; par l'inter-
médiaire de ces deux personnes, des lettres de Juarez
écrites à D. Jésus Teran parvenaient à l'empereur Maxi-
milien et, très-probablement aussi, les lettres de l'Em-
?)28 II* PARTIE. CHAPITRE IV.
'1865. pereur au baron de Pont étaient communiquées à Juarez.
Or voici les révélations curieuses que contient une des
lettres de l'Empereur, datée du 8 décembre 18650.
« Teran est un vrai patriote comme son maître, il avait les
meilleures intentions pour son pays; s'il est bien informé, il doit
savoir que, dans toutes les discussions, je défends son maître et
que je reconnais toujours combien, en beaucoup de choses, il a été
utile au Mexique ; mais il lui arrive, comme à notre bon vieux
Guttierrez, ce qui arrive à tous, il exagère, et les souvenirs de la
réalité s'effacent
« La question du moment et du prochain avenir est d'organiser le
pays d'une manière réfléchie et patiente. Cette tâche n'admet ni
miracles, ni transitions subites, et je cherche à éviter l'unique erreur
de mon prédécesseur Juarez qui, dans le coart espace de sa prési-
dence, voulut tout briser, tout réformer.
« La seule chose à laquelle on peut prétendre, c'est un dévelop-
pement organique et une conviction réfléchie ; il faut laisser de
côté tous les coups brillants, ils sont permis en Europe oii l'on a
affaire à des esprits blasés, ici tout est vigueur et jeunesse ....
(I) Le baron do I^ont avait communiqué à l'empereur Maximilien une lettre de
D. Jésus Teran dans laquelle, entre autres clioses, on lisait :
Berne, 17 septembre 1865.
« Je crois, monsieur le baron, que le moment est venu , pour l'empereur du
Mexique, de réfléchir sérieusement sur sa position et de prendre une résolution
définitive avant que les affaires ne se compliquent, parce qu'alors il sera emporté par
la force des événements, et que sa conduite ne dépendra plus de sa volonté
« Si mes anciennes relations avec Don B. Juarez, et les personnes qui compo-
sent son cabinet me permettent de lui être de quelque utilité, je suis disposé à
faire ce qui dépendra de moi pour le dégager honorablement de sa position, cer-
tain que j'éviterai ainsi à ma patrie de nouvelles épreuves. Je travaillerai à amener
Don B. Juarez à conclure un arrangement liunorable pour Tun et pour l'autre
A la place de l'empereur, je commencerais par décréter une suspension d'hosti-
lités avec le gouvernement constitutionnel.
. Afin de conclure un traité aussi avantageux que possible, et usant des facul-
tés qu'accorde le traité de Miramar, je renverrais l'armée française, puis je
ferais connaUre ma résolution de me retirer.
LE MARÉCHAL BAZALNE. o29
ï Je crois trouver dans les lettres de Teran une diplomatie pro- ^gos.
tonde et réelle ; je désire beaucoup m'entendre avec Juarez, mais
tout d'abord, il doit reconnaître la décision de la majorité effective
de la nation qui veut la tranquillité, la paix, et la prospérité, et il
faut qu'il se décide à collaborer avec son énergie inébranlable et
son intelligence reconnue à Tceuvre difficile que j'ai entreprise. Si,
comme je le crois, il envisage réellement le bonheur du Mexique,
jl doit bien comprendre qu'aucun Mexicain n'aime autant que moi
le pays et son progrès, et que j'y travaille avec toute sincérité et
avec les meilleures intentions; qu'il vienne pourm'aider sincère-
ment et loyalement, et il sera reçu à bras ouverts comme tout bon
Mexicain Vous pouvez remercier Teran, en mon nom, de ses
bonnes paroles ; vous lui direz que je suis prêt à recevoir Juarez
dans mon conseil et parmi mes amis, mais que, pour le moment,
j'ai à défendre ce qui est au-dessus de ma vanité et de mon bien-
(Hre individuels, l'indépendance d'un beau pays et d'un peuple de
huit millions d'âmes, tâche digne d'un prince de ma famille ^^\ f
Nous avons dit qu'au moment même oii le général Brin- opéniion?
court marchait sur Chihuahua, les troupes françaises pé- ""sonôra/"
nélraient également dans l'intérieur de la Sonora. La gar-
nison débarquée à Guaymas, le 29 mars précédent, était
trop faible pour sortir de la place, mais à la fm du mois
de mai, elle avait reçu des renforts qui lui permirent de
rompre le blocus de l'ennemi. Les forces libérales, com-
mandées par Pesquiera, comptaient deux mille cinq cents
hommes et dix canons ; elles étaient campées à la Pasion
au pied des montagnes, à huit lieues de Guaymas. Le 22
mai, le colonel Garnier, après avoir forcé les avant-postes
ennemis du Cavallo à se replier, essaya de surprendre le
camp de Pesquiera par une marche de nuit; l'escadron
de chasseurs, qui formait l'avant garde, s'avança trop
(') D'après le texte publié par l'abbc Domenech, Juarez et Maximilien, Paris,
IS68.
34
530 11° PARTIE. CHAPITRE IV.
4865. loin du gros de la colonne ; il tomba sur le campement
des libéraux, y sema le désordre, mais donna l'éveil à l'en-
nemi, qui put battre en retraite et se mettre hors de portée
avant l'arrivée de l'infanterie française. Pesquiera se retira
sur Hermosillo, la ville la plus importante de la contrée, à
trente-sept lieues de Guaymas ; le colonel Garnier revint à
Guaymas.
La province de Sonora compte environ cent vingt mille
habitants dont la moitié de race indienne ; cette popula-
tion est éparpillée sur une grande étendue de pays, en
partie aride, et dont la richesse minérale paraît être de
beaucoup au-dessous des narrations exagérées qui en ont
été faites. Le nord de cette contrée est fréquemment dé-
vasté par les Indiens Apaches ; depuis la suppression des
présidios espagnols, la plupart des haciendas et des vil-
lages sont détruits, le pays est ruiné.
Les tribus indiennes, fixées en Sonora, et dont la plupart
sont converties au christianisme depuis les premiers temps
de la conquête, sont les seuls adversaires qui puissent
être opposés aux Indiens sauvages. Les plus considérables
de ces tribus sont celles des Pimas (quinze mille individus
environ) établis dans les districts du Nord-Ouest ; les Pa-
payos, tribu guerrière non convertie qui habite près de la
frontière (huit à dix mille individus); les Opatas (trente-
cinq mille environ) établis dans les districts d'Urès,
d'Arispe, d'Opozura, de Sahuaripa; Tanori, leur chef,
vint à Guaymas offrir au colonel Garnier un concours qui
fut très-utile dans plus d'une circonstance ; enfin les Ya-
quis et les Mayas qui vivent dans les vallées des Rios Yaqui
et Maya, où ils s'adonnent à l'agriculture et à l'industrie
minière. Us sont au nombre d'environ trente mille. Sous
LE MARÉCHAL BAZALNE. 531
l'influence de quelques hommes dévoués aux nouvelles -1865.
institutions, ces tribus se montrèrent favorables aux Fran-
çais et chassèrent les libéraux de leurs villages (0.
Ces bonnes dispositions déterminèrent le maréchal à
faire pénétrer des troupes françaises dans le cœur du pays.
Parti de Guaymas, le 23 juillet 1865, avec cinq cent cin-
quante hommes, le colonel Garnier entra sans coup férir à
Hermosillo, le 29 du même mois. Pesquiera, continuelle-
ment harcelé par les Indiens qui lui enlevèrent quatre
canons, se replia sur Urès, puis sur Arispe. Un pronuncia-
miento en faveur de l'Empire ayant eu lieu à Urès, le colonel
Garnier s'y rendit et occupa la ville le 13 août, jour même
où le général Brincourt entrait à Chihuahua.
Les contingents alliés furent bientôt maîtres d'El Altar,
d'Opozura, puis de Magdalena, de Sahuaripa et d' Arispe.
Toute la province, à l'exception d'Alamos, reconnut l'auto- .
rite impériale et, peu après, les Indiens occupèrent ce der-
nier point, à la suite d'un combat où le chef libéral Rosales
fut tué avec une centaine des siens. Mais, par suite des
nouvelles combinaisons arrêtées par le maréchal, en vue
de la possibilité d'une agression des Etats-Unis, un seul
régiment, le 62*^ de ligne, devait être laissé dans les deux
provinces de Sonora et de Sinaloa ; le 51^ de hgne fut donc
rappelé à Mazatlan et renvoyé à Durango. Le bataillon du
62^ qui le remplaça en Sonora, eut l'ordre de borner son
occupation au port de Guaymas ; les autres points furent
confiés aux contingents indiens.
A l'autre bataillon du 62% incombait la lourde tâche de
(0 Les Indiens délivrèrent la plupart des prisonniers français du combat de
San Pedro, qui se trouvaient à Gpozuru ; ils ramenèrent à Guaymas six olliciers
trente-trois marins, vingt- trois railleurs. La colonne du général Brincourt en
recueillit quelques autres dans sa marclie vers Chihuahua.
532 II* PARTIE. — CHAPITRE IV.
4865. garder l'Etat de Sinaloa ; nous dirons plus loin quelles
difficultés il eut à vaincre. Son effectif ne lui permettant
pas de dominer le pays, Corona y revint avec ses bandes,
brûla la Noria pour punir ce village des sympathies
témoignées aux Français, et, bientôt, les troupes laissées
dans le Sinaloa se trouvèrent restreintes à un étroit rayon
autour de Mazatlan. Du reste l'insuffisance du corps expé-
ditionnaire se manifestait sur tous les points.
Comme le maréchal concentrait ses troupes, dont la trop
grande dissémination pouvait avoir des inconvénients, il
devenait souvent impossible aux autorités impériales de se
maintenir sans leur appui.
Opérations Dans Ic Nord-Est, il ne resta de garnison française qu'à
Tamauiipas. Montercv ct à Matchuala ; la division Mejia, qui comptait
seulement 3,500 hommes, ne pouvait suffire à garder
d'une manière efficace l'immense territoire compris entre
Matamoros, Tampico et Monterey. Pour protéger les com-
munications entre cette dernière ville et Matamoros, la
contre-guérilla avait été placée à Cadeireita ; un convoi de
commerce envoyé de Matamoros, sous l'escorte de huit
cents hommes de troupes mexicaines, réussit à passer; mais
à son retour, ce détachement perdit deux cent cinquante
hommes dans un combat malheureux et fut obligé de re-
venir sur ses pas. Cortina isola complètement Matamoros
et interdit toute communication avec la ville ; aucune mar-
chandise n'entrait ni ne sortait sans sa permission et sans
lui payer des droits. C'était à lui que les voyageurs s'a-
dressaient pour obtenir des passe-ports (^).
Au sud de Monterey, les guérillas libérales coupaient
vl) Lp manVIial ;ni minislro, 9 scplcmlire.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 533
également les routes et menaçaient Matehuala ; il fut néces- 1860
saire d'envoyer dans cette place un bataillon de renfort.
Les bandes ennemies s'étaient alors rabattues vers le Sud
par les grandes haciendas de Solis et de Peotillos ; des co-
lonnes légères sorties de San Luis Potosi et de Querelaro
les atteignirent plusieurs fois, les forcèrent d'abandonner
les districts de Santa Maria del Rio et de Rio Verde, et les
obligèrent à se replier sur Tula de Tamaulipas, dont elles
s'étaient emparées depuis le commencement du mois de j uin ,
Le maréchal voulut les déloger également de cette position
afin de rouvrir la route entre San Luis et la mer. Déjà, le
16 juin, le bataillon d'infanterie légère d'Afrique (comman-
dant Chopin) avait été débarqué à Tampico . Il devait y laisser
ses impedimenta et s'avancer rapidement vers l'intérieur,
afin de combiner ses mouvements avec les petites colonnes
qui sortaient alors de Matehuala, de San Luis et de Quere-
taro. Contrairement à ces prescriptions, ce bataillon em-
mena ses bagages à Tancasnequi ; le manque absolu de
nloyens de transport et les pluies torrentielles, qui inondaient
le pays, le mirent dans l'impossibilité de se mouvoir. Le ma-
réchal avait l'intention d'employer dans le Tamaulipas le
bataillon du régiment étranger qui se trouvait alors à Mata-
mores ; il le fit transporter à Tampico sur les bâtiments de
l'escadre (19 juillet) ; mais cette troupe était dans un tel état
d'épuisement (sur un effectif de 500 hommes au départ de
Vera-Cruz, il ne restait que 257 hommes valides), qu'il fallut
renoncer à cette combinaison et la ramener à Vera-Cruz.
Le bataillon d'Afrique fut également très-éprouvé par les
maladies, et ne se trouva plus en état de présenter en ligne
un nombre suffisant de combattants pour affronter les
guérillas ennemies ; un bataillon du 3'' zouaves (comman-
dant Delloye)dut lui conduire de Matehuala à Tancasne qui
534 H* PARTIE. CHAPITRE IV.
4865. les moyens de transport qui lui faisaient défaut, et protéger
sa marche jusqu'à Tula. Arrivé le 26 août à Tancasnequi,
le commandant Delloye en repartit le lendemain avec le
bataillon d'Afrique , son convoi et ses nombreux malades ;
cette colonne rencontra d'abord à El Nopal, puis le 9 sep-
tembre au col de Chamal, dans une forte position, les gué-
rillas de Mendez qui lui disputèrent le passage ; à la suite
d'un vigoureux combat, la colonne française parvint cepen.
dant à s'ouvrir la route.
On avait, en outre, envoyé contre Escobedo, qui battait
le pays entre Linares et Burgos, la contre-guérilla et un
bataillon du régiment étranger (août 1865); les bandes
ennemies ne cessaient d'inquiéter la route de San Luis ;
elles pillèrent le minéral de Catorce (2!2 août) et attaquèrent
un convoi français à Tanque de las Yacas (31 août). L'en-
nemi laissa passer la saison des pluies sans rien tenter de
sérieux dans le Nord, mais, dès les premiers jours d'oc-
tobre, Escobedo réunit son monde et, le 18 du même mois,
avec trois mille hommes et onze canons, il assiégea
Matamoros. Le général Mejia était disposé à résister éner-
giquement ; les négociants étrangers, les Français en par-
ticulier, lui prêtèrent un concours actif, mais il craignait
à chaque instant que ses soldats, activement travaillés par
les agents de l'ennemi, ne fissent défection. L'attitude des
Américains le préoccupait également ; ils fournissaient à
Escobedo des munitions et des vivres ; ils recevaient ses
blessés dans leurs hôpitaux ; des soldats et des officiers des
Etats-Unis passaient fréquemment le fleuve et combattaient
à côté des troupes libérales. Deux attaques furent cepen-
dant repoussées avec succès le 25 et le 26 octobre.
M. le capitaine de vaisseau Cloué, commandant l'escadre
française du golfe, vint surveiller l'embouchure du Rio
LE MARÉCHAL BAZAÏNE. 533
Bravo ; il fit armer par ses marins un petit vapeur de ri- -«s^s,
vière, VAntonia, et l'envoya au secours de Matamoros. Ce
bâtiment remonta le Rio Bravo, le 7 novembre, malgré la
fusillade et le feu d'artillerie qui partaient des rives du
fleuve. La nuit suivante, Escobedo leva le siège; un
renfort de quatre cents Autrichiens arriva peu de temps
après.
Le général Mejia et le commandant Cloué protestèrent
près du général américain Weitzel, contre l'appui effectif
que les troupes d'Escobedo avaient trouvé sur la rive
gauche; celui-ci répondit d'abord assez courtoisement,
exprimant ses regreis de ne pouvoir empêcher, comme il le
voudrait, ces violations de neuti-alité ; puis cette corres-
pondance s'aigrit, des lettres furent renvoyées de part et
d'autre sous prétexte qu'elles étaient rédigées en termes
inacceptables (^). Le général Sheridan, commandant supé-
rieur à la Nouvelle-Orléans, fit passer au général Mejia une
(') (ExlTails des correspondances échangées entre le commandant Cloué et
le général Weitzel.)
• Le commandant Cloué au général Weitzel :
« Devant le Rio Grande, 6 novembre 1863.
« Monsieur le général, j'ai toujours été exactement renseigné sur tous les événe-
ments <\m se passent aux environs de Matamoros ; c'est vous dire que je connais
parfaitement tous les secours que les soi-disant libéraux ont retirés et retirent du
Texas, et en particulier de Brownsville.
« Les hommes, les vivres, les munitions de guerre sont fournis à nos ennemis
par des personnes qui relèvent de votre commandement ; les pièces d'Escobedo
sont servies par des cauonniers qui viennent de votre armée et ne sont même pas
encore congédiés. Les blessés sont reçus à l'hùpital de Brownsville. Les officiers
d'Escobedo et de Gortina viennent journellement en armes dans cette ville prendre
leurs repas, ou se reposer dans les intervalles de loisir que leur laisse l'attaque de
Matamoros. En un mot, Brownsville semble être le quartier général des juaristes,
et personne ne doute que ni Escobedo, ni Gortina ne seraient en état d'entreprendre
quoi que ce soit, s'ils n'avaient les ressources continuellement renouvelées du Texas
pour les soutenir.
. Je prendrai la liberté, .Monsieur le général, de vous rappeler combien a été dif-
^36 II" PARTIE. CHAPITRE IV.
<86o. dépêche presque menaçante ; celui-ci refusa de la recevoir,
il était fort inquiet et n'osait sortir de Matamoros, de peur
qu'en son absence des flibustiers américains ne s'en ren-
dissent maîtres. La surexcitation , qui existait alors en
Amérique contre la France et contre l'Empire mexicain,
ne justifiait que trop ces alarmes ; un déplorable événe-
ment les augmenta encore.
Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1866, des bandes de sol-
fe'rente de ce qui se passe ici, la conduite de la France pendant la récente guerre
qui vient de déchirer l'Union américaine.
« La France est restée loyalement neutre ; s'il en avait été autrement, si nous
avions fait la centième partie de ce qui se fait à Brownsville ou sur les bords
du Rio Grande, le peuple américain aurait protesté hautement et il aurait eu
raison.
" Les lois internationales adoptées par toutes les nations civilisées sont obliga-
toires pour toutes. De même que ces lois nous engagent d'honneur à rester neutres,
elles vous engagent à votre tour, car vous ne pouvez pas prétendre à être affran-
chis des règles sur lesquelles vous vous êtes appuyés, sous le prétexte qu'elles ne
vous sont plus bonnes à rien.
" Après vous avoir présenté les observations qui précèdent, Monsieur le général,
je termine ma lettre en protestant de la manière la plus formelle contre la viola-
tion flagrante de la neutralité de cette frontière et particulièrement à Brownsville.
« Veuillez agréer, etc.
« Signé : Cloué. •
Réponse à la lettre précédente. — Le général Weilzel au commandant Cloué.
« Sir, I hâve received your communication of Ihe 6"i instant, and return it here-
with, as I cannot receive a document so disrespectfull towards the governmcnt
I hâve the honour to represent.
• If you bave any complaints to make , they will be duly submitted by me to
higher authorities, if said complaints are in proper ternis and couched in proper
language.
« I am, Sir, very respecfuUy, your obedient servant.
Signé : Weitzel.
Le commandant Cloué ayant écrit de nouveau, reçut la réponse suivante sans
signature ; il la renvoya au général américain.
Le général Weitzel au commandant Cloué (i7 novembre).
« lie ( gênerai Mejia) and I, hâve aiready liad more correspondence llian was
ploasant to me. Ido not wish to writeletters.lt is not my profession, and I was
not sent hère by my government to write letters. I would tiiereforc again repeat
that either you, or gênerai Mejia alone takc charge of al! correspondence with me. »
LE GÉNÉr.AL BAZAIKE. o37
dats nègres, portant le nom de Cortina sur leurs chapeaux, ^^^•
mais ayant l'uniforme américain, traversèrent le Rio Bravo
et envahirent la ville de Bagdad. Ils surprirent une petite
garnison impérialiste de deux cents hommes qu'ils em-
menèrent à Clarksville , au Texas, où l'on engagea les
prisonniers à se laisser incorporer dans la troupe de Cor-
tina. La population de Bagdad, composée en majeure par-
lie de négociants étrangers, fut maltraitée par cette bande
de forcenés dont le chiffre grossissait à chaque instant.
Le pillage, les violences, les assassinats désolèrent la ville;
au matin, des officiers américains (le général Crawford, le
colonel Reed entre autres) furent tellement effrayés de ce
désordre, qu'ils firent demander quelques compagnies ré-
gulières de soldats noirs. Les nouveaux venus chassèrent
les pillards de la nuit, puis ils pillèrent à leur tour. L'An-
tonia, à bord de laquelle se trouvaient trente marins fran-
çais et quarante soldats autrichiens, était amarrée près de
la ville lorsque commença l'invasion des nègres. Elle fut
attaquée et reçut plusieurs projectiles lancés avec des pièces
enlevées aux fortifications de Bagdad; mais l'équipage ré-
sista assez longtemps pour permettre au bâtiment d'allu-
mer ses feux et de s'éloigner en remontant le fleuve. Le
stationnaire français, la Tisiphone, s'était approché de la
terre; il n'avait pu qu'imparfaitement se rendre compte de
ce qui se passait; un de ses canots s'embossa cependant à
huit cents mètres et tira quelques coups de canon sur des
gens qui pillaient des bateaux échoués ; une batterie de la
terre répondit à son feu. Pendant plusieurs jours ce fut,
entre Bagdad et Clarksville, une allée et venue conti-
nuelle pour transporter le butin sur la rive américaine ; les
pillards emportèrent tout ce qu'ils purent, meubles, usten-
siles de toute sorte, et jusqu'à des maisons de bois qu'ils
538 II® PARTIE. CHAPITRE IV.
4865, démontèrent. Les Américains appelèrent à Bagdad les
chefs libéraux; ceux-ci vinrent en effet avec quelques
hommes et prirent nominalement possession de la ville,
mais les troupes américaines y restèrent jusqu'au 22 jan-
vier. Le 25, un détachement austro-mexicain de six cent
cinquante hommes y rétabht l'autorité impériale. La res-
ponsabilité de ces déplorables événements ne fut pas ac-
ceptée par le commandant des forces américaines. C'était,
disait-il, le fait de soldats licenciés, aux désordres desquels
il n'avait pu s'opposer. Quant aux troupes envoyées par
lui, elles n'avaient eu d'autre mission que de protéger les
habitants. Cette réponse était peu rassurante; rien n'em-
pêcherait d'en faire une pareille, si l'on voulait un jour
prendre et piller Matamores ; le général Mejia recommanda
aux commerçants étrangers de rester armés et de s'organi-
ser d'une façon permanente pour garder leurs propriétés.
Le gouvernement des Etats-Unis s'efforça, du reste, de
prévenir le retour de pareilles scènes. Il remplaça le géné-
ral Weitzel, restitua les canons, fit rechercher et empri-
sonner le général Crawford, les officiers et les soldats qui
avaient participé au sac de Bagdad.
Opérations Au mois de novembre, pendant le siège de Matamoros
' *fiaij*çai^cr par Escobedo, le maréchal avait envoyé deux colonnes expé-
le Nord-Est. ditionnaircs, l'une à l'extrême nord sur Monclova, l'autre
sur Vittoria, dans le but de diviser l'attention de l'ennemi
et de l'empêcher de concentrer toutes ses forces contre le
général Mejia. Le colonel d'Ornano occupa Vittoria le 17
novembre, et y réinstalla une garnison de trois cents Mexi-
cains ; à peine s'était-il éloigné, que les guérillas de Mendez
attaquaient la place ; il revint sur ses pas, la dégagea, mais,
sur l'ordre du maréchal, qui ne voulait pas laisser de trou-
pes françaises dans cette région, il l'évacua définilivement
LE MARÉCHAL BAZAINE. 539
le 15 décembre 1865, et l'autorité de l'empereur Maximi- 'i^^-
lien n'y fut plus rétablie.
Au nord, le général Jeanningros, parti de Saltillo le
12 novembre, était entré àMonclova le 15, et avait forcé
l'ennemi à se retirer sur Piedras Negras ; mais, profitant
de son éloignement, Escobedo, qui venait de lever le siège
de Matamores, se jeta surMonterey, où ne se trouvait qu'une
garnison mexicaine de six cents hommes. Ce détachement
résista deux jours, puis une partie se replia sur Saltillo,
l'autre s'enferma dans la citadelle (24 novembre).
Dès qu'il apprit ces événements, le commandant de La
Hayrie, du régiment étranger, partit de Saltillo avec cent
cinquante-six hommes ; s'aidant de quelques charrettes, il
franchit en vingt heures les vingt-trois lieues qui le sépa-
raient de Monterey.et, le 25 novembre, à quatre heures du
matin, il pénétrait à l'improviste dans la ville; il enleva
successivement plusieurs postes ennemis, les passa à la
baïonnette, parcourut les rues, faillit prendre Escobedo ,
mais se sentant trop faible pour livrer combat pendant le
jour, il se replia, et resta en observation à l'entrée de la
ville.
Le général Jeanningros était à Villaldama lorsqu'il fut
informé des événements de Monterey. Il revint à marches
forcées; son infanterie fit trente-deux lieues en deux jours ;
sa cavalerie, qui la précédait à une petite distance, arriva
le 25 novembre, à deux heures du soir ; elle put atteindre
l'arrière-garde d'Escobedo et lui sabrer une centaine
d'hommes.
Vers cette époque, l'impératrice Charlotte fit un vovasje , ,yoyage
'■ '■ *■ " ^ de 1 impératrice
au Yucalan. Les ovations qu'elle recul des populations sur chnrioue
1 - 1 1 au lucalan.
tout son passage, aussi bien dans le Yucatan que le long
o40 II* PARTIE. CHAPIIRK IV.
1863. tîe la route de Mexico à Vera-Cruz, firent un moment di-
version aux tristesses de la situation sfénérale.
Depuis la prise de Campêche par Navarette au mois de
février 1864, le Yucatan tout entier s'était déclaré en fa-
veur de l'Empire; un petit corps de troupes mexicaines
dans l'intérieur de la province, une garnison mixte à Cam-
pêche (') suffisaient pour en assurer la tranquillité. Il n'y
avait guère d'autres alarmes que celles qui provenaient des
incursions sauvages, mais sans aucun caractère politique,
des Indiens Bravos de l'Ouest. Quelque agitation avait ce--
pendant continué sur la frontière de l'Etat de Tabasco, dont
les guérillas, à l'aide des canaux naturels qui sillonnent le
pays, pouvaient se porter inopinément sur un point ou sur
l'autre, inquiéter les populations paisibles et entraver le
commerce des bois.
Au mois de juin 1865, la canonnière française le Bran-
don avait remonté le grand fleuve de Palizada avec un
détachement austro-mexicain de quatre cents hommes.
Palizada fut occupé le 5 juin , et les fortifications de Jonuta
furent enlevées le lendemain ; on laissa sur ce point un
poste de 250 Mexicains.
Le mois suivant, le général Castillo, alors commandant
du Yucatan, voulut tenter une opération dans l'intérieur
de l'Etat de Tabasco ; mais lorsque ses soldats se trouvèrent
en présence des Indiens du pays, ils furent saisis d'une
sorte de terreur panique et prirent la fuite. Pendant deux
jours l'ennemi tirailla sur Jonuta. Le Brandon se porta au
secours de ce poste; une sortie de nuit, appuyée par quel-
ques marins, porta le désordre dans le camp des guérillas
O) La compagnie de volontaires créoles, la compagnie du génie de la Marti-
nique, la compagnie yucatanaise (août 1864), qui furent relevées par trois cents
Autrichiens au commencement de mars 1865.
LE MARÉCHAL BAZAlNE. 541
qui se dispersèrent en abandonnant leur canon. Leurs ten- -iso;
talives ne s'étant pas renouvelées, il fut possible de retirer
de Gampêche les compagnies autrichiennes fort éprouvées
par les fièvres (25 août 1863). Du reste, l'intérieur du
Yucatan n'avait pas été troublé ; depuis longtemps, les ha-
bitants de cette province industrieuse et éclairée, pour
laquelle l'empereur Maximilien avait toujours eu beaucoup
de prédilection, et qu'il se plaisait à appeler (d'enfant gâté
de son règne », insistaient pour qu'il les visitât. Ce voyage,
arrêté en principe, avait été successivement remis; puis
l'état des affaires ne permettant pas à l'Empereur de s'ab-
senter, l'Impératrice s'y rendit seule. Son passage à Vera-
Cruz fut l'occasion de manifestations qui contrastaient sin-
guhèrement avec la froideur dont elle avait été si impression-
née au moment de son arrivée au Mexique. Sa voiture fut
dételée et traînée par le peuple (*). Elle fut aussi chaleureu-
sement reçue au Yucatan, où elle séjourna un mois.
Quelque temps auparavant, l'Empereur avait également
trouvé une grande sympathie à Orizaba, à Gordova, à Jalapa,
et surtout à Puebla. Souvent les princes sont salués sur
leur passage par des démonstrations officielles auxquelles se
mêlent facilement les cris et les vivat du peuple toujours
avide de fêtes et de nouveautés ; toutefois Paccueil que
l'empereur Maximilien et l'impératrice Gharlotte rencon-
trèrent la plupart du temps dans leurs différents voyages,
eut quelque chose de si cordial, de si sincère, qu'on est
obligé de reconnaître l'influence exercée par leur bonne
grâce, leur affabihté, leur bienveillance sur tous ceux qui
les approchaient. Du reste, la partie des Etats de Mexico,
(') Le commandant de Vera-Cruz au ministre, 2 di-cembre. — Le maréciial au
ministre, 9 novembre, 9 et 28 décembre.
542 II" PARTI!::. CHAPITRE IV.
^865. (le Piiebla et de Vera-Cruz qu'ils traversèrent, jouissait
depuis plus de deux ans de la plus grande tranquillité.
L'agriculture, le commerce, la richesse publique s'y déve-
loppaient, grâce à une sécurité dont ces contrées avaient
été longtemps privées, et les populations se montraient
reconnaissantes de ces bienfaits qu'elles devaient à l'Em-
pire ; malheureusement, ces acclamations entretinrent
dans l'esprit de l'Empereur et de l'Impératrice des illu-
sions que ne justifiait pas l'ensemble de la situation ; elles
leur inspirèrent une fausse confiance dans le dévouement
du pays, et dans l'appui qu'ils pourraient trouver près des
populations au jour du danger.
CHAPITRE CINQUIÈME.
SOMMAIRE.
Relations diplomatiques entre la France et les Etats-Unis. — Déclaration du
gouvernement français relative au rappel des troupes du Mexique. — Organi-
sation des forces militaires à la disposition de l'empereur Maximilien. —
Création des cazadores. — Détresse financière de l'Empire mexicain. — Progrès
des forces républicaines dans le nord du Mexique. — Opérations militaires dans
les Etats de Nuevo-Leon et de Coahuila. — Combat de Santa Isabel (1" mars).
— Combat de Camargo (lo juin). — Capitulation de Matamoros (23 juin). —
Note du 31 mai, — Mémoire de l'empereur Maximilien à l'empereur Napoléon.
— Nature des relations entre l'empereur Maximilien et le maréchal Bazaine.
— Conyantion du 30 juillet 1866.
Les dispositions peu bienveillantes montrées par les Relations
^ ^ , diplomatiques
Etats-Unis depuis la fin de la guerre de la Sécession, et la entre la France
i o et les
surexcitation croissante causée dans ce pays par la présence Ktats-unis.
d'une armée française au Mexique, obligeaient le gouver-
nement français à observer, avec un redoublement de
prudence, la phase nouvelle dans laquelle les affaires al-
laient s'engager.
Nous avons dit qu*en Amérique, un parti nombreux, à
la tête duquel était le général Grant, réclamait la stricte
application de la doctrine Monroë, dans sa lettre plutôt que
dans son esprit, et voulait que la France fût mise en de-
o44 II* PARTIE. CHAPITRE V.
iscfi. meure de retirer immédiatement ses troupes du continent
américain. Les hommes passionnés, qui ne craignaient pas
de pousser leur pays dans une guerre étrangère, s'inquié-
laient peu de savoir si la thèse qu'ils soutenaient était lo-
gique. En effet, le but de Monroë avait été de garantir l'au-
tonomie des peuples nouveaux formés par l'émancipation
des colonies d'Amérique, et de les protéger contre les re-
vendications de leurs anciennes métropoles. Or, loin d'être
menacée, l'autonomie du Mexique avait été un des premiers
principes proclamés par la France et consacrés par l'em-
pereur Maximilien lorsqu'il avait accepté la couronne ; la
doctrine Monroë était donc invoquée à tort, et, aux Etats-
Unis même, beaucoup d'esprits sages et prudents pen-
saient ainsi; quant aux hommes d'Etat qui composaient le
cabinet de Washington, ils étaient fort opposés à une guerre
contre la France, et résistaient autant que possible à l'en-
traînement populaire ; mais il était diifjcile d'assurer qu'ils
y réussiraient toujours. La situation était donc des plus
graves, puisqu'une aussi sérieuse complication dépendait
d'une pareille éventualité. L'empereur Napoléon savait, en
outre, combien une guerre avec les Etats-Unis serait désas-
treuse, au moment où l'industrie se relevait à peine de
la crise causée par une longue interruption de rapports
avec les pays producteurs du coton. Il était de son devoir,
comme de son intérêt, d'épargner à tout prix une si pé-
nible épreuve à la nation, et, quelque douloureuse que
pût être pour lui cette extrémité, il résolut de dégager sa
politique en rappelant ses troupes du Mexique, le trône
de l'empereur Maximilien dût-il s'écrouler. Le gouverne-
ment français étant décidé à éviter, autant qu'il dépendait
de lui, une rupture avec les Etats-Unis, la guerre n'était à
craindre que dans le cas où les Américains tiendraient un
LE MARÉCHAL BAZAINE. o4o
langage si arrogant que l'honneur de la France ne pour- 1366.
rait le supporter.
La note de M. Bigelow, du l^*" août 1865, relative au
D' Gwin , et que nous avons déjà citée, peut être con-
sidérée comme le point de départ des pourparlers en-
gagés avec l'Amérique, au sujet du rappel des troupes du
Mexique. Les projets du D^ Gwin n'ayant pas été mis à
exécution, cet incident s'apaisa de lui-même, et, par une
dépêche du 18 octobre 1865, M. Drouyn de Lhuys chargea
le ministre de France aux Etats-Unis de reprendre des
négociations pour la reconnaissance de l'empereur Maxi-
milien. Il avait été encouragé, disait-il, à tenter ces nou-
velles démarches, parce que M. Bigelow « lui avait demandé
si cette reconnaissance ne pourrait pas faciliter et hâter le
rappel des troupes ». On désirait donc obtenir des Etats-
Unis « l'assurance que leur volonté n'était pas de nuire à
la consolidation du nouvel état de choses fondé au Mexique,
la meilleure garantie de leurs intentions étant la recon-
naissance de l'empereur Maximilien par le gouvernement
fédéral Cette reconnaissance aurait assez d'influence
sur l'état intérieur du pays pour permettre au gouverne-
ment français de tenir compte des susceptibilités des Etats-
Unis, et si le cabinet de Washington se décidait à
nouer des relations diplomatiques avec la cour de Mexico,
on ne ferait pas difficulté de prendre des arrangements
pour rappeler les troupes dans un délai raisonnable, dont
on pourrait consentir à fixer le terme » .
Loin d'entrer dans cette voie de conciliation, le gouver-
nement des Etats-Unis nomma un nouveau ministre près
de la république mexicaine; la désignation du général
Logan , dont les opinions hostiles à la France étaient
connues, rendait cette nomination plus significative en-
3o
546 n" PARTIE. — CHAPITRE V.
18G6. coreO. La réponse officielle de M. Seward à la notedu 18oc-
"~ tobre fit disparaître les dernières illusions que l'on aurait
pu conserver. « Le sens des suggestions de l'Empereur,
dit M. Seward, semble être que la France est disposée à se
retirer du Mexique aussitôt qu'elle le pourra, mais qu'elle
ne saurait le faire sans inconvénient avant d'avoir reçu des
Etats-Unis l'assurance de dispositions amicales ou tolé-
rantes envers le pouvoir qui s'est approprié la forme impé-
riale dans la ville capitale de Mexico Je regrette d'être
obligé de vous dire que la condition mise en avant est une
de celles qui nous semblent complètement impraticables. »
Ainsi, non-seulement les Etats-Unis refusaient de re-
connaître l'Empire mexicain, mais encore ils déclaraient
qu'ils n'auraient pas de dispositions tolérantes à son égard ;
et en effet, pourquoi les Etats-Unis auraient-ils fait la con-
cession qu'on leur demandait ? Ne savaient-ils pas d'une
manière certaine que, sous la pression de circonstances de
toute nature, le gouvernement de l'Empereur était forcé
de mettre un terme à l'occupation du Mexique?
Celte dépêche est du 6 décembre; M. Drouyn de Lhuys
y répondit le 9 janvier; Il eut soin de ne pas relever
le refus très-catégorique des Etats-Unis aux propositions
qui leur étaient faites, et déclarait au contraire qu'on
s'efforçait de prendre avec l'empereur Maximilien des
arrangements qui, en satisfaisant les intérêts et la dignité
de la France, lui permissent de considérer comme ter-
miné le rôle de son armée sur le sol mexicain. 11 se bor-
nait à demander au gouvernement, fédéral l'assurance
qu'il a maintiendrait à l'égard du Mexique une stricte
neutralité » .
(l) Le général Logan déclina la mission qui lui était offerte et fut remplacé
peu après par M. Campbell. — Le maréchal au ministre, 9 janvier i866.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 547
M. Bigelow, ministre des Etats-Unis à Paris, représenta 4866.
que cette déclaration, deamndée aux Etats-Unis de ne pas
intervenir dans les affaires du Mexique, serait en quelque
sorte une intervention, et qu'il était sans doute préfé-
rable que M. Seward exposât dans une dépêche officielle
la politique que les Etats-Unis se proposaient de suivre ;
une copie de cette dépêche remise au gouvernement fran-
çais aurait tous les avantages d'un traité sans en avoir les
inconvénients (').
Une lettre de M. Seward à M. de Montholon, ministre
de France à Washington, en date du 12 février 1866, ré-
pondit à l'objet que se proposait M. Bigelow :
» Les Etats-Unis ne peuvent supposer, disait particulièrement
M. Seward, que l'Empereur se propose d'établir au Mexique, avant
de retirer ses forces, les institutions mêmes qui leur déplaisent, et
qui justitient matériellement les objections élevées contre son in-
tervention. Nous regardons, au contraire, l'Empereur comme nous
ayant annoncé son intention immédiate de faire cesser le service
de ses armées au Mexique, de les rappeler en France, et de s'en
tenir fidèlement, sans aucune stipulation, ni condition de notre
part, au principe de non-intervention sur lequel il est désormais
d'accord avec les Etats-Unis
a La France n'a que faire de retarder d'un instant la retraite
promise de ses troupes, par quelque crainte que les Etats-Unis se
montrent infidèles aux principes et à la politique qu'ils ont tou-
jours pratiqués, et qu'ils s'éloignent de la règle de conduite qui
leur a été donnée par Washington lui-même.
< Nous serons charmés lorsque l'Empereur nous donnera l'avis
définitif de l'époque à laquelle on pourra compter que finiront les
opérations militaires de la France au Mexique. >
Sans se montrer froissé de la forme quelque peu im-
périeuse de cette dépêche, le cabinet des Tuileries répon-
dit i') :
(») M. Bigelow à M. Seward, 11 janvier 1866.
(*) M. Drouyn de Lhuys à M. de Montholon, 6 avril.
548 II* PARTIE. — CHAPITBE V.
4866. « Nous n'hésitons jamais à offrir à nos amis les explications
~ qu'ils nous demandent. M, Seward nous donnant l'assurance que
les Etats-Unis resteront fidèles à la règle de conduite que leur a
tracée Washington, nous accueillons cette assurance avec une
pleine confiance, et nous y trouvons une garantie suffisante pour
ne pas différer plus longtemps l'adoption des mesures destinées à
préparer le retour de notre armée. L'Empereur a décidé que les
troupes françaises évacueraient le Mexique en trois détachements^
le premier devant partir au mois de novembre 1866, le second en
mars 1867, et le troisième au mois de novembre de la même
année.
Voilà donc où venaient aboutir les efforts de là diplomatie
française ; les Etats-Unis déclaraient que l'armée française
devait partir du Mexique sans aucune stipulation, ni condi-
tion de leur part, et la France remerciait le cabinet de Was-
hinsjton de ces bonnes et amicales assurances (').
Quant à l'empereur Maximilien, il ne prévoyait pas en-
core le danger qui le menaçait ; il écrivait le 6 janvier qu'il
fallait attribuer la recrudescence de l'agitation juariste à
l'insuffisance d'effectif des troupes françaises, et il sollicitait
de nouveau des hommes et de l'argent.
Les Etats-Unis ne permettaient plus l'envoi de nouvelles
troupes au Mexique ; des détachements de la légion étran-
gère ayant été mis en route pour compléter l'effectif de ce
corps, ils demandèrent aussitôt des explications en termes
très-énergiques (^). Ils avaient déjà fait savoir qu'ils n'ad-
mettaient pas que l'on recrutât en Egypte des nègres du
Soudan, enrôlés de force par le vice-roi. M. Drouyn de Lhuys
(1) A la même époque, une proposition faite au congrès américain par M.Wood-
bridge , pour faciliter à Juarez la conclusion d'un emprunt de 50 millions de
dollars, était renvoyée au ministre des affaires étrangères par 65 voix contre 64
— Le maréchal au ministre, 28 mars.
(») M. Bigelow à M. Seward, 4 juin 186().
LE MARÉCHAL BAZAINE. 349
répondit avec quelque mauvaise humeur, en maintenant le <866.
droit de la France de prendre des soldats où bon lui sem- ~"
blait ; puis, sans aucun doute, pour éviter encore cette
cause de difficultés, on s'était abstenu de donner suite au
projet d'envoyer des renforts au bataillon égyptien (*).
Le gouvernement autrichien ayant autorisé de nouveaux
enrôlements pour le corps de volontaires du Mexique,
l'ambassadeur des Etats-Unis à Vienne lui adressa égale-
ment des remontrances ; il reçut l'ordre de rompre ses rela-
tions diplomatiques et de quitter Vienne, si le gouverne-
ment autrichien persistait dans ses intentions. Le gouver-
nement autrichien céda aussitôt C^).
Le cabinet de Washington abandonnait donc la réserve
qu'il s'était longtemps imposée à l'égard de la question
mexicaine. Tant que la guerre civile avait absorbé leurs
forces, les Américains avaient dissimulé leur mécontente-
ment ; mais, en dépit des protestations de sympathie du gou-
vernement français, ils ne pouvaient oublier ces termes de
la lettre de l'Empereur au général Forey en. 1863 : « Nous
allons poser une digue infranchissable aux empiétements
des Etats-Unis. » Non contents de presser la France de
quitter le Mexique et d'abandonner l'empereur Maximilien,
M. Bigelow suggérait à M. Drouyn de Lhuys qu'il se-
rait bien désirable de voir les hostilités cesser entre les
républicains du Mexique et les Français ; que le prochain
départ de ceux-ci engagerait certainement les libéraux à
(*) M. Bigelow à M. Seward, 24 novembre 1865.
(2) Les volontaires réunis à Laybach devaient s'embarquer le 10 mai ; la pro-
testation du ministre des Etats-Unis fut faite le 6 mai, et le contre-ordre immé-
diatement donné. L'Autriche, dont la position en Allemagne était fort menacée,
n'avait aucun désir de s'engager dans de nouvelles complications. — M. Seward à
M. Motley, 16 avril, 30 avril 1866. — M. de Mensdorf à M. Motley, 20 mai
1866.
5S0 II' PARTIE. — CHAPITRE V.
4866. entrer dans un arrangement pour la conclusion duquel
offrait ses bons offices, et M. Drouyn de Lhuys les accep-
tait (^\
Déclaration Au milieu du mois de janvier 1866, M. le baron Saillard
du gouvernement J '
reiativraura ei ^^^ envové à Mexico avec la mission spéciale de négocier
*^^ Mexk'îiT *^" de nouvelles conventions politiques, militaires et finan-
cières, destinées à remplacer le traité de Miramar.
Le ministre de la guerre écrivait en même temps au ma-
réchal Bazaine:
« Nous ne pouvons pas prolonger indéfiniment notre séjour au
Mexique ; plusieurs raisons, qu'il est inutile d'énumérer, font une
loi au gouvernement de l'Empereur de poser des termes à notre
occupation.
« Le rapatriement devra commencer l'hiver prochain ou mieux
encore à l'automne ; il devra continuer sans précipitation mais sans
être interrompu; la légion étrangère, dans les conditions stipulées
dans la convention de Miramar, restera à la solde du Mexique
après le départ des troupes françaises; nous ferons nos efforts
pour la porter à un effectif de 7 à 8,000 hommes. Il importe donc
que l'empereur Maximilien prenne ses dispositions pour se passer
de nous, à une époque que l'on devra fixer (*). »
Les instructions envoyées par le ministre des affaires
étrangères étaient de même nature ; enfin, l'Empereur,
à l'ouverture de la session législative, le 23 janvier, an-
nonça le retour des troupes dans les termes suivants :
« Notre expédition touche h son terme; je m'entends avec
l'empereur Maximilien pour tixer l'époque du rappel de nos troupes,
(I) M. Bigelow à M. Seward, 11 janvier 18G6. — Au Mexique, l'exigence
des Américains du Nord ne perdait aucune occasion de se montrer ; lo général
confédéré Allen, ancien gouverneur de la Louisiane , étant mort à Mexico, le
consul des Etats-Unis voulut faire ouvrir la bière pour vérifier s'il n'avait pas été
revêtu d'un uniforme confédéré. Les amis du défunt durent s'y opposer le revol-
ver à la main.
(*) Le ministre au maréchal, lo janvier 1866.
LE MAKÉCHAL BAZAINE. 551
afin que leur retour s'effectue sans compromettre les intérêts fran-
çais que nous avons été défendre dans ce pays lointain L'émo-
tion, produite aux Etats-Unis par la présence de notre armée sur le
sol mexicain, s'apaise devant la franchise de nos déclarations.
« Le peuple américain comprendra que notre expédition, à la-
quelle nous l'avions convié, n'était pas opposée à ses intérêts. »
Quant à l'opinion publique en France, écrivait le minis-
tre de la guerre, elle se prononçait avec la plus énergique
approbation sur le rapatriement de l'armée (^).
Il devait coûter à l'Empereur d'abandonner ainsi une en-
treprise qu'il avait appelée « la plus glorieuse de son règne » .
Toutefois, le gouvernement français ne revint pas sur la
détermination qu'il avait irrévocablement prise de rappeler
ses troupes du Mexique ; il ne s'en laissa détourner ni par
les cris d'angoisse partis du palais de Mexico, ni par les
supplications de l'impératrice Charlotte, qui se rendit en
Europe pour tenter une dernière démarche, et faire modifier
une résolution que les souverains du Mexique considéraient
comme un coup mortel porté à l'Empire.
Il est facile de se rendre compte des dispositions que
le baron Saillard trouva chez l'empereur MaximiUen ; aussi
ne put-il rien obtenir de satisfaisant ; arrivé au Mexique
au milieu de février, il repartait pour la France moins de
quinze jours après.
Il revint à Paris au commencement du mois d'avril, et
le Moniteur officiel du 5 publia la note suivante :
« M. le baron Saillard est revenu à Paris après avoir rempli à
Mexico la mission dont il était chargé.
e A la suite des communications échangées entre M. Dano, mi-
nistre deFrance, S. Exe. le maréchal Bazaine, et le gouvernement
^') Le ministre de la guerre au maréchal, 31 janvier.
4866.
<866.
SS2 II'' PARTIE. — CliAPlTRE V.
mexicain, l'Empereur a déclaré que les troupes françaises évacue-
ront le Mexique en trois détachements ; le premier partira en
novembre 1866, le deuxième en mars 1867, le troisième en no-
vembre de la même année.
€ Des négociations se poursuivent entre les deux gouvernements,
pour substituer, aux stipulations financières du trailé de Miramar,
des conditions nouvelles ayant pour objet d'assurer des garanties
à la créance de la France et aux intérêts français engagés dans les
emprunts mexicains. »
Organisation Le lendemain, M. Drouyn de Lhuys écrivait à M. de
dôs
forces militaires Montholon la dépêche déjà citée, pour faire ofFiciellement
à la disposition .„ . , . . .
de l'empereur la même notiiication au gouvernement amencam. A cette
Maximilien. , „.,..,
Création cpoQue, le gouvemcment français esperait-il encore que
des cazadores. ,, . . . . . . i i ' i
1 empire mexicain pourrait se maintenir après le départ des
troupes françaises ? Il est probable que l'empereur Napo-
léon se refusait à admettre que tant d'hommes et tant d'ar-
gent eussent été sacrifiés en pure perte. Personnellement
attaché au succès définitif de son entreprise, et bien qu'il
diît céder aux nécessités de la situation, il s'efforça encore
de procurer à l'empereur Maximihen les moyens de se soute-
nir. Il lui écrivit pour lui promettre de faciliter la création
d'une brigade de troupes européennes, dans laquelle se-
raient fondus le régiment étranger du corps expédition-
naire français et les volontaires austro-belges ; le maré-
chal Bazaine s'occupa, en outre, d'organiser, sous le nom
de cazadores de Mexico, des bataillons mixtes français et
mexicains. On estimait qu'après le départ du corps expé-
ditionnaire, le gouvernement mexicain pourrait disposer,
comme forces actives susceptibles d'être mobilisées :
1^ Des troupes permanentes formant 14 bataillons. 11
escadrons, 18 batteries, et dont l'effectif au 1" janvier était
LE MARÉCHAL BAZAINE. Oo3
Hommes. Chevaux
de 8,600 2,000
2° Des gardes rurales mobiles et des
corps auxiliaires fort irrégulièrement or-
ganisés, répartis sur tous les territoires et
d'un effectif variable mais qu'on évaluait à 27,000 0,000
3^ Des troupes étrangères : c'est-à-dire
la légion étrangère française actuellement
à cinq bataillons (un sixième bataillon
en formation à Blidah et fort d'environ
1000 hommes dont un tiers de Français
volontaires allait être prochainement en-
voyé au Mexique) ; l'effectif en serait porté
à 8,000
Les volontaires autrichiens : trois ba-
taillons, deux régiments de cavalerie à 5
escadrons, trois batteries, deux compa-
gnies de pionniers, etc 6,400 1,400
Les volontaires belges : deux bataillons
à six compagnies 1,300
Ce qui formait un total de cinquante mille hommes en-
viron, dont seize mille Européens.
On avait 662 pièces d'artillerie réparties dans les dif-
férentes places. Mexico et Vera-Gruz étaient en très-bon
état de défense ; la plupart des villes situées sur les
grandes hgnes d'opérations avaient été fortifiées et pos-
sédaient de bons réduits. La citadelle de Mexico était
pourvue de tous les ateliers nécessaires à la confection et à
la réparation de l'armement et du matériel. Des ateliers
moins importants existaient aussi à Puebla. La fonderie
de Mohno del Rey était mise en état.
Les cinq bataillons de la division Mejia étaient consi-
1866.
554 II' PARTIE. — CHAPITRE V.
4866. dérés comme les meilleures troupes de l'armée mexi-
caine ; six bataillons assez bien constitués provenaien t
de l'ancienne division Marquez ; mais les corps ne se
recrutaient que par engagements volontaires, et lorsque
les effectifs étaient insuffisants, on y incorporait les mau-
vais sujets ramassés par la police ou condamnés par les
tribunaux. Le 1^ bataillon de ligne, envoyé au Yucatan,
était composé de « deux officiers supérieurs, douze officiers
subalternes plus ou moins capables n'ayant ni sabre ni
pistolet, dix sergents, six caporaux, 60 vagabonds plu-
sieurs fois condamnés, 115 déportés (^) ». On peut, par
cet exemple, juger des conditions de moralité exigées
des soldats mexicains ; aussi le général Casanova, qui
devait conduire ce bataillon au Yucatan, refusait-il de
partir si on ne le faisait accompagner et garder par une
autre troupe d'un effectif au moins égal.
La cavalerie était dans de meilleures conditions. Le ré-
giment de l'Impératrice (colonel Lopez) avait rendu des
services. Des compagnies présidiales, que les comman-
dants supérieurs français avaient organisées dans le Nord,
étaient aussi formées de bons soldats. Quant aux gardes
rurales, leur valeur dépendait du chef qui les commandait
et de son dévouement personnel à la cause de i'Empire.
Dans certaines localités, les milices avaient donné des
preuves réelles d'énergie ; dans d'autres endroits, elles
avaient lâché pied au premier coup de fusil.
Les volontaires autrichiens étaient mécontents ; leurs
officiers ne voulaient pas se mettre sous le commandement
d'officiers mexicains , bien que leur contrat d'engagement
ne présentât aucune clause restrictive de cette nature ; il
(•) Le général Casanova au maréchal, mars 1866.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 353
en était résulté de nombreux froissements entre eux et les ^866,
chefs des troupes mexicaines. Rarement en contact avec
les Français, leurs relations réciproques étaient très-satis-
faisantes ; cependant le général de Thun ne recevait pas
volontiers des ordres du maréchal W.
Il en était à peu près de même des volontaires belges ;
les officiers avaient hâte de rentrer dans leur pays, on ne
pouvait compter d'une manière absolue sur cette troupe.
La légion étrangère française avait fait ses preuves ; mais
les derniers contingents arrivés d'Europe donnaient des
désertions nombreuses ; il y avait quelque incertitude sur
la façon dont ils se comporteraient en présence des Amé-
ricains, si un conflit venait à éclater, ou même s'ils étaient
envoyés sur la frontière du Rio Bravo.
L'empereur Napoléon attachait une grande importance
à l'organisation des troupes européennes qui, dans son
opinion, devaient constituer le noyau de l'armée mexicaine,
et former une réserve sur laquelle l'empereur Maximilien
pourrait compter dans des circonstances difficiles. Il dési-
rait que l'on l'éunît ces régiments sous le commandement
d'un général français (^). Pour atteindre ce résultat, il fal-
lait nécessairement triompher de la susceptibilité des Au-
trichiens et des Belges; un moyen se présentait de vaincre
(') Il refusa de se porter à Tulancingo, où le maréchal trouvait sa présence
nécessaire ; mais il motivait du reste son refus sur le manque absolu d'argent :
• Je ne puis quitter Puebla sans argent .... La solde de l'homme ne suffit pas
pour entreprendre des expéditions ; il me faut de l'argent pour les transports, les
messagers, et une fouie de cas imprévus. De plus, mes officiers se trouvent sans
le sou depuis le 1*' du mois ; mon devoir est de rester au centre pour éviter
tous les désordres qui pourraient résulter de cet état anomal des choses...; de plus,
j'ai soumis à l'Empereur un mémoire, et je dois attendre la réponse à Puebla,
puisqu'elle décidera du sort et de l'avenir de mon corps de volontaires. • — Le
maréchal au ministre, 13 juillet.
(î) L'empereur Napoléon au maréchal, 16 février 1S66.
336 H* PARTIE. CHAPITRE V.
1866. les résistances ; le trésor mexicain n'étant pas en mesure
de payer la solde de ces troupes, le ministre de la guerre
français offrait d'en prendre provisoirement l'entretien
à sa charge, à la condition toutefois qu'elles seraient
commandées et administrées d'après le règlement fran-
çais. Cet allégement considérable pour le budget mexi-
cain devait faciliter la combinaison que l'on cherchait
à faire réussir dans l'intérêt de l'empereur Maximi-
lien.
Le maréchal, se conformant à ces idées, proposa d'or-
ganiser deux brigades, l'une avec la légion française,
sous les ordres du général Jeanningros, l'autre, composée
des Autrichiens et des Belges, sous le commandement du
général de Thun O. Ces deux brigades formeraient une
division dont le commandement serait donné au général
Neigre, et qui serait administrée par l'intendance fran-
çaise (^). Ces propositions furent acceptées en principe ,
et l'empereur Maximilien se réserva de donner aux Aus-
tro-Belges, sur le budget mexicain, une gratification
spéciale pour compenser la réduction de solde qu'ils au-
raient à supporter.
Le général de Thun aurait voulu qu'on affectât, pour
sa brigade, une somme totale dont il réglerait lui-même
l'emploi ; on s'y refusa, et il fut enfin admis que les
règlements de l'administration française seraient appli-
qués aux troupes soldées par le trésor français. Les
Autrichiens montrèrent à ce sujet une singulière sus-
ceptibilité. Le général de Thun demanda comme faveur
(*) Le ministre au maréchal, 16 février, 9 avril.
<2) Le général Brincourt, à qui ce commandement avait été offert, le refusa,
disant avec raison qu'après le départ du corps expéditionnaire, il serait impossible
de faire avec 15,000 hommes ce que l'on n'avait pu obtenir avec 30,000.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 00/
de ne pas figurer sur les états de solde remis à l'inten- 4866.
dance française, et de recevoir directement ses ap-
pointements du gouvernement mexicain ('). Le droit au
commandement soulevait également des difficultés ; l'em-
pereur Maximilien pensa les écarter en recommandant au
général Neigre de tenir la première brigade au nord, la
deuxième au sud, afin d'éviter un contact qui n'aurait
pas été sans inconvénient, et il décida que, dans le cas où
des détachements des deux brigades se trouveraient mo-
mentanément réunis, le commandement appartiendrait
à l'officier qui aurait reçu une commission spéciale ,
ou au chef de la fraction la plus forte. Au point de vue de
la discipline, chaque troupe devait du reste se régir d'a-
près ses règlements particuliers et son Gode de justice
national.
Le général Neigre prit son commandement le l^"" mai ;
quelques officiers autrichiens voulurent saisir cette occa-
sion pour quitter le service mexicain, où ils ne trouvaient
pas les avantages sur lesquels ils avaient compté ; ils mani-
festèrent l'intention de retourner en Autriche, et ce fut à
grand'peihe que l'empereur Maximilien parvint à calmer
cette agitation, en menaçant les officiers démissionnaires
d'accusation de désertion dont ils auraient à répondre à leur
retour dans leur pays. Peu après, il dut accepter cependant
la démission du général de Thun, qui fut remplacé par le
major Polak.
A côté des troupes d'infanterie de la légion étrangère
française, on devait constituer de l'artillerie, du génie et de
la cavalerie dans la proportion adoptée pour l'organisa-
tion divisionnaire. Mais , après avoir très-vivement re-
(') Le maréchal au ministre, 21 mai.
o58 II' PARTIE. — CHAPITRE V.
4866. commandé la formation de cette légion, le ministre de la
"" guerre écrivait, le l*^"" mai 1866, que le moment ne lui pa-
raissait pas encore venu de régler les détails d'organisation
des différentes armes, et qu'il fallait se borner, quant à
présent, à en arrêter les bases principales.
On continuait, cependant, à s'occuper de la création de
corps mixtes franco-mexicains.
« Il serait déplorable, avait écrit le ministre, qu'après avoir
obéré notre trésor, versé le sang de nos soldats, pour élever un
trône destiné à protéger le Mexique contre de perpétuelles révolu-
tions, tous ces etibrts si péniblement accomplis devinssent stériles,
en laissant le champ libre aux mauvaises passions que l'empereur
Maximilien n'aurait plus les moyens de combattre. La gloire mili-
taire que nos armes ont acquise au Mexique y perdrait son pres-
tige ; les germes de civilisation, les principes d'ordre et de moralité
publique que nous avons cherché à introduire dans cette contrée,
disparaîtraient sous une terrible réaction.
« L'Empereur veut, par tous les moyens compatibles avecrintérêt
de la France, éviter de semblables résultats; Sa Majesté pense qu'il
serait possible de former une nouvelle légion dont les cadres se-
raient français , sans exclusion toutefois des Mexicains ; les
soldats seraient pris parmi les indigènes dont les rangs se-
raient grossis par des hommes de bonne volonté que fournirait
notre armée.
« Cette organisation rappellerait, en plusieurs points, celle que
nous donnons maintenant à la légion romaine, et, pour exciter le
désir d'entrer dans le nouveau corps mexicain, on pourrait, sui-
vant le cas et suivant les antécédents des militaires qui se présente-
raient, donner aux officiers subalternes et aux sous-ofticiers le rang
supérieur à leur grade effectif dans l'armée.
« Les officiers, sous-officicrs et soldats, qui demanderaient
à faire partie de la nouvelle légion, contracteraient l'engagement
de rester pendant quatre ans au moins au Mexique après l'éva-
cuation. »
Le maréchal suivit les instructions du ministre et pro-
posa la création de bataillons de chasseurs à pied (caza-
dores de Mexico). On commença par former deux ba-
LE MARÉCHAL BAZAI^"E. 559
taillons auxquels on donna les désignations de 7*^ et 8^ 'isee.
bataillons de la légion étrangère, afin de pouvoir en faire
supporter l'entretien par le budget français.
A cette époque, l'empereur Maximilien chargea de nou-
veau le maréchal Bazaine de la réorganisation de l'armée
mexicaine; il lui écrivit la lettre suivante :
Palais de Mexico, 3 juin 1866.
« Mon cher maréchal,
« Pour terminer promptement l'organisation de l'armée, ce qu'il
faut, avant tout, c'est l'unité d'action.
« Les idées que vous avez émises au conseil, à ce sujet, sont
pleines de justesse et de bon sens pratique.
« Vous êtes déjà, d'ailleurs, commmandant en chef de l'armée,
et directeur exclusif de tous les mouvements militaires, c'est-à-dire
meilleur juge que qui que ce soit de ce qu'il faut faire, et en posi-
tion de l'accomplir.
« Je viens donc, aujourd'hui, vous investir d'une autorité abso-
lue pour l'organisation des bataillons franco-mexicains, et la réor-
ganisation de l'armée nationale.
« J'ai pensé que M. le général Osmont, revêtu de toute ma con-
fiance et de la vôtre, pourrait établir, d'après vos ordres, à l'état-
major général, un bureau des affaires mexicaines; de ce bureau
partiront des ordres directs pour le ministère de la guerre. M. l'in-
tendant formerait aussi un bureau ou section pour ce qui touche à
l'administration, et nous prêterait le concours de ses habiles fonc-
tionnaires,
« Tous les ordres donnés par MM. Osmont et Priant, et envoyés
au ministère de la guerre, porteront au bas cette form.ule : Par
ordre de l'Empereur.
« Tel est le plan que j'ai adopté définitivement depuis que vous
m'avez éclairé de vos conseils, et il est conçu uniquement dans e
but de concentrer dans vos mains une organisation que vous seul
et vos dignes officiers pouvez bien faire. »
o60 11* PARTIE. — CHAPITRE V.
mc>. Le maréchal fixa d'abord à huit puis à neuf le nombre
des bataillons de cazadores (^) ; l'état-major en entier fut
composé d'officiers français ; on devait y incorporer six
officiers de compagnie français et trois ou quatre sous-
officiers nommés sous -lieutenants au titre mexicain.
Dans chaque bataillon, il se trouverait environ quinze
officiers et une centaine de sous-officiers et soldats fran-
çais.
On se proposait d'organiser, en outre, 14 bataillons d'in-
fanterie, 8 régiments de cavalerie, 12 batteries d'artillerie,
et 3 compagnies du génie, de troupes exclusivement mexi-
caines. L'empereur Maximilien désira placer, dans chacun
de ces corps, un officier français comme commandant en
second et quelques sous-officiers, nommés sous-lieutenants
au litre mexicain, pour remplir les fonctions de comptable.
Le gouvernement français y consentit ; mais toutes ces orga-
nisations, fort bien combinées sur le papier, n'avaient
aucune base de recrutement.
Cependant la formation des bataillons de cazadores se
fit dans d'assez bonnes conditions ; les officiers et sous-offi-
ciers français, attirés par des avantages d'avancement,
répondirent volontiers à l'appel du maréchal; on trouva aussi
des soldats ; la perspective de rester au Mexique ne leur
déplaisait pas; la beauté du climat sur les plateaux supé-
rieurs, la liberté de la vie de campagne, l'espoir de se
créer, après leur libération, un avenir meilleur que celui
qu'ils auraient dans leur propre pays, déterminèrent un
grand nombre d'entre eux à entrer dans ces bataillons.
Le maréchal avait pensé qu'il était conforme aux intentions
de l'empereur Napoléon de faire entretenir, habiller, et
(') Le man^clial au ministre, 9 juin.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 361
solder ces nouveaux corps dans des conditions analogues
à celles du régiment étranger ; cette garantie était en effet
indispensable pour attirer de bons éléments français ; mais,
en présence des réclamations des Etats-Unis et de l'impos-
sibilité de continuer des sacrifices d'argent aussi considé-
rables, les dispositions du cabinet des Tuileries se modi-
fiaient de jour en jour. La nécessité d'abandonner l'Empire
mexicain à ses propres forces apparaissait de plus en plus
urgente.
Des instructions du ministre de la guerre, datées du 31
mai, interdirent d'une manière formelle au maréchal d'au-
toriser aucune dépense pour les bataillons de cazadores, et
lui prescrivirent de se maintenir rigoureusement dans la
limite des crédits alloués par les lois des finances (^). Ces
ordres entravèrent ioute formation nouvelle.
Le ministre des finances avait compris dans ses prévi-
sions budgétaires des sommes à recouvrer du Mexique ; ne
recevant rien, il était fort embarrassé pour établir la ba-
lance de ses chiffres. Cependant les sacrifices demandés à la
France augmentaient chaque jour, tandis que la situation
s'empirait de plus en plus à Mexico ; il s'agissait d'avoir
de l'argent pour les dépenses quotidiennes, et le trésor
était vide. M. Langlais, qui avait entrepris l'œuvre labo-
rieuse de relever l'état financier de l'Empire mexicain,
n'avait pas désespéré d'atteindre son but, mais il s'était vu
oblififé de demander aux caisses de l'armée de venir à son
aide. Le maréchal les lui avait ouvertes, — avec trop de
facilité, trouvait le ministre des finances, — avec trop de
parcimonie, suivant l'avis de l'empereur Maximilien.
Dès le mois de novembre 1865, le représentant de la
\su.
Détresse
financière
de l'Empire
mexicain.
(1) Ces instrnctions furent confirmées le 31 juillet «H le 13 août.
3G
o62 II* PARTIK. CHAPITRE V.
4866. maison Rothschild refusant d'escompter les traites sur la
"" commission des finances de Paris, le maréchal ordonna au
payeur en chef de les accepter juscju'à concurrence de
quatre millions (*). Au mois de février 1866, il fit encore
en faveur du gouvernement mexicain une réquisition de
quatorze millions C^) sur les caisses de l'armée. L'empereur
Maximilien l'en remercia par la lettre suivante :
Mexico, le 5 février.
« Mon cher maréchal, je viens d'apprendre le précieux service
que vous avez rendu h mon gouvernement en lui venant en aide,
tout récemment, par suite d'une crise financière difficile.
« Veuillez agréer mes très-sincères remerciements pour la dis-
crétion et la cordiahté avec lesquelles vous avez agi dans cette cir-
constance déhcate et qui, pour moi, doublent le prix du servicç
rendu.
« Recevez, mon cher maréchal, l'assurance des sentiments d'a-
mitié avec lesquels je suis votre très-affectionné
< Maximilien. »
La conduite du maréchal fut désapprouvée ; on lui re-
commanda de ne plus faire de réquisitions sur le trésor
de l'armée C^). M. Langlais étant mort le 23 février 1866,
les belles espérances qu'il avait fait concevoir s'évanoui-
rent. M. de Mamtenant, inspecteur général des finances,
en mission au Mexique, le remplaça provisoirement W ;
de son côté, l'empereur Maximilien nomma président du
conseil des ministres, avec droit de contrôle sur toutes
les dépenses, M. Lacunza, homme probe, intelligent et
(i) Le maréchal au ministre, 28 novembre 186S.
(') Le maréchal au ministre, 1" avril i86G.
(3) Le ministre de la guerre au maréchal, 1" avril,
{*) Le maréchal au ministre, 20 février.
LE 3IARÉCHAL BAZAINE. o63
énergique, en qui le maréchal avait confiance 0). Cependant -isee.
la situation ne s'améliora pas. Nous ne pouvons mieux faire ""
connaître le triste état des finances qu'en citant la lettre
écrite par M. Lacunza au maréchal Bazaine, le 25 avril 1866 :
« Au nord, la division Mejia vit péniblement, consommant les
faibles revenus des localités qu'elle occupe, faisant des emprunts
en quelque sorte forcés, et tirant des sommes importantes sur la
place de Vera-Gruz.
« Les troupes de Quiroja n'ont pas à manger; ce chef se voit
obligé de faire payer d'avance les contributions de toute une an-
née; les habitants émigrent pour se soustraire à ces vexations.
« Au sud, les troupes de Franco ne peuvent sortir d'Oajaca pour
repousser l'ennemi qui les menace, parce que le prêt journalier
des soldats n'est pas assuré et que f on manque de fourrages pour
les chevaux.
« Au centre, ce sont les mêmes raisons qui ont retenu si long-
temps Florentino Lopez à San Luis.
« Les troupes austro-belges ont une dette de près de oOO,000
piastres, et avant qu'elles soient payées par le trésor français, elles
auront dépensé leur dernier écu et consommé toutes les provisions
de leurs places de guerre.
« A la caisse centrale de Mexico, il y a pour 300,000 piastres
de traites qui ne sont pas payées, et pour lesquelles il n'y a pas
d'espérances de paiement. Les dépenses les plus urgentes ne sont
pas couvertes, et l'on doit deux mois de solde aux troupes de la
garnison.
« Les instructions envoyées de Paris prescrivent au maréchal de
ne plus faire d'avance au trésor mexicain. On ne connaissait pas la
situation à Paris, sans quoi on n'aurait pas donné de telles ins-
tructions contradictoires avec les intentions amicales et la pohtique
même de l'empereur iSapoléon.
« A cette situation, il y a un remède; M. Langlais lui-même fa
déclaré ; toutes les dépenses ont été réduites à commencer par la
liste civile de l'Empereur, qui se contente du tiers de celle qui fut
assignée, il y a un demi-siècle, à l'empereur Iturbide.
< De nouveaux impôts seront établis ; mais avant que le nouveau
système puisse donner des résultats, il faut quelque chose pour
(') Le maréchal au ministre, 10 avril.
S64 li* PARTIE. — CHAPITRE V.
4866. vivre, et c'est la France qui doit nous le donner. M. Langlais l'avait
"~ reconnu et avait procuré cette assistance au trésor mexicain.
« Au moment de sa mort, les subventions ayant été interrom-
pues, le gouvernement dut subir la loi des capitalistes. Des affaires
ruineuses, en tous points, comme on les conclut sous la pression
de la nécessité, lui donnèrent de quoi vivre pendant huit jours '-^^
et le discréditèrent pour beaucoup plus de temps.
« Il se vit forcé d'affecter au remboursement de ces prêts une
partie du revenu des douanes maritimes, destinées au paiement des
dettes étrangères.
« Tel est le résultat du retrait anticipé de la coopération de la
France.
« Or, voici dans quelle alternative se trouve le maréchal : ou
bien imposer au trésor français une charge légère pour terminer
l'œuvre commencée par l'empereur Napoléon, ou s'en abstenir, et,
par là même, imposer à la France des sacrifices beaucoup plus
. grands, car l'entreprise ne peut être abandonnée. »
Deux jours après l'envoi de cette lettre, le 1" mai
1866, l'empereur Maximilien convoqua en conseil privé :
M. Dano, le maréchal, M. de Maintenant, M. Lacunza, les
minisires de la guerre et des affaires étrangères. L'Empe-
reur exposa la pénurie du trésor mexicain et la nécessité
urgente qu'il fût soutenu par le trésor français ; il demanda
que la France se chargeât de payer l'armée mexicaine. Le
maréchal fit connaître la désapprobation qu'il venait de
recevoir de son gouvernement, au sujet des avances anté-
rieurement consenties. Après une longue discussion, l'em-
pereur Maximilien, prenant la parole, résuma la question
en ces mots : « la banqueroute du trésor, ou Vespoir de le
sauver t
« Si les représentants de la France ne veulent pas prendre
(•) Le gouvernement reconnut une créance fort litigieuse de la maison Porlilla,
de 200,000 piastres ; en échange, cette maison mit aussitôt à sa disposition
100,000 piastres qui devaient lui être remboursées au moyen d'un prélèvement
journalier de 1,000 piastres sur les douanes de Mexico.
\
LE MARÉCHAL BAZAINE. 565
la responsabilité de dépenser quelques millions, ils assu- isee.
rneront celle d'avoir laissé venir la banqueroute, ce qui
n'est certainement pas dans les désirs de l'empereur Na-
poléon, qui s'est toujours montré, et continue encore à se
montrer si ami de l'Empire. »
L'appel était pressant, la situation était grave; M, La-
cunza demandait, jusqu'à la fin de l'année, un prêt men-
suel de 800,000 à un million de piastres ; enfin, après
de nouvelles discussions, le maréchal accorda une subven-
tion mensuelle de 500,000 piastres en attendant de nou-
velles instructions de Paris. Cette subvention était donnée,
à titre de prêt remboursable, sur les douanes maritimes ;
le premier terme devait être immédiatement à la dispo-
sition du gouvernement mexicain ; le jour même, à l'issue
du conseil , les formalités du forcement de caisse du
payeur de l'armée furent remplies, et une somme de
500,000 piastres mise en réserve pour le gouvernement
mexicain. Le maréchal avait préféré accroître ainsi la dette
de l'Empire mexicain plutôt que de consentir à se charger
de l'entretien de l'armée mexicaine, ainsi que le demandait
l'empereur Maximilien. « Il fallait se résoudre, disait-il, à
venir en aide à ce gouvernement pendant quelques mois
encore » et il avait voulu le faire « au meilleur marché pos-
sible » ; mais le gouvernement français refusa d'une façon
péremptoire de continuer cette subvention.
L'empereur Maximilien s'était rattaché, comme à une
dernière espérance, aux promesses que l'empereur Napo-
léon lui avait faites récemment dans ses lettres ; il restait
persuadé que, malgré les déclarations officielles comman-
dées sans doute par les exigences de la politique, l'appui
effectif de l'armée et du trésor français ne lui ferait pas en-
core défaut.
566 II* PARTIE. CHAPITRE V.
<866. Quand même le trésor mexicain se trouverait hors d'état
de satisfaire aux engagements de la convention de Mira-
mar, l'entretien de l'armée française était assuré par le
trésor français ; l'empereur Maximilien tenait donc à ce que
l'effectif n'en fût pas diminué. Cependant, il était fort mé-
content des réquisitions pour les transports ou les travaux
de fortification, ordonnés, de leur propre autorité, par les
généraux français, d'autant plus que le maréchal Bazainese
préoccupait uniquement des éventualités d'un conflit avec
les Etats-Unis et négligeait la pacification intérieure. En
effet , de grands travaux de défense, exécutés à Durango,
à Mexico, et sur divers points des lignes stratégiques, ne
pouvaient avoir d'autre but que d'arrêter, le cas échéant,
les progrès d'une invasion américaine ; lé' maréchal, mal-
gré les instances de l'Empereur, se décidait avec peine à
envoyer des colonnes françaises reprendre possession des
localités envahies par les libéraux ; on y réinstallait une
garnison mexicaine qui souvent lâchait pied à la première
attaque, et toutes ces marches et contre-marches n'aboutis-
saient à rien.
Progrès A.insi, après avoir fait réoccuper Chihuahua par la co-
répu^nSs lonne légère du commandant Billot, le maréchal donna
'^^°Mcxiquc. ^ l'ordre d'évacuer cette position; il craignait que, dans le
cas d'une guerre avec les Etats-Unis, la retraite de ce dé-
tachement ne fût coupée par les guérillas de la Laguna.
Elles avaient envahi Mapimi et San Juan de Guadalupe,
fusillé les partisans de l'Empire, et chaque jour elles te-
naient tète aux colonnes mobiles qui parcouraient le pays
entre le Rio Florido et le Rio de Nazas. Du reste, l'évacua-
tion de Chihuahua était formellement recommandée dans
les instructions du gouvernement français. Une garnison
LE MARÉCHAL BAZAINE. 567
de cinq cents Mexicains y fut laissée, et le commandant ^^^-
Billot rétrograda le 31 janvier. Les Indiens de cette pro-
vince, comme ceux de la Sonora, s'étaient montrés animés
de bonnes dispositions ; l'Empire avait été proclamé dans
les cantons d'Abasolo et de Guerrero, à Gosihuiriachi, à la
Concepcion, et l'on espérait que Juarez ne pourrait pas
facilement y rétablir son autorité. Le maréchal se proposait
d'abandonner entièrement le pavs au nord de Durango ; il
revint ensuite sur cette détermination et conserva, pendant
quelque temps encore, une garnison au Parral, mais il
prescrivit au commandant de ce poste avancé de ne jamais
s'en éloigner au nord à plus d'une journée de marche.
Ghihuahua fut attaqué le 25 mars par Luis Terrazas ; la
moitié de la garnison ayant fait défection, le commandant
impérialiste abandonna la place avec quelques cavaliers
restés fidèles («).
Juarez n'y rentra qu'au mois de septembre; mais, dès ce
moment, les forces républicaines ne cessèrent de s'accroître
et de gagner du terrain vers le sud. A la même époque, des
pronunciamientos eurent lieu à Allende et à Batopilas ;
la garde rurale du Parral, ayant essayé de faire rentrer
les révoltés dans l'ordre, fut attaquée elle-même par des
forces supérieures, et succomba avec quelques courageux
citoyens qui s'étaient volontairement joints à elle. Le géné-
ral de Castagny punit Allende par de fortes amendes qu'il
répartit entre les familles des victimes du Parral ; il fit
également lever des contributions sur Rio Florido. Une
colonne française fut envoyée au Parral pour y replacer
une garnison mexicaine et mettre la ville en état de défense ;
mais à peine les Français se furent-ils retirés, que le déta-
(') Le maréchal au ministre, 28 avril.
568 II* PARTIE. CHAPITRE V.
me chement mexicain se replia à son tour. Les troupes libé-
rales l'occupèrent presque aussitôt; des partis ennemis se
montrèrent même à la Parridad. Le colonel Coltret, qui
commandait la colonne française en retraite, fit un retour
offensif, et installa à Gerro Gordo la troupe mexicaine
venue du Parral. Lui-même prit position à San Salvador
pour garder la ligne du Rio de Nazas, qui devenait au
nord la limite des positions françaises.
L'insurrection s'était également développée dans le sud
de Durango. Dès les premiers jours de l'année 1866 (19
janvier), Garcia de la Gadena, dont la soumission avait
momentanément ramené la tranquillité dans les environs
de Zacatecas et dans la Sierra Morones, s'était prononcé
de nouveau contre l'Empire. Il rassembla quinze cents
hommes en quelques jours, occupa Nochistlan et Teocal-
tiche, et s'établit dans les vallées de Jerez et de Juchipila.
Les colonnes françaises et les gardes rurales, envoyées
contre lui, n'obtinrent aucun résultat, et la Gadena finit par
rester maître du pays.
Les guérillas de la Laguna, dirigées par Gonzales Her-
rera, descendirent au sud par San Juan et San Miguel Mes-
quital. Elles attaquèrent, le 25 mai, la garnison française
de Fresnillo, et furent repoussées avec des pertes sensibles ;
battues encore le lendemain, à la Salada, par une colonne
légère venue de Durango, elles se dispersèrent dans le plus
grand désordre, en abandonnant deux cents chevaux,
trois coulevrines, des armes, et des munitions en grand
nombre. La désunion s'étant alors mise entre les chefs
ennemis, leurs entreprises cessèrent.
Au nord-est, les troupes franco-mexicaines se bornaient
à occuper la ligne de San Luis à Monterey et celle de San
Coohuiia.
LE MARÉCHAL BAZAINE. o69
Luis à Tampico ; les routes n'étaient pas sûres, aucun isee.
convoi n'osait s'y aventurer sans une nombreuse escorte; opérations
. ,1 militaires
Matamoros et Tampico étaient entoures oe très-près par dans les Etats
, „ . de Niievo-Leon
les guérillas. Les malades et le dépôt du bataillon d Afrique et de
étaient restés à Tampico ; pour leur permettre de rejoindre
leur bataillon à Tula, on dut les faire escorter par la
contre-£,'uérilla et échelonner des postes à Santa Barbara
et à el Chamal. Mendez attaqua el Ghamal, le 11 janvier ; il
fut repoussé, et cependant il fallut encore, le 21 janvier,
s'ouvrir de vive force le passage de Boca del Abra. Tandis
que le convoi continuait sa route, Mendez était revenu sur
ses derrières, et, tombant à l'improviste sur Tantoyuquita,
il brûla les magasins où le commerce de Tampico, sur les
assurances trop aventurées du capitaine Jaquin, comman-
dant de la contre-guérilla, avait imprudemment réuni des
quantités considérables de marchandises. Les pertes furent
évaluées à près d'un million de francs. Mendez fut tué dans
l'action ; le général La Garza, ancien gouverneur du Ta-
maulipas, qui s'était soumis à l'Empire, prit le comman-
dement à sa place; son influence et la considération dont il
jouissait devaient encore augmenter l'importance politique
du mouvement anti-impérialiste.
Les appréhensions du maréchal Bazaine au sujet d'une
intervention des Etats-Unis avaient été réveillées par le
sac de Bagdad ; il recommanda d'éviter les engagements
de détail et s'occupa de concentrer ses troupes sur
de bonnes positions. Il avait donné l'ordre au général
Douay de s'avancer jusqu'au Saltillo, de garder fortement
ses communications avec San Luis, et de pousser le géné-
ral Jeanningros à deux journées de marche en avant, vers
Matamoros, afin de pouvoir soutenir le général Mejia le
cas échéant, tout en se tenant assez éloigné de la frontière
570 II* PARTIE. — CHAPITRE V,
<866. pour éviter un contact dangereux avec les Américains. Le
général Jeanningros rappela donc à lui la garnison fran-
çaise laissée à Parras, et, au commencement de février,
il se rendit à Monterey avec un bataillon d'infanterie,
deux pièces de montagne, et deux compagnies de parti-
sans, dont une montée ; il établit la troupe mexicaine
du colonel Tinajero à Cadeireita, sur la route de Mata-
moros , et attendit , pour se porter en avant , l'arrivée
du régiment belge, que le maréchal destinait à occuper
Monterey.
Le général Douay transporta son quartier général à Ma^-
tehuala, le 15 février, et se relia au Saltillo par des postes
placés au Cedral, à Vanegas, au Salado, et à Incarnacion.
Des forces ennemies se tenaient àVillaldama et à Geralvo,
et observaient Cadeireita. Escobedo , avec un millier
d'hommes et quatre canons, était à Linares ; il s'organisait
et rassemblait des approvisionnements dans le pays com-
pris entre Linares, Montemorelos, et Galeana ; il avait un
dépôt de munitions à San Pedro Iturbide ; Gonzalez Her-
rera, avec les bandes de La Laguna, se montrait aux envi-
rons de Parras. Le maréchal avait prescrit au général
Douay de ne pas s'étendre vers la gauche et de se borner
à garder la ligne San Luis, Monterey, Malamoros ; mais
une bande, qui avait envahi Parras, pendant une sortie
faite par la garnison mexicaine , empêchait le préfet poli-
tique d'y rentrer.
Combat Le chef de bataillon de Brian, commandant supérieur
ue Sanla Isahcl _ '■
(1" mars 48G6). au SaltiUo , réinstalla le préfet Gampos à Parras (le 20
février), et voulut, en outre, tenter un coup de main contre
les forces libérales réunies au Rancho Santa Isabel, à onze
kilomètres de la ville. Dans la nuit du 28 février au
'
LE MARÉCHAL BAZAINE. 571
1" mars, il partit de Parras avec cent cinquante hommes isee.
du régiment étranger , cent cinquante fantassins et une
centaine de cavaliers mexicains; une compagnie de quatre-
vingts hommes fut laissée à Parras.
Vers quatre heures et demie du matin , la petite
colonne arrivait à portée de l'ennemi qui occupait les
bâtiments du Fiancho et une hauteur voisine. Le com-
mandant de Brian prit les devants avec une compagnie,
et prescrivit au reste de sa colonne de le rejoindre lors-
qu'on entendrait le bruit de son attaque. Aussitôt que la
fusillade en donna le signal, les deux autres compagnies
françaises et les troupes mexicaines se mirejit en mouve-
ment. Elles s'élancèrent à l'assaut du mamelon ; mais déjà
l'effort du commandant de Brian avait échoué ; on ne le
revit plus ; sa compagnie était détruite, quelques hommes
seulement, groupés autour d'un officier, se défendaient
encore. La nouvelle attaque ne réussit pas mieux ; l'en-
nemi, retranché derrière des murs en pierres sèches et
appuyé par deux canons, ne permit pas aux assaillants de
gravir la hauteur ; au même moment, la cavalerie alliée
était culbutée par cinq cents cavahers. Le jour s'était levé,
et des renforts amenés par Gonzales Herrera coupèrent la
retraite à la colonne franco-mexicaine. Le détachement
français fut complètement anéanti ; un officier et soixante-
dix-huit hommes, dont vingt-huit blessés, tombèrent aux
mains de l'ennemi; les autres furent tués. Ce désastre fut
bientôt annoncé à Parras par quelques cavaliers mexi-
cains fuvant à toute bride et qui rentrèrent dans la
ville à six heures du matin. Le lieutenant Bastidon, com-
mandant la compagnie du régiment étranger, s'enferma
dans l'éghse et repoussa énergiquement les sommations de
l'ennemi.
S72 II' PARTIE, CHAPITRE V.
4866, Les journées du 1", du 2 et du 3 mars se passèrent
ainsi ; mais l'approche de colonnes de secours déterminè-
rent l'ennemi à battre en retraite ; le 5 mars, Parras était
dégagé.
Le général Douay, qui marchait de Malehuala sur Sal-
tillo, avait appris, le 2 mars, à Agua-Nueva, le résultat
malheureux du combat de Santa Isabel. Il fit aussitôt partir
trois détachements, qui arrivèrent successivement à Parras
les 5, 6 et 7 mars. Lui-même s'y rendit ; il visita Santa
Isabel, eut d'abord l'intention de poursuivre l'ennemi;
mais les guérillas ayant trop d'avance, il abandonna ce
projet et revint au Saltillo après avoir laissé une garnison
provisoire à Parras.
De trop peu d'importance pour compromettre la posi-
tion des troupes françaises , le combat de Santa Isabel
était néanmoins un douloureux épisode qui coûtait à
l'armée de vaillants soldats. Le maréchal rappela sévère-
ment qu'il interdisait d'une façon absolue tout mouvement
en dehors des grandes lignes d'opérations, c'est-à-dire la
ligne de Vera-Gruz à Guadalajara par Mexico, Queretaro,
et Lagos, la ligne de Queretaro à Monterey, et celle de
Lagos à Durango. A moins d'ordre précis, aucune troupe ne
devait s'en éloigner de plus de quatre à cinq lieues ; les
commandants des postes n'étaient pas autorisés à étendre
leurs opérations au delà de cette distance. La poursuite des
guérillas devait être laissée aux compagnies de partisans
et aux troupes mexicaines ; c'était en effet le seul moyen
d''empêcher les troupes françaises, dont l'effectif était res-
treint, et dont les vides ne seraient plus comblés, de se
fondre dans des engagements de détail, toujours stériles
au point de vue du résultat général. Le maréchal se voyait
LE MARÉCHAL BAZAINE. o73
obligé de réagir contre la tendance des commandants de
détachement à rechercher sans nécessité des occasions de
combats. La dissémination des troupes et l'initiative laissée
aux chefs de colonnes ou de postes isolés, tout en augmen-
tant la valeur personnelle des officiers, les disposaient par-
fois à s'affranchir des liens de la subordination, à se con-
sidérer comme des centres d'action, et à oublier que, dans
l'ensemble des opérations dont le commandant en chef
pouvait seul concevoir et diriger les combinaisons, ils ne
devaient jouer qu'un rôle restreint et préalablement limité.
Le maréchal déclara qu'il réprimerait énergiquement toute
infraction à ses instructions, et qu'il n'hésiterait pas à faire
traduire devant les conseils de guerre tout officier qui en-
treprendrait une opération en dehors des lignes stratégiques
déterminées, ou qui ferait occuper des points qui n'au-
raient pas été spécialement désignés (^).
Cependant Escobedo, dont l'autorité paraissait s'étendre
sur toutes les bandes éparses dans le Tamauhpas, avait
ainsi plus de deux mille hommes, passablement armés
et organisés; les guérillas, sans jamais se compro-
mettre contre des forces supérieures, envahissaient les
villes faiblement gardées. Escobedo lui-même entrait au
Cedral, au Minerai de Catorce, dont la population faisait
cause commune avec lui, et, le l^"" avril, il attaquait le
poste français de Malehuala; une colonne de secours
força l'ennemi à s'éloigner, mais deux jours après , Esco-
bedo était devant Tula de Tamaulipas et bloquait la gar-
nison française. Trois colonnes furent envoyées contre
lui ; il leur échappa et rentra se reposer dans le réduit
(t) Circulaire du 7 mars 1866,— Le maréchal au ministre. 17 mir?.
iS6<ù.
in h if PARTIE. CHAPITRE V.
4866. qu'il s'était constitué au milieu des montagnes, entre la
Soledad, Galeana, et Linares.
La garnison française de Tula ayant été remplacée par
quatre cents hommes de troupes mexicaines, Aureliano
Rivera revint attaquer la place ; l'officier mexicain l'aban-
donna sans attendre l'ennemi (7 mai). La perte de Tula
eut pour résultat de couper de nouveau les communica-
tions, déjà si difficiles, entre San Luis et Tampico.
Conformément à des ordres reçus de France, et datés
du 15 février, le maréchal avait prescrit au général
Douay (^) de faire replier les troupes françaises engagées
dans le Nuevo-Leon ; cependant, avant d'exécuter ce mou-
vement de retraite, elles devaient pénétrer dans les mon-
tagnes où les guérillas d'Escobedo avaient leur quartier
général et s'efforcer de les détruire.
Le général Jeanningros venait de s'avancer sur la route
de Matamores jusqu'à Charco-Escondido (12 avril), pour
donner la main au général Mejia, lui conduire un renfort
de six cents Mexicains, et échanger des convois de mar-
chandises. Il était rentré à Monterey vers la fin du mois
d'avril. Il reçut l'ordre de se* diriger de Monterey sur
Montemorelos, pendant que le général Douay marcherait
de Saltillo sur Galeana, et que la contre-guérilla, dont le
colonel Dupin avait repris le commandement, fermerait
les routes du côté de Soledad. Mais l'ennemi, ayant inter-
cepté des dépèches, fut averti du mouvement des colonnes
françaises et put leur échapper sur tous les points (mai).
De fortes amendes furent frappées sur San Pedro Iturbide,
Galeana, et l'hacienda de PotosiC^), dont les habitants sou-
(*) Dépêche du 28 mars, du 23 avril.
(') Trois mille piastres sur San Pedro, dix uiilie sur Galeana, mille sur Potosi.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 375
tenaient les guérillas ; d'importants approvisionnements de 'isee.
grains furent détruits; des caisses de munitions, cachées
dans les environs de San Pedro, furent enlevées, et les
troupes françaises se retirèrent. Cette expédition n'amena
aucun résultat ; l'ennemi conserva sa grande ligne d'opé-
rations depuis le Rio Grande, par Geralvo, Linares, Vit-
toria, Tula et Rio Verde, jusqu'aux limites de la Huasteca
et de la Sierra Gorda, d'où il se tenait en rapport avec les
libéraux des grandes villes de San Luis, de Guanajuato et
de Queretaro. On disait même que plusieurs chefs impor-
tants, Negrete, Aureliano Rivera , Vicente Martinez, Jau-
reguy, avaient été vus à San Luis.
A la fin du mois de mai, Armenta essaya de pénétrer
dans la Sierra Gorda. Il envahit Arroyo Seco (29 mai), et
menaça Jalpan ; les habitants résistèrent, et, soutenus par
des colonnes françaises envoyées de Queretaro, de San
Luis de la Paz, et de Santa Maria del Rio, ils arrêtèrent les
progrès de l'ennemi.
Dans la Huasteca, au contraire, et jusqu'à la côte du
golfe, la marche des guérillas libérales fut favorisée par
les pronunciamientos des populations à peine soumises à
l'Empire et toujours frémissantes. Huejutla fut pris par les
insurgés le 21 mai, repris le 12 juin par une colonne mo-
bile de volontaires autrichiens commandée par le major
Polak ; mais en arrière, Huauchinango était envahi, et le
district des mines assez sérieusement menacé pour qu'il
fût nécessaire de renforcer Tulancingo et Tula (de Mexico).
Les colonnes expéditionnaires autrichiennes se replièrent
partout (juillet).
■ Le port de Tuxpan ne dut son salut qu'à la prompte
arrivée d'un renfort que la marine jeta dans la place (12
juillet).
376 II' PARTIE. CHAPITRE V.
<86ti. Les nouvelles instructions venues de France (^) pres-
crivant au maréchal de préparer le rapatriement du
corps expéditionnaire, mettaient un terme au rôle actif
de l'armée française au Mexique. Loin de chercher
à comprimer l'insurrection, alors maîtresse de tout le
nord du pays, le maréchal devait se borner maintenant,
et pour des considérations exclusivement militaires, à en
limiter le développement, afin de conserver libres les
lignes par lesquelles s'écouleraient les colonnes d'éva-
cuation.
Un événement de guerre des plus graves, à la suite du-
quel le général Mejia fut obligé d'abandonner Matamores,
vint hâter le mouvement de retraite dans les provinces du
Nord et en rendre les circonstances plus douloureuses. Le
renfort de six cents hommes, que le général Mejia reçut au
mois d'avril, lui avait permis de faire sortir avec succès
quelques colonnes mobiles ; cependant des flibustiers amé-
ricains, des nègres licenciés ou déserteurs ne cessaient de
grossir les rangs des guérillas ennemies. Le général Mejia
voulait faire passer un convoi de Matamoros à Monterey ;
on lui avait recommandé d'agir avec prudence et d'attendre
qu'un détachement de la garnison de Monterey pût aller à
sa rencontre. Après l'expédition sur Galeana, on organisa
donc, sous les ordres du lieutenant-colonel de Tucé, une
colonne de deux mille hommes, composée de deux bataillons
de la légion étrangère, de détachements belges et mexi-
cains, de quelque cavalerie, et de six pièces d'artillerie ; cette
colonne partit de Monterey le 8 juin. Les troupes marchaient
(I) Ces instructions, datées do 14 ami, étaient la conséquence du rapport du
baron Saillard sur le résultat infructueux de sa mission au Mexique. Elles déve-
loppaient les déclarations officielles insérées au Monileiir du 5 avril et communi-
quées le 6 avril au ministre de France aux Etats-Unis.
LE MARÉCHAL BAZALNE. o77
sur trois routes parallèles, la plus importante fraction sui- -fsee.
vant le chemin de San Francisco à Geralvo. Elles eurent
avec l'ennemi plusieurs engagements heureux; mais bien-
tôt leurs communications ayant été complètement coupées,
elles se trouvèrent sans nouvelles de Monterey et de Ma-
tamoros; le 17 juin seulement, on sut qu'Escobedo avait
concentré ses troupes et qu'il s'était dirigé vers Camargo.
Le colonel de Tucé, laissant à Geralvo, sous la protection du
détachement belge, ses impedimenta et ses malades, dont
le chiffre était fort élevé, se porta rapidement sur Mier, où
il arriva le lendemain.
Le convoi, composé de deux cents voitures, était escorté
par seize cents Mexicains, trois cents Autrichiens et deux
canons, sous le commandement du général Olvera ; il avait
été attaqué le lo juin près de Camargo par une force qu'on
évaluait à cinq mille hommes, parmi lesquels douze à
quinze cents Américains.
La chaleur était suffocante, les troupes souffraient beau- combat
coup, douze soldats autrichiens avaient déjà succombé à (io'juinT866).
des insolations. Le convoi fut entièrement enlevé après
un sanglant combat i^) ; le général Olvera, avec cent cin-
quante cavaliers, put cependant rentrer à Matamoros. Le
général Mejia, qui n'avait plus que trois cents hommes,
rappela aussitôt à lui le poste de Bagdad, et se prépara,
malgré sa position critique, à faire bonne contenance;
mais l'issue de la lutte n'était pas douteuse, et les instances
du commerce, demandant à ce qu'on n'exposât pas la
ville à une prise de vive force, le décidèrent à accepter une
(•) D'après le rapport d'Escobedo, les pertes des libéraux furent de 15S tués
et 78 blessés. Les troupes impériales perdirent 2ol Mexicains, 145 Autrichiens
tués; 121 Mexicains, 43 Autrichiens blessés ; 858 Mexicains, 143 Autrichiens
prisonniers. (Execttt. docum., 1866-67.)
37
0<8 II'' PARTIE. CHAPITRE V.
'1866. capitulation. Il obtint des garanties pour les habitants, et
Capitulation put se retirer avec armes et bagages, ne perdant que son
de Malamoros -n • /rr» • \ -m- n i i ' ^ r»o • •
(23 juin). artillerie (4d pièces). Matamoros lut abandonne le z3 jum.
Les débris des troupes du général Mejia, transportés à
Vera-Gruz, se reformèrent à Paso del Macho. Juarez blâma
les clauses de cette capitulation et ne voulut pas en recon-
naître la validité.
La destruction de la colonne du général Olvera avait en-
levé au colonel de Tucé tout moyen de faire passer son pro-
pre convoi à Matamoros. Il se hâta de rétrograder, car la
proximité de la frontière américaine amenait des désertions
nombreuses dans les bataillons de la légion étrangère (*).
Le 28 juin, il rentrait à Monterey.
La chute de Matamoros remplit d'allégresse les ennemis
de l'Empire et diminua d'autant la confiance de ses rares
partisans. La garde rurale de Parras, jusqu'alors si fidèle et
si dévouée, fit défection dans la nuit du 23 au 24 juin ; son
chef, Gampos, fut obligé de fuir avec huit cavaliers seule-
ment; l'ennemi prit aussitôt possession de la ville. Entre
Monterey et San Luis, aucune communication n'était plus
possible; ni diligence, ni courriers, ne pouvaient passer ;
Pedro Martinez coupait les routes , cependant, le 29 juin, il
était battu à Catorce; le 13 juillet, étant venu attaquer le
poste d'Incarnacion avec six cents hommes, parmi lesquels
une centaine de déserteurs, il en était repoussé après un
combat de cinq heures ; mais ces échecs importaient peu
à une troupe qui réparait immédiatement ses pertes. Le
maréchal, obligé de rappeler les colonnes françaises enga-
gées dans le Nord, ne voulait pas livrer à l'ennemi une
ville aussi importante que Monterey ; il comptait y laisser
(1) Soixante-dix-neuf hommes désertèrent en quelques jours,
LE 3IARÉCHAL BAZALN'E. o79
le régiment belge et deux cents hommes de troupes mexi- -isee.
caines de Quiroga. La nouvelle du départ de la garnison
française jeta l'alarme dans la ville ; on ne pouvait, en
effet, avoir aucune confiance dans les troupes belges et
mexicaines. Les Mexicains ne recevant pas régulièrement
leur solde, on s'attendait à les voir déserter d'un moment
à l'autre (^), et le corps belge était menacé d'une désorga-
nisation complète. Le colonel Van der Smissen déclarait
lui-même qu'il ne comptait pas sur ses hommes. Les fa-
tigues et les déboires de campagne avaient mécontenté offi-
ciers et soldats. Beaucoup d'officiers demandèrent à retour-
ner en Europe, le temps pour lequel ils s'étaient engagés
à servir au Mexique étant expiré ; ils ne supportaient pas
la subordination hiérarchique vis-à-vis des officiers mexi-
cains ; il était même difficile de les placer sous les ordres
d'officiers français. Des bruits ayant été répandus sur un
projet d'annexion de la Belgique à la France, leur suscep-
tibilité s'en était accrue. Dans ces conditions, il n'était
plus possible de conserver Monterey ; toutefois le maréchal
donna l'ordre de surseoir à l'évacuation ; il transporta son
quartier général à San Luis, afin de veiller de plus près
aux embarras de la situation.
Quant à l'empereur Maximilien, il refusait toujours de
se rendre à l'évidence et ne comprenait pas que le rôle de
l'armée française était terminé ; il se montrait vivement
ému des mouvements rétrogrades des troupes et des
progrès incessants des libéraux.
Leur retour à Chihuahua lui avait été particulièrement
( ') Quiroja et Campos offrirent à Escobedo de se prononcer en faveur de Juarez ,
mais les chefs libéraux repoussèrent toute condition et exigèrent une soumission
pure et simple. Quiroja et Campos restèrent alors fidèles à l'Empire. (Lettre de
Quiroja à Viezca, 30 juillet d866 ; Execut. doann.. 1866-67.)
d80 II'' PARTIE. CHAPITRE V.
4866. sensible, et à ce sujet il avait écrit au maréchal Bazaine (0.
« Les nouvelles que je reçois de l'intérieur me démontrent l'im-
périeuse nécessité de renvoyer Juarez de Ghihuahua, et d'occuper
cette ville définitivement, pour ôter aux Etats-Unis le seul prétexte
plausible d'accréditer auprès de lui un ambassadeur, et l'occasion
de présenter chaque jour de nouvelles exigences.
« Tl est évident qu'il entre autant dans les intérêts de votre glo-
rieux souverain et de mon auguste allié l'empereur Napoléon, que
dans les miens, de mettre un terme aux prétentions du cabinet de
Washington, en renvoyant Juarez de sa dernière capitale ; il y va
même de noire honneur.
« Je le répète, les nouvelles extérieures que je reçois font res-
sortir l'urgence de cette mesure, et, comme chef de mon armée, vous
aurez la bonté d'aviser immédiatement à son exécution, et j'écris à
l'empereur Napoléon, auquel je fais part de mes résolutions. »
Le ton de commandement de cette lettre contrastait
singulièrement avec l'impuissance de l'Empereur, jusqu'a-
lors tenu en tutelle aussi bien par le maréchal que par le
gouvernement français. Le maréchal écrivit cependant au
général de Gastagny à Durango,pour faire préparer une
nouvelle expédition sur Ghihuahua ; en confirmant les
mêmes ordres le 24 juin, il prévoyait le cas où l'on devrait
pousser jusqu'à Paso del Norte, et témoignait en réalité du
désir d'en finir avec Juarez, dont il croyait du reste l'in-
fluence ruinée ; mais le courrier arrivé d'Europe, le 28 juin,
modifia ces dispositions ; contre-ordre fut envoyé par le
télégraphe au général de Gastagny, et tout mouvement fut
suspendu.
A la suite de la mission du baron Saillard, le maréchal
Almonte avait été envoyé à Paris pour proposer un projet
de modification du traité de Miramar. Les instructions du
U) Le mai'Hchal au ministre. 28 mai.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 581
ministre de la guerre, datées du 31 mai, montraient combien ^^^e.
cette démarche avait été mal accueillie ; en effet, à la même
date, le gouvernement français adressait au gouvernement
mexicain une note diplomatique dans le but de préciser
la ligne de conduite qu'il se proposait de suivre à l'avenir.
L'expédition du Mexique, était-il dit, n'avait eu d'autre Note
,,.,,,. . du S-f mai.
motif que la nécessité d'obtenir par les armes certaines
réparations auxquelles la France avait le droit de prétendre ;
si plus tard elle s'était montrée favorable à la fondation de
l'Empire et aux tentatives généreuses de l'empereur Maxi-
milien, elle avait dû néanmoins se fixer à elle-même la
limite dans laquelle il serait possible de lui venir en aide
et « mesurer à l'importance des intérêts français engagés
dans cette entreprise l'étendue du concours qu'il lui était permis
de lui offrir v. C'est dans ce but que le traité de Miramar
avait été signé. Le gouvernement mexicain n'en ayant pas
rempli les conditions, la France était en droit de réclamer
de nouvelles conventions. Le gouvernement français s'éton-
nait de voir que, malgré ses refus réitérés de prolonger le
séjour de ses troupes au Mexique et de consentir de nou-
velles avances d'argent, le gouvernement mexicain renou-
velât ses demandes, et lui fît porter encore par le géné-
ral Almonte des propositions de même nature ; « il se
rendait difficilement compte de la persistance des illusions qui
avaient présidé à la conception du projet qu'on lui pré-
sentait. » Loin de l'accepter, il demandait formellement
au Mexique de nouvelles garanties financières et no-
tamment une délégation de la moitié du produit des
douanes maritimes. Dans le cas où cette proposition serait
rejetée, il déclarait se considérer comme libre de tout en-
gagement, et prescrirait au maréchal Bazaine « de procéder
avec toute la diligence possible au rapatriement de l'armée
ë8â II' PARTIE. CHAPITRE V.
<866. en ne tenant compte que des convenances militaires et des
considérations techniques dont il serait le seul juge. Le
maréchal aurait en même temps à procurer aux intérêts
français les sécurités auxquelles ils ont droit. »
On se plaignait ensuite, non sans quelque raison, devoir
les réclamations anglaises réglées sans conteste (^), des
créances douteuses et non exigibles (^) payées argent comp-
tant, tandis qu'une résistance systématique des conseillers
de l'empereur Maximilien se manifestait sur tout ce qui
touchait aux intérêts de la France.
Dans ses dépêches au maréchal Bazaine, le ministre de
la guerre (^) lui recommandait « d'appuyer de toute son
influence » les demandes énoncées dans cette note ; il lui
faisait connaître que « le gouvernement français persistait
» dans les considérations qui avaient motivé les déclarations
d'après lesquelles avaient été déterminées les époques suc-
cessives du rappel des troupes, aussi bien que dans les
résolutions prises pour exonérer le trésor français de toute
dépense, en dehors de celles qui avaient pour objet l'entre-
tien de l'armée française. Il désirait que la moitié du pro-
duit des douanes fût attribuée soit aux dépenses courantes
de l'armée, soit à l'extinction des dettes que le gouverne-
ment mexicain avait contractées vis-à-vis de la France » .
Le maréchal devait prévoir le cas « où les embarras de
toute nature, qui entouraient le gouvernement mexicain, et,
en première ligne, le déplorable état de ses finances, amè-
, neraient de la part de l'empereur Maximilien des résolu-
tions extrêmes», et il devait veiller à ce que l'évacuation du
(') Le marùchal, dans une lettre du 6 juillet au ministre, signale l'envoi di-
six cent mille piastres en Angleterre.
(*) Allusion aux paiements faits à Jecker, Voir à l'appendice.
(3) Le ministre au maréchal, 31 mai.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 383
Mexique par l'armée française, dans d'aussi graves circons- 4866.
tances, ne portât pas atteinte à son prestige.
La rigueur des conditions posées dans la note du 31 mai,
avait certainement pour but de déterminer l'empereur
Maximilien à une abdication. Il ne paraissait plus pos-
sible qu'il fût en état de se maintenir sans la protection des
troupes françaises, et celles-ci étant obligées de se retirer,
le gouvernement français lui suggérait avec raison la pen-
sée de quitter volontairement un trône dont il serait iné-
vitablement précipité par la force des événements. L'empe-
reur Maximilien pensa en effet à une abdication, car la note
du 31 mai détruisait d'un seul coup toutes ses espérances;
il n'avait jamais supposé que l'empereur Napoléon pût
l'abandonner aussi complètement. Jusqu'alors, les menaces
des Etats-Unis ne l'avaient pas inquiété. « Elles ne font
pressentir rien de sérieux, disait-il; en irritant la fibre
nationale en France, elles nous font plus de bien que de
mal. Ils sont bien loin de vouloir faire la guerre ; ce sont
des bravades et des tentatives habiles d'intimidation, qui
ne me semblent devoir guère réussir vis-à-vis d'un pays tel
que le vôtre, qui a foi dans sa force et dans sa position
dans le monde, qui ne livrera pas son œuvre à la rapacité
d'autrui(^). »
La note du 31 mai mit fin à ces rêves; le premier mou-
vement fut peut-être du désespoir, mais il dura peu. On
lit dans un rapport confidentiel du 29 juin, adressé au
ministre de la guerre quelques heures après l'arrivée à
Mexico de la note 31 mai : «On a pu compter sur l'éventualité
de l'abandon spontané de l'Empereur, ce qui ouvrirait un
(') L'empereur Maximilien disait du reste qu'une guerre entre la France et les
Etats-Unis lui aurait souri.
Lettre de l'empereur Maximilien datée du 16 mars i866.
S84 n" PARTIE. -— CHAPITRE V.
<866. nouvel ordre d'idées ; mais je crois pouvoir dire à Votre
Excellence que je connais bien Sa Majesté et qu'on doit
calculer sur une obstination iiîvincible (*). »
« L'Empereur sera d'autant plus affermi dans sa déter-
mination, qu'il comprendra tous les embarras que cette
détermination peut causer au gouvernement français. Il est
incontestable que l'on atoujours compté id(^)que la France,
qui a fait la question mexicaine, se trouvait engagée à la
soutenir jusqu'aux dernières limites ; si cet appui vient à
manquer, il est à craindre qu'une violente réaction n'en-
traîne à un système d'hostilités indirectes, mais qui peu-
vent devenir très-compromettantes. »
Départ Depuis cfuclque temps, l'impératrice Charlotte s'était
de Timperatricc ... .
Charioue abstcnuo de toute immixtion directe ou indirecte dans la
pour 1 hurope.
politique, et s'occupait exclusivement du conseil de bien-
faisance. Elle avait jusqu'alors fait preuve d'une si rare
énergie, surtout vis-à-vis des ministres, qu'une aussi com-
plète abstention était fort regrettable. Mais, lorsqu'elle
vit quel abîme s'ouvrait devant son trône , elle reparut
aussitôt en scène avec toute la virilité de ses résolutions.
Il fut décidé qu'elle partirait immédiatement pour Paris,
afin d'essayer si son influence n'amènerait pas l'empereur
Napoléon à revenir sur ses déterminations. On avait eu
d'abord l'intention de cacher le départ de l'Impératrice
jusqu'au moment de son embarquement, mais il n'avait
pas été possible de garder un secret absolu; ce projet
transpira, et, pour mettre fin aux commentaires inquié-
^') En marge de l'original de cette lettre, au crayon, soit de la main du
ministre, peut-être de celle de l'empereur Napoléon, on a écrit ces mots : tant
mieux.
(*) En marge au crayon ; trop.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 58S
tants, le journal officiel du 7 juillet annonça « que l'Impé- <866.
ratrice se rendait en Europe chargée d'une mission spéciale
relative aux affaires du Mexique » .
Le ministre de France et le maréchal n'en avaient pas
été informés ; le maréchal était alors à San Luis de la Paz ;
un de ses officiers resté à Mexico l'ayant prévenu par le
télégraphe, le 7 juillet, il envoya aussitôt, par dépêche
chiffrée, l'ordre au commandant de l'escadre d'avertir le
gouvernement français par la voie la plus rapide (^).
L'impératrice Charlotte quitta Mexico le 8 juillet C^).
Le lendemain seulement , l'Empereur reçut M. Dano ,
ministre de France, chargé de lui remettre officiellement
la note diplomatique du 31 mai ; il avait de même prétexté
une indisposition pour ne pas voir le maréchal qui, au
moment de son départ de Mexico, avait sollicité une au-
dience de congé (^).
L'impératrice Charlotte arriva le 10 août à Saint-Na-
zaire. La nouvelle de la bataille de Sadowa lui causa tout
d'abord une vive et douloureuse impression.
Elle partit aussitôt pour Paris.
L'empereur Napoléon, alors assez souffrant, était à Saint-
Cloud ; après avoir essayé d'éviter une entrevue pénible,
il dut céder aux instances pressantes de l'impératrice
Charlotte et consentir à la recevoir ; mais il resta iné-
(t) La dépèche chiffrée, partie de San Luis de la Paz le 7 juillet, fut portée au
consul de France à New- York le 19 juillet, arriva à Vigo le 1" août, et à Paris
le même jour.
(*) On n'avait pas d'argent pour le voyage de l'Impératrice ; l'Empereur disait
. qu'il avait fallu donner un coup de balai dans la caisse centrale pour y ra-
masser les quelques piastres qui s'y trouvaient. » Le ministre des finances avait
conseillé de vendre les bijoux de l'Impératrice.
(3) Le maréchal au ministre, 6 juillet.
586 II* PARTIE. CHAPITRE V.
^866. branlable dans ses refus (^). Le 29 août, l'Impératrice
quitta Paris brisée de douleur, fit une visite à Bruxelles,
séjourna quelques jours à Miramar, et vers la fin du mois
de septembre, se rendit à Piome implorer le secours du
Saint-Père. Elle n'avait pu résister à tant d'angoisses, et
ce fut au Vatican qu'elle donna les premiers signes de la
maladie mentale qui devait éteindre cette intelligence si
remarquable.
L'impératrice Charlotte remit à l'empereur Napoléon le
mémoire suivant (^) :
Mémoire
de l'empereur
Maximilien
à l'empereur
Napoléon.
« M. le ministre de France, à Mexico, a fait parvenir à l'empe-
reur Maximilien la lettre de S. M. l'empereur Napoléon, et le mé-
moire qui y était joint.
<t La lecture attentive de ce mémoire n'a pas laissé que de sur-
prendre douloureusement l'Empereur, non pour sa conclusion,
mais pour la nature des motifs que l'on a cru devoir alléguer pour
justifier cette conclusion.
« On lit tout d'abord dans le mémoire, que « la France a ac-
quitté loyalement les charges qu'elle avait acceptées dans le traité
de Miramar, »
« On ajoute « qu'elle n'a reçu que bien incomplètement du
Mexique k'S compensations équivalentes qui lui étaient promises. »
« Il importe de fixer son attention sur ce point. Le traité de
Miramar conférait l'autorité de commandant en chef de l'armée
mexicaine au commandant du corps expéditionnaire, et l'investis-
sait ainsi du pouvoir et, par conséquent, de l'obligation de pacifier
le pays. La raison refuse d'admettre que le gouvernement de S. M.
l'empereur ÎSapoléon, qui déclare encore aujourd'hui que son ap-
pui était acquis pour la fondation d'un gouvernement régulier et
(1) Dans une de ses visites, l'Impératrice lui aurait dit avec vivacité : Eh bien f
nous abdiquerons. — Abdiquez I répondit froidement l'Empereur. L'Impératrice
comprit alors que tout espoir était perdu.
<2) Le texte on est donne dans l'ouvrage intitule : L'Intervention française
au Mexique. — In-8», Paris, Amyot, 1868. — L'auteur anonyme, M. Léonce
Détroyat, lieutenant de vaisseau, avait été attaché au cabinet de l'empereur
Maximilien et avait accompagné l'impératrice Charlotte dans son voyage.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 587
fort au Mexique, la raison et l'équité refusent d'admettre, qu'il 4866.
crût qu'un gouvernement pouvait devenir régulier et fort au —
Mexique, c'est-à-dire acquitter ses charges réciproques, sans que
la pacification fût effectuée. Sans la paix, en effet, il est bien clair
qu'on ne peut espérer ni budget en équilibre, ni augmentation des
ressources financières.
« Les fonds provenant des deux emprunts ont été engloutis en
grande partie dans cette guerre civile, et il faut en imputer les consé-
quences au commandant en chef de l'armée franco-mexicaine qui,
par son inaction d'une année, a fini, il faut le dire, par laisser les
dissidents se rendre maîtres aujourd'hui de plus de la moitié du pays.
« Personne n'ignore qu'au Mexique les douanes maritimes sont
l'élément le plus productif des recettes. Or, ces douanes sont rui-
nées, depuis un an, par suite de l'interruption des communications
avec les marchés de l'intérieur, et ces communications sont occu-
pées par les dissidents. En ce moment même, les douanes de Ma-
tamoros, Minatitlan, Tabasco, La Paz, Huatulco, sont aux mains
des ennemis de l'Empire. Celles de Tampico, Tuxpan, Guaymas,
Mazatlan, Acapulco, sont improductives, car ces ports sont étroite-
ment bloqués par les juaristes, et les commerçants désespérés sont
réduits à s'expatrier. Peut-on raisonnablement obtenir l'équilibre
des recettes et des dépenses quand, à mesure que la guerre civile
se prolonge, les ressources diminuent ? Le gouvernement, réduit à
la seule douane de Vera-Cruz, peut-il faire face aux lourdes
charges que lui assigne le traité de Miramar? Ce serait faire injure
à l'esprit d'équité du gouvernement français et douter de sa bonne
foi que de le supposer; car, sur un budget derecettesde dix-neuf
millions de piastres <'), on sait que les douanes maritimes doivent
fournir onze millions.
« Oui, sans doute, par la convention de Miramar, le Mexique
s'est engagé à payer l'entretien du corps expéditionnaire, ses
<ï) Résumé des recettes nettes de l'empire mexicain pendant l'année 1865 :
DOUANES MARITIMES. Piastres.
Du golfe 7,632,005 73
Du Pacifique 2,988,786 61
DOUANES DE l'iNTÉRIEUR.
Droits sur la consommation ( alcabalas ) , papier timbré,
péages, diverses branches 6,941,960 24
Contributions directes 1,538,382 62
Total 19,101. i.3o 20
La douane de Vera-Cruz entre dans ce total pour la sommede 4,878,733 46
388 II' PARTIE. •— CHAPITRE V.
^866. frais de guerre et d'occupation, mais il n'entendait nullement
•~ que cette occupation fût seulement du tiers ou de la moitié du
pays, et il ne pouvait pas prévoir que les seuls transports de guerre
à la suite des colonnes qui ont quatorze fois occupé, puis évacué le
Michoacan, cinq fois Monterey, deux fois Chihuahua, se monte-
raient à seize millions de francs ! Le gouvernement impérial mexi-
cain ne pouvait pas prévoir, et il n'aurait pu admettre, qu'au bout
de trois ans dune guerre ruineuse, le commandant en chef de l'ar-
mée franco-mexicaine, forte de cinquante mille hommes, n'aurait
pas encore réduit à l'obéissance les riches provinces de Guerrero,
de Tabasco, de Chiapas, oii pas un soldat français n'a paru. Il ne
pouvait pas supposer surtout qu'après ces trois années de guerre,
grâce à l'inaction du commandant en chef ou à ses dispositions,
tous les vastes Etats du Nord seraient retombés sous le joug des jua--
Vistes. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte pour se con-
vaincre de cette déplorable situation militaire, et de l'injustice no-
toire qu'il y a à reprocher au gouvernement impérial mexicain de
n'avoir pas suffi aux exigences du traité de Miramar. Le comman-
dant en chef a privé ce gouvernement de ses ressources les plus
indispensables, en n'achevant pas l'œuvre de la guerre. C'est un
fait que nous devons constater, parce qu'il n'a pas dépendu de nous
d'en supprimer les conséquences.
t Lors de la fin de la guerre civile aux Etats-Unis, l'empereur
Maximilien pensa qu'il était de son devoir de rappeler sérieuse-
ment au commandant en chef, la nécessité de déployer la plus
grande activité pour terminer la pacification. Le maréchal est resté
sourd à toutes ces exhortations, et il a abandonné des provinces
entières, pour retirer ses troupes qui restèrent pendant de longs
mois dans une inaction fatale. Le 10 novembre 1865, l'Empereur
lui écrivait : « Je reçois des nouvelles de Monterey qui me font con.
naître les graves inconvénients qu'entraîne l'évacuation de cette
place importante par les troupes françaises. En général, je crois
qu'il faut éviter d'abandonner ces grandes villes du Nord qui, d'a-
bord occupées, puis laissées à elle-mêmes, sont tombées de nou-
veau entre les mains dé nos ennemis; ces alternatives ont le grave
danger de faire perdre confiance aux habitants, et de mettre sous
les yeux de nos voisins des scènes fâcheuses qui peuvent tromper
l'opinion aux Etats-Unis. Il me paraît d'autant plus nécessaire de
faire réoccuper Monterey par les troupes françaises, que, de là,
elles peuvent porter aide et secours au brave général Mejia, dont la
position ne laisse pas d'être difficile à Matamoros. »
« Le 4 décembre de la même année, Sa Majesté insistait de nou-
LE MARÉCHAL BAZAINE. o89
veau sur cette question : - Je viens de recevoir, écrivait-elle, les 4866.
nouvelles les plus fâcheuses du Sinaloa et du département de Ma- ~
zatlan. Les populations de ces contrées ne peuvent se rendre
compte du motif qui fait partir les troupes françaises avant que
des corps mexicains, bien organisés, puissent les remplacer. Elles
voient avec terreur Corona rentrer d'un seul coup en possession de
tout le pays soumis ; leur confiance est donc profondément ébran-
lée, et cette fatale mesure nous fait perdre dans l'esprit public
plus qa'une défaite éclatante, car elle semble indiquer que le gou-
vernement, lui-même, n'a pas foi dans l'avenir, r
« Dans une lettre, en date du 17 décembre i86o, l'Empereur si-
gnalait au maréchal l'urgence d'occuper le port de la Paz, capi-
tale de la basse Californie, pour empêcher que cette importante
Péninsule, qui ferme le golfe ou mer de Gortès, ne fût envahie
par les flibustiers américains, et afin de l'enlever aux dissidents.
Le commandant en chef écrivit aussitôt :
« Je m'empresse de répondre à la lettre que Votre Majesté m'a
adressée, à la date de ce jour, au sujet de la contre-révolution qui
vient d'éclater à la Paz, capitale de la basse Californie. Aussitôt
que ces faits sont parvenus à ma connaissance, j'ai donné l'ordre
à l'amiral Mazères, qui commande la division navale sur la côte du
Pacifique, de prendre une compagnie française à Mazatlan et de se
rendre à la Paz pour y rétablir l'ordre. i> La compagnie française
n'a jamais paru à la Paz, et la basse Californie reste toujours au
pouvoir des ennemis de l'Empire.
« Le maréchal a lui-même reconnu la vérité de ces faits,
puisque, en janvier 1866, il a annoncé que l'inaction de ses troupes
allait cesser et que « bientôt l'Empereur verrait que ce n'était pas
« la question militaire qui devait le préoccuper le plus s . La réalité
est venue malheureusement démontrer que cette promesse solen-
nelle resterait à l'état de lettre morte.
« A différentes reprises, le commandant en chef a prétendu ex-
pUquer les résultats déplorables de son attitude, en se plaignant
de quelques autorités infidèles. Ce reproche a trouvé un écho dans
le mémoire. Cependant il sera facile de faire voir son peu de fon-
dement. Le 2 décembre 1865, l'Empereur demandait au maréchal
des notes sur tous les fonctionnaires mexicains; le G janvier 1866,
' il lui écrivait : » J'attends de vous, par le retour de ce courrier,
les noms des autorités qui vous paraissent déloyales et qu'il faut
révoquer, car je veux mettre à votre disposition tous les moyens
qui sont en mon pouvoir. Je remplacerai ces autorités par celles
qui auront votre confiance. Vous insistez sur le paiement régulier
?i90 11° PARTIE. — CHAPITRE V.
(866, des troupes; à ce sujet, il faut remarquer que mon gouvernement a
"~ fait tout ce qui était possible ; il a été jusqu'à laisser de côté les amé-
liorations les plus nécessaires dans les services civils, pour consa-
crer exclusivement toutes ses ressources à l'armée. C'est l'armée qui
absorbe seule toutes les rentes de l'État, et il suffit de jeter un coup
d'œil sur les comptes du ministère d'Hacienda pour s'en assurer. »
« Le 10 janvier, le commandant en chef désigna trois fonction-
naires et le ministère comme n'ayant pas sa confiance. L'Empereur
lui fit part, deux jours après, de sa décision : « En attendant que
le travail complet que vous me promettez me soit parvenu, disait
Sa Majesté, je porte à votre connaissance que les trois personnes
que vous citez ont été relevées de leur emploi. » Le 5 mars suivant,
le ministère fut changé f
ï On a reproché également au gouvernement impérial mexicain
de n'avoir pas marché exclusivement avec un certain parti et d'a-
voir tenté une œuvre de conciliation. Mais ignore-t-on que c'est là
la politique conseillée au début par les généraux français eux-
mêmes? Le général Gastagny écrivait au maréchal, le 30 août
1864 : « Les populations de la frontière du Nord sont énergiques,
laborieuses, industrielles et libérales. Elles accepteront l'Empire sans
difficulté, pourvu qu'on ne froisse pas trop durement leurs convic-
tions. » Le maréchal disait lui-même à Sa Majesté, dans une commu-
nication en date du 29 décembre 1864: «Les tendances cléricales du
général Mejia et du général Lopez, et l'esprit généralement libéral de
toute la population du Nuevo-Leon et du Tamaulipas réclament des
fonctionnaires éclairés et qui puissent, par leur influence, contre-
balancer, sinon dominer celle des commandants militaires sus-
nommés. i> On voit donc que les conseils, ou les insinuations des
chefs de l'armée française les plus autorisés par leur position,
montrent que l'Empereur a eu, dans sa ligne de conduite politique,
des complices en dehors de son entourage personnel, dont on lui a
fait si souvent un reproche.
« Parmi les autres griefs que l'on s'est cru en droit d'adresser
au gouvernement impérial mexicain, il en est un d'une nature plus
grave. On a dit et on répète : Les finances du Mexique sont en dé-
sarroi; le système sur lequel elles sont basées est défectueux; les
hauts fonctionnaires et les employés chargés de la gestion des inté-
rêts du trésor sont incapables ou improbes. Loin de faire un effort
•pour remédier au mal, l'Empereur a fermé l'oreille aux meilleurs
conseils, et a systématiquement éloigné de lui les Français qui au-
raient pu lui prêter un concours utile.
« Voilà l'accusation.
LE MARÉCHAL BAZAINE. o9l
« Voici les faits :
d Si la situation financière est mauvaise, quand a-t-elle été
bonne? Ce n'est certes pas lors de l'inauguration de l'Empire, car
M. Budin, commissaire extraordinaire des finances, écrivait au nou-
veau souverain, h la date du 11 juin 1864: i Les ressources ont
été, dès le début, fort restreintes, elles le sont encore. Les agents
du gouvernement précédent emportent, en fuyant devant l'inter-
vention, les archives et les rôles des bureaux financiers ; ils créent
ainsi de sérieux embarras à l'administration installée par le géné-
ral en chef. Les mêmes choses se passent d'ailleurs de la même
manière dans l'intérieur ; avant de faire des recettes, les agents
nouveaux sont obligés d'en créer les titres. »
« Avait-on du moins jeté les bases d'un plan financier qui pût
développer les ressources ? Non; on avait vécu au jour le jour. En
présence d'un pareil état de choses, la surprise de l'empereur
Maximilien avait été extrême, et il s'en expliqua franchement à
l'honorable M. Fould : « En arrivant au Mexique, lui écrivait-il,
le 9 août 1864, j'ai cru que l'intervention française aurait tout pré-
paré pour me mettre à même d'apprécier la véritable situation
financière, et qu'il ne me resterait qu'à décréter les moyens d'y
faire face et d'appliquer, avec la coopération intelligente des fonc-
tionnaires de votre département mis h ma disposition, le système
financier français modifié suivant les exigences du pays. Malheu-
reusement, il n'en est pas ainsi. Tout est à faire. »
« Quelques semaines se passèrent en tâtonnements. Enfin,
M. Gorta, député au Corps législatif, vint au Mexique. Sa droiture,
son esprit de conciliation, sa profonde entente des affaires, persua-
dèrent à l'Empereur qu'il avait trouvé l'homme qu'il cherchait pour
améliorer les finances du pays. Il écrivit donc à M. le duc de
Morny, le 9 août 1864 : « M. Corta me donne en toute circonstance
des preuves de ses hautes qualités administratives et financières.
Il a su gagner les sympathies des Mexicains; sa coopération m'est
donc nécessaire.
« J'aurais voulu lui confier immédiatement la direction ofticielle
du ministère des finances; mais j'ai rencontré, chez cet honorable
député, une résistance fondée sur la position qu'il occupe dans le
parlement français. La solidarité qui existe entre nos deux gou-
vernements me fait penser que cette incompatibilité n'existe pas.
LU mission confiée à M. Corta ne sera terminée que quand il pourra
assurer h ses collègues que le pays off"re, avec les ressources néces-
saires, des garanties d'une organisation financière capable d'en
assurer la réalisation, »
592 II* PARTIE. CHAPITRE V.
4866. « Est-ce là le langage d'un homme qui s'aveugle de parti pris?
— Après la rentrée en France de l'honorable M. Corta, M. Bonnefons
vint prendre la direction de la mission financière française. L'Em-
pereur lui offrit, comme à son prédécesseur, le portefeuille des
finances. Si M. Bonnefons crut devoir en décliner l'acceptation,
son refus est là du moins pour témoigner des loyales intentions de
Sa Majesté. Nous le transcrivons : « Je suis profondément touché
de la confiance que m'a témoignée Votre Majesté, sans me con-
naître. Mais je la supplie de me permettre de lui dire , avec une
respectueuse déférence , que je ne puis, dans mon ignorance si
complète des hommes et des choses de ce pays, accepter les offres
si flatteuses qu'Elle a daigné me faire. »
ï L'Empereur ne se découragea pas, et, sur sa demande, M. le
conseiller d'Etat Langlais se rendit au Mexique. Ses vues furent
de suite les siennes, et, le 30 septembre 1865, un décret impérial
investit M. Langlais d'attributions supérieures à celles des mi-
nistres, et presque dictatoriales. Toutes les dépenses furent sou-
mises à son examen, et dès qu'il eut présenté son plan de réformes,
il fut adopté sans 'aucune modification, et consacré par les lois et
décrets insérés au journal officiel du 12 février 1866.
« Enfin, après l'irréparable perte de cet homme d'Etat émi-
nent. Sa Majesté ne désespéra pas et demanda à Paris un succes-
seur à M. Langlais. Cette demande est restée sans résultat.
« Tel est l'exposé succinct et vrai de la conduite tenue envers les
agents financiers et les hommes d'Etat que la France a envoyés au
Mexique. Nous ajouterons ici une réflexion.
« Ce n'est pas tout que d'avoir un bon financier dans ses con-
seils; il faut encore que des perturbations violentes ne viennent
pas à chaque pas le contrecarrer et détruire ses combinaisons. Il
ne faut pas surtout qu'une guerre, conduite mollement et qui traîne
en longueur, vienne à chaque instant empêcher l'équilibre entre les
recettes et les dépenses. Le 12 janvier 1866, l'Empereur disait au
commandant en chef: « Quant aux besoins des troupes nationales
qui se trouvent en partie dépourvues de vêtements et d'équipe-
ments, personne n'en souffre autant que moi, moralement et phy-
siquement; malheureusement, cette guerre intérieure, par sa du-
rée, absorbe tous les revenus de l'Etat à elle seule. Néanmoins, je
suis résolu à faire tous les sacrifices pour coopérer à sa fin si im-
patiemment attendue par l'opinion publique du pays et de la
France, et je viens de donner l'ordre d'acheter des armes et des
vêlements dans la limite de nos ressources. »
a On impute au gouvernement inipéi-ial mexicain de n'avoir
LE MARÉCHAL BAZAINE. 593
point pressé l'organisation d'une armée nationale. Mais ignore-t-on "^*^^-
que le commandant en chef était chargé de la former et investi de
tous les pouvoirs nécessaires? Enfin, lorsque son abstention fut
évidente, l'Empereur lui écrivit, le o avril I860, qu'il confiait l'or-
ganisation d'une brigade modèle au général comte de Thun, et
qu'en conséquence, il était nécessaire de réunir à Puebla les élé-
ments et les cadres de cette troupe. Ils furent réunis en effet,
mais ils n'avaient pas encore les premiers liens de leur formation,
que le commandant en chef les dispersait dans trois directions
différentes pour faire face aux éventualités de la guerre.
« Lorsque, plus tard, M. le ministre de la guerre de Sa Majesté
l'empereur Napoléon insista auprès du commandant en chef, pour
qu'il pourvût à une organisation des troupes du pays capable de
protéger les intérêts français après le départ du corps expédition-
naire, le commandant en chef se détermina à entamer cette œuvre,
et il en instruisit l'empereur Maximilien, qui lui donna, de nouveau,
des pouvoirs illimités pour la conduire à bonne fin. La lettre sui-
vante du maréchal, datée du 6 juin 1866, en est un témoignage
irrécusable : « J'ai reçu, disait-il, la lettre que Votre Majesté m'a
adressée le 3 de ce mois, et par laquelle elle daigne investir d'une
autorité absolue, pour l'organisation des bataillons de caza-
dores de Mexico et la réorganisation de l'armée mexicaine, le
général chef d'état-major général et l'iniendant en chef de l'armée.
J'ai communiqué à M. le général Osmont et à M. l'intendant mili-
taire Priant les intentions de Votre Majesté. J'aurai l'honneur de
là tenir au courant des résultats ([ui seront progressivement ob-
tenus. »
« Les officiers généraux désignés ci-dessus se mirent immédia-
tement à l'œuvre avec un zèle et une intelligence qu'on ne saurait
trop louer. Les officiers et soldats de l'armée française répondirent
à leur appel avec un empressement bien propre à justifier les espé-
rances qu'on avait conçues de la formation de ces nouveaux corps.
Déjà un certain nombi'C de bataillons de cazadores étaient armés,
habillés et équipés, quand arriva la fatale nouvelle du retrait du
subside que le maréchal et M. le ministre de France avaient ac-
cordé provisoirement comme absolument indispensable.
« Il ne faut donc pas se dissimuler que le maintien de ce sub-
side, jusqu'à la fin de l'année 1867, est la seule garantie pour la
constitution de cette armée mexicaine qui, de l'aveu de tous au
Mexique, est la seule force capable de protéger les intérêts, aujour-
d'hui gravement menacés, des résidents étrangers, et que toute
autre solution mettra en péril non-seulement les intérêts, mais
38
S94 11^ PARTIE, CHAPITRE V.
<866. encore leur existence intimement liée au salut de l'Empire mexi-
■"• cain. î
Ce mémoire n'est qu'un long réquisitoire contre le ma-
réchal Bazaine ; l'empereur Maximilien le rendait respon-
sable de tout. Si au point de vue spécial des intérêts de
l'Empire mexicain, quelques-uns des reproches de mollesse,
d'inaction, d'insouciance adressés au commandant en chef
étaient justifiés, on doit cependant reconnaître que sa con-
duite militaire reçut toujours l'approbation du gouverne-
ment français ; les lettres du ministre de la guerre en font
foi, et il ne fut blâmé que pour avoir puisé dans les caisses
de l'armée, afin de venir en aide au gouvernement mexi-
cain. Les relations du maréchal avec l'empereur Maximi-
lien n'avaient pas toujours été aussi tendues que le ferait
supposer la lecture de ce document.
Naiurc D'une indécision de caractère qui amenait de conti-
des relations n x i- .• i i •• . i co
entre l'empereur nucUes coutradictions daus sa conduite et dans ses aiiec-
et irmaréch;ii tions , tantôt l'empercur Maximilien se laissait aller à
des penchants naturellement bienveillants, et donnait au
maréchal des preuves de sympathie; parfois., au con-
traire, il s'abandonnait à la méfiance que lui insinuaient
quelques personnes de son entourage. Des observa-
tions critiques, souvent aussi d'imprudentes plaisanteries
qu'il se permettait trop facilement, étaient entendues par
des gens qui les colportaient au dehors; l'écho en reve-
nait aux oreilles du maréchal, son amour-propre était
froissé ; il en résultait de l'aigreur. Le mariage du maré-
chal, la naissance de son fils que les souverains avaient
tenu sur les fonts baptismaux, furent l'occasion de rappro-
chements momentanés, puis les difficultés revinrent. Le
maréchal blâmait les choix des hommes auxquels étaient
Bazaine.
LE MARÉCHAL BAZAINE. o95
confiées des fonctions publiques. En effet, l'empereur ^866.
Maximilien, qui rêvait d'être un prince libéral, démocra- ""
tique même, avait toujours manifesté un singulier éloigne-
ment pour les monarchistes, les cléricaux, les cancrejos
(écrevisses) comme l'Impératrice les appelait plaisamment.
Il cherchait à attirer à lui les libéraux qui le servaient ma l
ouïe trahissaient; les cléricaux faisaient de l'opposition.
Les uns et les autres se rencontraient d'ailleurs pour atta-
quer le maréchal en toute occasion; celui-ci ne l'ignorait
pas, et se tenait de plus en plus à l'écart. Lorsqu'il fut
question du rappel de l'armée, les récriminations du gou-
vernement mexicain augmentèrent encore, dans le but,
prétendait le maréchal, de discréditer le rôle des Français.
L'Empereur aurait dit : « Nous les payons assez cher pour
ce qu'ils font; » il se plaignait du peu de concours que
lui prêtait l'armée française, son commandant en chef en
'particulier; il trouvait encore que la conduite arbitraire
des officiers, commandants territoriaux, avait fait plus de
mal que de bien à la pacification du pays (*). Il reprochait
au maréchal d'avoir concentré ses troupes, au lieu de les em-
ployer d'une manière efficace contre les bandes libérales.
Le maréchal, de son côté, disait qu'on n'arrivait à rien,
parce que « Maximilien était plus Mexicain que les Mexi-
co) La grande dissémination des troupes rendait difiScile la surveillance du
commandement supérieur sur les chefs de poste et de colonne. Livrés à eux-
mêmes, maîtres à peu près absolus de leurs décisions, peu habitués à cette indé-
pendance d'action et responsables cependant de la sécurité des troupes sous leurs
ordres, quelques uns ont pu se laisser aller à des abus d'autorité, ou à des actes
de sévérité qu'excusaient jusqu'cà un certain point les difficultés dont ils étaient
entourés. Il en a été et il en sera toujours ainsi dans toutes les guerres. Néan-
moins, partout où sont passées les troupes françaises, elles ont laissé des
sympathies, et il n'est pas un des officiers du corps expéditionnaire du Mexique
qui, de son côté, ne conserve un bon souvenir des relations personnelles qu'il a
nouées au Mexique.
596 11^ PARTIE. — CHAPITRE V.
ism. cains, plus juariste que Jaarez, qu'aucun parti n'avait con-
~ fiance dans sa politique versatile, ni dans son caractère,
qui était celui d'un rêveur allemande. » Des plaintes contre
le maréchal furent portées au gouvernement français :
« Certain personnage, attaché à l'empereur Maximihen
et qui se trouve dans ce moment à Paris, répand le bruit
que vous êtes au plus mal avec l'Empereur, que vous ne
vous présentez presque plus au palais etc.. Qu'est-ce
qu'il y a de vrai dans tout cela » ? lui demandait le ministre
de la guerre (^). Sous une forme toutefois très-bienveillante,
et en lui annonçant que l'Empereur lui réserverait en
France une haute position qui serait la digne récompense
des services rendus, il autorisait le maréchal à partir avec
la première colonne de rapatriement, ou môme plus tôt
s'il le voulait, et lui envoyait une lettre de service pour
remettre le commandement au général Douay dès qu'il le
jugerait opportun. Le maréchal ne profita pas de cette auto-
risation qui pouvait bien être considérée comme une invi-
tation à quitter immédiatement le Mexique ; certaines con-
sidérations de famille et d'intérêt le retenaient; puis, disait-il
au ministre avec quelque raison, le général Douay était en
expédition au nord de San Luis; il fallait mènera terme
des organisations commencées ; un départ immédiat ne
lui paraissait ni possible ni opportun. 11 était du reste, à
cette époque , dans une phase de bons rapports avec
l'Empereur (^).
(1) Le mariichal au ministre, 9 mars.
(») Le ministre au maréchal, l"^ avril 1860.
(S) Le maréchal au ministre, 28 mai.
« Mes relations avec l'empereur Maximilien sont toujours très-amicales de la
part (le Sa Majesté ; de mon côté, je fais tout ce que je puis pour veni»- en aide à
son gouvernement L'Empereur veut éviter de paraître suhir l'influence étran-
î,'ôre, c'est pour cela qu'il évite la fréquence de nos entrevues , et puis, parce
que son caracl'Te assez irrésolu dans les affaires le porte à réfléchir au moins
I
LC MARÉCHAL BAZALNE. ^97
Sans avoir toujours la même confiance en ravenir, Tem- iseo.
pereur Maximilien avait repris quelque espoir depuis le
départ de l'Impératrice ; il comptait beaucoup sur le résultat
de ses démarches (^). A partir de cette époque, tous ?es
actes paraissent inspirés par l'intention de faire retomber
sur la France le poids de la situation; il déclara l'état de
siège dans les départements de Tancitaro, de Tuxpan. de
Tulancingo, et dans le district de Zacatlan ; il proposa même
'{uarantc-huit heures avant de prendre un parti ; les audiences ne sont que des
(^onvTsations sans conclusions.
" Il arrive aussi que Sa Majesté' s'exprime très-légèrement sur tout le monde
devant lîes indi\iilus enchanti's de prendre à la lettre les boutades de la bouche
impe'riale ; ainsi Elle me disait dernièrement : « Mon cher maréchal, vous savez
que nous sommes deux bons amis, quoi qu'il arrive, et si vous entendez dire des
sornettes .sur mon compte, dites- le-moi comme je vous dirai celles qui sont dé-
bitées sur le vôtre, etc. »
« Je vais au palais aussi souvent que possible, quand l'Empereur est à Mexico;
mais, ainsi que j'ai eu l'honneur de l'exprimer à Votre Excellence. Sa Mnjesté
n'aime pas être surprise par des questions dont la solution est urgente et préfère
toujours les traiter par écrit après mûre réflexion, et cette réflexion donne toujours
une tout autre portée aux affaires résolues en principe dans une conversation.
"En résumé, je ne puis faire, sans manquer à mes devoirs envers
mon souverain, toutes les volontés de l'empereur Maximilien qui peuvent être
contraires aux intérêts de notre pays et de l'armée qui m'est confiée, mais je ne
me pose pas en pouvoir dominateur vis-à-vis de Sa Majesté pour laquelle j'ai
dans toutes mes relations la plus grande déférence sans alxliquer la responsabilité
qui m'incombe. » (Le maréchal au mini>lre, 9 avril.)
Le commandant Loysel, qui avait été chargé par l'empereur Maximilien de
diriger son cabinet militaire, et rentrait à Mexico après avoir rempli en France
une mission qu'il lui avait conflée, constatait également que les relations entre
l'Empereur el le maréchal étaient aussi bonnes que possible. « Leurs Majestés vont
tenir sur les fonts baptismaux l'enfant qui va naître ; le titre de duc a été offert
au maréchal ; ce sont là des gages d'une entcn'e cordiale bien nécessaire. »
(Lettre du 20 mai.)
Lui-même, avec le plus grand tact, faisait servir son influence personnelle
au maintien de bons rapports entre le souverain et le maréchal ; il avait su loya-
lement concilier ses devoirs d'ofDcicr français avec les obligations que lui imposait
sa position près de l'Empereur du Mexique.
(*) ': Dans doux mois, disait l'Empereur au moment du départ de l'Iuipéralrice,
le maréchal pourrait bien être dans une position plus fâcheuse que moi. »
598 II® PARTIE. CHAPITRE V.
1866. au maréchal de l'étendre à tout l'Empire, afin de concentrer
les pouvoirs dans les mains de l'autorité militaire fran-
çaise ('); le maréchal eut l'habileté de refuser.
« Pourquoi déclarer l'état de siège ? répondit-il ; l'état de
guerre qui existe de fait donne au commandement militaire
et aux cours martiales toutes les facultés dont ils peuvent
avoir besoin, si les circonstances l'exigent; ii'est-il pas
plus naturel d'agir que d'édicter? L'état de siège, en anni-
hilant tous les éléments nationaux sur lesquels l'Empire
pourrait compter encore, deviendrait la source d'un vif
mécontentement qui s'étendrait de l'Empereur à la France
elle-même, dont l'influence ne se ferait plus sentir que par
des rigueurs (^) . »
Il n'y avait plus rien dans le trésor; l'Empereur accorda
néanmoins la délégation de la moitié du produit de toutes
les douanes maritimes, ainsi que la note du 31 mai le de-
mandait. Peu lui importait ! La situation n'en serait que
plus nette ; mais, en même temps, il soUicitait M. de Main-
tenant de prendre le portefeuille des finances ; sur son refus,
il s'adressait à M. Priant, intendant en chef de l'armée, et
l'amenait à y consentir. Puis il obtenait du général Osmont,
chef d'état-major général, de devenir son ministre de la
guerre (^). Il dissimulait avec le maréchal, lui écrivait des
lettres fort gracieuses (*), ne lui laissait pas soupçonner
quelles accusations graves l'Impératrice portait au même
(*) L'empereur Maximilien au maréchal, 2 août.
'') Le maréchal cà l'empereur Maximilien, Peotillos, 10 août.
(■') L'empereur Maximilien avait déjà un cabinet militaire qui, du consente-
ment du maréchal, avait été organisé par le commandant Loysel, et était alors
dirigé par le capitaine Picrron. Cette organisation finit par déplaire au maréchal.
Cédant à un sentiment d'hostilité contre tous ceux qui entouraient l'Empereur,
il se plaignait parfois injustement de l'influence de ce cabinet.
(*) Le maréchal au ministre. 6 juillet.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 599
moment contre lui ; il lui annonçait un changement de «866.
ministère et la formation d'un nouveau cabinet, où n'en-
treraient que des partisans de l'alliance française ; il lui
laissait pleins pouvoirs pour changer, lorsqu'il le jugerait
à propos, le personnel administratif dans les provinces qu'il
parcourait. Enfin, il obtenait, presque par surprise, son
acquiescement à l'entrée au ministère de MM. Osmont et
Priant, avec la condition qu'ils continueraient à remplir
leurs fonctions dans le corps expédionnaireO.
« Mon cher maréchal, écrivait l'Empereur, l'empereur Napoléon
m'a écrit à différentes reprises qu'il mettuit à ma disposition
les officiers et fonctionnaires français dont le concours me serait
utile, c'est-à-dire utile à l'œuvre que nous avons entreprise en
commun.
« Les circonstances actuelles m'ont paru nécessiter ce concours
pour deux motifs; d'abord, pour mettre au grand jour ma cons-
tante résolution de marcher d'accord avec la France, et en second
lieu, pour déposer dans vos mains de nouvelles garanties pour ac-
tiver la pacification du pays.
R J'ai donc appelé M. le général Osmont k diriger le ministère
de la guerre, M. l'intendant Priant à diriger celui des finances; ces
deux officiers généraux m'ont demandé d'obtenir préalablement
votre assentiment. Je le leur ai garanti sur la foi de la parole de
l'empereur Napoléon, convaincu qu'en confiant la direction de ces
services fondamentaux à des officiers généraux qui ont voire entière
confiance, je ne pouvais que répondre à ses vues et étendre votre
pouvoir. MM. Osmont et Priant resteront d'ailleurs, comme vous le
désirez, à la tète de leurs services respectifs dans le corps expédi-
tionnaire.
« Vous acquerrez ainsi de nouveau la certitude que vos combi-
naisons militaires auront tout l'ensemble possible, et que les res-
sources du pays seront consacrées, comme par le passé d'ailleurs,
H l'entretien des troupes et aux frais de gutn-re.
<•) L'empereur Maximilien nu maréclial, 2o juilleU
600 II® PARTIE. — CHAPITRE V.
I86ii. « Les membres des ministères actuels sortent, à 1' (exception de
~ M. Salazar-Ilaregui, dont le dévouement à l'alliance française ne
fait l'objet d'un doute pour personne »
Le maréchal répondit « qu'il ne pouvait qu'obtempérer
à ces désirs », tout en faisant observer que, les nouvelles
fonctions confiées à MM. Osmont et Friant ne lui parais-
sant pas compatibles avec celles qu'ils occupaient dans
l'armée française, on aurait à obtenir à ce sujet l'agrément
de l'empereur Napoléon. Ainsi, au moment où la France
voulait dégager son action au Mexique, l'intendant en chef
et le chef d'état-major général du corps expéditionnaire
devenaient, l'un, ministre des finances , l'autre, ministre
de la guerre de l'Empire mexicain ; et, comme ils restaient,
quant à leurs fonctions spéciales, subordonnés au maré-
chal, celui-ci allait être, s'il n'y prenait garde, conduit
par une pente insensible à endosser la responsabilité en-
tière d'une situation désespérée. L'empereur Maximilien
pouvait s'effacer, peut-être disparaître tout à coup en allant
s'embarquer sur un navire autrichien, et le commandant
en chef du corps expéditionnaire se trouverait en face
d'un gouvernement représenté par son propre chef d'élat-
major et l'intendant de son armée ; il était fort imprudent
de s'^engager dans cette voie. Tandis qu'il écrivait la lettre
approbative que nous venons de rapporter, le maréchal té-
moignait son mécontentement dans sa correspondance avec
le ministre de la guerre ; c'était, disait-il, seulement dans
un intérêt de conciliation et pour ne pas paraître malveil-
lant à l'égard de l'empereur Maximilien, qu'il avait donné
son consentement à MM. Osmont et Friant ; il s'était vu
forcé de sanctionner une chose faite et décidée à son insu ;
mais il était « très-froissé » de l'attitude prise à son égard
LE MARÉCHAL BAZALNE. 601
et de ce qu'il appelait « un pronunciamiento préparé en se- i^^e.
cret » (').
Non-seulement l'empereur Napoléon n'autorisa pas ces
officiers à rester au ministère mexicain, mais ils reçurent
un blâme sévère qui fut inséré au Moniteur officM (^) ; d'ail-
leurs, avant que ce blâme fût connu au jMexique, le maréchal
les avait déjà invités à résilier leurs fonctions de ministres.
<') Le maréchal au ministre, 4 août, 27 août.
M. Priant informait le ministre de la guerre, à Paris, de la position qu'il avait
acceptée par la lettre suivante, datée du 29 juillet :
« L'empereur Maximilien m'a nommé son ministre des finances. En acceptant
cette lourde tâche, je n'ai pas consulté mes forces, je n'ai consulté que mon dé-
vouement pour notre grand Empereur. Mon point de départ est le vide le plus ah-
solu dans les caisses publiques, des dettes énormes à payer, le désordre partout.
« Dominerons-nous la situation ? J'en ai l'espoir, je reste toujours intendant de
l'armée et je n'ai accepté qu'à cette condition. J'ai l'iionneur de prier Vo'rc
Excellence de me faire connaître si elle approuve. »
Le général Osmonl exposait avec plus de d^^tails les considérations par lesquelles
il s'était décidé ; il avait eu en vue <- l'intérêt de la France, de l'œuvre entre-
prise par l'empereur Napoléon et n'avait pas hésité Au Mexique toute
force émanant du maréchal Bazaine, on ne pouvait rien faire sans lui. . . il
n'était possible d'avoir une autorité réelle qu'en s'appuyant sur lui ; le maréchal
étant le grand chef et l'organisateur de l'armée mexicaine, le ministre de 1 1
guerre avait à prendre sans cesse ses instructions; aussi ces fonctions, disait-il,
n'étaient nullement incompatibles avec celles de chef d'rtat-major de l'armée fran-
çai.se qu'il voulait avant tout conserver.
« Le maréchal l'avait engagé à accepter et lui avait promis de le soutenir ;
le ministre de France n'y avait pas fait opposition. » (Le général Osmont au
ministre, 26 juillet.)
<2) Moniteur officiel du 14 septembre 1860.
L'entrée de M. le général Osmont et de M. l'intendant Friant au ministère
mexicain produisit un fort mauvais effet aux Etats-Unis : « Le président croit
nécessaire de faire connaître à l'Empereur des Français que la nomination à des
fonctions administratives desdits officiers du corps expéditionnaire par le prince
Maximilien, est de nature à porter atteinte aux bonnes relations entre les Etats-
Unis et la France, parce que le congres et le peuple des Etats-Unis pourront
voir dans ce fait un indice incompatible avec l'arrangement conclu pour le rappel
du corps expéditionnaire français du Mexique. )> (M. Seward à M. de Montholon,
10 août 1866.)
602 11' PARTIE, CHAPITRE V.
i866. Le 30 juillet, quatre jours après l'entrée au ministère de
ConveniioD MM. Osmont et Priant, l'empereur Maximilien sisrna la
.lu 30 juillet ('). . , 1 ■ • T •
convention nouvelle clestmée à remplacer les stipulations
financières du traité de Miramiir, et qui faisait l'objet de
la note du 31 mai. D'après cette convention, le gouverne-
ment français recevait une délégation de la moitié de toutes
les receltes des douanes maritimes de TEmpire. Les droits
sur les exportations par les ports du Pacifique étant déjà
aliénés pour les trois quarts, la délégation sur ces douanes
se trouvait réduite au quart disponible. Comme garantie,
les douanes de Tampico et de Vera-Cruz seraient gérées
par des agents du gouvernement français , et le produit
entier, à l'exception des délégations déjà reconnues, devait
être affecté au paiement de la dette française. Les situa-
tions des douanes des autres porfs seraient visées par le
consul français.
Cette délégation servirait :
l'' Au paiement des intérêts et à l'amortissement des
obligations des deux emprunts mexicains;
^^ Au paiement des intérêts à 3 7o de la somme de 216
millions, dette reconnue vis-à-vis de la France par le traité
de Miramar, et des dettes contractées depuis par le gou-
vernement mexicain vis-à-vis le trésor français. Le chiffre
total à fixer ultérieurement d'une façon précise était éva-
lué approximativement à 250 millions.
Cette convention devait être mise en vigueur après sa rati-
fication par l'empereur Napoléon, et à l'époque qu'il fixerait.
L'heure était passée où le gouvernement français cher-
chait à aider l'Empire mexicain et lui envoyait ses fonc-
") Voir à l'apiiiTHlico le lexlc de l;i convonlion.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 603
tionnaires pour relever et organiser ses finances; il semble- 4866.
rait, au contraire, qu'en prévision d'une chute prochaine,
on se préoccupât seulement de diminuer le chiffre énorme
des dépenses occasionnées à la France par l'expédition du
Mexique.
CHAPITRE SIXIÈME.
SOMMAIRE.
Le mar-iclial Bazainc Iransporle son quarlier général à San Luis (juillet 1866).
— Evacuation de Monterey (26 juillet). — Combat de la Noria de Custodio
(8 août). — Mouvement de concentration sur Durango. — Capitulation de
Tampico ( 7 août). — Mesures prises pendant le ministère de MM. Priant et
Osmont. — Opérations dans le Michoacan et l'Etal d'Oajaca. — On arrête
l'embarquement. — Mission du général Castelnau. — Projet d'abdication de
l'empereur Maximilien ; il part pour Orizaba. — Disposition des Américains;
mission Campbell et Sliennan. — Conférences d'Orizaba. — L"empereur Maxi-
milieu se décide à rester au Mexique.
Alarmé par les événements des provinces du Nord-Est et Lemaréciud
par l'importance que la capitulation de Matamoros venait uanspo'rte'^soii
de donner aux progrès des troupes libérales, désireux '"^sTn uûT^
d'ailleurs d'échapper aux ennuis que lui causaient les ré-
clamations et les plaintes du gouvernement mexicain, le
maréchal Bazaine transporta son quartier général à San
LuisPotosi, afin déjuger par lui-même de la gravité de la
situation et se tenir à portée de prêter secours aux colonnes
françaises engagées dans cette partie du pays. 11 se fit ac-
compagner par une brigade mixte sous les ordres du colo-
nel du Preuil, composée de deux escadrons de chasseurs
d'Afrique, du 3* zouaves, et d'une batterie d'artillerie.
606 II* PARTIE. CHAPITRE VI.
<866. Parti de Mexico le 2 juillet, il rejoignit cette colonne à
San Luis de la Paz et arriva le 10 à San Luis. Les nou-
velles qu'il reçut l'engagèrent à continuer son mouvement
vers le nord ; il dépassa Matehuala, visita le Cedral, et,
contournant le massif de Gatorce, il s'arrêta à l'hacienda de
las Bocas, le 4 août.
Les guérillas d'Aureliano Rivera et d'Armenta se tenaient
toujours dans la région de Tula et de Rio Verde, mettant
à contribution les riches districts de Peotillos, de Guadal-
cazar, de San Isidro, etc. La route entre San Luis et Mon-
terey -était complètement coupée ; pour porter une dépêche
au général Douay,'il avait fallu envoyer un escadron entier.
Cette situation décida le maréchal à faire évacuer Mon-
terey par les troupes françaises, projet arrêté depuis long-
temps et ajourné seulement par suite de l'impossibilité
d'y laisser des Belges ou des Mexicains. Les forces libérales,
considéix\blement accrues, menaçaient sérieusement cette
place ; sa garnison eût été exposée à subir un jour ou l'autre
une capitulation désastreuse comme celle de Matamoros.
Les Belges refusaient d'ailleurs d'y rester ; l'évacuation
définitive fut donc résolue. De grandes plaines désertes,
arides, s'étendent entre San Luis et Monterey; pendant
une partie de l'année, le manque d'eau ne permet pas à
une troupe d'y vivre; le maréchal se proposait d'abandon-
ner tout le nord du Mexique et de reconstituer plus en ar-
rière sur la ligne Durango, Matehuala, Tampico, une nou-
velle frontière plus' facile à défendre.
Evacuniioi. Le coloncl Jeauniugros, commandant à Monterey, lit
'(26juiiiet7 sauter un bastion de la citadelle, enleva le matériel, et la
dernière colonne française partit le 20 juillet ; aucun inci-
dent ne troubla l'évacuation. Le général Douay s'était porté
LE 5IARÉCHAL BAZAINE. 607
en avant de Saltillo pour faciliter cette opération et empê- -is^J-
cher l'ennemi d'insulter la retraite. De nombreuses familles
abandonnèrent cette malheureuse ville, jadis florissante,
maintenant ruinée ; cependant l'ennemi la réoccupa sans
se porter aux excès qu'on redoutait ; Escobedo consentit
même, moyennant un arrangement pécuniaire, à rendre au
commerce la plus grande partie du convoi capturé à Ca-
margo. Du reste, pour ramener la prospérité dans le pays,
le rétabhssement des communications entre Matamores et
Monterey devait être beaucoup plus efficace que la pré-
sence d'une garnison impérialiste.
Saltillo fut évacué le 5 août ; les colonnes se replièrent
lentement jusqu'à Matehuala , l'ennemi les suivait à trop
grande distance pour qu'il fût possible de l'atteindre par
un retour offensif. Cependant, le 14 août, cinq cents cava-
liers s'étant avancés jusqu'au Cedral, un petit détachement
français sortit rapidement de Matehuala, les surprit pen-
dant la nuit et leur tua une cinquantaine d'hommes.
Le maréchal, après avoir donné les ordres d'ensemble,
revint à petites journées vers San Luis. Le 6 août, il était
à l'hacienda de Peotillos ; la marche d'un corps ennemi
ayant été signalée, de Rio Verde vers Paso San Antonio,
il fit partir deux colonnes sous les ordres du colonel du
Preuil, l'une composée de deux escadrons de chasseurs
d'Afrique et de deux compagnies de zouaves montés, l'autre
de cinq compagnies de zouaves et de deux pièces.
Le 8 août, à 9 heures du matin, après une marche de combat
delà
nuit, les chasseurs d'Afrique débouchèrent à l'improvists NmadeCustodio
dans la plaine de Custodio, à quatre kilomètres de l'ha-
cienda ; ils arrivèrent au galop dans les enclos sans laisser
à l'ennemi le temps de se reconnaître, et sabrèrent tout ce
qui se trouva devant eux. Cent quatre-vingt-cinq hommes
608 n^ PARTIE. CHAl'ITRE VI.
.i«66. furent tués, le reste s'enfuit en désordre en abandonnant
deux cents chevaux.
Le colonel du Preuil étant revenu à Peotillos, le 11
août, le maréchal partit deux jours après pour rentrer à
Mexico. Il prescrivit de faire occuper Matehuala par le ré-
giment belge et de replier plus en arrière les troupes fran-
çaises. Cet ordre parvint au général Douay lorsque les
Belges étaient déjà arrivés au Venado ; il voulut les faire
rétroo-rader, mais dix-huit officiers et deux médecins refu-
sèrent d'exécuter ce mouvement et quittèrent leur troupe.
On fut donc obligé de laisser à Matehuala le bataillon
d'infanterie légère d'Afrique et les contingents mexicains
de Quiroga et de Campos qui, ne recevant plus de solde
depuis longtemps, étaient entretenus à l'aide de contribu-
tions de guerre. Matehuala se trouva bientôt menacé par
un corps de quatorze cents hommes qui formait l'avant-
garde d'Escobedo.
Revenant encore à ses premières idées , le maréchal
pensa en faire renforcer la garnison par le régiment belge ;
mais le lieutenant-colonel Van der Smissen ne consentit
pas à se mettre sous les ordres d'un chef de bataillon fran-
çais ; le plus ancien capitaine, à qui le commandement fut
offert, refusa de môme (') ; on pouvait craindre des compli-
cations graves, si l'on venait à introduire dans cette troupe
des ofliciers français ; aussi, sur le désir exprimé par l'em-
pereur Maximilien, le régiment belge fut renvoyé à Que-
retaro.
D'ailleurs, la désunion s'élant mise entre les libéraux,
la position de Matehuala fut moins exposée. Cinq cents
hommes s'étaient prononcés, disait-on, en faveur d'Ortega,
(I) Le g.hicral Douay au maréclial, 15 août.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 609
les mouvements de l'ennemi perdirent de leur assu- 'I^gg,
rance. Le général Douay resta au Venado, à portée de
secourir Matehuala ; la légion étrangère, qui devait être
réorganisée, continua son mouvement rétrograde jusqu'à
Queretaro.
Le maréchal avait prévenu le général de Gastagny des , Mouvement
^ ^ ° "^ de concenlralioii
dispositions nouvelles du gouvernement français et de la sur Durango.
nécessité de se préparer à une concentration immédiate, si
l'empereur Maximilien refusait d'accepter les conditions
qui devaient lui être posées, O'j progressive, si l'évacuation
avait lieu à moins bref délai. Dans tous les cas, la ligne de
Rio de Nazas devait être abandonnée. A la fin de juillet,
les troupes, qui se trouvaient encore au nord de Durango,
se replièrent donc sur cette place ; le général de Gastagny
en partit lui-même le 5 août et transporta son quartier
général à Léon. Il ne fut laissé à Durango qu'un bataillon
(lu 7^ de ligne, un escadron, urxC section d'artillerie, et le
bataillon de cazadores de Durango, sous les ordres du
colonel Gottret (^).
Tandis que le général de Gastagny se repliait en éche-
lonnant ses troupes à Zacatecas, à Aguascalientes et à Léon,
le colonel Gottret faisait quelques sorties pour empêcher les
libéraux de serrer Durango de trop près. Le 6 septembre,
un corps ennemi fut surpris à Porfias et perdit quarante-
cinq tués et alitant de blessés.
Durango était bien armé, bien fortifié, et la garnison
française pouvait s'y maintenir sans inquiétude; mais les
bandes libérales occupaient tous les environs, Inde, El
(') Ce bataillon de cazadores était un des mieux organisés du Mexique , grâce au
concours des habitants de cette grande ville, qui n'avaient jamais hésite à s'impose^
los sacriûces nécessaires pour solder et entretenir les troupes chargées de les protéger.
39
610 11^ PARTIE. CHAPITRE VI.
t866, Oro, San Juan del Rio, Cuencamé, Porfias, San Miguel et
"* San Juan Mesquital, Nieves, Carrizal. Au même moment,
des incursions d'Indiens Apaches avaient lieu jusque dans
la sierra voisine, et il fallut lancer les gardes rurales à leur
poursuite. Vers la fin de septembre, les guérillas, dont les
chefs avaient été en dissentiment, se réunirent de nouveau
au nombre de 4 à 5,000 hommes, dans les environs de San
Juan Mesquital, et tentèrent de couper les communica-
tions entre Durango et Fresnillo. Le colonel Cottret s'op-
posa à leur projet en se portant à Sombrerete ; puis il revint
à Durango le 18 octobre, pour faire ses préparatifs de dé-
part. Les troupes françaises quittèrent cette ville le 13 no-
vembre ; trois jours après, la garnison mexicaine se repliait
ésralement. Les libéraux en prirent possession, le 17, et lui
imposèrent une contribution de guerre de deux cent mille
piastres.
Le i26 août, le maréchal Bazaine était revenu à Mexico,
où la gravité des circonstances rendait sa présence néces-
saire. Les mouvements de retraite des troupes françaises
augmentaient l'audace de l'ennemi ; chaque jour était mar-
qué par la perte d'une ville , et l'empereur Maximilien ne
dissimulait pas son irritation.
caviiuiaiion Tampico Venait également de capituler. Depuis la prise
.le Tampico ^ ^ ,, » T- t.-
(7aoûi). de Tula de Tamaulipas par les troupes d Aureliano Rivera
(7 juin 1866), la garnison de Tampico avait été bloquée du
côté de la terre. Toutes les routes de l'intérieur étant cou-
pées, on avait dû se borner à la défense de l'enceinte et à
l'occupation de quelques postes avancés. L'insurrection de
la Huasteca, des soulèvements qui éclatèrent à Ozuluoma
et à Tantima, la destruction de Panuco (2 juillet) ache-
LE MARÉCHAL BAZAINE. 611
vèrent de l'isoler complètement. La garnison se composait \sm.
d'une compagnie de contre-guérilla de deux cents hommes,
commandée par le capitaine Langlois, et de cinq cents
Mexicains. Le l*^"" août, la place fut attaquée par 2,500
hommes, sous les ordres du général Pavon ; presque aussi-
tôt les Mexicains, qui gardaient le fort Iturbide , tirent
défection ; le fort fut livré, la ville envahie, et dix hommes
de la contre-guérilla furent tués. Les désertions continuè-
rent dans les troupes auxiUaires ; le 4 août, il ne restait
que cent vingt Mexicains fidèles, enfermés avec la contre-
guérilla dans le fort de Gasamata et dans la caserne de
rOctavo ; les défenseurs repoussèrent les sommations de
l'ennemi. Le 7 août, ils furent secourus par deux canon-
nières de l'escadre française ; mais, s'étant rendu compte
de la position désespérée de la garnison, qui manquait de
vivres et de munitions, impuissant à lui porter un secours
efficace, l'officier, commandant les canonnières, donna
l'ordre à M. Langlois d'accepter la capitulation, que le gé-
néral Pavon offrait aussi honorable que possible. La gar-
nison sortit Ubrement avec armes et bagages, deux obusiers
de 12, et reçut les honneurs militaires de la troupe enne-
mie. Le général Pavon montra une grande courtoisie dans
cette négociation et ménagea la ville. Le consul de France
put rester sans être inquiété, et le commerce n'eut qu'à
se féliciter de cette solution qui, en rouvrant les commu-
nications avec l'intérieur, lui offrait la perspective de gros
bénéfices. Seul, le préfet politique de Tampico avait été
victime d'une vengeance particulière, et pendu, sans que
le général Pavon en eût connaissance, avant la capitulation
du fort Gasamata. Les pertes de la contre-guérilla s'éle-
vaient à treize tués et six blessés.
La prise de Tampico eut un retentissement plus fâcheux
612 11^ PARTIE. — CHAPITRE VI.
4866. encore que celle de Malamoros. L'empereur Maximiîien
voulait que le maréchal reprît immédiatement la ville.
Dans son mécontentement, il regardait ce nouveau mal-
heur comme la conséquence des mesures de concentra-
tion ordonnées dans le Nord ; il en écrivit très-durement
au maréchal.
Chapultepcc, 4 août 1868.
« Mon cher maréchal, la prise de la ville de Tampico par les dis-
sidents, révacuation de Monterey par vos ordres, m'apprennent
que les résultats de votre campagne dans le Nord auront pour mon
pays les plus graves conséquences.
« Je désire donc, h titre de souverain, être instruit du plan que
vous vous proposez de suivre dans vos opérations, afin que je tente
de sauver, s'il est possible, les adhérents à l'Empire dans les pro-
vinces non pacifiées que vous voulez abandonner; mon honneur
exige que je n'oublie pas ce soin.
« Sans la connaissance de la ligne de conduite que vous avez
adoptée, je suis, comme vous le comprendrez aisément, dans l'im-
possibilité de prévenir au moins les malheureux fonctionnaires qui
se sont sacrifiés pour notre cause.
« Pvecevez les assurances de ma bienveillance.
« Maximilien. »
Le maréchal répondit de Peotillos le 12 août :
« En associant le fait de la prise de Tampico par les dissi-
dents à l'évacuation de Monterey par mes ordres. Votre Majesté
semble vouloir m'imputer la responsabilité de ces deux faits. Je
croyais avoir suffisamment exposé à Votre Majesté, par mes deux
lettres du 11 et du 20 juillet, la situation du Nuevo-Leon et du Goa-
huila, pour que la nécessité de l'évacuation de Monterey après la des-
truction des troupes du général Mejia et la capitulation de Mata-
moros, dans les conditions morales où se trouvait la légion belge,
fût reconnue, non-seulement au point de vue politique, mais sur-
tout au point de vue militaire
LE MARÉCHAL BAZAINE. 613
« Quant à la prise de Tampico par les dissidents, j'aurai l'hon- 1866.
neur de rappeler respectueusement à l'Empereur, qu'avant d'en- —
treprendre ce qu'il veut bien appeler ma campagne dans le Nord,
au moment oii les débris des troupes du général Mejia arrivaient à
Vera-Gruz, j'ai demandé l'envoi à Tampico de M. le général Olvera
avec ce qui restait de sa brigade. Les instances du général Mejia
auront vraisemblablement fait modifier la première décision de
Votre Majesté qui était favorable au mouvement projeté, car la bri-
gade Olvera ne s'est point rendue à Tampico Le général Mejia
se plaignait que ses soldats fussent exposés au danger de la fièvre
jaune à Tampico. Un faible détachement de la contre-guérilla, le
seul dont je pusse disposer, fut alors embarqué à Vera-Gruz sans
compter avec les rigueurs du climat, qui nous a coûté un bataillon
l'année dernière.
Votre Majesté m'exprime le désir d'être instruit du plan que je
me propose de suivre dans mes opérations; si Votre Majesté eût
daigné me recevoir lorsque, la veille de mon départ de Mexico, je
sollicitai l'honneur de prendre congé d'EUe, je lui eusse exposé
mes projets, qui consistaient simplement à reconnaître de mes
propres yeux l'effet produit dans le nord de l'Empire par les événe-
ments de Matamores, à m'assurer de l'exactitude des rapports qui
m'étaient adressés sur le peu de confiance que Ton devait avoir
dans les principaux fonctionnaires, et sur l'esprit généralement
hostile des populations de ces contrées.
« C'est après avoir constaté toutes ces vérités, etbeaucoup d'autres
encore, que, m'appuyant sur les rapports des généraux Douay et
Jeanningros, j'ai reconnu l'impossibilité de conserver pour le mo-
ment des points avancés qui ne pouvaient être qu'une source de
dangers et de dépenses continuelles.
J'ai pris, en en rendant compte à Votre Majesté, le parti que je
persiste à croire sage, d'ordonner l'évacuation de Monterey et de
Saltillo, afin d'établir en arrière une ligne forte, facile à garder, et
séparée de la première par un véritable désert où, alliés comme
ennemis, ne peuvent compter sur aucune ressource. Mon opinion
était, et est encore, qu'il est préférable de développer son influence
dans l'intérieur en concentrant ses moyens d'action dans une zone
déterminée, que de s'user aux extrémités soumises aux influences
de la frontière.
« Votre Majesté provoque des explications, je les lui donnerai
sincères.
« L'abandon absolu dans lequel les anciens ministres de l'Em-
pire ont laissé le général Mejia h Matamoros a détermine la capitu-
614 II* PARTIE. CHAPITRE VI.
4866. latioii de cette place; la triste situation qui est faite au général
— Monténégro à Acapulco, malgré mes nombreuses réclamations,mal-
gré les promesses toujours faites et jamais tenues, entraînera, je
n'en cloute pas, un jour ou l'autre ou la défection de cette troupe
qui a donné des preuves réelles d'abnégation et de dévouement ou
la capitulation de la place »
Le maréchal prévenait ensuite l'Empereur qu'il serait
forcé de retirer prochainement les garnisons françaises de
Guaymas et de Mazatlan.
En France, la perte de Tampico parut particulièrement
regrettable, parce que, d'après la convention du 30 juillet,
les douanes de ce port devaient servir de garantie aux
créances françaises. L'ordre fut donné au maréchal de faire
tout son possible pour réoccuper la ville , mais il fallait
opérer un débarquement de vive force en présence de
troupes plus solides que celles auxquelles on avait eu
affaire précédemment, et dans cette saison le passage de la
barre et les tempêtes du Norte rendaient une pareille opéra-
tion très-dangereuse. Le maréchal pensait avec raison que
les résultats de cette réoccupation seraient peu importants;
l'ennemi bloquerait îa ville; le commerce serait suspendu
et le revenu des douanes nul. Enfin ce projet d'expédition,
retardé de jour en jour, finit par être abandonné en présence
des graves complications au milieu desquelles l'armée
française exécutait sa retraite.
La capitulation de Tuxpan suivit de près celle de Tam-
pico. Le 20 septembre, la garnison en fut ramenée à Vera-
Cruz par un bâtiment de la marine française.
Des bandes libérales avaient paru dans la vallée de
Mexico et enlevé des courriers; à Mexico même, on dé-
couvrit des menées secrètes contre l'Empire ; des arres-
tations furent faites, et dix-huit personnes déportées au
LE MARÉCHAL BAZAINE. GlO
Yucatan (16 juillet;; l'archevêque était compromis; on si- ■«seii,
gnalait de nombreuses désertions dans les troupes. Les
partisans de Santa Anna se remuaient toujours beaucoup ;
ils paraissaient au mieux avec les Américains. Des bâtiments
de guerre venaient sans cesse à Saint-Thomas, dont les
Etats-Unis voulaient faire l'acquisition ; M. Seward lui-
même s'était rendu dans l'île ; il avait vu l'ancien dicta-
teur, et la visite de ce dernier à bord de la frégate améri-
caine avait été saluée de vingt et un coups de canon (').
L'empereur Maximilien finit par mettre sous séquestre les
biens de Santa Anna C^).
Dans l'Etat de Guanajuato, jusqu'alors si paisible, un
pronunciamiento avait eu lieu ; le général Antilion, ancien
lieutenant de Doblado, y organisait des guérillas. Dans
l'extrême Ouest, Lozada, que le gouvernement mexicain
avait toujours traité avec quelque dédain, paraissait com-
plètement désaffectionné et prêt à abandonner l'Empire.
L'organisation de l'armée mexicaine ne marchait pas ; les
expédients employés par le ministre des finances permet-
taient à peine de vivre au jour le jour, et les caisses pu-
bliques restaient vides. Sans argent, on ne pouvait avoir
de soldats ; sans soldats, il était impossible de faire rentrer
les impôts; on ne sortait pas de ce cercle vicieux. Beaucoup
de fonctionnaires, en prévision de la chute de l'Empire,
cherchaient à ménager leur position à l'égard des libéraux ;
chacun prenait ses précautions. L'Empereur était seul à
espérer un résultat favorable du voyage de l'impératrice
Charlotte.
M. l'intendant Priant, le nouveau ministre des finances,
(1) Le maréchal au ministre, 9 mai.
(2) Décret dn iii juillet.
616 II* PARTIE. CHAPITRE VI.
'866. s'était mis à l'œuvre; il avait cherché à rétablir l'ordre et
Mesures à simplifier les rouages administratifs de façon à faire arri-'
prises pendant • i i • i i-
le ministère vcr, lusQue dans Ics caisscs centrales, les revenus publics,
de MM. Priant '' ^ ' • r.
et osmont. trop souvent absorbés avant d'avoir pu y parvenir. Pour
réussir, il demandait parfois aux fonctionnaires de l'inten-
dance une collaboration à laquelle les services financiers
de l'Empire eussent certainement beaucoup gagné; mais
l'administration de l'armée française allait ainsi se superpo-
sera l'administration mexicaine, et le maréchal s'y opposait.
A défaut de fonctionnaires militaires, et au grand déplaisir
du maréchal, M. Priant employa des Français venus au
Mexique pour chercher fortune ; le maréchal se plaignait
de voir «. tant de noms français dans l'administration mexi-
caine». Toutefois, pour remplir le trésor, l'ordre seul ne
suffisait pas, il fallait créer des revenus; M. Priant s'efforça
de faire rentrer quelques anciennes créances oubHées ; puis
il proposa d'établir un impôt de 15 p. ^/o sur les prix
d'achat de toutes les anciennes propriétés ecclésiastiques,
qu'elles eussent été ou non régulièrement adjugées. Cette
mesure, contraire aux promesses faites par le maréchal
Forey, renouvelées par l'Empereur, et qui assimilait les
propriétés légalement acquises à celles frauduleusement
possédées, souleva un grand mécontentement, surtout chez
les résidents étrangers entre les mains desquels se trou-
vaient une grande partie de ces biens. Les représentants
des puissances étrangères s'en émurent. Des protestations
furent adressées au ministre de France et au maréchal, et
l'impôt ne put jamais être perçu.
Désireux d'accroître les ressources du trésor, M. l'inten-
dant Priant chercha d'autre part à en diminuer les charges ;
il se vit bientôt alors en présence des intérêts français. Il
trouvait injuste de faire payer sur les finances mexicaines
LE MARÉCHAL BAZALNE. 617
des sommes réclamées par le payeur en chef de l'armée
pour dépenses relatives aux bataillons de cazadores et pour
le transport des dépêches de l'armée française ; il lui
fut dès ce moment très-difficile de concilier ses fonctions
d'intendant en chef avec celles de ministre du gouverne-
ment mexicain. En outre, comme il émettait des traites sur
les douanes de Vera-Cruz , hypothéquées en faveur de la
France par la convention du 30 juillet, il provoqua des ré-
clamations de M. de Maintenant, inspecteur général des
finances, chef des services financiers français O.
Il avait été également impossible au général Osmont,
d'obtenir quelque résultat important au sujet de la réor-
ganisation militaire. Le maréchal se montrait mal disposé
à son égard. Ses attributions complexes comme chef d'état-
major et ministre de la guerre mexicain étaient difficiles
à distinguer ; aussi lui était-il arrivé de donner des ordres
à des officiers français au sujet d'affaires purement mexi-
caines. Le maréchal, en étant informé, prescrivit aux offi-
ciers de ne pas s'y conformer, et de « renvoyer, sans en
accuser réception, toute dépêche émanée du ministère de
la guerre mexicain, quelle que fût la signature placée au
bas C^) » .
Ces tracasseries de détail, dont les conséquences pou-
vaient devenir graves, ne permettaient pas aux officiers
français de conserver des fonctions dans le gouvernement
mexicain. D'ailleurs l'empereur Maximilien, après avoir
cherché en vain ses appuis, d'abord auprès du parti libéral,
ensuite près du parti de l'alliance française, se jetait main-
tenant dans les bras du parti clérical, qu'il avait jusqu'alors
(*) M. de Maintenant à M. l'intendant Friant, 9 septembre.
^2) Le maréchal au général Douay, 6 septembre 186G.
1866.
618 11" PARTIE. CHAPITRE VI.
■iSGc. tenu éloigné des affaires. Le 14 septembre, il forma un
nouveau cabinet sous la présidence de M. Lares, ami et
agent de l'archevêque de Mexico. A la suite de cette im-
portante modification politique, une grande manifestation
eut lieu; deux cents personnes notables se rendirent au
palais de Chapultepec pour remercier l'Empereur et lui
donner r'a>^surance d'un concours dévoué O. Vers cette
époque, l'abbé Fischer, envoyé en mission à Rome, revenait
avec les bases d'un concordat, et l'on espérait régler la
question des biens ecclésiastiques moyennant un paie-
ment de 10 pour cent de leur valeur au clergé dépos-
sédé (•-).
Comme pour indiquer nettement le programme qu'il se
proposait de suivre, la première mesure du nouveau ca-
binet, mesure de détail, mais significative, fut d'enlever
l'administration des cimetières aux ayuntamientos et de la
remettre aux mains du clergé.
Le maréchal Bazaine donna l'ordre aux deux ministres
français d'opter d'une manière définitive entre leurs porte-
feuilles ou leurs emplois dans le corps expéditionnaire ;
malgré les instances très-vives de l'Empereur et de l'arche-
vêque de Mexico, le maréchal ayant maintenu cette déci-
sion, ils donnèrent leur démission de ministre (^).
Il était douteux que l'appui des conservateurs cléricaux
pût relever la situation désespérée de l'Empire. Le prestige
(1) Rapport au ministre, 20 septembre.
(2) Le maréch il au ministre, 27 septembre.
<5) « Je le regrette, écrivait M. l'intendant Priant au ministre de la guerre,
à Paris, car nous no pouvons plus espérer le remboursement, qui était ma prin-
cipale préoccupation, des sommes dues à votre ministère.
« J'étais d'autant plus fondé à avoir celte espérance que, sans subvention,
seulement avec l'impùl dos contributions indirectes et dans les deux mois les plus
mauvais de l'année, j'avais pourvu jus(|u':i ce jour ;'i tous les besoins do l'État. »
— M. l'intendant Priant au ministre de la guerre, 15 septembre.
LE MARÉCHAL BAZAINE. Gl9
personnel de l'Empereur paraissait même perdu; beaucoup ism
d'hommes influents du parti fédéraliste , ralliés momen-
tanément, restaient encore inactifs; mais ils déclaraient
hautement qu'aussitôt l'armée française partie, ils soulè-
veraient le pays. L'effectif des troupes impériales mexi-
caines diminuait chaque jour, tandis que les bandes
libérales, partout en mouvement, formaient depuis les
terres chaudes de Vera-Cruz par la Huasteca, le Tamau-
lipas, la Laguna, et la Sierra Morones au nord ; par l'Etat
d'Oajaca, le Guerrero, et le Michoacan au sud, un cercle de
fer qui se rétrécissait chaque jour et au centre duquel
l'Empire devait inévitablement périr étouffé.
Les troupes françaises gardaient, la plupart du temps,
un rôle passif et se bornaient à faire respecter les positions
qu'elles conservaient encore ; cependant, au commence-
ment de l'année 1866, avant l'arrivée des instructions qui
ordonnaient le rapatriement du corps expéditionnaire, elles
avaient entrepris quelques expéditions dans le Tamaulipas.
II en avait été de même au sud de la province de Michoa-
can, où les chefs libéraux étaient non moins entreprenants.
Le combat de Santa Ana Amatlan (12 octobre 1805), à Opérations
la suite duquel les généraux républicains Arteaga et Salazar le Michoacan
furent passés par les armes, n'avait été qu'un épisode de rRtat d'Oajaca.
l'interminable campagne qui se poursiùvait dans cette
province. Très-peu de temps après. Régules, à la tête de
plusieurs milliers d'hommes, était entré dans les districts
d'Acambaro et de Maravatio, et s'était avancé jusqu'à Te-
mascaltepec, au sud de Toluca ("26 décembre 1865), pour
se mettre en relations avec Porfirio Diaz, qui opérait dans
l'État d'Oajaca. Il revint ensuite dans le Michoacan et fit
une pointe vers la Piedad .
620 II* PARTIE. CHAPITRE VI.
<866, Le général Aymard se trouvait à cetle époque du côté
de Léon avec le ^[^ de ligne; il envoya aussitôt quatre
compagnies garder les passages du Rio de Lerma à la
Piedad, et le général Mendez (^), s'étant mis à la poursuite
de l'ennemi, l'atteignit le 21 janvier 1866, à Tacambaro,
et le 28 , à la Palma. Il livra un sanglant combat à un
corps de 2,500 hommes et lui fit sept cents prisonniers.
Le 20 février, il rencontrait de nouveau, près d'Urua-
pan, l'ennemi fort de trois mille hommes et l'attaquait
avec un millier de fantassins et cinq cents cavahers. Il
eut cent cinquante hommes hors de combat ; les libé-
raux perdirent (suivant le rapport de Mendezj trois cents
prisonniers et deux cents morts ; ils se retirèrent en
bon ordre sur Reyes et sur Tacambaro, après avoir laissé
une garnison dans Uruapan. Régules marcha de nou-
veau sur la Piedad, et passa le Rio de Lerma au gué de
la Concepcion (11 mars); à l'approche d'une colonne
française, sous les ordres du général Aymard, il rétro-
grada rapidement; néanmoins, dans la nuit du 17 au 18
mars, il se laissa surprendre à Tenguecho près de Zamora.
Le général Aymard, avec cinq compagnies et un escadron,
ayant pu dissimuler son mouvement, tomba sur le campe-
ment ennemi, enleva neuf cents chevaux, huit cents armes,
trois drapeaux. Les libéraux s'enfuirent dans toutes les
directions ; ils perdirent vingt-sept prisonniers et vingt-
six morts. La colonne française eut seulement deux hommes
blessés. Le général Aymard, après avoir ramené ses prises
à Zamora, marcha sur Uruapan, où il entra sans coup fé-
rir ; il y laissa provisoirement une garnison française, puis
revint à petites journées sur la Piedad et sur Lagos.
(•) Le colonel Mcndca avait clé noniiné général à la suite du combat de Sanlu
Ana Amatlan.
LE MARÉCHAL BAZALNE. 621
Régules, complètement désorganisé, s'enfonça dans le isec.
Sud pour s'y refaire ; le maréchal prescrivit au général
Mendez de continuer la poursuite à outrance ; il le fit sou-
tenir par une colonne, sous les ordres du général Clin-
chant, qui se porta de Queretaro à Patzcuaro, et par le
bataillon de tirailleurs algériens qui fut envoyé de Mexico
sur Zitacuaro et Tusantlan. En même temps, des troupes
mexicaines devaient garderMes routes de l'Etat de Jalisco,
vers Zamora, los Reyes, Tancitaro, Goalcoman, tandis que,
dans le Guerrero, une autre colonne s'avancerait de ïelo-
loapan sur Huetamo.
Le général Mendez, parti de Morelia le 8 avril, se porta
sur San Pedro Jorullo, où se trouvait Régules avec deux
cents officiers et quatre cents hommes. Régules se replia
sur Huetamo, mais Mendez craignit de le suivre sur sa route
de retraite, en traversant cinquante lieues d'un pays sans
ressources. Il remonta vers Ario, prit la route de Tacam-
baro, et, le 25 avril, il entrait sans résistance à Huetamo.
Régules avait déjà passé le Rio de las Ralzas et disséminé
ses forces. Mendez n'avait plus qu'à rétrograder, et les co-
lonnes françaises se replièrent également (*).
Les mois de mai et de juin se passèrent en marches et
contre-marches ; enfin, la saison des pluies fit rentrer la
plupart des guérillas chez eux. Régules seul était infati-
gable ; dès le 27 mai, on le retrouve à Zitacuaro, il on
chasse la garnison mexicaine qui avait remplacé les tirail-
leurs algériens, et rase cette malheureuse bourgade dont
le sort était d'être sans cesse prise, reprise, et brùîée par
les uns et les autres. Il marclie ensuite sur Toluca ; son
avant-garde s'avance jusqu'à Ixtlahuaca (lo juillet), et ne
'•) Le maréchal au ministro. 2S avril, !) mai.
622 II" PARTIE. CHAPITRE VI.
1866. bat en retraite que devant des détachements français en-
voyés contre elle.
En rentrant dans l'Etat de Guanajuato, le général Ay-
mard avait dû s'occuper de dégager la région comprise
entre le Rio de Lerma et Léon. De nombreuses guérillas
s'y montraient et attaquaient fréquemment les petits postes
franco-mexicains. Le général Aymard. les poursuivit ; le
15 mai;, il atteignit, à Frias, 490 cavaliers, commandés par
Torres, les battit complètement, et leur mit cent cinquante
hommes hors de combat ; le 10 juin, l'ennemi fut encore
battu à l'hacienda Colorado par le commandant Lalanne.
La saison des pluies étant fort avancée, les bandes se dis-
persèrent. Peu de temps après, le général Aymard revint
à Mexico, par la route de Gelaya, Acambaro, Maravatio.
Il allégea ses troupes, fît une pointe rapide sur Zitacuaro
(10 août), rejeta l'ennemi surLaureles, et continua sa route.
Régules revint aussitôt et le suivit à trois ou quatre jour-
nées de distance. Le :^5 août, il était de nouveau à Ixtla-
huaca, avec deux mille hommes. Il fallut en toute hâte
envo^^er, de Mexico à Toluca, un renfort de deux compa-
gnies françaises et de quatre cents Mexicains, pour empê-
cher l'ennemi de s'emparer de cette ville.
C'est à cette époque que l'empereur Maximilien deman-
dait au maréchal si l'armée française laisserait envahir tout
le territoire, et qu'il réclamait l'envoi, dans le Michoacan,
d'une forte colonne française, pour en « terminer » la pa-
cification. Mais comment pacifier un pays où les libéraux
étaient sûrs de trouver dans chaque maison un abri, dans
chaque habitant un ami? La rapidité étonnante avec laquelle
Régules reformait des corps de plusieurs milliersd'hommes,
lorsque la veille on le croyait épuisé, anéanti, donne l'idée
des ressources que lui offraient ces provinces. Les repro-
LE MARÉCHAL BAZALNE. 623
ches que l'empereur Maximilien adressait si amèrement <86tj.
au maréchal Bazaine, au sujet des insurrections continuelles
du Michoacan, prouvent qu'il no se rendait aucun compte
de l'esprit véritable du pays et de l'impossibilité de jamais
réduire un ennemi ainsi organisé.
Il y avait lieu de se féliciter que des difficultés diverses
eussent empêché les bandes libérales, disséminées dans
les Etats de Michoacan, de Guerrero , et d'Oajaca, de se
concentrer et de combiner leurs efforls; la situation des
troupes impérialistes, dans ces provinces, y fût devenue
très-périlleuse. Au commencement de l'année 1866, Por-
firio Diaz, qui avait repris le commandement des forces
républicaines de l'Etat d'Oajaca, ne disposait encore que
de quelques centaines d'hommes, avec lesquels il essaya
d'inquiéter les communications entre Puebla et Oajaca ;
des colonnes légères suffirent pour le forcer à se retirer du
côté de Jamiltepec. Un renfort de quatre cents hommes
et trois canons , qu'Alvarez lui envoya du Guerrero , lui
permit de reprendre l'offensive ; il enleva Jamiltepec aux
impérialistes (28 mars), et conserva cette ville pendant
quelques semaines. Le 11 mai, l'autorité de l'Empereur y
fut rétablie, et, en dépit des dissentiments qui existaient
entre les fonctionnaires civils et les officiers autrichiens,
la situation générale de la province d'Oajaca pouvait
néanmoins paraître assez satisfaisante; malheureusement
ces rivalités s'accusèrent de plus en plus, les officiers au-
trichiens refusaient de recevoir des ordres du préfet poli-
tique; ils prétendaient au contraire en donner aux troupes
mexicaines. Le préfet réclamait sa liberté d'action, et les
tiraillements, compliqués par le manque d'argent, rendirent
impossible toute action militaire sérieuse.
Porfirio Diaz sut en profiler; au mois d'août, il était avec
624 11^ PARTIE. CHAPITRE VI.
4866. douze cents hommes dans la vallée d'Oajaca, et s'emparait
deTeotitlan ; il échoua devant Huajuapan (4 septembre), se
retira d'abord sur Tlajiaco, puis dans la Sierra, pour évi-
ter une colonne autrichienne envoyée contre lui. D'un
autre côté, les guérillas de Figueroa et d'El Ghato avaient
de fréquents engagements avec les détachements autri-
chiens.
Dans le Guerrero, Alvarez était toujours le maître in-
contesté du pays. Tl fallait l'énergie peu ordinaire du géné-
ral mexicain Monténégro pour que la garnison impérialiste
pût se maintenir dans le port d'Acapulco. L'ennemi la
bloquait étroitement ; sur un effectif qui s'élevait environ
à 750 hommes au 1*^' août, elle avait perdu 260 hommes
par les maladies et 170 déserteurs; il ne restait pas trois
cents hommes valides, et le général Monténégro, sans solde,
sans vivres, continuait cependant à se défendre dans le
fort et dans les rues adjacentes. Un bâtiment de la marine
française, alors sur rade, lui procurait quelques vivres,
des munitions, et lui prêtait le concours de ses canots et
de ses marins. Le maréchal avait, à plusieurs reprises, or-
donné l'envoi de renforts à cette garnison décimée. Un
détachement mexicain devait partir de Manzanillo, un
autre, de Jamiltepec et s'embarquer à Pochutla ; ni l'un ni
l'autre ne se trouvèrent au port d'embarquement lorsque
les navires de l'escadre s'y présentèrent ; Acapulco fut
laissé à ses propres forces.
Gependant le maréchal, pour se conformer aux ordres
de son gouvernement, faisait acheminer vers la côte les
troupes désignées pour partir dans les derniers mois de
1860. C'étaient le l'^ bataillon de chasseurs à pied, le 51^,
le 81*^ de ligne, deux escadrons de cavalerie, une batterie.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 62S
une compagnie du génie, etc. Un grand nombre d'hommes 1866.
ayant été versés dans les autres corps pour en élever l'ef-
fectif, ou étant passés aux bataillons de cazadores, le chiffre
total de ces troupes ne dépassait pas 2,500 hommes ; mais
on rapatriait en outre 2,600 libérables.
Le maréchal avait reçu, au mois d'avril précédent, l'invi-
tation de rentrer avec ce premier échelon et de remettre le
commandement au général Douay. Les circonstances étaient
si difficiles que ce changement dans la direction des opé-
rations militaires pouvait avoir des inconvénients. D'ail-
leurs, le général Douay désapprouvait l'évacuation par
échelons, et déclarait renoncer à l'honneur du commande-
ment en chef, plutôt que d'assumer la responsabilité d'un
plan d'opérations qu'il trouvait mauvais. Tout le poids de
la situation militaire et politique reposait donc sur le maré-
chal ; et, quoique l'empereur Napoléon se fût laissé influen-
cer quelquefois par les accusations portées contre lui, plus le
moment critique approchait, plus on sentait la nécessité
de laisser jusqu'à la fm le commandement entre ses mains.
Le maréchal Piandon, ministre de la guerre, lui écrivit, le
15 août, que « le Gouvernement regardait comme très-im-
portant qu'il dirigeât les mouvements de l'armée aussi long-
temps que les circonstances le commanderaient, et que son
opinion personnelle tout entière était qu'il ne devait quitter le
Mexique qu'avec la dernière colonne. » Le maréchal répondit
qu'il resterait « jusqu'au dernier soldat » (^), et qu'il saurait
ramener ses troupes sans que l'honneur du drapeau reçût
la moindre atteinte.
Une telle marque de confiance, un pareil encouragement,
désaveu des méfiances antérieures, étaient précieux pour le
(•) Dépêche télégrapliique du lii septembre.
40
626 II* PARTIE. — CHAPITRE VI.
>i866. maréchal dans un moment où il avait à lutter, non-seule-
~" ment contre les difficultés de la situation politique, contre
les embarras que lui causait le gouvernement mexicain,
mais encore contre un certain mécontentement qui se
laissait voir dans l'armée. Beaucoup d'officiers s'étaient
créé des sympathies dans les provinces et les villes qu'ils
protégeaient depuis longtemps ; ils éprouvaient un sen-
timent pénible en voyant perdu le fruit de tant de travaux,
de tant de fatigues, et les chefs de bande, autrefois traqués
et fugitifs, revenus en maîtres avant même que fût effacée
la trace des pas de nos soldats. Les populations des villes
étaient paralysées de terreur en apprenant le départ des
garnisons françaises ; les familles fuyaient en masse der-
rière les colonnes d'évacuation ; et trop souvent les ban-
dits, qui couraient aux avant-gardes des troupes à peu près
régulières de l'armée libérale, se portaient à de cruelles
vengeances contre les courageux citoyens restés à leur
poste. Il était fort triste de battre en retraite dans de
telles conditions.
Durs à la fatigue, intrépides au feu, pleins d'initiative
et d'intelligence, nos soldats avaient donné les preuves des
plus brillantes vertus militaires en mille combats dont la
plupart resteront inconnus, parce que leur multiplicité
même empêche l'histoire de les enregistrer tous. Dans
aucune armée, on ne trouva jamais des éléments supé-
rieurs à ceux qui composaient le corps expéditionnaire du
Mexique ; mais, trop confiantes en elles-mêmes, les troupes
ne sentaient plus la nécessité d'être resserrées par les liens
étroits de l'obéissance hiérarchique. Le maréchal se plai-
gnait des tendances à la critique qui se manifestaient dans
leurs rangs (^).
(>) Lomardchnl au ministre, 27 septembre.
LE MARECHAL BAZAINE.
627
Le 81^ de ligne était arrivé à Vera-Cruz, le 26 sep-
tembre, pour s'embarquer ; mais les déterminations du
gouvernement français se modifièrent soudainement et,
par une dépêche transmise par le câble transatlantique,
l'ordre fut donné de suspendre tout embarquement par-
tiel (^). Un coup de vent de nord avait empêché l'embar-
quement du 81*^' de ligne ; ce régiment rétrograda, et le
mouvement des troupes vers la mer fut suspendu.
Le maréclial ayant demandé , par le télégraphe , à
l'empereur Napoléon, s'il devait recommencer des expé-
ditions pour remettre des garnisons mexicaines dans les
places et les ports repris par les libéraux (-), l'Empereur
répondit :
^860.
On arrête
'embarquement.
Mission
(lu général
Castelnaa.
« Ne recommencez pas d'expéditions lointaines, mais maintenez
vos troupes réunies sur des points stratégiques de manière à pou-
voir repousser toute attaque et embarquer facilement ^•''. »
L'Empereur s'était rendu compte qu'une .évacuation
successive pourrait compromettre la sécurité des derniers
détachements laissés au Mexique. Il était en outre décidé à
provoquer l'abdication de l'empereur Maximilien ; il espé-
rait que les États-Unis lui en sauraient gré et consenti-
raient alors à favoriser l'établissement d'un nouveau gou-
vernement, qui sauvegardât les intérêts et la dignité de la
France. Dans les conditions où l'on se trouvait, c'était
en effet la meilleure solution que pût recevoir l'interven-
tion française.
'1) Le maréchal au ministre, 27 septembre.
<2) Dépèche télégraphique de Mexico, 27 septembre ; de la Nouvelle Orléans,
7 octobre.
(3) Dépèche télégraphique de Biarritz, 8 octobre.
628 II' PARTIE. CHAPITRE VI.
4866. Le général Gastelnau, aide de camp de l'Empereur, fut
envoyé au Mexique avec la mission de faciliter et de sur-
veiller le dénoùment de la situation. Il était investi des
pouvoirs les plus étendus, avec droit absolu de contrôle et
de veto sur toutes les mesures politiques, militaires ou
financières. Son autorité se superposait à celle du maré-
chal et du ministre de France (*).
Le maréchal Bazaine protesta de la déférence qu'il té-
(U L'Empereur était à Biarritz et le maréchal Randon, ministre de la guerre,
était absent lorsque le départ du général Gastelnau fut décidé. M. Béhic remplis-
sait alors à Paris l'intérim du ministère de la guerre.
La mission confiée au général Gastelnau est indiquée par la note suivante
d'après laquelle furent rédigés les pouvoirs dont l'Empereur l'investit :
• Napoléon, etc
« Gonsidérant la gravité des circonstances politiques et militaires au milieu des-
quelles s'exerce au Mexique l'action de la France ; considérant les difficultés qui
s'opposent à la prompte transmission de nos ordres ; considérant qu'il importe
d'établir une unité de vues et d'action non-seulement entre notre gouvernement
central et les autorités françaises tant civiles que diplomatiques et militaires au
Mexique, mais encore entre ces autorités elles<mêmes :
« Vu l'urgence ;
€ Avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
€ Le général Gastelnau, l'un de nos aides de camp, est chargé de faire con-
naître à S. Exe. le maréchal Bazaine, commandant en chef le corps expédi-
tionnaire du Mexique, nos décisions concernant l'évacuation des troupes placées
sous ses ordres, les dispositions à prendre pour effectuer cette évacuation à
l'époque fixée, les opérations militaires qui précéderont et prépareront cette
évacuation, la conduite politique à tenir et les mesures à prendre dans le cas où
la forme actuelle du gouvernement du Mexique viendrait à subir des modifications
avant l'évacuation. Le général Gastelnau est autorisé à connaître de toutes les
mesures projelées par les autorités françaises au Mexique, tant diplomatiques
que militaires ou civiles. Il est appelé à délibérer avec elles sur tous les actes
qui devront émaner de ces autorités et à s'assurer qu'ils sont en concordance avec
celles de nos décisions qu'il est chargé par les présentes de leur notifier.
• Dans le cas où le général Gastelnau trouverait lesdites mesures en opposition
avec nos décisions, il est autorisé à s'opposer à leur exécution, et à cet effet
toutes les autorités françaises au Mexique devront, sur sa réquisition écrite, ob-
tempérer aux instructions qu'il leur donnera en notre nom, comme si elles éma-
naient directement de notre autorité, le g('npral Gastelnau étant censé agir ainsi
que nous agirions noiis-mème. »
LE MARÉCUAL BAZAINE. 629
moignerait au représentant de l'Empereur; mais ce n'é-
tait pas sans froissement qu'un maréchal de France pouvait
se résigner à une subordination de cette nature. Aussi le
ministre de la guerre insistait-il sur l'importance que le
gouvernement attachait à voir le maréchal, « dont la main
habile et ferme pouvait seule mener à bien la délicate
opération de la rentrée des troupes », conserver le com-
mandement du corps expéditionnaire (^).
4866.
On touchait à un moment de crise solennelle ; le maré-
chal jugeait également que l'abdication de Tempereur
Maximilien était nécessaire : « S'il s'obstine à rester au
Mexique après notre départ, écrivait-il, il est à craindre
que, sans finances, les troupes ne fassent défection, et alors
une catastrophe peut arriver ; sous peu de jours, j'aurai
une conférence avec Sa Majesté ; je tâcherai de la con-
vaincre Je ferai mon possible pour que notre pays se
tire le mieux possible de cette situation et surtout sans une
tache à son honneur militaire (^). »
Cette lettre est datée d'Atlancotepec près de Puebla; le
maréchal inspectait alors la ligne d'évacuation pour juger
des mesures à prendre contre les entreprises des guérillas
de la Huasteca. Le 10 octobre, il rentrait à Mexico, où
l'empereur Maximilien réclamait sa présence.
L'Empereur, déjà très-malade, venait d'être cruellement
frappé par les nouvelles que le câble transatlantique avait
transmises, nouvelles qui ne laissaient aucun doute sur la
gravité de l'état mental de l'Impératrice. Il désirait quitter
Projets
d'abdication
de l'empereui
Maximilien.
11 part
pour Orizaba.
(') M. Béhic, ministre de la guerre par intérim, au maréchal, 29 septembre,
13 octobre.
(2) Le maréchal au ministre, 8 octobre.
630 II* PARTIE, — CHAPITRE VI.
•
4866. le Mexique ; le poids des affaires l'écrasait, l'avenir l'ef-
frayait ; il sentait que tout était fini, et la fatigue maladive,
sous laquelle il succombait, amollissait l'aigreur de ses
ressentiments contre ceux dont il s'était le plus amèrement
plaint. Il s'ouvrit au maréchal de ses projets, qu'il avait
confiés seulement à quelques confidents intimes et qu'il
laissait ignorer à ses ministres. Il ne voulait pas, disait-il,
les divulguer avant d'avoir reçu un courrier extraordinaire
annoncé de Miramar. Le 20 octobre 1866, il écrivait de
Chapultepec au maréchal :
« Mon cher maréchal, j'ai été profondément touché des paroles
de consolation et d'affection que vous m'avez adressées en voti-e
nom et en celui de la maréchale. Je vous en exprime ici les plus
vifs et les plus profonds remerciements. Le coup terrible apporté
par les dernières nouvelles et qui a si gravement blessé mon cœur,
joint au mauvais état de ma santé, lequel résulte des fièvres inter-
mittentes dont je souffre depuis longtemps et qui ont naturellement
augmenté dans ces derniers jours, rendent nécessaire, d'après la
volonté expresse de mes médecins, un séjour momentané dans un
climat meilleur.
« Afin de me trouver en môme temps plus rapproché du courrier
extraordinaire qui m'est annoncé de Miramar et dont j'attends les
nouvelles avec une anxiété facile à comprendre, j'ai l'intention de
me rendre à Orizaba. C'est avec la plus grande confiance que je
m'en rapporte à votre tact pour le maintien de la tranquillité dans
la capitale et sur les points qui sont actuellement occupés par les
troupes sous vos ordres.
« Dans ces circonstances douloureuses et difficiles, je compte
plus que jamais sur la loyauté et sur famitié que vous m'avez tou-
jours montrées.
« Je suivrai l'itinéraire que je joins ii ma lettre et je prendrai
avec moi les trois escadrons de hussards du corps des volontaires
autrichiens, ainsi que les hommes disponibles de la gendarmerie.
« Cette lettre vous sera remise par lo conseiller d'Etat Ilertzfeld,
qui est mon ancien compagnon de mer et qui se mettra à votre
LE MARÉCHAL BAZAINE. 631
disposition, si vous avez besoin d'éclaircissements. Je vous renou- 4866.
velle à vous et à la maréchale ma très-vive reconnaissance pour ~"
vos tendres sentiments qui ont fait tant de bien à mon cœur blessé.
« Recevez, mon cher maréchal, l'assarance de la sincère amitié
avec laquelle je suis votre très-affectionné,
ce Maximilien, »
En dépit de toutes les rancunes, l'Empereur répétait
souvent au maréchal « qu'il était son véritable ami;)) les
termes de cette lettre sont d'accord avec ces protestations
amicales.
On fit dire dans le public que l'Empereur allait au de-
vant de l'Impératrice, dont l'arrivée était attendue à la fin
du mois, mais personne ne doutait à Mexico que l'Empereur
no partît pour s'embarquer. On savait que la frégate au-
trichienne le Dandolo était toujours à Vera-Cruz, prête à
prendre la mer, et depuis longtemps déjà, des meubles, des
tableaux, des livres, des objets précieux avaient été ache-
ijiinés sur ce port. Dès que le ministère connut les projets
de départ de l'Empereur, M. Lares vint présenter sa dé-
mission. La perplexité de l'entourage impérial était grande.
M. Hertzfeld écrivit au maréchal :
20 octobre.
« Monsieur Lares vient de présenter la démission de tout le mi-
nistère et a déclaré qu'aussitôt que l'Empereur sortirait de la capi-
tale, il n'y aurait plus de gouvernement. Sa Majesté étant dans un
état de faiblesse extrême et insistant pour partir, il faudra prendre
des mesures. Je supplie Votre Excellence de vouloir conseiller
l'Empereur encore ce soir. »
Le maréchal représenta au président du conseil combien
il serait peu généreux au cabinet de se retirer dans des
conjonctures aussi graves et dans l'état de faiblesse morale
et physique où se trouvait l'Empereur. Il l'encouragea, lui
()'à2 11° PARTIE. — CHAPITRE VI.
4866. promit de le soutenir, et obtint enfin que les ministres
conserveraient leurs portefeuilles. L'Empereur partit dans
la nuit du 20 au 21 sans traverser Mexico, et le lendemain,
de l'hacienda de Zoquiapan, où il s'était arrêté, il écrivit
de sa main au maréchal, la lettre suivante (*) :
Hacienda de Zoquiapan, 22 novembre.
« Mon cher maréchal, demain je me propose de déposer entre
vos mains les documents nécessaires pour mettre un terme à la si-
tuation critique (en espagnol violente) dans laquelle je me trouve,
moi et le Mexique entier.
« Ces documents devront rester secrets jusqu'au jour que je vous
ferai connaître par télégraphe.
« Entre autres choses, il y en a trois qui me tiennent à cœur et
dont une fois pour toutes, je veux décliner la responsabilité :
« l» Que les cours martiales cessent de connaître desdéhts po-
htiques ;
<c 2° Que la loi du 3 octobre soit rapportée ;
« 3° Que sous aucun prétexte il ne soit exercé de persécution
pour raison politique, et que cesse toute espèce d'hostilités (^hosti-
lidades) (-'.
« Je désire que vous convoquiez les trois ministres Lares, Marin
et Tavera pour convenir des moyens propres à assurer ces trois
points, sans qu'il soit nécessaire de laisser deviner mes intentions
exprimées dans le premier paragraphe.
« Je ne doute pas que vous n'ajoutiez cette nouvelle preuve d'a-
mitié véritable à celles que vous m'avez déjà témoignées, et je vous
exprime à l'avance mes sentiments de gratitude en vous renouve-
lant les assurances de l'estime et de l'amitié de votre très-affec-
tionné,
« Maximilien. »
(•) D'après la traduction envoyée par le maréchal au ministre de la guerre.
<2) Le marà'lial dit qu'il interpréta l'expression hostilidades comme se ratta-
chant aux délits politiques et non aux faits de guerre, car il ne pouvait admettre,
quant à présent, une trêve avec les forces ennemies.
LE MARÉCHAL BAZALNE. 633
Toujours irrésolu, et fidèle à ses habitudes de pro- •f^oe.
mettre au lieu d'agir, l'empereur Maximilien n'envoya
jamais au maréchal les documents qu'il lui annonçait. Le
maréchal était persuadé cependant que l'Empereur allait
s'embarquer; il fit assurer la garde des palais et arrêter le
désordre et le gaspillage commencé par les domestiques.
D'autre part, il prit les mesures nécessaires pour dégager sa
position et rassembler ses troupes, car il ne doutait pas
qu'au moment où le départ de l'Empereur serait connu,
on verrait les administrations se désorganiser et tous les
partis unir leurs forces contre les Français.
Le général Castelnau était arrivé à Vera-Cruz le 12
octobre. L'empereur Maximilien avait envoyé au-devant
de lui un officier français, le capitaine Pierron, chef de son
cabinet militaire ; mais il ne voulait pas le voir. Le 21 oc-
tobre, le cortège impérial fut croisé à Ayotla par l'aide
de camp de l'empereur Napoléon, qui montait à Mexico.
L'empereur Maximilien lui fit dire qu'il était trop souf-
frant pour le recevoir, et continua sa route.
Le 31 octobre, on crut l'Empereur parti; le comman-
dant de l'escadre avait télégraphié au maréchal que le
commandant du Dandolo l'attendait le soir même.
Cependant, le même jour, le journal officiel de Mexico
publiait une dépêche de l'empereur Maximilien ayant une
tout autre signification. Elle annonçait le rétablissement
de sa santé et était suivie de cette observation significative :
« Ainsi se trouve atteint le but du voyage de Sa Majesté. »
L'empereur Maximilien paraissait continuer néanmoins
ses arrangements en vue d'un prochain départ ; il s'occupait
d'assurer le sort de la brigade austro-belge, cependant ses
lettres au maréchal laissaient voir que ses projets étaient
moins arrêtés qu'au moment où il quittait Mexico. En lui
G34 11^ PARTIE. CHAPITRE \T.
4866. envoyant son aide de camp, le colonel v. Kodolich, pour
régler les intérêts des volontaires autrichiens, il lui écrivait
(31 octobre) : « Si les négociations que je viens d'entamer
n'aboutissent pas à un heureux résultat, les circonstances
difficiles, dans lesquelles je me trouve, me forceront à
rendre le pouvoir que la nation m'a confié. »
Quelles étaient ces négociations ; et avec qui étaient-elles
ouvertes?
Le général Gastelnau, qui avait compté sur le prochain
départ de l'Empereur, commençait à s'alarmer ; ses appré-
hensions s'augmentèrent encore à la lecture d'une lettre
écrite à l'empereur Maximilien par M. Eloin , alors en
Europe ; cette lettre avait été adressée sous le couvert de
(( l'agent consulaire de l'empire du Mexique à New-York »;
le secret en avait été violé, et une copie transmise par
« un inconnu » au maréchal Bazaine.
Bruxelles, 17 septembre 1866.
« Sire, l'article du Moniteur français, désavouant l'entrée aux
ministères de la guerre et des finances des deux généraux français
Osmont et Priant, prouve désormais que sans pudeur le masque
est jeté. La mission du général Gastelnau, aide de camp et homme
de confiance de l'Empereur, bien que secrète, ne peut avoir d'autre
but, selon moi, que de chercher à provoquer au plus tôt une solu-
tion. Pour chercher h expliquer sa conduite, que l'histoire jugera,
le gouvernement français voudrait qu'une abdication précédât le
retour de l'armée, et qu'ainsi il lui fût possible de procéder seul à
réorganiser un nouvel état de choses capable d'assurer ses intérêts
et ceux de ses nationaux; j'ai l'intime conviction que Votre Ma-
jesté ne voudra pas donner cette satisfaction h une politique qui
doit répondre tôt au tard de l'odieux de ses actes et des consé-
qiiefices fatales qui en seront la suite.
« Le discours de M. Seward, le toast à Romero, l'attitude du
président, résultat de la couardise du cabinet français, sont des
faits graves, destinés à accroître les difficultés et à décourager les
plus braves.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 635
« Cependant, j'ai l'intime conviction que l'abandon de la partie, ma.
avant le retour de l'armée française, serait interprété comme un -~
acte de faiblesse, et l'Empereur, tenant son mandat d'un vote po-
pulaire, c'est à ce peuple mexicain, dégagé de la pression d'une in-
tervention étrangère, qu'il doit faire un nouvel appel, et c'est à lui
qu'il faut demander l'appui matériel et financier indispensable
pour subsister et grandir.
« Si cet appel n'est pas entendu, 'alors Sa Majesté ayant accom-
pli sa noble mission jusqu'à la fin, reviendra en Europe ayant tout
le prestige qui l'accompagnait au départ, et au milieu des événe-
ments importants qui ne manqueront pas de surgir, elle pourra
jouer le rôle qui lui appartient à tous égards
« En traversant l'Autriche, j'ai pu constater le mécontentement
général qui y règne. Rien ne se fait encore. L'Empereur est décou-
ragé; le peuple s'impatiente et demande publiquement son abdi-
cation ; les sympathies pour Votre Majesté se communiquent os-
tensiblement à tout le territoire de l'Empire ; en Yénétie, tout un
parti veut acclamer son ancien gouverneur, mais quand un gou-
vernement dispose des élections sous le régime du suffrage univer-
sel, il est facile de prévoir le résultat "^
Le jour même où celle lettre arrivait, le général Castel-
nau recevait la visite du président du conseil des minis-
tres, du président du conseil d'Etat, et du préfet poli-
tique de Mexico ; ils lui afQrmaient que l'Empire pourrait
se suffire avec ses propres forces. Cette démarche faisait
craindre que l'empereur Maximilien, renonçant à l'idée
d'abdiquer, ne revînt à Mexico ; désireux de s'opposer à
ce revirement, le général Castelnau manda le capitaine
Pierron et lui dicta un télégramme que cet officier adressa
personnellement à l'Empereur pour le prier, dans les
termes les plus pressants, d'attendre à Orizaba une com-
munication verbale qu'il était chargé de lui faire. L'm-
fluence, que son dévouement lui avait permis de prendre
(') En note de la copie de ceUe lettre était écrit : « M. le marquis de Montlio-
lon a eu la joie de voir de ses propres yeux les originaux de ces communica-
tions, t
636 11° PARTIE. — CHAPITRE VI.
4866. sur l'Empereur, désignait le capitaine Pierron pour cette
mission de confiance ; sur l'ordre du général Castelnau, il
partit aussitôt pour Orizaba, afin d'essayer de convaincre
l'empereur Maximilien des raisons sérieuses qui devaient
le décider à une abdication immédiate.
Le général Gastelnau, M. Dano, le maréchal étaient
fort inquiets. Le maréchal, connaissant le caractère de
l'Empereur et les sentiments de son entourage, se méfiait
des déterminations qui pourraient être prises ; au lieu d'une
abdication pure et simple , il craignait une protestation ,
un manifeste, ou un appel au peuple, ce qui compli-
querait singulièrement les choses; les hommes du parti
ultraconservateur ne se résigneraient certainement pas
à disparaître sans bruit de la scène politique ; ils cher-
chaient dès maintenant à s'approprier les ressources finan-
cières et militaires dont l'Empire disposait encore. M. Lares
s'eiforçait d'empêcher une abdication , mais il en pré-
voyait l'éventualité ; afin de mieux pénétrer le but de la
mission du général Gastelnau, il obtint de l'Empereur des
pouvoirs spéciaux l'autorisant à entrer en relation offi-
cielle avec cet officier général et à recevoir ses commu-
nications.
M. Lares et M. Arroyo, ministre de la maison de l'Em-
pereur, se présentèrent donc, au nom de l'Empereur, chez
le général Gastelnau; celui-ci les emmena chez le maréchal.
Persuadé, leur dit-il, que l'Empire ne pourrait subsister
sans l'appui de la France, il trouvait urgent, avant le départ
des troupes, d'établir un autre gouvernement fortement
constitué. Le maréchal ayant parlé dans le même sens, les
ministres comprirent qu'ils ne pouvaient compter , en
faveur de leur parti, ni sur le concours, ni même sur les
sympathies des représentants de la France ; ils prétendirent
LE MARÉCHAL BAZALNE. 637
que le commandant en chef gênait l'action des autorités iscc.
impériales ; si l'on voulait les laisser libres de toute en-
trave, ils étaient certains de dominer la situation.
Le lendemain, ils adressèrent aux généraux français une
note contenant différentes questions auxquelles ils deman-
daient une réponse écrite ; ces questions se résumaient ainsi :
La mission du général Castelnau est-elle seulement « de
confirmer les lettres du 15 janvier et les suivantes, adres-
sées par l'empereur Napoléon à l'empereur Maximilien ,
dans lesquelles il lui disait qu'il ne pouvait continuer à aider
l'Empire, ni avec les troupes françaises, ni avec de l'argent,
afin que S. M. l'empereur Maximilien décide, avec entière
liberté, s'il peut continuer à se maintenir avec ses propres
ressources ou s'il doit prendre une autre décision? »
Toutes les troupes mexicaines, les arsenaux, l'artillerie,
et les munitions, etc., sont-ils entièrement à la disposition
du ministre de la guerre mexicain ?
Le gouvernement mexicain ne pourrait-il être prévenu
en temps opportun de l'évacuation des villes et pueblos,
par les troupes françaises, afin d'ordonner à cet égard les
mesures nécessaires ?
Quelle est l'époque la plus reculée jusqu'à laquelle le
corps expéditionnaire doit encore rester au Mexique, et
quels secours pourrait-il prêter au gouvernement ?
Enfin, dans le cas où la décision de l'Empereur serait
de ne pas continuer à gouverner le pays, quelles disposi-
tions le maréchal et le général Castelnau prendraient-ils,
conformément à leurs instructions, pour éviter l'anarchie
et les désordres qui résulteraient de l'absence du gouver-
nement (^)?
(') MM. Lares et Arroyo au maréchal Bazainc, 4 novembre (d'après une Ira-
iluction).
638 II* PARTIE. — CHAPITRE VI.
-isee. Le maréchal répondit 0) :
« 1° La mission du général Castelnau a pour but d'affirmer
les intentions du gouvernement français, qui sont de retirer ses
troupes dans les premiers mois de 1867, et de connaître si Sa
Majesté Tempereur Maximilien peut maintenir son gouvernement
avec les seules ressources du pays;
c 2° Les forces mexicaines et le matériel de guerre ont toujours
été à la disposition de l'Empereur; des ordres h. cet égard ont été
renouvelés aux commandants supérieurs français;
(c 3° Le gouvernement a toujours été prévenu en temps oppor-
tun de la remise des villes aux autorités civiles et militaires; il en
sera toujours de même ;
« 4» Tant que les troupes françaises resteront au Mexique, elles
protégeront, comme elles l'ont fait jusqu'ici, les autorités et les
populations, l'ordre en un mot, dans les zones qu'elles occuperont^
mais sans entreprendre d'expéditions lointaines.
« Quant au dernier article, il est pour ainsi dire impossible
d'exposer les mesures qui seraient prises, le cas échéant ; mais on
peut assurer qu'elles auraient surtout pour but le maintien de
l'ordre et le respect des vœux des populations, ainsi que la sauve-
garde des intérêts français. »
Le 9 novembre, le capitaine Pierron revint d'Orizaba.
Il dit au général Castelnau : « Je viens d'avoir une longue
conférence avec l'empereur Maximilien. S. M. ne retour-
nera pas à Mexico ; (îlle va quitter le pays. L'Empereur
désire seulement, avant d'abdiquer, que la France s'en-
gage à rapatrier les troupes autrichiennes et belges ; qu'elle
s'intéresse au sort des soldats de ces deux pays mutilés
dans les combats ; que le nouveau gouvernement soit mis
en demeure d'assurer le sort de la princesse Iturbide et de
l'enfant ; enfin, que des emplois soient réservés aux per-
sonnes qui travaillent au secrétariat de sa maison, et que
deux mois de solde leur soient payés. »
(1) Le nicaréchal à M, Lares, D novembre.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 639
Le général Castelnau, en rapportant cette conversation
dans une dépêche à l'empereur Napoléon (^), continuait
ainsi : « L'Empereur a chargé le capitaine Pierron de me
recommander spécialement de faire régler le compte de la
liste civile avec l'Etat, et de lui faire connaître comment
se liquide ce compte. Le départ de S. M. comme date, est
subordonné à la réception de cette dernière pièce. Je viens à
l'instant même de la faire étabHr, et je l'ai adressée à l'Em-
pereur par un courrier extraordinaire, en assurant S. M.
que ses désirs recevraient, autant qu'il peut dépendre de
nous, la plus complète satisfaction.
« L'empereur Maximilien a exprimé à mon envoyé le vif
désir de conserver l'amitié de Votre Majesté. J'ai donc lieu
d'espérer que son abdication sera exempte des récrimina-
tions que nous pouvions redouter. »
L'arrivée du courrier du général Castelnau ne décidait
nullement l'empereur Maximilien à fixer la date de son
départ. Au contraire, le 12 novembre, il écrivait encore
au maréchal C^) :
« Avant de résoudre définitivement ce que je dois faire et dans
le cas où je prendrais la résolution de m'éloigner de ce pays, il
est de mon devoir d'assurer certains points qui, outre qu'ils sont
de stricte justice, méritent, en ce qui me concerne, une recomman-
dation spéciale.
« Pour y arriver, je no doute pas que vous n'ayez la bonté de
m' envoyer un acte signé collectivement par vous, par le ministre
de France, et par le général Castelnau, et qui traite des questions
suivantes :
Ces questions étaient :
(1) Dépêche du 9 novembre.
(•) D'après une traduction.
i8G6.
640 \f PARTIE. CHAPITRE VI.
4866. \o Lg rapatriement des Austro-Belges.
2" La pension à garantir par le Mexique aux mutilés
de la brigade austro-belge.
3^ Une somme de dix mille piastres à payer à la prin-
cesse Dofia Josefa de Iturbide, et deux mille piastres au
jeune prince Salvador de [turbide, qui avait été envoyé en
France pour faire ses études (*).
4*^ Une somme de quarante-cinq mille piastres, pour
payer les dettes de la liste civile.
^° L'engagement d'effectuer ces paiements avant le
départ des troupes françaises de Mexico.
« Ma propriété particulière restera sous votre sauvegarde, mon
cher maréchal, afin que, d'accord avec vous. Don Carlos Sanchez
Navarro puisse donner à ce qu'elle produira la destination con-
forme à mes instructions.
« Recevez les assurances des sentiments de ma sincère amitié
avec lesquels je suis votre très-aff(;clionné,
« Maximilien. »
Les représentants de la France se hâtèrent de se rendre
au désir de l'empereur Maximilien. Ils lui envoyèrent une
déclaration collective (16 nov.) dans laquelle ils s'engagè-
rent à rapatrier les Austro-Belges ; à faire donner une gra-
tification de réforme aux mutilés et invalides, et une indem-
(') L'empereur Maximilien avait donné aux doux petits-fils d'Iturbide le titre
de prince mexicain ; l'un Don Agustin , descendait du deuxième fds de l'empe-
iiHir Iiurbide ; l'autre, Don Salvador, descendait du troisième fils; depuis le 1(5
septembre 1863, Don Aguslin, alors âge de deux ans, était élevé au palais.
Toute la famille, à l'exception d'une tante Dona Josefa, nommée co-tulrice, avait
dû consentir à s'éloigner du Mexique. (Le marocbal au ministre, 27 septembre
1865.)
On disait à cotte époque que l'Empereur et l'Impératrice se proposaient
d'adopter ofïïciellement Don Agustin et de lui assurer la succession au trAne. (Le
marécbal au ministre, 27 octobre 186o.)
LE MARÉCHAL BAZAINE. 641
nilé à chaque officier et soldat payable au port de débar- ^866.
quement ; à employer leur influence pour qu'une avance
fût faite à la princesse Doua Josefa et au prince Don Sal-
vador de Iturbide sur la pension qui leur était due ; à
s'efforcer d'obtenir du nouveau gouvernement le complé-
ment des sommes nécessaires au paiement des dettes de la
liste civile et à la liquidation des comptes de la grande
chancellerie, dans le cas où le produit de la vente des
effets mobiliers appartenant à la liste civile serait insuf-
fisant.
Cette réponse n'était pas exactement celle que désirait
l'empereur Maximilien ; mais ce point ne souleva aucune
difficulté. L'Empereur remercia le maréchal par la dépêche
suivante :
Très -confidentielle et très-urgente.
Orizaba, le 18 novembre 1866.
« Au maréchal Cazaine.
« Je vous remercie, ainsi que le général Caslelnau, ainsi que
M. Dano, d'avoir réglé les points qui me touchaient de si près.
Mais il reste à régler le définitif: un gouvernement stable pour pro-
téger les intérêts compromis. Ces points ne peuvent être traités
sans une entrevue directe avec vous-.
« La continuation de mes fièvres ne me permet pas de monter à
Mexico.
« Je vous invite donc à venir un de ces jours ici et, en peu de
paroles, nous pourrons tout arranger d'une manière satisfaisante,
« J'ai appelé ici pour samedi mon conseil d'Etat et mon prési-
dent du conseil des ministres. »
« Maximilien. »
Celte dépêche détruisit les illusions que le général Cas-
telnau pouvait encore conserver au sujet des intentions de
41
642 II* PARTIE. CHAI'ITRE VI.
4866. l'empereur Maximilien. Jusqu'alors, il l'avait cru bien décidé
à quitter le Mexique ; ce départ ne paraissant être qu'une
question de date, il s'était occupé de discuter avec le maré-
chal quelle ligne politique il convenait d'adopter.
Le gouvernement français désirait, avant de retirer ses
troupes, former sous son patronage un nouveau gouver-
nement dans l'espoir d'obtenir la reconnaissance de ses
créances; il s'était adressé au cabinet de Washington, lui
avait demandé son concours , et espérait tout au moins
que son influence s'exercerait dans un sens favorable aux
intérêts français. On écartait Juarez de toute combinaison
nouvelle; du reste, le maréchal croyait sincèrement que
l'autorité personnelle du président était nulle, que c'était
un « mannequin » derrière lequel agissaient les hommes de
tête du parti libéral. Il pensait qu'il était possible de le rem-
placer par D. Manuel Ruiz ; le général Castelnau préférait
D. Lerdo de Tejada; enfm, ils s'arrêtèrent à un moyen
terme, et leur choix tomba sur Orlega.
D'après la constitution de 1837, Ortega, président de
la Cour suprême, aurait dû hériter des pouvoirs de
Juarez à l'époque où expirait le mandat de ce dernier ;
il y avait donc quelque apparence de logique et de léga-
lité à le considérer comme président intérimaire. Il avait
un parti assez nombreux ; plusieurs chefs libéraux recon-
naissaient son autorité ; un de ses amis, D. Manuel Fer-
nandez, envoyé par lui à Mexico, avait laissé entrevoir
au maréchal Bazaine la possibilité de^ régler les ques-
tions de garantie en faveur de nos nationaux et de recon-
naissance de la dette française. « D'un autre côté, disait le
maréchal, Ortega représente une couleur moins rouge que
Juarez, moins cléricale que Santa Anna ; il est le champion
des idées fédéi'alistes ; les grands propriétaires, les gens in-
LE MARÉCHAL BAZAINE. 643
tluents sont disposés à le soutenir, c'est le choix le moins
mauvais que nous puissions faire, et nous sommes décidés
à l'appeler, dès que l'empereur Maximilien aura quitté le
Mexique. Il ne nous est pas possible de faire directement
l'appel au peuple, qui doit être la base du nouveau gouver-
nement. Ortega nous fournira les moyens de l'organiser
légalement (').»
Un agent fut envoyé aux États-Unis pour s'assurer des
dispositions de ce personnage à l'égard des satisfactions
auxquelles la France prétendait, et s'efforcer do lui mé-
nager l'appui du cabinet de Washington.
Le maréchal et le général Castelnau avaient même pensé
qu'il serait possible de s'entendre avec les États-Unis, de
manière à placer, près du nouveau gouvernement mexicain,
un commissaire français et un commissaire américain à la
disposition desquels serait mise une troupe franco-améri-
caine.
-1866.
Les Américains étaient loin d'abonder dans ce sens. lis
commençaient à être fatigués de cette continuité de pro-
nunciamientos qui entretenaient l'agitation sur la fron-
tière du Piio Bravo. De plus, au moment où le congrès
devait se réunir, les intérêts de la politique intérieure con-
seillaient au cabinet de Washington de faire quelque
démarche éclatante pour donner satisfaction à l'opinion
publique. L'occasion était propice.
Il prescrivit à M. Campbell C^), désigné, depuis quelque
temps déjà, comme ministre près de la république mexi-
caine, de rejoindre sans retard Juarez à Ghihuahua, ou
du moins d'attendre, à proximité de la frontière ou des
Dispositions
(les Américains.
Mission
Cnmpbell
et Sherman.
(') Lo maréchal au minisire, 9 novembre.
(*) Instructions de M. ScwardàM. Campbell, 22 octobre 1866.
644 II" PARTIE. — CHAPITRE VI.
4866. côtes du Mexique, le moment favorable pour se mettre en
rapport avec le gouvernement républicain. M. Campbell
devait être accompagné du général Granl, lieutenant gé-
néral des Etats-Unis, muni d'une autorité discrétionnaire
pour faire, « sans violer toutefois les règles de la neutralité,
toute démonstration militaire ou maritime propre à favo-
riser la restauration de ce gouvernement républicain ; »
M. Campbell était spécialement accrédité auprès du gou-
vernement représenté par Juarez, et il lui était formelle-
ment recommandé de ne consentir à aucune stipulation
avec les commandants français, le prince Maximilien, ou
tout autre parti qui aurait une tendance à gêner l'adminis-
tration du président Juarez.
Le général Grant, ayant décliné la mission qui lui était
offerte, fut remplacé par le général Sherman.
MM. Sherman et Campbell s'embarquèrent, le U no-
vembre, à New-York, sur la frégate la Siisquehannah, et se
dirigèrent vers les côtes du Mexique.
Peu de temps après, le gouvernement américain était
officiellement informé par M. Bigelow, son représentant à
Paris, que l'intention de l'empereur Napoléon était de ne
rappeler aucun détachement de l'armée du Mexique à
l'automne de 1866, et que, pour des raisons d'un intérêt
purement militaire, il voulait faire partir toutes les troupes
en bloc au printemps de 1867.
Le cabinet de Washington était, à n'en pas douter,
parfaitement au courant de ces dispositions, puisque, h
dessein, les ordres transmis au maréchal Bazaine par le
câble transatlantique n'avaient pas été envoyés en chiffres.
Il ne pouvait ignorer d'ailleurs le but de la mission du
général Castelnau et les efforts du gouvernement fran-
çais pour amener l'abdication de l'empereur Maximilien ;
LE MARÉCHAL BAZAIKE. 64o
il connaissait le désir de l'empereur Napoléon de se dé- 'i^^-
gager le plus vite possible de son intervention au
Mexique ; néanmoins , M. Seward saisit cette occasion
pour adresser à M. Bigelow une dépêche rédigée en
termes presque menaçants pour la France, En flattant ainsi
l'orgueil populaire, il donnait satisfaction à la mauvaise
humeur qui régnait en Amérique, il affermissait d'autant
la position du président Johnson, alors vivement battue en
brèche, et il enlevait à l'opposition une des armes dont
elle aurait pu se servir contre le cabinet. *
Cette dépêche, datée du 23 novembre, fut publiée dans
les journaux américains ; le gouvernement français déclara
cependant n'en avoir reçu aucune communication (0. Le
gouvernement de l'Union, disait M. Seward, ne pouvait
acquiescer aux nouvelles combinaisons arrêtées par l'em-
pereur Napoléon relativement au rappel de ses troupes;
le président n'avait pas été consulté en temps opportun sur
cette question qui aurait dû lui être présentée avec les mani-
festations ordinaires de déférence pour les intérêts et les
sentiments des Etats-Unis ; il attendait donc, du gouverne-
ment français, l'exécution littérale de l'accord fait avec lui,
car les Etats-Unis avaient déjà envoyé des instructions et
pris des dispositions militaires en vue du prochain départ
des premiers détachements.
Ces procédés sont ordinaires à la politique des États-
Unis. Si l'on avait pris à la lettre les dépêches diplomatiques
du cabinet de Washington, on aurait souvent jugé avec
inexactitude de ses véritables dispositions ; mais les rap-
ports du ministre de France faisaient connaître les diffi-
cultés intérieures contre lesquelles le Président Johnson
(1) Moniteur du 24 décembre.
646 II* PARTIE. CHAPITRE VI.
4866. avait à lutter, et les moyens dont il était forcé de se servir
pour en triompher. Plus d'une fois, onavaitvuM. Seward,
« obligé de compter avec les partis et de ménager les exi-
gences électorales » , s'approprier ainsi les armes de ses
adversaires et prendre, dans les questions de politique
étrangère, l'attitude dont ceux-ci auraient pu profiter.
Aux Etats-Unis, aucun parti sérieux ne désirait une
guerre avec la France, et cependant c'est autour de cette
question que tournaient toutes les manœuvres du con-
grès; de peur d'être dépassé, M. Seward allait immé-
diatement, dans ses communications diplomatiques avec
la France, aussi loin qu'il était possible de le faire. La
question du Mexique était un balancier qui l'aidait à
conserver son équilibre ; plus tard ce sera la question
feniane ou celle àeVAlabama. Pour se rendre compte de
la portée d'une démarche du cabinet de Washington pen-
dant cette période, il est donc nécessaire de rechercher
préalablement à quelle nécessité de politique intérieure elle
correspond.
Vers la même époque, les journaux de la Nouvelle-
Orléans publiaient une lettre non moins significative,
mais encore beaucoup plus inconvenante du général She-
ridan, commandant le département du Golfe, au général
commandant à Brownsville :
Ncw-Orloans, 23 octobre.
« Je suis convaincu qu'il n'y a ({u'un seul moyen d'améliorei'
l'état des choses sur le Rio Grande : c'est de donner notre plus
cordial appui au seul gouvernement que nous reconnaissons au
Mexique et le seul qui soil réellement notre ami. Vous préviendrez
en conséquence tous les adhérents de tout parti ou gouvernement
prétendu dans le Mexique ou dans l'Etat de Tamauhpas, qu'il ne leur
sera pas permis de violer les lois de la neutralité entre le gouver-
nement libéral du Mexique et les Etats-Unis, et aussi qu'il ne leur
LE MARÉCHAL BAZAINK. 647
sera pas permis de rester sur notre territoire et d'y recevoir la -1866.
protection de notre drapeau afin de compléter leurs machinations ~
par la violation de nos lois de neutralité.
« Ces instructions seront exécutées contre les adhérents du bou-
canier impérial, représentant le soi-disant gouvernement impérial
du Mexique, et aussi contre les Ortega, Santa Anna, et autres fac-
tions.
« Le président Juarez est le chef reconnu du gouvernement li-
béral du Mexique. »
Canales, qui s'était déclaré pour Ortega, était alors assié-
gé à Matamoros par Tapia, le gouverneur nommé par Jua-
rez ; Ortega s'étant rendu de la Nouvelle-Orléans à Brazos
avec l'intention de passer au Mexique, fut arrêté par les
autorités américaines.
Il devenait impossible de rien démêler à la conduite
des officiers américains de Brownsville. Tantôt ils avertis-
saient Canales qu'il était interdit de lui faire parvenir des
vivres ; quelques jours après, cette interdiction était levée,
et des détachements américains allaient monter la garde
à Matamoros pendant que la garnison repoussait les assauts
d'Escobedo; le drapeau des Etats-Unis, au grand étonne-
ment des habitants, flottait sur la cathédrale; le lendemain
les Américains félicitaient l'un et l'autre parti de leur vail-
lance. Enfin, ils finirent par proposer à Canales de se cons-
tituer avec ses troupes prisonnier de guerre à Brownsville;
mais celui-ci préféra entrer en arrangement avec Escobedo.
Un grand désordre résultait de toutes ces compétitions.
D'autre part, les incertitudes, les tergiversations de l'Em-
pereur semblaient inexplicables. Les Français résidant à
Mexico étaient dans une grande inquiétude ; les uns son-
geaient à se faire naturaliser Américains pour se mettre à
l'abri du drapeau des Etats-Unis ; les autres liquidaient
leurs affaires pour se tenir prêts à partir. Toute nouvelle
648 II* PARTIE. — CHAPITRE VI.
-1866. combinaison , si absurde qu'elle fût, trouvait créance ;
on allait jusqu'à imaginer une commission de gouverne-
ment dans laquelle le général Castelnau devait siéger k
côté de M. Lares et du général Mendez. On accusait le
maréchal de s'entendre avec Porfirio Diaz pour lui livrer
le matériel de guerre ; il était vrai que des négociations
avaient été entamées pour l'échange des prisonniers ; il y
répondait avec courtoisie, paraissait vouloir éviter tout
engagement avec les Français, et ménageait les propriétés
de nos nationaux. Delà, mille conjectures (^).
A mesure que les conservateurs s'éloignaient des repré-
sentants de la France , par une conséquence naturelle
d'équilibre, les libéraux s'en rapprochaient. Le maréchal
se défiait des conservateurs. C'était en eux qu'il voyait
maintenant les ennemis les plus dangereux ; c'était de leur
côté qu'il prévoyait les plus grands embarras, lorsqu'après
le départ de l'Empereur, il s'agirait de constituer un nou-
veau gouvernement.
f ') Des ouvertures furent faites à Porfirio Diaz par l'intermédiaire de M. Oltor-
bourg, consul des États-Unis à Mexico, pour l'engager à prendre la dircclion dos
afifaires politiques si l'empereur Maximilien abdiquait.
A ce sujet, les journaux américains reproduisirent une lettre écrite par Porflrio
Diaz àM.Romero, agent de Juarez à Washington. Celte lettre contient les affir-
mations les plus invraisemblables : « Le maréchal Bazainc, par l'intermédiaire
d'une personne tierce, me fit l'offre de mettre entre mes mains les villes occupées
par les Français, et de me livrer Maximilien, Marquez, Miramon, etc
si j'acceptais une proposition que j'ai repoussée parce que je ne la trouvais pas
honorable.
« Une autre proposition, venant également de l'initiative du maréchal Bazaine,
avait trait à Tacquisition de six mille fusils et de quatre millions de capsules. Si
je l'avais désiré, il m'aurait aussi vendu des canons et de la poudre, mais j'ai
refusé d'accepter ces propositions. »
M. Otterbourg avait en effet offert ses bons ofiices et proposé d'appeler Porfirio
Diaz à Jlexico lorsque l'empereur Maximilien serait parti. Il avait même obtenu
des principaux banquiers la promesse qu'ils fourniraient l'argent nécessaire pour
la solde de ses troupes. De tous les chefs libéraux, Porfirio Diaz était celui
avec lequel il paraissait le plus honorable d'entrer en rapport. 11 est même logique
LE MARÉCHAL BAZAINE. 649
« Aujourd'hui, écrivait le général Castelnau, les conser- <866.
valeurs sont les plus grands ennemis de l'influence fran-
çaise, parce qu'ils savent que notre intervention n'a
plus d'autre but que d'en finir avec l'Empire dont ils
vivent et par lequel ils vivent, et par un revirement qui
en est la conséquence, les libéraux se rapprochent de nous. »
Les conservateurs avaient une partie de l'armée dans leurs
mains et quelques ressources financières qu'ils augmen-
taient chaque jour par la rentrée des impôts et par le re-
fus systématique de payer les créanciers de l'Etat; aussi,
le maréchal tenait les troupes mexicaines impériales éloi-
gnées et disséminées ; il concentrait au contraire les sien-
nes, et, malgré les réclamations du ministère, il conser-
vait toujours la citadelle de Mexico. Ces mesures de mé-
fiance étaient justifiées par l'état présent des affaires et
les complications plus graves encore que l'avenir pouvait
enfanter. Le gouvernement français, ayant intérêt à se
ménager autant que possible les bonnes dispositions des
libéraux appelés à recueillir la succession de l'empereur
d'admettre que le maréchal aurait été disposé à lui céder des armes et des mu-
nitions, en tant qu'il représenterait le gouvernement appelé à succéder à l'Empire.
Mais quant à l'offre prétendue de livrer Maximilien, Marquez et Miramon, et de
rendre les places, elle est parfaitement absurde. La proposition que Porfirio Diaz
entend avoir repoussée comme peu honorable, a trait sans doute à la reconnais-
sance de la dette et des emprunts français.
Le maréchal était fort opposé à l'intervention des États-Unis ; il les considé-
rait avec raison comme les ennemis formels de la politique française au Mexique,
blâmait les pourparlers qui s'étaient engagés avec eux par l'intermédiaire do
M. Dano et de M. de Montholon, pourparlers dont il n'eut connaissance, dit-il ,
que par les renseignements reçus, vers la fin du mois de décembre, d'un de ses
officiers d'ordonnance qui traversait l'Amérique. Il désapprouvait la confiance que
le général Castelnau et M. Dano accordaient à M. Otterbourg, et les démarches de
celui-ci près des chefs libéraux. — (Le maréchal au ministre, 10 janvier i867.)
A la même époque, la confusion des esprits était si grande que M. Dano disait
au général Castelnau que le maréchal « s'entendait, sans doute, avec l'empereur
Ma.\imilien pour son propre compte, h
650 II* PARTIE. CHAPITRE VI.
^866. Maximilien, il fallait s'attendre à un déchaînement de toutes
les passions du parti opposé, et par conséquent, chercher
à le réduire à l'impuissance ; mais il était fort difficile de
séparer sa cause de celle de l'empereur Maximilien qui
ne pouvait se décider à partir.
Le 10 novembre, les généraux MiramonetMarquez, exilés
pour leurs tendances trop cléricales, revenaient au Mexi-
que ; personne ne refusait à Miramon une certaine valeur
militaire, et à Marquez, une énergie qui touchait même trop
souvent à la barbarie ; quant à leur dévouement absolu à
la cause du parti clérical, leur passé en faisait foi. Ils
dirent à l'Empereur qu'il n'y avait pas lieu de désespérer ;
souvent, ils s'étaient trouvés dans des circonstances plus
mauvaises ; on aurait des hommes, de l'argent, et, si l'Em-
pereur se donnait à lui, le parti conservateur, jadis si
méprisé, allait montrer quelles étaient ses ressources et sa
puissance.
L'Empereur recevait d'Europe des encouragements dans
le même sens. On dit que sa mère, l'archiduchesse Sophie,
lui écrivit de ne pas compromettre son honneur par une
abdication intempestive ; l'empereur d'Autriche, qui crai-
gnait de voir la popularité de son frère exploitée par le
parti de l'opposition, faisait savoir à M. Lago, ambassa-
deur d'Autriche, que le titre d'empereur ne lui serait pas
reconnu et qu'on l'inviterait à ne pas se mêler de pohti-
quc (*). Enfin, les lettres de M. Eloinne furent pas sans une
(') Les rapports entre rcmporour d'Autriclic et l'empereur Maximilien étaient
fort tendus depuis longtemps. Le 9 avril 18G4, c'est-à-dire la veille du jour fixé
pour la réception à Miramar de la dcputation mexicaine, qui devait oiïrir la cou-
ronne à l'arcliiduc Maximilien, alors que toutes les conventions avec la France
étaient conclues , que tous les arrangements étaient pris, l'empereur d'Autriche,
accompagné de quelques conseillers intimes, était arrivé à Miramar et avait exigé
de son frère : une renoneiaiiou formelle pour lui et ses descendants d la succès-
LE MARÉCHAL BAZAIKE. 651
grande influence sur l'esprit de l'emperetir Maximilien, et -isce.
réveillèrent son irritation contre le gouvernement français ;
il ne pouvait se dissimuler, en effet, ce qu'il y aurait
d'humiliant pour lui à s'embarquer presque furtivement
pour l'Europe, et à paraître quitter le Mexique sous la pres-
sion de l'empereur Napoléon, comme un serviteur obscur
renvoyé par un maître mécontent.
Quelle position aurait-il en Europe après cette malen-
contreuse aventure? Monté sur le trône du Mexique à
l'appel de l'empereur des Français, il semblerait en des-
cendre sur ses injonctions. Cette situation était pénible ;
il avait d'autant plus de peine à l'accepter, qu'un parti
riche et encore nombreux le suppliait de ne pas désespérer
de l'avenir. L'empereur Maximilien résolut de rester.
Quelque disposé qu'il fût aux illusions, il dut bien
calculer les dangers de l'avenir ; mais s'il fallait tom-
ber, encore voulait-il que ce fût avec honneur. Peu lui
importent dès lors la politique française et les représen-
tants de celui qu'il appelait naguère son auguste ami et
sion de l'empire d'Autriche , à l'exception du seul cas où tous Jes autres archi-
ducs mourraient sans descendance mâle. Quelques mois plus tard, en novenibre
1864, cette convention, connue sous le nom de : Pacte de famille, fut communi-
quée au Reichsrath ; l'empereur Maximilien protesta contre celte communication
faite sans son aveu (.Mexico, 28 décembre 18(54). Il prétendit que sa signature
lui avait été arrachée dans des circonstances où il lui était impossible de la refuser
et par des moyens déloyaux; que, du reste, les jurisconsultes, à l'examen des-
quels le Pacte de famille avait été soumis, avaient déclaré que cet acte était nul
et dérisoire, et que les Diètes seules étaient compétentes pour régler les droits
d'agnation, qui modifient un acte de la Pragmatique Sanction.
Cette protestation, le ton dans lequel elle était faite, et la persistance à sauve-
garder ses droits éventuels de succession, font croire que l'empereur Maximilien
n'avait nullement renoncé à jouer un rôle politique en Europe ; par là s'explique
''attitude de l'empereur d'Autriche à son égard, et se révèle une des raisons par-
ticulières qui, rendant difficile le retour de l'empereur Maximilien dans sa patrie,
lui faisaient désirer de quitter le Mexique dans des conditions où son prestige ne
pourrait être diminué.
6S2' 11° PARTIE, CIIAPITIŒ VI.
4866. allié. Jeté à corps perdu dans les bras d'un parti, il s'a-
bandonne à lui et répudie tout appui étranger. Que les
troupes françaises partent ! Que les Belges et les Autri-
chiens s'en aillent avec elles ! Quant à lui, il restera, grou-
pant autour de son trône toutes les forces du parti con-
servateur, qui a si souvent contre-balancé l'influence des
libéraux.
Il convoqua ses ministres et ses conseillers à Orizaba,
pour agiter, dans une dernière et solennelle séance, les
conditions nouvelles de l'Empire régénéré, épuré de toute
intervention étrangère. C'est à cette conférence qu'il avait
prié le maréchal de se trouver.
Dans une dépêche, communiquée au quartier général
par le capitaine Pierron, l'Empereur s'exprimait ainsi :
a Aucune des démarches faites par moi ne peut autoriser qui
que ce soit à croire que j'aie l'intention d'abdiquer en faveur d'au-
cun parti.
« L'appel fait au conseil d'Etat ainsi qu'aux ministres a précisé-
ment pour but de résoudre, conjointement avec eux, entre les mains
de qui on doit laisser le pouvoir quand le moment d'abdiquer sera
venu Je crois devoir rendre le pouvoir que j'ai reçu entre les
mains de la nation qui me l'a donne et laisser toutes les questions
d'origine et d'élection du nouveau gouvernement au libre arbitre
de la nation.
t Mon seul devoir consiste donc h nommer une régence provi-
soire en attendant que la nation soit convoquée, à chercher h pro-
téger les impérialistes et rien de plus
Orizaba, 20 novembre.
D'après les conseils du général Castelnau et deM.Dano,
le maréchal s'excusa de ne pas répondre à cette invitation ;
pour motiver son refus, il fit prier le général Douay, qui
était à quelques étapes de Mexico, de retarder son retour,
LE MARÉCHAL BAZAINE. 6o3
et il écrivit à l'empereur Maximilien qu'il ne pouvait quit- -ïseG.
ter la capitale, dont la garde lui était confiée, avant l'arri- ^^(^'^11^'^
vée du général Douay, et sans être tranquillisé sur les ^J^^^^fj^'J,''
mouvements militaires en cours d'exécution (18 no- "^ ^^"^^^^^^^^^^
vembre).
Dix-huit conseillers, dont quatre ministres, se rendirent
à l'appel de l'Empereur. Les conférences s'ouvrirent le
26 novembre ; huit membres opinèrent pour l'abdication ;
dix, pour le maintien de l'Empire ; neuf membres contre
neuf furent d'avis que les ressources du pays étaient suf-
fisantes et permettraient à l'Empereur de se soutenir sans
appui étranger.
L'Empereur accepta ce dernier avis ; il fit annoncer
celte détermination à Mexico et à Vera-Cruz, par le télé-
graphe, et adressa au pays la proclamation suivante :
« Des circonstances de grande importance relativement au bien-
être de notre patrie, qui ont acquis une plus grande force par nos
malheurs domestiques, avaient produit dans notre esprit la con-
viction que nous devions rendre le pouvoir que vous nous aviez
confié.
« Nos conseils des ministres et d'Etat, convoqués par nous, opi-
nèrent que le bien du Mexique exige encore que nous conservions
le pouvoir, et nous avons cru devoir accéder à leurs instances en
leur annonçant, en même temps, notre intention de réunir un con-
grès national sur les bases les plus larges et les plus libérales où
tous les partis auront accès; ce congrès déterminera si l'Empire
doit subsister, et, dans le cas affirmatif, il promulguera les lois vi-
tales pour la consolidation des institutions politiques du pays.
Dans ce but, nos conseillers s'occupent actuellement de nous pro-
poser les mesures opportunes, et l'on fera en même temps les dé-
marches convenables pour que tous les partis se prêtent à un ar-
rangement sur cette base.
« En attendant, Mexicains, comptant sur vous tous sans exclu-
634 II* PARTIE. CHAPITRE VI.
4806, sion d'aucune couleur politique, nous nous efforcerons de pour-
~ suivre, avec courage et constance, l'œuvre de régénération que
vous avez confiée à votre compatriote. »
Maximilien ('^
Les autorités municipales firent sonner les cloches et pa-
voiser les maisons. Par une communication officielle du
3 décembre, M. Lares informa les représentants de la
France que l'Empereur était résolu « à conserver le pouvoir et
à soutenir son gouvernement avec les seules ressources clupays, »
Il demanda de nouveau la remise immédiate des troupes
mexicaines et du matériel de guerre à la disposition exclusive
du gouvernement mexicain.
Le 8 décembre , le maréchal , M. Dano et le général
Castelnau se bornèrent à répondre par une note collec-
tive :
« Que, dans leur conviction, le gouvernement impérial serait
impuissant à se soulenir avec ses seules ressources. Si pénible que
ce dût être pour eux, et sans prétendre influencer en rien la déci-
sion finale, ils considéraient comme un devoir de le déclarer, en
ajoutant qu'en l'étal acluel des choses, la résolution suprême et
généreuse, à laquelle l'empereur Maxiaiilien paraissait vouloir
s'arrêter il y avait un mois, eût seule permis de chercher une solu-
tion propre à sauvegarder tous les intéréj^. »
Le maréchal Bazaine paraît ne s'être associé qu'à contre-
cœur à cette déclaration officielle contre l'Empire ; le !29
novembre, il écrivait en effet au ministre de la guerre :
« Quant à moi, je fais tous mes efforts pour remonter le
(1) Tous les documents émanes de rcmpcrcur Maximilien et de ses ministres,
pendant celle iiitéressanlc période, sont écrits en espagnol ; nous n'en avons eu
que des traductions, approuvées par le chef du cabinet du maréclial, mais dont
plusieurs passages semblent cependant assez défectueux.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 655
moral de l'Empereur, car, avec delà résolution, et surtout iseo.
de la persistance dans la conduite des affaires, il peut main-
tenir sa situation dans le centre du pays ; les gouverne-
ments précédents n'ayant jamais eu plus d'action, et beau-
coup moins de moyens militaires. »
Il ne dissimulait pas à l'empereur Maximilien les périls
de cette détermination ; depuis bien longtemps déjà, il
l'avertissait de la trahison des préfets, du mécontentement
et du peu de fidélité de l'armée ; il pensait que la convo-
cation d'un congrès était une idée généreuse, sans doute,
mais à laquelle aucun des partis ne s'associerait. Il croyait
cependant que l'Empereur avait encore assez de forces
dans le pays pour se retirer un jour plus honorablement,
et trouver au moins une occasion de succomber glorieuse-
ment; il lui répugnait de porter les mains sur ce trône
élevé à tant de peine, et pour la consolidation duquel
tant d'argent avait été dépensé, tant de sang français
répandu ; si l'Empire devait être renversé, que ce ne fût
pas l'œuvre de ceux mêmes qui l'avaient éditié !
« Nous aurions mauvaise grâce à susciter des embarras au pou-
voir que nous avons contribué à élever. L'Empereur déclare qu'il
se maintiendra avec ses seules ressources, il ne nous reste donc
qu'à nous retirer le plus promptement. »
« Pour moi, écrivait-il encore, je ne pourrais que m'associer
favorablement à la haute décision prise par l'empereur Maximi-
lien; malheureusement, ma confiance dans Tavenir, dans les
hommes destinés à soutenir le trône impérial, dans les moyens
que le gouvernement sera fatalement appelé à employer, dans les
ressources financières et dans l'esprit du pays, n'est point aussi
absolue que celle de Sa Majesté. Jusqu'au dernier moment, je sou-
tiendrai de tout mon pouvoir une cause h laquelle se rattachent
le nom et l'intluence de la l'rance.
« Je n'ai épargné, dans le passé, ni les conseils ni les avertisse-
6o6 II* PARTIE. — CHAPITRE VI.
-1866 ments. Tout récemment encore, je n'ai point caché à Sa Majesté
"■ qu'elle ne devait pas fonder grand espoir sur les moyens militaires
qu'on lui offrait. J'ai exposé loyalement mon sentiment, mais je
me suis cru, et je me crois encore obligé à donner mon appui
moral, aussi bien que celui de mes troupes, au souverain dont les
défaillances et les oscillations pouvaient, dans les circonstances
actuelles, compromettre notre situation.
<r II faut avoir éprouvé toutes les inquiétudes que me causaient
l'éloignement du 62" de ligne -et de toutes les troupes disséminées
sur la surface de l'Empire, et la difficulté de les ramener à ma por-
tée pour se rendre compte des ménagements que j'ai dû garder
avec tous les partis ('\>
La connaissance, qu'il avait acquise du caractère mexi-
cain, révélait au maréchal des difficultés, dont ne pouvaient
se rendre aussi bien compte les personnes moins au cou-
rant que lui des hommes et des choses du pays. Il voyait
le parti libéral se morceler en factions qui ne seraient
pas assez fortes pour dominer la situation et garder le
pouvoir; toutes garanties accordées par l'une ou l'autre
de ces factions seraient illusoires, et il y aurait même
quelque humiliation à les solliciter, au risque de s'exposer
à un refus.
Les États-Unis ne se prêteraient à aucune des combinai-
sons que la France pouvait désirer; ils ne reconnaî-
traient jamais d'autre gouvernement que celui de Juarez,
et il n'était pas possible de traiter avec ce dernier qui,
d'ailleurs, n'y consentirait probablement pas. Enfin, dans
le désordre et l'anarchie qui suivraient une abdication,
quel serait le sort des garnisons et des colonnes françaises
encore éparses, encombrées de convois, n'ayant plus au-
cun appui dans le pays, débordées de tous côtés par des
ennemis dont les moins irrités ne seraient pas les alliés de
la veille?
(1) Le mareclial au ministre, 9 dccembro.
LE MARÉCHAL BAZAIKE. 657
Le maréchal différait d'opinion avec le général Castel- ''866.
nau ; il commençait à trouver très-lourde la tutelle
qui lui avait été imposée : « Je serai heureux de sortir
d'une situation qui devient tous les jours plus pénible,
sous bien des rapports, et qui affecte m,on moral ainsi que
mon énergie , par suite de la restriction apportée à toute
initiative de ma part, quoique les instructions de l'Empe-
reur, du 15 septembre, assurent que ma liberté d'action
doit rester la même, ainsi que ma responsabilité vis-à-vis de
S. M.; c'est assez difficile à concilier avec l'autorité de
contrôle donnée à M. le général Castelnau... Je ne puis
que m'incliner, mais il est dur de passer au second rang.»
Le seul désir du maréchal était alors de partir au plus vile;
il demandait au ministre d'envoyer sans retard tous les
transports et promettait d'être prêt à s'embarquer au mois
de février.
Peu de temps avant les conférences d'Orizaba, la fré-
gate américaine, portant la mission Sherman et Camp-
bell, était arrivée sur les côtes du Mexique. Le ma-
réchal en avait été prévenu par une lettre de l'amiral
Didelot, écrite de New-York. « L'aménité, l'esprit conci-
liant du général Sherman, ses bons sentiments pour la
France » devaient faire espérer, disait l'amiral, que
des relations pourraient « s'établir sur un pied facile et
cordial.»
La Susquehannah s'était arrêtée à Tampico, et avait fait
demander au commandant de l'escadre française quel ac-
cueil elle trouverait à Yera-Cruz. Le maréchal répondit
qu'on accueillerait la frégate comme tout bâtiment de
guerre d'une nation amie, et que, si le général Sher-
man désirait venir à Mexico, il serait reçu avec la dis-
42
6S8 ' II' PARTIE. CHAPITRE VI.
4866. tinction due à son haut grade et la plus franche cor-
~" dialité.
La frégate américaine arriva le 29 novembre à Vera-Gruz,
par une tempête du Norte ; le commandant Cloué fit com-
plimenter le général Sherman , mais celui-ci exprima l'in-
tention de n'aller à Mexico que sur une pressante invita-
tion du maréchal. Vraisemblablement, la mission améri-
caine supposait l'empereur Maximilien parti ou près de
partir ; elle croyait trouver une situation qui lui permît,
sans entrer en conflit avec les Français, d'accord même
avec eux , d'aider au rétablissement du gouvernement
répubUcain. Il n'en était rien. Le préfet de Vera-Gruz
venait, au contraire, de faire publier la dépêche annon-
çant la résolution de l'Empereur de rester au Mexique,
et des réjouissances publiques célébraient cette nouvelle
(1^'" décembre). Les Américains comprirent qu'ils n'avaient
qu'à se retirer; en effet, dans la nuit du 2 au 3 décembre,
la Susquehannah leva l'ancre sans avoir mis personne à terre.
L'empereur Maximilien fut profondément blessé de ces
pourparlers engagés entre la France et les États-Unis,
dans le but d'activer son départ et de régler sa succes-
sion (*).
Le fifénéral Gastelnau et le maréchal avaient envoyé, le
(') Une circulaire du gouvernement mexicain, datée du 10 décembre, en
donne la preuve : « On a fait savoir à l'Empereur qu'entre le gouvernement
français et celui des États-Unis, s'étaient nouées des négociations pour assurer une
médiation franco-américaine, en vertu de laquelle on se promettait d'apporter un
terme à la j/uerre civile qui désolait le pays ; et pour arriver à ce but on consi-
dérait comme indispensable que le gouvorneracnl qui s'établirait sous cette mé-
diation reprit la forme républicaine et s'inspirât des libéraux. Les espérances de
notre gouvernement , qui étaient basées, en partie, sur une loyale et ferme
alliance avec la France pour la consolidation de l'ordre actuel, se voyaient ainsi
trompées. »
LE 3IARÉCHAL BAZAINE. 6o9 _.
2 décembre, à l'empereur Napoléon une dépêche chiffrée
ainsi conçue :
<t L'empereur Maximilien paraît vouloir rester au Mexique, mais
on ne peut y compter. L'évacuation devant être terminée en mars,
il est urgent que les transports arrivent; nous pensons que le régi-
ment étranger doit être aussi embarqué; quant aux officiers et sol-
dats français détachés aux corps mexicains peut-on leur laisser la
faculté de revenir ?
« Le pays est inquiet, la mission, Campbell et Sherman arrivée
devant Vera-Cruz, le 29 novembre, partie le 3 décembre, semble
disposée à solution pacifique; elle ne donne pas moins appui mo-
ral au président Juarez par la déclaration du gouvernement fé-
déral.
Signé: Bazai.ne, Gastelnau.
L'Empereur répondit :
« Rapatriez la légion étrangère et tous les Français, soldats et
autres, qui désirent rentrer, ainsi que les légions auti'ichienne et
belge, si elles le demandent (13 décembre).
Cette réponse fut portée officiellement à la connaissance
du gouvernement mexicain par une communication du 19
décembre (').
(') Le gouvernement français se considérait, déjà depuis longtemps, comme
délié des engagements du traité de Miramar ; il comptait sur l'ab Jication pro-
chaine de l'empereur Maximilien, et cependant aucun contre-ordre n'avait été donné
relativement à l'envoi au Mexique du 6' bataillon de la légion étrangère. Le o
novembre, cent trente hommes arrivaient par le Rhône ; un détachement de même
force arrivait encore, le il décembre, par le Panama. Il est difficile d'expliquer
ces envois de troupes autrement que par une erreur dans la transmission des
ordres de mouvement
CHAPITRE SEPTIÈME
SOMMAIRE.
xMouvemcnts de retraite de l'armift française. — Évacuation de la Sonora. —
Combats autour de Mazatlan; évacuation. — Évacuation de Guadalajara (12
décembre). — Combats autour de Matehuala. — Évacuation de San Luis (23
décembre 1866). — Combat de Miahuatlan (3 octobre). — Prise d'Oajaca par
Porfirio Diaz (30 octobre). — Mouvements militaires entre Perote et Tehua-
ean. — Entrevue de l'empereur Maximilien avec le général Castelnau et
M. Dauo à Puebla (20 décembre). — Difficultés au sujet.de la convention du
30 juillet. — Déclaration du maréchal à la conférence du 1 i janvier 18C7. —
Mesures de rigueur ordonnées par le maréchal à Mexico. — Rupture du ma-
réchal avec le gouvernement mexicain et l'empereur Maximilien. — Départ de
Mexico du maréchal et de la dernière colonne de troupes françaises (o février).
— Embarquement du corps expéditionnaire. — Dernières opérations des troupes
impériales mexicaines. — Siège et prise de Queretaro, par les forces libérales
(15 mai). — Expédition du général Marquez sur Puebla. — Condamnation
à mort et exécution de l'empereur Maximilien (19 juin). — Capitulation de
Mexico (21 juin). — Capitulation de Vera-Cruz (28 juin).
Au milieu de ces nombreuses complications politiques,
l'armée française avait poursuivi son mouvement de re-
traite.
Le 62^ de ligne, qui occupait les provinces éloignées de
Sonora et de Sinaloa, et dont le retour avait été, pour le
maréchal, l'objet de graves préoccupations, était enfin
parvenu sans encombre à Tepic, et se dirigeait sur Mexico.
Moiivemenls
(le retraiti' li*
l'arméo
française.
Evacua'ion
(le la Sonora.
662 11^ PARTIE. CHAPITRE VII.
1866. L'évacuation des provinces du Nord-Ouest avait été suivie
de représailles, de vengeances, de cruautés, qu'on attri-
buait à la présence, dans les bandes ennemies, d'un nom-
bre assez considérable de flibustiers américains.
Depuis le mois d'octobre 1865, le 62^ de ligne était
resté seul chargé de l'occupation de la Sonora et du Sinaloa,
ou plus exactement des ports de Guaymas et de Mazatlan.
La faiblesse de son effectif ne lui permettant pas d'envoyer
des détachements à une grande distance de ces places, la
défense de l'intérieur du pays avait été confiée aux forces
mexicaines. Dans la Sonora, elles s'étaient fort bien com-
portées. Le général Langberg, commissaire impérial, dé-
ployait une grande activité ; il avait environ 1800 hommes
de troupes et tirait bon parti des dispositions favorables
des tribus indiennes. Les Opatas surtout, sous l'énergique
direction de leur chef Tanori, faisaient preuve de courage
et de fidélité. Ils occupaient la Magdalena, Urès, El Altar,
Opozura, et tenaient partout l'ennemi en respect.
A Alamos, une faible garnison de quatre cents hommes
avait succombé sous le nombre des assaillants, mais elle
s'était vigoureusement défendue et avait perdu la moitié de
son effectif (7 janvier). Cependant, le 3 mai, Garcia Mora-
les et Pesquiera se jetèrent à l'iinproviste sur Hermosillo,
enlevèrent la ville malgré la résistance de la population et
d'une garnison de trois cents hommes, et signalèrent leur
victoire par des massacres, dans lesquels périrent trente-
sept Français, habitants de la ville. Hermosillo fut immé-
diatement réoccupé par les forces impériales. Les hbéraux
y rentrèrent le mois suivant (4 juin) ; ils en furent encore
chassés deux jours après.
Le lieutenant-colonel Fistié, qui commandait à Guaymas
la garnison française, voulut essayer de dégager le pays en
LE MARÉCHAL BAZAIKE. 663
combinant un mouvement avec les forces mexicaines. <866.
Il se porta sur Hermosillo avec quatre compagnies ;
mais cette opération ne réussit pas comme il l'espérait
(août) 0).
L'ordre d'évacuer la Sonora étant arrivé à celte époque,
la colonne française abandonna définitivement Hermosillo;
un certain nombre de familles du pays s'enfuirent derrière
elle. Le 15 septembre, les dernières troupes françaises de
la garnison de Guaymas furent embarquées sur les bâtiments
de l'escadre.
Le général Langberg s'efforça de conserver la province
à l'Empire, mais il fut complètement battu à Tecolipa et
tué dans l'action ; ses troupes se dispersèrent. L'ennemi
prit possession d'Urès et d'Hermosillo, où il commit de
nouvelles atrocités, puis il s'empara de Guaymas. Le vail-
lant Tanori continua, quelque temps encore, une guerre
de partisans sans espoir ; fait prisonnier, il fut passé par les
armes, et tous ceux qui avaient favorisé l'intervention fran-
çaise subirent les plus durs traitements.
Le maréchal avait d'abord voulu faire débarquer à San
Blas les troupes de la garnison de Guaymas; il modifia ce
projet, de peur que l'ennemi n'inquiétât ce faible dé-
tachement pendant le trajet très-difficile de San Blas à
Guadalajara. Les compagnies du 62^^, ramenées de Sonora,
furent mises à terre à Mazatlan ; elles apportèrent un ren-
fort très-opportun à la garnison épuisée par les fièvres et
par les combats journaliers.
La province de Sinaloa n'avait jamais été pacifiée; Co-
(') Le lieutenant-colonel Fistié en fut si douloureusement affecte qn'il se lua
dans un accès de lièvTe chaude.
664 II" PARTIE. CHAPITRE VU.
i866. rona était maître du pays et entourait Mazatlan ; Perfecto
Combats Guzman, son lieutenant, après s'être soumis, venait de se
autour ' r '
de Mazatlan. prononcer de nouveau contre l'Empire. Lozada, qui aurait
Evacuation. ^ r ' m
pu contre-balancer l'influence des chefs libéraux, était mé-
content, jaloux du général Rivas, commandant des troupes
mexicaines de Mazatlan, et ne se montrait plus disposé à
quitter le territoire de Tepic, où il jouissait d'une autorité
incontestée.
Au commencement de l'année 1866, Corona, qui avait
re'uni douze cents hommes, poussa des reconnaissances de
cavalerie jusqu'aux portes de Mazatlan; le 10, il ten-
tait un coup de main sur la ville, mais il était repoussé
et forcé de se retirer vers Guliacan. Le 25 janvier, le 8
février, il attaqua de nouveau (*).
Lozada ayant consenti à rentrer en campagne, le colonel
Roig, commandant supérieur de Mazatlan, fit sortir quatre
compagnies françaises, cinq cents Mexicains, et quatre
pièces, sous les ordres du commandant de Locmaria(l8
mars). Cette colonne se dirigea sur le Presidio, tandis que
les embarcations de l'escadre pénétraient dans l'Estero
d'Urias. Le 19 mars, le Presidio fut enlevé; mais, presque
aussitôt, Corona vint attaquer la position avec deux mille
cinq cents fantassins, cinq cents cavaliers, et neuf canons..
La lutte fut acharnée pendant trois heures ; les ca-
nonniers ennemis se faisaient sabrer sur leurs pièces; enfin
deux canons furent pris, et, vers cinq heures du soir, les
troupes de Corona, qui avaient subi des pertes sensibles,
repassèrent la rivière. Elles attaquèrent encore le lende-
main sans plus de succès. La colonne franco-mexicaine eut
(') La garni.son française de Mazatlan couiptail alors !, 310 hommes, dont
150 malades.
LE MARECHAL BAZAINE. 66o
huit morts et cinquante blessés, qu'elle ramena le 22 mars ^sgg.
à Mazatlan.
Lozada était parti de Tepic le 21 mars ; deux jours
après, il battit Perfecto Guzman à Guajicori, et s'avança,
le l®"" avril, jusqu'à San Sebastien. Le commandant de
Locmaria était de nouveau sorti de Mazatlan le 30 mars et
se trouvait à Tecomate ; il entendit son canon, mais ne put
entrer en relation avec lui. Lozada, qui ne recevait pas
du général Rivas l'argent dont il avait besoin pour payer
ses troupes, ne poursuivit pas ses avantages; il rétrograda
au grand regret du colonel Roig. On n'obtint aucun des
résultats qu'une bonne entente entre les chefs eût sans
doute amenés.
Des renforts arrivèrent à Gorona ; en outre, il fit arrêter
en mer le vapeur américain Stephens, lui enleva 500 fusils,
300 pistolets à destination de Mazatlan, et revint devant
les positions françaises.
Le 0 mai, à la tète de dix-huit cents hommes, il attaqua le
commandant.de Locmaria au bivouac de Baron, sur le Rio
Mazatlan. Un vigoureux mouvement à la baïonnette, suivi
d'une brillante charge des chasseurs d'Afrique, déconcerta
l'ennemi qui perdit deux canons, une centaine de morts
et de blessés ; le détachement français eut un officier, six
hommes tués et dix-sept blessés.
Le maréchal avait donné l'ordre de former, à Mazatlan,
un bataillon de cazadores, destiné à occuper ce port après
le départ de la garnison française ; on trouva très-peu
de soldats français disposés à entrer dans ce batail-
lon ; quant au recrutement mexicain, il devait se com-
poser, entre autres éléments, « de soixante-quinze mal-
heureux qu'un vapeur débarqua un jour, nus comme des
vers, enchaînés comme des forçats. » Le chef de bataillon
666 if PAUTiE. CHAPITRE VU.
!866. refusa de les recevoir, et, cette troupe ne pouvant être
sérieusement organisée, il fallut songer à abandonner la
ville.
Les forces de Corona grossissaient sans cesse ; elles in-
quiétaient, presque chaque jour, un poste avancé placé à
Palos Prietos. Dans la nuit du 11 au 12 septembre, deux
mille fantassins et un millier de cavaliers attaquèrent
un détachement français, fort de deux cent dix hommes,
et une compagnie de cazadores, qui occupaient ce point.
Pendant une heure, on combattit corps à corps, enfin une
colonne de secours accourut de Mazatlan. Les défenseurs
de Palos-Prietos étaient enveloppés de toutes parts, mais
l'escadron de chasseurs d'Afrique, perçant la cavalerie en-
nemie, ouvrit le passage aux renforts. Le combat recom-
mença avec acharnement. Cinq fois le capitaine Adam, avec
cinquante chasseurs d'Afrique et soixante cavaliers mexi-
cains, se lança furieusement sur l'ennemi. On resta maître
du terrain ; les pertes furent de vingt-trois tués et cinquante
blessés. Celles de l'adversaire furent estimées à cinq cents
hommes. La décomposition rapide des cadavres força le
colonel Ptoig à faire rentrer le lendemain toutes les troupes
dans la ville.
Le 18 septembre, la garnison de Guaymas débarquait à
Mazatlan ; on se félicitait de ce renfort dans un moment
aussi critique ; malheureusement, ces troupes, venant d'un
climat plus sain, furent vivement éprouvées par les fièvres;
douze hommes moururent en quelques jours ; on avait cent
vingt malades à l'hôpital et le double d'hommes indispo-
nibles (25 septembre).
L'évacuation de Mazatlan était décidée, mais l'épuisement
des troupes et le nombre des malades obligèrent d'y sur-
LE MARÉCHAL BAZAINE. ^^^
seoir 0). En outre, les pluies avaient rendu impraticable
la route de San Blas à Guadalajara ; on chercha en vain le
moyen de débarquer sur un autre point, et l'on pensa même
un instant à faire revenir le 62^ de ligne, directement en
France, par l'isthme de Panama ; il fut d'ailleurs décidé que
les malades et les blessés seraient transportés par cette
voie. On savait que Gorona, prévoyant l'évacuation de
Mazatlan, envoyait déjà une partie de ses forces barrer le
chemin, entre San Blas et Tepic, du côté de Navarete. Le
28 octobre, ses cavaliers avaient paru dans cette région.
Les inquiétudes du maréchal, de l'amiral Mazères, chargé
de diriger l'évacuation, celles du colonel Roig, n'étaient
que trop justifiées. On pria Lozada de déblayer la route;
mais, en ce moment même, il proclamait l'indépendance et
la neutralité de son territoire ; son concours devenait donc
de plus en plus douteux.
Enfin, bien que tous les gros bagages dussent rester à
bord des vaisseaux, il fallait trouver au moins un millier
de mulets de charge pour porter les sacs des soldats, et
l'on craignait que l'ennemi n'attaquât le convoi lorsqu'il
défilerait à travers les marais ou les barrancas abruptes
qui coupent la route. Ces considérations engagèrent le
maréchal à prescrire au général de Castagny, qui s'était
déjà repHé de Zacatecas à Léon, de se porter au-devant du
62" avec une colonne légère et, s'il le croyait nécessaire,
de pousser jusqu'à Tepic.
A mesure que s'épuisaient les forces de la garnison de
Mazatlan, l'audace de Corona allait s' augmentant ; il avait
réuni, à quarante lieues à la ronde, tous les hommes en
(I) Le 23 octobre, sur un effcclif de 2,013 hommes, la garnison de Mazatlan
avait 339 hommes à l'hôpital et 391 malades à la chambre.
ism.
668 n^ PAUTIE. CHAITIKE vil.
486G. état de porter les armes et voulait, disait-il, jeter les
Français a la mer. Un tiers de la garnison était tou-
jours sous les armes ; un tiers de piquet ; le reste se re-
posait. Dans la nuit du 11 au l!2 novembre, l'ennemi
arriva jusque dans les fossés de la ville. La nuit suivante,
il renouvela encore deux fois sa tentative, mais il futéner-
giquement refioussé.
Tous les préparatifs du départ étaient terminés; le
8 novembre, deux navires du commerce avaient embarqué
une partie des chevaux et les gros bagages. Le 12 au soir,
les bâtiments de guerre prirent le reste des chevaux et les
malades. L'amiral Mazères fit prévenir Corona que la ville
serait abandonnée le lendemain. Le 13, à 10 heures du
matin, les derniers détachements, forts de treize cents
hommes, se réunirent sur le môle et s'embarquèrent
sous la protection des chaloupes, sans que l'ennemi cher-
chât à gêner l'embarquement.
Le lendemain, l'escadre était à San Blas ; elle débarqua
les troupes qui devaient revenir par la voie de terre ; six
. cents malades furent conduits à Panama ; on devait les lais-
ser à l'hôpital français établi sur ce point, ou les rapa-
trier par le cap Horn.
Corona occupa immédiatement Mazatlan. 11 somma, sous
les peines terribles de la loi du 25 janvier 1862, tout ha-
bitant qui « cacherait un Français ou un traître», recèle-
rait des armes ou quoi que ce soit leur appartenant, d'en
faire la déclaration dans les vingt-quatre heures.
Le 18 novembre, le colonel Roig se mit en marche; il
arriva le 21 à Tepic, où le général de Castagny l'attendait
depuis la veille. Toute inquiétude était dissipée au sujet de
cette brave troupe qui, pendant un an, isolée sur les côtes
du Pacifique, avait résisté aux épreuves les plus dures et
LE MARÉCHAL BAZAINE. 669
glorieusement défendu l'honneur de son drapeau. Elle re- ^866.
vint à petites journées k Mexico; son passage et celui des
convois d'évacuation de Guadalajara furent protégés par
de fortes garnisons établies à Aguascalientes, à Léon, et
sur les points principaux de la route.
Le dernier échelon des troupes françaises, restées dans ^ Kvacuaiion
J- •* do Uuadalajara
l'Etat de Jalisco, se replia derrière le 62*^ de ligne. Guada- ( 1 2 décembre).
lajara fut remis, le 12 décembre, aux forces mexicaines
commandées par le général Gultierrez. Elles auraient pu
tenirlongtemps encore, si elles avaient été soldées régulière-
ment, caries dispositions du pays n'étaient pas mauvaises ;
des pronunciamientos avaient eu lieu, il est vrai, dans le
sud de la province, à Cocula, à Tequila, à Aullan, à Coal-
coman, mais les gardes rurales les avaient réprimés. Mal-
heureusement le manque d'argent força le général Guttier-
rez à en licencier une partie au moment même où il en
aurait eu le plus grand besoin. Il venait aussi de perdre le
concours d'un officier français énergique, le capitaine Ber-
thelin, commandant le régiment mexicain de gendarmerie
de Guadalajara et qui, familiarisé avec le pays, rendait de
nombreux services. Il avait eu, le 10 novembre, une ren-
contre avec les bandes ennemies au Paso de Guayavo (16
lieues de Colima), et avait été tué avec quarante de ses
hommes.
On réunit à Guadalajara le o*^ bataillon de cazadores
(bataillon de Guadalajara), le 6' bataillon (d'Aguascalientes),
le 7® bataillon (de Mazatlan), afin d'appuyer le général Gut-
lierrez ; mais un ordre télégraphique de l'empereur Napo-
léon, ayant prescrit au maréchal de rapatrier tous les
hommes qui s'étaient engagés primitivement à rester au
Mexique, ces bataillons se désorganisèrent.
670 II" PARTIE. — • CHAPITRE VII.
4866. Vers cette époque, le 5* bataillon, sous les ordres du com-
mandant Sayn, fut enveloppé par des forces supérieures au
cerro de la Coronilla, entre Zapotlan et Guadalajara, et
complètement détruit après un combat de cinq heures ; la
plupart des Français furent tués et cent cinquante faits pri-
sonniers. Le 19 décembre, Guadalajara tomba aux mains
des libéraux.
Depuis un mois déjà, Durango était en leur pouvoir. Le
colonel Gottret, commandant le dernier détachement fran-
çais laissé dans cette région, se repliait lentement de Du-
rango sur Zacatecas, et de Zacatecas sur Aguascalientes, où
il s'arrêta quelques jours. Les troupes impériales ne tinrent
pas mieux à Zacatecas qu'à Durango; elles évacuèrent cette
ville derrière la colonne française ; les libéraux l'occu-
pèrent le 26 novembre. Les représentants du gouverne-
ment de l'empereur Maximilien ne purent se maintenir sur
aucun point ; la retraite lente et méthodique des Français
livrait chaque jour à l'ennemi une ville nouvelle; les auto-
rités, les fonctionnaires, un grand nombre de familles
s'enfuyaient. Ce mouvement rétrograde, pendant lequel le
drapeau français ne reçut jamais une insulte et protégea
toujours efficacement ceux qui voulurent s'abriter sous ses
plis, n'en était pas moins signalé chaque jour par des épi-
sodes douloureux dont souffrait vivement la gé-nérosité de
nos soldats.
Les colonnes d'évacuation, se suivant à petites journées,
arrivèrent successivement à Queretaro.
Le général de Castagny, avec le 18^ bataillon de chas-
seurs et un bataillon du 7® de ligne, formait le dernier
échelon.
Le 28 décembre, il quitta définitivement Léon. Quelques
LE MARÉCHAL BAZAINE. 671
détachements de cazadores licenciés avaient encore à re- i86g.
joindre; ils revinrent isolément et, pour la plupart, sans
être inquiétés par les chefs libéraux qui favorisèrent leur
départ plutôt qu'ils ne l'entravèrent.
Les derniers détachements français, restés dans l'Etat
de San Luis Potosi, arrivèrent aussi à Queretaro à la fin
du mois de décembre. L'évacuation de cette province
avait été fort délicate; l'ennemi, en forces nombreuses,
menaçait sans cesse les convois et se tenait prêt à pénétrer
dans le centre du pays.
Depuis le mois d'août, Matehuala formait la limite extrême combats
dos positions occupées par les troupes franco-mexicaines de Maiehuaia.
dans les provinces du Nord-Est. Plus en arrière, des pos!es
français gardaient Venado et Bocas ; les Mexicains alliés,
Peotillos et Corcobada ; les autres points étaient évacués.
Des dissensions, survenues entre les chefs libéraux, dont
les uns tenaient pour Ortega, les autres pour Juarez, avaient
procuré quelque répit à la garnison de Matehuala. Au
mois de septembre, les forces ennemies s'étant rappro-
chées des positions françaises , le commandant de La
Hayrie sortit de Ma'ehuala; le 17, il atteignit et dispersa
au cerrito de Zephirino Flores, les bandes réunies de
Martinez et de Zepeda. Les conduites d'eau de la ville
ayant été coupées, la garnison fit une nouvelle sortie
quelque temps après, et parvint à remplir un réservoir.
L'ennemi concentrait, disait-on, cinq mille hommes et
dix canons pour enlever Matehuala. Le maréchal Bazaine
prescrivit alors au général Douay de faire un mouvement
offensif à deux ou trois journées de marche au delà de Ma-
tehuala, de frapper un coup vigoureux, et d'évacuer en-
suite tout le pays jusqu'à San Luis.
672 11^ PARTIE. CHAPITRE Vil.
'J86G. Le général Douay se porta donc à Matehuala, forma
deux colonnes, l'une de deux bataillons, trois escadrons,
et quatre pièces sous son commandement direct, l'autre
d'un bataillon , un escadron, et deux pièces , sous les
ordres du commandant de La Hayrie. Le 20 octobre, le
général Douay atteignit la cavalerie ennemie à la Laja de
Abajo et la poursuivit jusqu'à la nuit ; l'infanterie s'était
jetée dans les montagnes. Il se dirigea le lendemain sur
Valle Purissima, où se trouvaient d'importants approvi-
sionnements ; mais il ne lui fut plus possible de joindre les
forces libérales qui se retirèrent partout devant lui. Il re-
vint à Matehuala le 25 octobre, détruisit les fortifications
et fit évacuer la place le 27 et le 28. Déjà les grands parcs
avaient été acheminés vers Queretaro ; les troupes les sui-
virent à peu de dislance, accompagnant d'énormes convois
de matériel ou d'émigration.
Une colonne mobile de deux bataillons, deux escadrons,
et deux sections] d'artillerie, sous les ordres du colonel
Guilhem, du régiment étranger, fut provisoirement laissée
à San [Luis pour appuyer le général Mejia, qui devait
prendre le commandement des provinces du Nord-Est.
Très-populaire dans cette partie du Mexique, le général
Mejia y fut reçu avec un grand enthousiasme ; cependant,
comme il trouvait insuffisants les moyens mis à sa disposi-
tion, il refusa de rester ainsi isolé. Le maréchal lui envoya
les 2* et ¥ bataillons de cazadores, et retarda jusqu'à leur
arrivée le départ de la dernière colonne française.
Le colonel Guilhem tenta un coup de main sur les avant-
postes libéraux qui cernaient la ville de fort près ; le secret
de son] opération ayant été connu de l'ennemi, il put
seulement surprendre un détachement de deux cents
hommes près de la Parada. La position du général Mejia était
LE MARÉCHAL BAZAINE. 673
très-mauvaise ; malade, découragé, mal secondé, sans ar- '^^^•
gent, il paraissait peu probable qu'il pût se maintenir long-
temps, mais il avait à portée ses fidèles montagnards de la
Sierra-Gorda, qui résistaient vaillamment aux entreprises
des bandes libérales de Rio Verde et près desquels il pou-
vait trouver un appui certain.
Enfin, il fallut abandonner San Luis comme les autres Évacuation
villes; les dernières troupes françaises en partirent le 23 (23 déc. 4866).
décembre ; bientôt après, le général Mejia se repliait sur
San Felipe.
Au commencement de l'année 1867, l'arrière-garde de
l'armée française se trouvait donc à Queretaro ; les co-
lonnes d'évacuation, les convois, le matériel s'échelon-
naient sur la route de Vera-Cruz. Ce mouvement rétro-
grade ne s'opérait pas sans difficulté. Une infinité de petites
bandes se levaient de toutes parts. On retrouvait à leur tête
les mêmes hommes que l'on avait traqués au commence-
ment de l'expédition : Figueroa au sud de Puebla ; Domin-
guez. Telles, Guellar, au nord ; Prieto aux environs de
Vera-Cruz ; Alatorre, du côté de Jalapa ; Fragoso, dans la
vallée de Mexico.
L'insurrection de la Huasteca inquiétait particulièrement
le maréchal ; il avait ordonné des travaux de fortification
sur la route, et, au mois d'octobre précédent, il était allé
inspecter lui-même le pays, afin de se rendre compte des *
moyens à employer pour contenir l'ennemi et couvrir effi-
cacement la ligne de communication avec la mer.
Depuis Tula de Mexico jusqu'à Tuxpan, la Huasteca était
en armes; les Autrichiens durent évacuer Zacapoaxtla, et
la colonne mobile du major Polak se replia sur Tulancingo
(août 1866). Les garnisons de Perote et de Jalapa étaient
43
674 if PARTIE. CHAPITRE VII.
<866. très-menacées ; Huamantla, Apam et Chignahuapan se
"" prononcèrent contre l'Empire ; Tlaxco tomba au pouvoir
des libéraux ; un détachement mexicain envoyé au secours
de la ville fit défection, ses officiers en tête.
Plus au nord, le bataillon belge, revenant de San Luis
Potosi, avait été dirigé sur Tula pour s'opposer au progrès
des guérillas deMartinez qui avaient envahi Zimapan et Ix-
miquilpan. Le colonel Van der Smissen crut pouvoir réoc-
cuper Ixmiquiipan ; il partit, le 24 septembre, au soir avec
deux cent cinquante hommes à pied et deux compagnies
montées ; franchissant pendant la nuit les quinze lieues qui
le séparaient d'Ixmiquilpan, il attaqua le village le lende-
main matin, pénétra jusqu'à la place principale, mais ne
put enlever le réduit et fut forcé de battre en retraite. Il
eut la plus grande peine à ramener sa colonne en se défen-
dant pied à pied contre la cavalerie ennemie; lespopulations
soulevées coupaient les ponts, élevaient des barricades pour
entraver sa marche ; il rentra enfin à Tula après avoir perdu
onze officiers et soixante hommes tués ou blessés.
Les colonnes françaises étaient en mouvement dans
tous les sens, pour poursuivre les guérillas ennemies et les
éloigner de la route que suivaient les convois d'évacuation.
Le colonel Rodriguez, rallié à l'intervention depuis 1863,
s'était prononcé du côté de San Juan de los Llanos et avait
enlevé un convoi d'une cinquantaine de malades autrichiens
■ qu'on ramenait de Perote à los Llanos. Il s'établit dans
cette ville, à vingt lieues seulement dePuebla (sept. 1866).
Cette situation n'était pas sans danger. Le maréchal di-
rigea sur Mexico les Autrichiens de la garnison de Puebla,
pour les mettre à la disposition de l'Empereur, et lit occu-
per celle place et toute la ligne jusqu'à Yera-Gruz par des
troupes françaises. Le bataillon de tirailleurs algériens des-
LE MARÉCHAL BAZAINE. 67S
cendit dans les terres chaudes ; par suite du contre-ordre iseti.
arrivé de France, le 81" de ligne, qui était à Yera-Cruz
pour s'embarquer, fut rappelé en arrière et occupa for-
tement la ligne de San Andrès-Chalchicomula, La Canada
de Ixtapan, et Tehuacan ; une colonne légère, forte de
treize compagnies du l'*'" zouaves, quatre escadrons, trois
sections d'artillerie, sous le commandement du colonel
Clinchant, fut envoyée de Mexico à Tlascala. Cette colonne
accompagna le connnandant en chef dans sa tournée à
Puebla, Tlaxcala, Atlancotepec, Apam, Teotihuacan et
Olumba. Le maréchal, en rentrant à Mexico, laissa le co-
lonel Clinchant à Apam, d'où il devait se porter sur Tulan-
cingo pour appuyer le major Polak.
Cinq cents Plaleados, qui avaient pillé Apam quelque Destruction
temps auparavant, étaient alors à Huauchinango. Huauchinango.
Le 14 octobre, le major Polak, soutenu à distance par
le colonel Clinchant, enleva ce repaire après un violent
combat et incendia le village. Il se replia ensuite sur Tu-
lancingo, et la colonne française revint à Mexico en passant
par Pachuca; mais à peine était-elle partie, que les garni-
sons autrichiennes se \irent débordées par l'ennemi ; Pa-
chuca fut attaqué le P''' novembre; le 9, un détachement
autrichien fut détruit près de Real del Monte. On se vit
obligé d'abandonner ces deux villes (14 novembre); les
Autrichiens se concentrèrent sur Tulancingo, puis sur Tlax-
cala. Le régiment belge, relevé à Tula par le bataillon de
cazadores de Queretaro, vint occuper Tulancingo; un dé-
tachement du bataillon de cazadores de Mexico fut placé à
Apam. La contre-guérilla, sous les ordres du commandant
Delloye, fut chargée de surveiller les débouchés de la
Sierra, entre Tiasco et San Andrès.
676 II' PARTIE. CHAPITRE Vil.
4866. Les bandes ennemies ne respectaient même pas la vallée
de Mexico. Fragoso osait venir jusqu'à Guautitlan, à quatre
lieues de Mexico, et rançonnait la ville (octobre 1866). Il
fallut, comme autrefois, organiser des colonnes mobiles,
pour protéger la vallée contre les exactions des bandits.
Une de ces colonnes, sous les ordres du commandant Vil-
mette, pénétra dans les montagnes du Monte-Alto, enleva
de vive force ce village, et le brûla (11 décembre).
Le 16 décembre, l'ennemi attaqua Tlalpan, au sud de
Mexico ; il menaça Texcoco au nord, et envahit Ghalco,
le 21 décembre.
Près de la Soledad, les guérillas inquiétèrent sérieuse-
ment un grand convoi d'évacuation de trois cent cinquante
voitures qui ramenait, de Queretaro à Mexico, les malades,
le matériel de guerre de l'armée, et des sommes impor-
tantes appartenant aux familles mexicaines émigrantes ; la
colonne Vilmette fut envoyée au-devant du convoi pour
protéger sa marche.
Le détachement de cent cinquante cazadores, qui occu-
pait Apam, n'ayant pu s'y maintenir, se replia surOtumba ;
il fallut envoyer une colonne de cinq cents hommes,
avec de l'artillerie, sous les ordres du commandant Saus-
sier, pour faciliter son retour. Cette colonne continua sa
route plus au nord, pour appuyer le régiment belge qui re-
venait de Tulancingo.EUe le rencontra près de Zinguilucan
et rétrograda avec lui jusqu'à Teotihuacan.
LesBelges, que l'empereurMaximilien avait déliés de leurs
engagements, se rendirent directement à Puebla et à Vera-
Cruz, oii ils s'embarquèrent, le 20 janvier, sur le transport
de la marine française, le Rhône, pour rentrer en Europe (*).
(*) L'effectif des troupes belges embarquées sur le Rhône était de trente-cinq
ofliciors et de sept roni cinquante hommes.
LE MARÉCHAL BAZAIKE. 677
Une grande agitation régnait également entre Puebla et ^866.
Vera-Cruz ; pendant quelque temps, les progrès des forces
libérales de l'état d'Oajaca inspirèrent même de graves
inquiétudes.
Porfirio Diaz, à la tête de deux mille hommes, avait atta- ^ £'"">^
de Miahuatlan
que, le 3 octobre, près de Miahuatlan, au sud d'Oajaca, une 9 octobre).
colonne de douze cents hommes sortie d'Oajaca sous le
commandement du général Oronos, et l'avait complètement
détruite. Un vaillant officier français, le chef de bataillon
Testard, qui commandait deux cent cinquante cazadores,
tous les officiers français et mexicains de son détachement,
et la plupart des soldats français furent tués ; les autres
faits prisonniers.
Porfirio Diaz s'avança immédiatement sur Oaiaca, où il Prise dOajaca
par
ne restait qu'une faible garnison de trois cents hommes dont Porfirio Diaz.
deux cents Autrichiens et un petit nombre de Français. Le
5 octobre, le général Oronos, échappé au désastre de ses
troupes, rentra dans la ville avec quelques cavaliers ; l'en-
nemi se présenta le lendemain ; l'énergie des officiers autri-
chiens et français fit repousser ses sommations, mais la dé-
fense dut se limiter aux forts et aux couvents fortifiés. Le 16,
Porfirio Diaz leva le siège pour marcher à la rencontre d'une
colonne de secours de huit cents hommes, autrichiens, ca-
zadores et mexicains, qui arrivait d'Huajuapan ; il la battit
encore près de la Carbonera, lui fit quatre cents prisonniers,
enleva quatre canons etla rejeta sur Acatlan. Il revint devant
la place le 19 octobre. Un billet, adressé au général Oronos
par le colonel impérialiste Trujeque pour lui faire con-
naître qu'il était impossible de le secourir, avait été saisi
sur l'Indien qui le portait. Porfirio Diaz l'envoya lui-même
au général Oronos qui, réduit à la dernière extrémité, ca-
pitula le 30 octobre. La garnison fut faite prisonnière.
678 II" PARTIE. CHAPITRE Vil.
4866, Après le combat de la Carbonera, la cavalerie de Chato
Diaz s'était rapprochée de Tehuacan, où se trouvait un dé-
tachement autrichien ; on craignit un instant que l'ennemi
ne concentrât ses efforts contre cette place, mais Porfirio
Diaz se contenta des succès qu'il avait obtenus ; maître de
la province d'Oajaca, il comprit qu'en voulant se heurter
contre l'armée française, dont les colonnes descendaient en
force vers les terres chaudes, il ne pouvait que compro-
mettre sa situation ; il resta donc à Oajaca, licencia une
partie de ses troupes, et témoigna, par son attitude, de son
désir d'éviter tout conflit avec les Français (*).
Toutefois, il était prudent de prendre des mesures de
précaution pour garder les passages de la route. Le géné-
ral Aymard, nommé commandant supérieur de Puebla,
depuis le mois d'octobre 1866, répartit le 7' bataillon de
chasseurs, le 51^ et le 81' de ligne dans les postes princi-
paux.
La contre-guérilla Dupin C-) reprit ses anciens canton-
nements dans les terres chaudes, à la Soledad, et à Ca-
maron ; les Autrichiens continuèrent à observer les débou-
chés de la Huasleca en gardant Tlaxcala, Perote, Jalapa ; ils
(1) Porfirio Diaz fusilla les officiers mexicains faits prisonniers à MiahuaUan et
à la Carbonera ; mais il traita bien les Fronçais tombés entre ses mains et rendit
hommage à leur bravoure.
« Ce n'est qu'après avoir développé un courage digne d'une meilleure cause,
avoir vu tomber leur commandent, leurs officiers, presque tous leurs camarades,
que, restés seuls, abandonnés sur le champ de bataille et voyant toute résistance
impossible, cette poignée d'hommes, la plupart blessés, se sont rendus.
Soldat moi-même, je respecte en eux dos ennemis vaincus et <lésarmés et les
traite comme tels. « (Communication faite par Porfirio Diaz aux officiers et soldats
étrangers de la garnison d'Oajaca, 9 octobre.)
Porfirio Diaz renvoya le sabre que portait le commandant Testard.
(*) Le colonel de Gallifet remplaça peu de temps après, à la tète de la contre-
guérilla, le colonel Dupin, qui prit le commandement supérieur de Vcra-Cruz.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 679
étaient presque journellement aux prises avec les guérillas
ennemies. La position de Tlaxcala, ayant été très-vigou-
reusement attaquée par Rodriguez, le commandant d''Es-
peuilles, qui se trouvait à San Martin Texnielacan avec sept
compagnies de zouaves et deux escadrons de hussards, se
porta vivement à son secours ; il dégagea la place après un
brillant combat (2 novembre), et vint ensuite s'établir à
Amozoc pour servir de réserve au général Aymard.
Fort inquiet des mouvements de l'ennemi, d'un côté vers
Tehuacan, de l'autre vers San Andrès Chalchicomula, le
général Aymard s'était établi à Palmar avec une colonne
de quinze cents hommes afin d'être à même de secou-
rir les points menacés. Porfîrio Diaz se tenait sur une
grande réserve, mais Figueroa menaçait toujours Tehua-
can. Le général Aymard y conduisit un renfort de six cents
Autrichiens.
La situation était plus compromise au nord de la route.
Les guérillas d'Alatorre grossissaient sans cesse autour de
Jalapa. La cavalerie et la majeure partie de l'infanterie
mexicaine de la garnison étaient passées à l'ennemi. 11 ne
restait plus dans la place qu'un faible détachement autri-
chien et quelques Mexicains d'une fidélité douteuse; les
vivres manquaient, les désertions se multipliaient ; enfin, à
la suite d'une nouvelle attaque soutenue vigoureusement
pendant deux jours, le général Galderon accepta une capi-
tulation honorable ; la garnison fut désarmée, mais elle eut
la liberté de se retirer à Puebla (11 novembre). Des co-
lonnes envoyées d'Orizaba n'arrivèrent pas en temps utile
pour éviter la capitulation de Jalapa. Les Autrichiens se
virent également bloqués à Perote ; le général Aymard leur
conduisit un important renfort (22 novembre) et prit posi-
tion à San Andrès.
1856.
Mouvements
militaires entre
Perote
et Tehuacan.
680 II* PARTIE. — CHAPITRE Vil.
4866. Au commencement du mois de décembre, le général
Douay transporta son quartier général à Puebla et prit le
commandement supérieur de cette province ; le général Ay-
mard resta particulièrement chargé de surveiller la ligne
San Andrès — Tehuacan et le passage desGumbres.
Tehuacan fut attaqué, le 11 décembre, par Figueroa ;
le général Aymard dégagea la place, et un bataillon du
ol* de ligne releva la garnison autrichienne, le 21 dé-
cembre.
Le fort de Perote ayant été de nouveau sérieusement as-
siégé par deux mille hommes, le général Aymard s'y rendit
le 4 janvier; il fit évacuer le fort, détruisit l'artillerie qu'il
ne put enlever et, le 8 janvier, ramena le détachement
autrichien à San Andrès (^).
L'insurrection était générale ; dans les terres chaudes
il ne se passait pas de jour sans que les patrouilles et les
reconnaissances eussent quelque engagement avec les gué-
rillas. Au mois de mars 1866, le maréchal avait envoyé un
détachement battre le pays entre le Piio Blanco et le Rio de
Cosomoloapan ; l'expédition avait réussi ; partie d'Omealca
le 18 mars, la colonne était arrivée par terre à Cosomoloa-
pan, tandis que les canonnières remontaient ce fleuve
(1) Le corps des volontaires autrichiens allait être licencié; ceux qui vou-
laient librement, par un contrat nouveau, ne pas abandonner la fortune de leur
Prince, devaient seuls rester au Mexique , mais le plus grand nombre dési-
raient partir et montraient même une certaine hâte. Le maréclial Bazaine les fit
rapatrier les premiers.
Us laissaient leur armement à Puebla et recevaient des fusils français pour
descendre jusqu'à Vera-Cruz. Le premier détachement, fort do cinq cents hommes,
quitta Puebla le 2 janvier. Le colonel v. Kodolich prit le commandement des déta-
chements qui restèrent ; on en forma un régiment de cavalerie sous les ordres du
colonel V. KhevenhuUer, et un régiment d'infanterie sous ceux du major v.Ilam-
merstein. Ces troupes se distinguèrent brillamment dans les dernières luttes de
l'Empire.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 681
jusqu'à Tlacotalpan et débarquaient leurs compagnies de '1866.
marins. Mais les garnisons mexicaines de Tlacotalpan et
d'Alvarado furent bientôt bloquées par les guérillas, déci-
mées par le vomito, et privées de tout appui, car les canon-
nières françaises ne pouvaient, sans danger, passer sous
le feu des batteries de position établies sur les bords du
ileuve. Alvarado fut pris par l'ennemi le 28 juillet ; on
évacua Tlacotalpan le 20 août. Aux environs de Medelin,
on se battait sans cesse avec les bandes de Prielo qui dis-
posait de plus de cinq cents hommes. La contre-guérilla,
sous les ordres du colonel de Gallifet, les tirailleurs algé-
riens, dont une partie avait été organisée en partisans à
cheval, les compagnies d'Egyptiens, qui tenaient fort ho-
norablement leur place à côté des troupes françaises, étaient
toujours en mouvement.
Le 7 janvier, le colonel de Gallifet joignit l'ennemi
près de l'hacienda de Paso Toro, sur le bord du Piio Jamapi.
Il fit passer ses cavaliers à la nage, et les Mexicains, vigou-
reusement abordés, perdirent quarante tués et une soixan-
taine de blessés. Le détachement français eut un homme
tué et neuf blessés.
Sur les plateaux, des populations, ordinairement pai-
sibles, se prononçaient contre l'Empire. Tlacotepec, Teca-
machalco appelaient l'ennemi ; le maréchal dut menacer
de sévir avec la plus grande rigueur contre les villages
dont les habitants feraient quelque démonstration hostile.
Enfin, l'on voyait les forces de Régules et de RivaPala-
cio déjà maîtresses de toute la vallée du Rio de Lerma,
prêtes à s'emparer de Toluca; c'étaient des troupes bien
organisées et régulièrement armées; si elles parvenaient à
occuper les débouchés des montagnes, le mouvement des
convois d'évacuation entre Mexico et Puebla pouvait être
682 II" PARTIE. CHAPITRE VII.
-1866. fort compromis. Le maréchal fit soutenir la garnison de
Toluca par des postes français placés à Lerma ; au mois
de décembre, l'ennemi devenant plus pressant, une co-
lonne de cinq cents hommes, sous les ordres du comman-
dant de La Hayrie, fut envoyée au secours de la place.
Elle arriva le 8 décembre, fit aussitôt une sortie, culbuta
les libéraux et rentra, le 14, à Mexico.
Moins de quinze jours après. Riva Palacio attaquait de
nouveau Toluca; une colonne française, conduite par le
conimandant Delloye, s'y porta rapidement (6 janvier),
dégagea les environs jusqu'à Tlacotepec et San Juan de la
Huerta, et revint le lendemain à Lerma.
Du côté du Guerrero, le colonel Ortiz de la Pena s'était
fait battre au Puente de Ixtla, avait perdu son convoi, ses
munitions, et se concentrait assez en désordre à Cuerna-
vaca. Seul, le général Mendez, dans l'Etat de Michoacan,
maintenait encore ses positions, malgré les bandes qui
l'entouraient de tous côtés.
Quel que fût le peu de confiance du maréchal, il n'avait
pas prévu un écroulement aussi rapide, et cependant, le
gouvernement de l'empereur Maximilien, sinon l'Empereur
kii-même, dont la pensée vacillante ne pouvait être bien
connue, s'obstinait à ne pas désespérer.
L'armée impériale mexicaine avait été partagée en trois
commandements ; le général Marquez devait être chargé du
Michoacan et du pays compris entre Vera-Cruz, Mexico,
et Queretaro ; le général Mejia opérer au nord, vers San
Luis de Polosi; et le général Miramon à l'ouest, entre
Zacatecas et Guadalajara. Le général Mejia se trouvait
déjà dans les environs de San Luis ; le général Miramon
était parti pour concentrer ses troupes ; le général Mar-
quez prit le commandement de Mexico.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 683
L'empereur Maximilien ayant quitté Orizaba, pour rêve- 'fsce.
nir à Mexico, le vénérai Gastelnau et M. Dano allèrent le , Entrevue
^ . (le 1 empereur
voir à Puebla, afin d'essaver encore d'obtenir son abdica- Maximiiien
avec le général
tion. Partis le 20 décembre, ils rentrèrent à Mexico le 24, Casteinau
' . et M. Dano a
sans avoir réussi dans leurs démarches. L'empereur Maxi- Puebia
^ ^ ^ (20 décembre).
milien dit plus tard au maréchal qu'il avait été froissé « des
circonstances de cette entrevue (*), »
Le général Casteinau et M. Dano étaient d'avis « qu'il
faudrait peut-être prononcer la déchéance de l'empereur
Maximilien, afin d'éviter au pays une guerre civile pro-
longée qui serait sa ruine ; c'est une mesure extrême qui
ne produirait pas le résultat satisfaisant que l'on en espère,
disait le maréchal, parce qu'il est de toute impossibilité de
constituer un nouveau gouvernement fédéral sans l'attache
de Juarez ; il faudrait donc entrer en relations avec lui, qui
pourrait bien répondre et j'en suis convaincu : «je n'ai pas
besoin de votre intermédiaire pour reconstituer le gouverne-
ment constitutionnel ; retirez-vous, nous aviserons après. . . »
« D'un côté, la honte d'échouer vis-à-vis de notre en-
nemi; de l'autre, mettre à bas ce que nous avons élevé avec
tantd'efforts... Je croisqu'il est préférable de laisser l'Empire
mexicain suivre sa propre fortune, et il est bien probable
qu'il ne durera pas plusieurs mois après notre départ; mais
enfin, nous n'en serons plus responsables, et on ne pourra
nous accuser de déloyauté, ce qu'on ne manquerait pas de
faire, s'il fallait exécuter ce faible pouvoir avant la retraite de
notre armée, qui jusqu'à ce jour l'avait si bien protégé W. »
Le maréchal était en désaccord complet avec les autres
(•) Le maréchal au ministre, 10 janvier i867.
<2) Le maréchal au ministre, 28 décembre. — Cette lettre se terminait par ce
post-scriptum significatif :
« Réflexion : Les Arabes disent : quand on voyage deux seulement , il faut se
684 II® PARTIE. CHAPITRE VII.
<866. représentants du gouvernement français ; dans certaines
heures d'irritation, ses relations avec l'empereur Maximi-
lien avaient été difficiles; d'autres fois, il ne pouvait se
défendre d'un certain intérêt pour le souverain dont il avait
apprécié la bonté de cœur, et dont il recevait les confi-
dences au moment de cette crise suprême.
L'Empereur sentait son avenir compromis, son honneur
engagé ; il souffrait cruellement de ses espérances ruinées,
de ses affections brisées. On avait pu lui reprocher de man-
quer de volonté et d'énergie dans le commandement, mais
l'élévation de ses sentiments et la générosité de son carac-
tère le portaient à se dévouer, jusqu'à la fin, à l'œuvre qu'il
avait entreprise. Ayant conscience de ses devoirs à l'égard
des Mexicains, il était prêt à se sacrifier ; cependant, quel
que fût son désir de mettre un terme à la guerre civile, il lui
répugnait de déserter une cause que ses partisans préten-
daient encore défendre. La convocation d'un congrès géné-
ral lui paraissait être le seul moyen de conciher les esprits ;
alors disait-il : « S'il faut descendre du trône, j'en des-
cendrai la tête haute. »
Tandis que le général Castelnau s'efforçait d'obtenir
l'abdication immédiate de l'empereur Maximilien, le gou-
vernement français décidait le rappel de toutes les troupes
françaises, sans exception, et déliait de leurs engagements
les B'rançais incorporés dans les cazadores ou les autres
corps mexicains ; il continuait néanmoins à réclamer l'exé-
cution de la convention du 30 juillet.
méfier de son voisin ; quand on est trois, il faut un chef ; ici nous sommes quatre :
le commandant de l'armée, l'aide de camp de Sa Majesté, le ministre de France,
le chef de la mission financière ; cliacun a ses instructions et sa manière d'ap-
précier les choses 1 1 f »
du 30 juillet.
LE MARÉCHAL BAZAINE, 683
Celte convention devait être exécutoire à partir du l^^'no- 4866.
vembre ; mais, contrairement aux clauses mêmes du traité, DimciiK
1 • • , . . ,, . , Tpn I ' 1 • au sujet de la
lesmmistres mexicains élevaient des dmicultes et voulaient convention
réserver à l'empereur Maximilien le droit de déterminer
l'époque de sa mise en vigueur. M. Dano s'opposait à cette
prétention qui lésait les intérêts de la France. Il donna
l'ordre à l'un des fonctionnaires des finances de prendre
possession de la douane de Vera-Gruz. Un conflit s'enga-
gea, et tous les employés mexicains se retirèrent en pro-
testant. On passa outre. L'empereur Maximilien écrivit au
maréchal pour se plaindre de ces procédés O; mais celui-
ci répondit que son action dans « les questions qui con-
cernent la mission financière était très-bornée ; les ins-
tructions qui la dirigent émanant directement du ministre
des finances de France (^). »
Le gouvernement mexicain mit alors l'embargo sur les
marchandises qui arrivaient à Mexico après avoir acquitté
les droits de douane à Vera-Gruz, entre les mains des
agents français. Les négociants ayant réclamé près des
autorités françaises, M. Dano fit connaître, le 27 décembre,
au ministre des finances mexicaines, qu'à la suite d'une
conférence tenue avec le maréchal, le général Gastelnau, et
M. de Maintenant , il avait été décidé que le lendemain, de
gré ou de force, les marchandises seraient délivrées aux
intéressés. Un avis publié dans les journaux français, sous
la signature de M. de Maintenant, informa le commerce
que les marchandises étaient à sa disposition et que, pour
se les faire remettre, il pouvait au besoin « demander le
concours de l'autorité française. » De son côté, le minis-
(') L'empereur Maximilien au maréchal Bazaine, 21 novembre,
(2) Le maréchal à l'empereur Maximilien, 29 novembre.
686 II* PARTIE. CHAPITRE VII.
^867. tère mexicain prévint les négociants que s'ils se mettaient
en opposition avec les lois de l'Etat, ils s'exposaient aux
rigueurs de la justice.
Le maréchal n'approuvait pas la manière dont cette
affaire était menée, car, de toute façon, les mesures prises
par le ministre de France devaient être préjudiciables aux
intérêts des commerçants (^).
L'empereur Maximilien revint à Mexico, le 5 janvier
1867 ; il traversa la ville sans s'arrêter et se rendit à l'ha-
cienda de la Teja dans la banlieue. Il fit prier le maréchal
de venir le voir le lendemain. L'Empereur se montra très-
expansifdans cette entrevue dont le maréchal rendit compte
au ministre de la guerre par la lettre suivante (^) :
« Depuis sa rentrée à Mexico, Tempereur Maximilien m'a
reçu une fois et m'a dit qu'il était revenu dans la capitale parce
qu'il avait donné sa parole d'y revenir; que son but était de s'as-
surer définitivement des ressources sur lesquelles ses partisans
pouvaient compter et qu'il ne voulait pas les abandonner sans leur
démontrer leur impuissance; enfin, qu'il ne voulait pas faire
comme le soldat qui quitte son fusil sur le champ de bataille pour
fuir plus vite; en ce moment, je crois que ce souverain cherche une
combinaison nouvelle pour qu'il puisse se retirer sans honte pour
son blason; c'est donc plutôt une question d'araour-propre qu'une
question politique. J'ai exposé à l'Empereur que les instants étaient
courts et précieux ; que ses ressources étaient insuftisantes pour
faire face à la situation périlleuse dans laquelle il allait se trou-
ver après notre départ, et qu'à tous les points de vue, il valait
mieux prendre un parti décisif avant. Il m'a promis de réunir très-
prochainement un conseil intime auquel il me prierait d'assister,
et qu'après l'exposé loyal de ce conseil, il se déciderait. Je l'at-
tends, bien déterminé à dire que le gouvernement impérial ne peut
(') Le maréchal au ministre, 10 janvier 1867.
(») Le maréchal au ministre, 9 janvier 1867.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 687
pas se maintenir sans descendre au rang de simple chef de parti ^sGi
et assumer la responsabilité de la continuation presque indéfinie ~
de la guerre civile, ce que l'Empereur m'a déclaré, à plusieurs re-
prises, ne pas vouloir à aucun prix; comme par suite durcirait des
troupes françaises, les Etats reconstituent le gouvernement fédéral
constitutionnel, la fédération, moins le gouvernement central, est
constituée de fait. La marche à suivre, pour arriver à un résultat
assez satisfaisant, vu le peu de temps qui restera entre la résolu-
tion de l'Empereur et notre départ, serait de remettre le gouverne-
ment du district de Mexico h l'ayuntamiento de 1863 qui remplira
en même temps les fonctions de gouvernement provisoire et qui,
après notre départ, s'entendrait avec les autres Etats pour élire
un gouvernement définitif qui bien certainement sera celui de Jua-
rez. Amen I
« Je ne vois pas moyen de faire autrement si l'Empereur abdique,
car les fédéraux eux-mêmes sont fort divisés....»
Sans vouloir encourager formellement l'empereur Maxi-
milien à conserver le pouvoir, le maréchal trouvait que,
si l'Empire se soutenait quelque temps encore, la retraite
de l'armée française serait plus facile, et que la politique
française se dégagerait beaucoup mieux que par des né-
gociations fort incertaines, avec les chefs libéraux. Cepen-
dant le départ de la légion étrangère, celui des Français
incorporés dans les corps mexicains et de la majeure
partie des Austro-Belges avaient, depuis un mois, notable-
ment modifié la situation. Presque nulle parties troupes
mexicaines impériales n'avaient conservé les positions
abandonnées par l'armée française ; les conditions deve-
naient donc chaque jour plus mauvaises.
Le 11 janvier, le maréchal reçut de M. Lares l'invitation
de se rendre à la réunion dont lui avait parlé l'Empereur :
« Sa Majesté l'Empereur, désirant connaître d'une manière con-
fidentielle et amicale l'avis de Votre Excellence et celui d^iutres
G88 II* PARTIE. — CHAPITRE VII.
-1867. personnes sur une affaire de grave importance, m'ordonne de m'a-
^, ,~ ,. dresser à Votre Excellence, ainsi que i'ai l'honneur de le faire, en
IJppi 3r3l ton ^ X 0
du maréchal la priant de vouloir bien se rendre au palais du gouvernement
à la conférence ij^di prochain, 14 du courant, à deux heures du soir.
da14janv. -1867. ^ ' '
Le maréchal s'y rendit et n'y trouva pas l'Empereur ;
très-surpris de se voir en présence d'une nombreuse assis-
tance composée des ministres, des archevêque et évêques,
des conseillers d'Etat, et d'un certain nombre de généraux,
il eut d'abord la pensée de se retirer ; mais, craignant de
produire un éclat fâcheux, il lut la déclaration qu'il avait
préparée :
i L'évacuation sans coup férir des principales places fortifiées,
suftlsamment armées, par les garnisons impériales, sur les démons-
trations d'un ennemi plus faible que ces garnisons, a fait disparaître
le peu de confiance qui restait dans la protection militaire que
l'Empire pouvait accorder aux populations. Aujourd'hui, elles sont
généralement prononcées contre l'Empire. Chaque Etat a pris son
rang dans la fédération ; les élections faites, d'après les bases de
la constitution de 1837, ont validé la plupart des autorités fédérales
établies de fait après le départ des employés impériaux , le régime
fédéral est donc rétabli dans la plus grande partie du territoire.
(( A quoi servirait de faire des efforts militaires et de grandes
dépenses pour reconquérir le territoire perdu ? A rien ! Car les po-
pulations sont, après les expériences des deux dernières années,
peu disposées aujourd'hui en faveur du maintien de l'Empire. Il
arriverait donc que les colonnes dirigées dans l'intérieur, subissant
peu à peu cette influence, se prononceraient, ou bien encore qu'af-
faiblies par les garnisons qu'elles seraient obligées de laisser dans
les grands centres, Tennemi, ainsi que nous le voyons déjà, les har-
cèlerait, les tiendrait bloquées, empêcherait toute relation avec le
gouvernement central. Comme conséquences immédiates, le com-
merce complètement arrêté, ainsi que les travaux agricoles et in-
dustriels, produirait un mécontentement profond dans les popula-
tions et un manque absolu de ressources pour maintenir les troupes
dans le devoir.
a L'organisation fédérale paraît devoir mettre le pays à l'abri
des tentatives hostiles des Etats-Unis, et cette considération semble
exercer une grande influence sur l'esprit des populations qui, avec
LE MARÉCHAL BAZAINE. 689
raison, craignent qun toute autre forme de gouvernement amène ',867,
en conquérants leurs voisins du nord, "~
« 1° Au point de vue militaire, je ne crois pas que les forces im-
périales puissent maintenir le pays dans un état de pacification tel
que le gouvernement de l'Empereur puisse s'exercer dans toute sa
plénitude ; les opérations militaires ne sont que des combats par-
tiels, sans résultats définitifs, qui entretiendront la guerre civile
par les mesures arbitraires qu'elles entraîneront forcément avec
elles, et, comme conséquence infaillible, la démoralisation et la
ruine du pays;
« 2° Au point de vue financier, le pays ne pouvant pas être régu-
lièrement administré, ne fournira pas les moyens nécessaires au
maintien du gouvernement militaire impérial dont les agents seront
toujours obligés d'avoir recours à des impôts forcés, qui ne feront
qu'accroître le mécontentement des populations;
« 3" Au point de vue politique, l'opinion de la majorité du pays
paraît être aujourd'hui plutôt républicaine fédéraliste qu'impéria-
liste, et il est permis de douter qu'un appel à la nation soit favo-
rable au régime actuel, et que peut-être même elle n'obtempérerait
pas à la convocation qui lui serait adi'essée.
« En résumé, il me paraît impossible que Sa Majesté puisse
continuer à gouverner le pays dans des conditions normales et
honorables pour sa souveraineté, sans déchoir au rang de chef
d'un parti et qu'il est préférable pour sa gloire et sa sauvegarde
qu'Elle en fasse la remise à la nation. »
Les ministres des finances et de la guerre dirent, à leur
tour, que les promesses faites à Orizaba seraient tenues ;
les hommes étaient réunis ; l'argent était prêt ; le gouver-
nement, assuraient-ils, avait à sa disposition huit millions
de piastres et vingt-cinq mille hommes présents sous les
armes; chacun exposa en peu de mots son opinion, en dé-
clarant : soit vouloir le maintien de l'Empire avec la lutte à
outrance, soit conseiller l'abdication. La majorité des
membres présents fut favorable au maintien de l'Empire ;
l'archevêque de Mexico et l'évêque de San Luis s'étaient
abstenus. Dès lors, les mesures les plus extrêmes furent
arrêtées.
44
690 II" PARTIE. CHAPITHE Vil.
4867. Le général Marquez, qui commandait à Mexico, déploya
Mesures une énergie impitoyable ; il ordonna des levas dans les rues
ordonnées mêmes de la ville; il fit appliquer les mesures les plus
par le maréchal , -,, ■^ • n ' i
à Mexico. rigoui'euses pour la rentrée dune contribution forcée de
600,000 piastres, emprisonner les citoyens qui refusèrent
de s'y soumettre, et forcer leurs caisses. Beaucoup de
personnes menacées dans leurs intérêts et dans leur
sécurité personnelle vinrent réclamer la protection du maré-
chal. Son rôle était sans doute de s'effacer et de décliner
toute intervention comme toute responsabilité dans les abus
qui se commettaient. Il n'avait qu'à hâter son départ et à
laisser les Mexicains se débattre entre eux. Cependant le gé-
néral Marquez ayant fait arrêter une personne du nom de
Pedro Garay qu'on accusait, non sans fondement, d'être un
agent de Juarez, et qui avait reçu autrefois un sauf-conduit
de l'autorité française, le maréchal exigea qu'il fût immé-
diatement mis en liberté ; il fit mander le directeur de la po-
lice à l'état-major de la place, où il le consigna jusqu'à
l'élargissement de Pedro Garay. La presse de Mexico atta-
qua vivement la conduite du maréchal ; se fondant alors
sur le droit d'un général de faire respecter, par les moyens
en son pouvoir, les intérêts de l'armée sous ses ordres, il
fît arrêter l'éditeur du journal La Patria, et prononça, de sa
propre autorité, la suppression de ce journal.
Le ministre de gobernacion (') protesta contre cette ap-
plication du droit de la guerre : « Le gouvernement mexi-
cain ne peut considérer le corps expéditionnaire que
comme une armée amie passant en temps de paix sur le
territoire de l'Empire, car l'état de guerre n'existe pas entre
la France et le gouvernement impérial du Mexique. » Il
(1) Ministre de l'intérieur.
LE MARÉCHAL BAZAINE. 691
demanda que l'éditeur du journal ne fût pas soustrait à ses
juges naturels.
Le maréchal répliqua durement : « qu'il n'avait point
à discuter son droit, qu'il lui suffisait de le proclamer et
de le faire respecter ; que, du reste, il faisait mettre en li-
berté le rédacteur et l'éditeur du journal pour ne pas
donner le spectacle scandaleux de débats publics entre le
gouvernement mexicain et le commandant en chef; cepen-
dant, comme le gouvernement se montrait par trop tolé-
rant envers un organe semi-officiel dont le langage et les
tendances hostiles poussaient à la haine du nom français,
et dont l'attitude était devenue d'une inconvenance telle
que le dédain avait dû faire place à la nécessité d'une ré-
pression prompte et énergique, » il maintenait la suppres-
sion du journal La Patria (^).
1867.
Quelques jours après, M. Lares, président du conseil
des ministres, ayant invité le maréchal, le général Castel-
nau, et M. Dano, à une nouvelle conférence, le maréchal
refusa de s'y rendre ; le général Castelnau se rangea au
même avis, M. Dano seul y assista. La conférence n'aboutit
à rien. M. Lares écrivit alors au maréchal une lettre dont
voici les extraits principaux C^):
Rupture
du maréchal
avec
• fc'ouvernement
mexicain
et l'empereur
Maximilien.
« M. le maréchal et M. le général Castelnau déclaraieul, daus
la note du 7 novembre dernier, que tant que les troupes françaises
seraient au Mexique, elles protégeraient, comme elles l'ont fait
jusqu'ici, les autorités et les populations, l'ordre en un mol, dans
les zones qu'elles occupent, mais sans entreprendre d'expéditions
éloignées.
« Mais, comme dans l'attaque récente contre Texcoco, V. £. n'a
(0 Le maréchal au ministre île la guerre, 22 janvier.
(2) M. Lures au maréchal, 2o janvier. (Traduction.)
692 II* PARUE. CHAPITRE VII.
4867. pas jugé convenable de prêter son secours, ainsi qu'en a rendu
~ compte le général commandant la 2® division, le gouvernement
désire savoir quelle serait Tattitude des troupes françaises dans la
capitale, si avant leur départ, la ville venait à y être menacée par
les dissidents, que l'un de ses points fût attaqué, ou que l'ennemi
cherchât à faire un coup de main.
« Le gouvernement mexicain était en droit de compter que
l'armée française, conformément à la note du 31 mai, ne serait
pas retirée avant l'automne 1867 ; puisque son départ paraît
chose arrêtée , il désire savoir à quelle époque elle quittera
Mexico. Il réclame de nouveau la remise de la citadelle, des
autres points fortifiés, et du matériel de guerre.
« Il désire une solution amiable au sujet de l'incident de La
Patria et de l'occupation des douanes de Vera-Cruz. »
Le maréchal répondit (*) que toutes ces questions avaient
été déjà résolues dans les conférences antérieures, ou par
la correspondance avec les ministres ; « comme la rédac-
tion de cette lettre, ajoutait-il, laisse percer un sentiment
de méfiance constamment basé sur des appréciations calom-
nieuses qui froissent notre loyauté, je liens à vous exprimer
qu'à l'avenir je ne veux avoir aucune relation directe avec
votre ministère. »
Il écrivit en outre à l'empereur Maximilien C^) ; après
avoir reproduit le premier paragraphe de la lettre de
M. Lares, il continuait ainsi :
« L'inconvenance de ce langage n'échappera pas à Votre Majesté
(jui ne m'a jamais fait l'injure de supposer un seul instant que la
loyauté de l'armée française pût être mise en suspicion.
« En signalant ù Sa Majesté les procédés dont ses ministres
usent envers moi, en son nom, je crois faire un dernier et suprême
acte de contiancc et de loyauté.
« Je crois en effet rendre encore service à l'Empereur en essayant
de l'éclairer sur les tendances et sur les insinuations d'une faction
(') Le inaroch.'il à M. Lares, 27 janvier.
<*) Le niaroclial à rcnipereur Maximilien, 28 i.nivier.
L1-: MAKÉCÎIAL CAZAINE. 693
qui rie réunit que peu de sympathie, et dont les chefs abusent de -(867.
l'ascendant qu'ils croient avoir, ou de la confiance qu'ils ont su ins- ~~
pirer, pour préparer au Mexique et à votre Majesté une ère de san-
glantes représailles, de douloureuses péripéties, de ruines, d'anar-
chie, et d'humiliations sans nombre.
» J'ai l'honneur d'informer Votre Majesté que, plus que jamais
désireux de conserver son estime et l'amitié dont elle a bien voulu
m'honorer, j'ai fait savoir à M. le président du conseil qu'en pré-
sence des termes de sa lettre précitée, je ne voulais plus à l'avenii
avoir aucune relation directe avec l'administration dont il est le
président.
« J'ajouterai, Sire, que les chefs d'armes de M. le général Mar-
quez sont journellement en relations avec les commandants du gé-
nie et de l'artillerie de l'armée française pour se mettre au courant
de l'état des fortitications, des défenses, des approvisionnements en
matériel, en armes, en munitions de la place.
« Sa Majesté m'ayant témoigné le désir de savoir à l'avance à
quelle époque je quitterai Mexico, j'ai l'honneur de l'informer que
mon départ avec les derniers contingents du corps expéditionnaire
aura lieu dans la première quinzaine du mois de février.
« Jusqu'au dernier moment, Sire, je serai toujours prêt à me
rendre aux appels que Votre Majesté voudra bien m'exprimer et
toujours disposé à fan'e concorder mes efforts à vos désirs »
Quelques instants après l'envoi de cette lettre, le maré-
chal reçut la réponse suivante du Père Fischer, secrétaire
particulier de l'Empereur O :
« Monsieur le maréchal, Sa Majesté l'Empereur m'ordonne à
l'instant de retourner à Votre Excellence la lettre ci-joinle, ne
pouvant admettre que vous parliez de ses ministres dans les termes
dans lesquels elle est conçue.
« A moins que Votre Excellence ne juge opportun de donner
une satisfaction sur ces ternies. Sa Majesté m'ordonne de faire sa-
voir à Votre Excellence que, dans ces conditions. Elle ne veut plus,
à l'avenir, avoir aucune relation directe avec Votre Excellence.
« J'ai l'hoiineur, etc. »
'1) 28 janvier, sept lioiiros du soir (iraducUon).
694 II'' PARTIE. CHAi'ITKE VII.
4867. Telles furent les dernières relations du maréchal et de
l'empereur Maximilien.
Le maréchal, irrité par de nombreuses blessures d'amour-
propre, n'avait mis aucun ménagement dans les rapports
qu'il avait à conserver encore avec les ministres de l'empe-
reur Maximilien ; l'Empereur, de son côté, avait de sérieux
griefs contre les représentants de la France. Leurs procé-
dés, à l'égard de son gouvernement, le froissaient avec
juste raison. Du reste, à cette époque, il subissait l'in-
fluence d'hommes qui représentaient l'idée réactionnaire
dans toute son exagération, et qui l'isolaient de plus en
plus du pays. Le Père Fischer était l'agent le plus actif de
cette réaction. Depuis peu de temps revenu de Rome où
il était allé négocier un concordat, il avait accompagné
l'Empereur àOrizaba, et combattu ses projets d'abdica-
tion. A la fin du mois de décembre, il remplaça, au cabinet
de l'Empereur, le capitaine Pierron qui, dans Fétat des
choses, ne pouvait plus conserver cette position ; ainsi avait
été rompu le dernier et fragile anneau qui facilitait encore
les rapports du gouvernement mexicain et des représentants
de la France.
Le maréchal activa ses préparatifs de départ ; rien ne le
retenait plus à Mexico ; une dépêche de l'empereur Napo-
léon au général Castelnau, datée de Paris, 10 janvier, ve-
nait d'arriver. Elle était ainsi conçue :
« Ne forcez pas l'Empereur à abdiquer, mais ne retardez pas le
départ des troupes.
« Rapatriez tous ceux qui ne veulent pas rester. »
Les troupes étaient échelonnées entre Mexico et la mer ;
le 15 janvier au soir, le général de Castagny avait amené
LE MARÉCHAL BAZAINE. 695
le dernier échelon ; tous les postes en arrière avaient été i867.
remis aux troupes mexicaines.
Les colonnes françaises s'étaient aussitôt acheminées
vers le port d'embarquement ; le maréchal n'avait gardé
avec lui qu'une forte arrière-garde.
Le matériel encombrant dont la valeur n'aurait pas été
en rapport avec les frais de transport, les chevaux et les
harnachements furent, conformément aux ordres du mi-
nistre, vendus aux enchères à Mexico, à Puebla, à Ori-
zaba, à Paso del Macho ; on n'en retira qu'une somme in-
signifianle. La plupart des chevaux allèrent remonter les
guérillas républicaines. On en transporta quelqucs-unS
dans les colonies françaises des Antilles.
Les projectiles qu'on ne pouvait emporter et que d'ail-
leurs l'artillerie mexicaine n'aurait pu utiliser, furent bri-
sés et d'importantes quantités de poudres noyées dans les
fossés de la citadelle. Des ordres furent donnés pour qu'on
en fît de même à Orizaba et à Puebla (^). Il est difficile
d'expliquer d'une manière satisfaisante les motifs de cette
destruction pénible ; on se demande quelle raison pou-
vait en empêcher la cession à titre gracieux aux arsenaux
mexicains, puisque le gouvernement de l'empereur Maxi-
milien était trop pauvre pour les payer. Enfin, sous pré-
texte d'en faire régulièrement la remise, et, dit le maré-
chal, pour les soustraire à un coup de main possible de
l'ennemi, les pièces de campagne d'artillerie mexicaine
furent enlevées des remparts et enfermées dans la cita-
delle, dont la garnison française conserva la garde jusqu'à
la dernière heure. Cependant Mexico restait encore large-
ment approvisionné ; on laissait 500,000 cartouches ,
<•) Le maréciial au ministre, 2 mars.
G96 ir" l'AKTiE. CHAPITRE VII.
1867. 34,000 projectiles, et les charges nécessaires pour tirer
300 coups par pièce.
Le 3 février, le maréchal adressa la proclamation sui-
vante aux habitants (') :
« Mexicains, dans peu de jours les troupes françaises sortiront
de Mexico.
« Pendant les quatre années qu'elles ont séjourné dans votre
belle capitale, elles n'ont eu qu'à se féliciter des relations sympa-
thiques qui se sont établies entre elles et cette population.
« C'est donc au nom de l'armée française sous ses ordres, comme
en son nom personnel, que le maréchal de France, commandant
en chef, prend congé de vous.
« Je vous adresse tous nos souhaits pour le bonheur de la che-
valeresque nation mexicaine.
« Tous nos efforts ont tendu h établir la paix intérieure. Soyez -
en certains, et je vous le déclare au moment de vous quitter, notre
mission n'a jamais eu d'autre objet, et il n'est jamais entré dans
les intentions de la France de vous imposer une forme quelconque
de gouvernement contraire à vos sentiments. »
Il n'est pas besoin de commenter les termes de celte pro-
clamation pour faire ressortir combien étaient durs l'allu-
sion de la dernière phrase et l'oubli intentionnel de tout
souvenir à l'empereur Maximilien.
DqiiMi doMexin. Lo 5 févrlcr, à dix heures du matin, le maréchal se mit
(la myréclial i i i • p • ' i
f\ de la dernière à la tctc dcs demières troupes trançaises massées sur le
colonne • nir • • a • i ^
lie iroiii)es Pasco, et quitta Mexico, musique en tête, enseignes de-
françaises. , , i , • /. i • i
ployees ; « la population, accourue en toute au point de
réunion et groupée sur tout le parcours, resta calme et si-
lencieuse, témoignant par son attitude de sa sympathie
pour l'armée qui la quittait, et des appréhensions que ce
W Traduction.
LE JIARÉCHAL BAZAINE. 697
départ lui causait. Les fenêtres du palais étaient compté- i867.
tement fermées O. »
Le maréchal alla camper à la Piedad à cinq kilomètres
de Mexico ; des postes restèrent encore à la citadelle et à
deux des portes de la ville, afin de permettre aux personnes
qui le désireraient de sortir librement, et conserver aux
troupes françaises lapossibilité de rentrer, si quelque mou-
vement intérieur ou quelque tentative extérieure le rendait
nécessaire.
Le 6 au matin, les derniers points occupés furent éva-
cués, et la colonne française défda sur la route de Puebla,
à peu de distance des troupes libérales qui ne tentèrent
pas la moindre attaque, et se bornèrent, aussitôt après le
passage de l'arrière-garde, à prendre position sur la route.
Le général Marquez déclara Mexico en état de siège.
Le maréchal avait fait prévenir les chefs libéraux que,
le rôle de l'armée française étant fini, il n'enverrait plus
de colonnes contre eux, mais qu'il entendait conserver la
plus grande liberté dans ses mouvements, et châtierait ra-
pidement toute troupe ennemie qui se montrerait à portée
de son canon (^). A Puebla, la population ne témoigna ni
sympathie ni regrets ; la marche rétrograde se continua
dans le plus grand ordre ('). Le général Castelnau partit
de Mexico le même jour que le maréchal ; il s'embar-
qua, le 13 février, à Vera-Gruz.
(') Le maréchal au minisire, 10 février 1867.
<2) Le 27 décembre, une troupe républicaine, forle de sept cents hommes,
étant venue occuper Chalco au moment où une colonne française passait à Bue-
navista, le chef d'escadron d'état-major Billot, commandant la colonne, la .surprit
par une marche de nuit, lui tua une cinquantaine d'hommes et ramena de nom-
breux prisonniers sans avoir un seul blessé.
Cette leçon ne fut pas perdue, car, dès ce moment, les libéraux montreront la
plus grande circonspection.
(3) Le raaréclial au ministre, 10 février 18G7.
098 U" PARUE. CUAl'lTRE VII.
^867. M. Dano, ministre de France, dut rester k Mexico.
Le 16 février, le maréchal était à Orizaba ; le 21, le
général de Castagny arrivait avec le reste des troupes.
Quelques jours avant, on avait appris la nouvelle d'un
grave échec subi du colé de Zacatecas par le général Mira-
mon ; le maréchal écrivit aussitôt à l'empereur Maximilien
pour lui offrir encore de l'attendre , dans le cas où
ce dernier désastre le déciderait à quitter le Mexique.
M. Dano répondit que l'Empereur, « moins quejamais dis-
posé à accepter cette offre, » était parti pour Queretaro, se
mettre à la tête de l'armée (').
Le mouvement vers la côte continua donc sans inter-
ruption. Les autorités mexicaines évacuèrent Orizaba et
Cordova , ne gardant ainsi aucun poste fortifié entre
Puebla et Vera-Cruz. Le maréchal quitta Orizaba le 26
février ; le l*^*" mars, il arrivait à Vera-Cruz. Les der-
nières troupes étaient échelonnées entre Pas odel Maclio
et la mer.
Knibarqucuieui Le rctour dcs détachcments français épars dans les pro-
dii corps
;xpé(litioniiair
ù Vcra-Criiz.
cxpJitiomi'ain- vinccs Ics plus éloignécs, le mouvement rétrograde d'un
corps de 28,000 hommes jusqu'au port de Yera-Gruzj la
concentration d'un énorme matériel, le rapatrien^.ent d'un
grand nombre de nationaux qui voulurent rentrer en
France ; toutes ces opérations délicates avaient été termi-
nées aussi heureusement qu'on pouvait le désirer : « Nul
incident, nulle attaque, nulle complication n'avait apporté
le moindre obstacle aux combinaisons arrêtées depuis
longtemps. De Mexico à Vera-Cruz, la marche rétrograde
<l) M. D.moau maréchal, 16 février 1S67.
LE MARÉCilAL BAZ.UNE. 699
s'était accomplie à souiiait., avec le plus grand ordre, sans ^867.
qu'un coup de fusil eût été tiré. Les forces libérales, grou-
pées à portée des troupes françaises, laissaient à peine voir
de temps en temps quelques éclaireui s qui se tenaient à
distance respectueuse (*). »
Les troupes, observant une exacte discipline, avaient
traversé les villes et les villages de la route sans donner lieu
à aucune plainte ; elles avaient supporté, avec une égale
patience, tantôt le froid très-vif des nuits sur les hauts
plateaux, tantôt la chaleur brûlante du jour sous un soleil
de feu, puis les étapes longues et pénibles au milieu d'une
poussière affreuse dans cette saison où tout est desséché,
et où l'eau manque souvent. Malgré les fatigues, l'état sa-
nitaire était resté très-satisfaisant ; même à Vera-Gruz, où
le vomito ne cesse jamais complètement, on n'eut que
deux cas à déplorer.
Au l^"" mars, la plus grande partie des troupes étaient
déjà embarquées ; et la portion restante du corps expédition-
naire (8,600 hommes) se trouvait rassemblée entre Yera-
Cruz et Paso del Macho ; on évacua successivement ce
point, puis la Soledad, la Purga, en opérant une retraite
par échelons. Cette combinaison était nécessitée par la pré-
sence d'un grand nombre de bandes libérales qui pou-
vaient, à un moment donné, se réunir en une seule masse
numérique importante et près desquelles il fallait être sur
ses gardes. Le général Benavides, commandant la ligne
du Rio Blanco, s'était en effet rapproché au sud jusque
vers Medelin ; au nord, Alatorre se tenait seulement à quel-
ques lieues de distance.
Il fallait ne pas agglomérer trop de monde à Vera-Cruz,
(<) Le maréclial :iu ministre.
700 11^ PARTIE. CHAPITRE VU.
4867. le vomito y sévissant en toute saison dos qu'il s'y trouve
beaucoup d'Européens. Chaque colonne, partant de la
Soledad par le chemin de fer, arrivait le soir, campait
pendant la nuit, et le lendemain au jour commençait à
s'embarquer. Cette opération, à laquelle la marine ap-
porta le plus grand ordre, se faisait rapidement ; elle
était terminée vers neuf heures, avant le moment de
la grande chaleur ; le soir les bâtiments prenaient le
large (^).
Grâce aux démarches faites par le maréchal, tous les
prisonniers de l'armée française avaient été rendus par
les libéraux , le Phlégéton, envoyé à Matamores, venait de
ramener un officier et trente hommes du régiment étranger,
faits prisonniers au combat de Santa Isabel, quatre officiers
et quarante Autrichiens pris au combat de Camargo. Porfirio
Diaz avait déjà échangé les Français restés entre ses mains
après le combat de Miahuatlan et la prise d'Oajaca; mais il
ne voulut pas, malgré toutes les instances, consentir à rendre
les Autrichiens. Le commandant en chef donna une dernière
marque de sympathie à ces infortunés compagnons d'armes,
en leur faisant parvenir des effets et un mois de solde, en-
viron 1*2,000 fr., que leur paya le trésor français.
Le corps belge en entier et la majeure partie du corps
autrichien avaient demandé à être rapatriés. Les Belges
s'étaient embarqués le 20 janvier sur le Rhône ; les Autri-
chiens furent répartis sur le Var et V Allier (21 et 22 fév.).
M. Dano avait continué avec le gouvernement mexicain
(>) Les criihaniueiuciils furent dirigtis par M. 1« (•apitaiiic de frégale Pi-yron,
cominaritlaiil li- port de Vera-Cruz. — Le maréchal au luinislre, 1 l mars IH07.
LE yiAUÉCHAL BAZAINE. 701
les pénibles pourparlers auxquels donnait lieu la mise à iso?.
exécution de la convention du 30 juillet. Par un arrange-
ment conclu le 22 février, il fut décidé que, chaque partie
réservant ses droits, les douanes de Vera-Cruz seraient
rendues, le l*^'' mars, aux agents mexicains, et qu'une
somme de cinquante mille piastres serait remise mensuelle-
ment entre les mains d'un agent français.
Afin de permettre aux autorités impériales de se main-
tenir à Vera-Cruz, et dans le but de conserver un port où
l'empereur Maximilien put trouver un refuge, le maré-
chal laissa au commissaire impérial des armes, des muni-
tions, des attelages, des objets de campement ; il demanda,
en outre, à l'amiral commandant l'escadre, de céder 40 à 30
quintaux de poudre et, s'il était possible, une canonnière
qu'on dénationaliserait et qui serait vendue comme im-
propre au service, ne pouvant être ramenée en France (*).
L'amiral consentit à donner trente quintaux de poudre,
mais il crut devoir refuser la canonnière. En échange, le
préfet de Vera-Cruz remit des traites sur la douane de ce
port.
Pour ramener en France le corps expéditionnaire du
Mexique, on envoya, sous la protection de l'escadre cui-
rassée , et des divisions navales des côtes de l'Amé-
rique : trente bâtiments de transport de la tlotte et sept
paquebots de la Compagnie transatlantique. Ces navires
transportèrent 169 officiers supérieurs, 1264 officiers su-
balternes, 27,260 hommes de troupes; total : 28,693 pas-
sagers et 351 chevaux.
Le premier paquebot de la Compagnie partit de Vcra-
") Le maréchal à Pamiral commandant l'escadre, 7 mars 18C7.
702 h" partie. CHAPITRE VII.
4867. Cruz le 18 décembre 1866, mais l'embarquement régulier
sur les navires de la flotte commença seulement le 16 fé-
vrier, et fut terminé le 11 mars (*),
Le maréchal monta sur le vaisseau îe Souverain; le
dernier soldat français avait quitté les côtes du Mexique.
Les régiments du corps expéditionnaire furent dirigés
sur différents ports de France et d'Algérie.
Le maréchal Bazaine débarqua dans le port de Toulon.
Sur l'ordre de l'empereur Napoléon, il ne lui fut pas
rendu d'honneurs militaires. En se soumettant, sans pro-
testation, à cette grave mesure, le maréchal donna plus
d'importance à des appréciations, la plupart injustes et
mal fondées, sur la conduite qu'il avait tenue pendant les
derniers mois de son commandement.
Dernières Au Mcxique, les événements se précipitèrent avec une
opérations ^ • i-x ' /'2^
(les iioupes enrayante rapidité r).
mexicaines impé- ^j , .,. ■■ . , . . , , , i n^-
rides. vers le milieu du mois de janvier, le gênerai Miramon,
avait envoyé un détachement commandé par le général
Gastillo, pour occuper Escobedo du côté de San Luis ;
lui-même s'était brusquement dirigé sur Zacatecas, avec une
colonne de 2,500 hommes, dans laquelle étaient 360 Fran-
çais. Juarez s'échappa quelques heures seulement avant
l'arrivée des troupes impérialistes qui pénétrèrent dans la
ville le 28 janvier, y levèrent une contribution de 250,000
piastres, et rétrogradèrent aussitôt (31 janvier).
(') Voir à l'appendice le détail du transport.
(2) Le récit des événements qui suivent est tiré en grande partie d'un rapport
do M. le capitaine Madelor, resté à Mexico après le départ des troupes françaises,
comme attaché à la légation de France.
I
LE MARÉCHAL BAZAIKE. 703
Mais, Escobedo ayant laissé un rideau de troupes devant i867.
le général Castillo pour masquer son mouvement, attei-
gnit, le l^'" février, près de San Francisco, la colonne du
général Miramon et l'attaqua vigoureusement. Une partie
de la cavalerie impérialiste ayant fait défection, en quelques
minutes la déroute des troupes de Miramon fut complète.
Escobedo enleva tout le convoi et dix-neuf pièces de canon;
cent trente-huit Français, parmi lesquels quarante blessés,
tombèrent entre ses mains. Ces derniers échappèrent seuls
aux vengeances des libéraux ; les autres furent fusillés à
San Jacinto le 3 février. Miramon, avec quelques hommes,
parvint à rallier le général Castillo et rentra, le 8 février,
à Queretaro. Le général Liceaga, battu à Guanajuato par
le colonel républicain Rincon Gallardo, se réfugia aussi
à Queretaro. Carbajal tenta un coup de main sur la place;
mais il fut repoussé par le général Mejia, et perdit son
artillerie.
Le glanerai Mendez occupait encore Morelia ; le général
Tavera, Toluca. Il fut décidé que ces villes seraient aban-
données. Tavera se replia sur Mexico et Mendez, sur Quere-
taro. Le 13 février, l'empereur Maximilien partit lui-même
de Mexico pour se rendre dans cette dernière ville, où de-
vaient se concentrer neuf mille hommes avec 41 pièces d'ar-
tillerie. Cinq mille hommes restaient à Mexico ; deux mille
cinq cents à Puebla sous les ordres du général Noriega,
oflficier âgé et sans valeur. Le total des forces dont l'Empire
disposait, s'élevait donc à dix -sept mille hommes et dix
batteries, non compris la garnison de Vera-Cruz et quel-
ques détachements du Yucatan. Dans es chiffre, on comp-
tait quatre cents hommes de cavalerie autrichienne sous
les ordres du lieutenant-colonel von Khevenhiiller et deux
cents fantassins commandés par le major von Hammers-
704 II" PARTIE. CHAPITRE VU.
1807. lein. Six cents Français étaient répartis dans le régiment de
~ gendarmerie et dans un bataillon de chasseurs à pied.
Les libéraux avaient quatre fois plus de troupes. Esco-
bedo arrivait du Nord avec 12.000 hommes; Gorona, de
l'Ouest, avec 8000; il avait rallié à Morelia 6000 hommes
commandés par Régules et s'avançait avec lui sur Que-
retaro. Riva Palacio avait 7000 hommes à Toluca et
au nord de Mexico; Porfirio Diaz, 8000 devant Pue-
bla. Dans la Huasteca et les terres chaudes de Vera-
Cruz, Alatorre, Juan Francisco, Renavides, Garcia, etc.,
étaient à la tête de contingents importants. Le résultat
final de cette lutte disproportionnée était d'autant plus
facile à prévoir que, malgré les promesses du clergé,
le gouvernement impérial manquait d'argent pour solder
ses troupes et n'avait d'autre ressource que d'imposer des
contributions énormes aux quelques villes restées en son
pouvoir.
En quittant Mexico, l'Empereur emmena le général
Marquez comme chef d'état-major. Il laissa la direction
des affaires entre les mains d'un conseil de ministres
présidé par M. Lares ; la préfecture politique fut donnée
au général O'Horan, et le commandement de la garnison,
au général Tavera.
siogo cl prise Le 19 février, l'Empereur arrivait à Queretaro ; cette ville
(ic Qiicrctc'iro , . , ,,„ . en- ■ ^ >
i.;.r les forces se montrait encore sympathique a 1 Linpire. bituee au de-
bouché de la Sierra Gorda, pays également dévoué, dans les
montagnes duquel on pouvait chercher un refuge en cas
d'insuccès, elle offrait une assez bonne position ; mais on
s'éloignait ainsi de la côte d'environ soixante lieues.
L'Empereur fut reçu avec un grand enthousiasme; il
n'était alors entouré que de Mexicains; pour ne pas nuire à
li liera les
LE MARÉCHAL BAZAINE. 705
sa popularité, il avait laissé à Mexico les bataillons autri- <867,
chiens et n'avait emmené que son médecin, le docteur
Basch, et deux serviteurs étrangers. Contrairement à l'avis
de Miramon et d'après le conseil de Marquez, l'armée im-
périale resta sur la défensive ; le 6 et le 7 mars, les
troupes républicaines, au nombre de 23,000 hommes, se
présentèrent par les routes de San Luis et de Gelaya ;
elles attaquèrent le 14 mars, et furent repoussées.
Cependant la ligne d'investissement continuait à se
resserrer. L'argent faisait défaut, les renforts attendus
n'arrivaient pas ; l'Empereur n'avait pas confiance en
M. Lares, dont il connaissait le peu d'énergie. Alors
on décida, dans un conseil de guerre, que le général
Marquez serait envoyé à Mexico pour se procurer des res-
sources pécuniaires et organiser la résistance; l'Empereur
le nomma lieutenant général de l'Empire et lui donna
pleins pouvoirs. Dans la nuit du 22 au 23 mars, il parlit
avec onze cents cavaliers par le chemin d'Amealco, Acam-
bay. Villa del Carbon, et, le 27 mars, il arriva inopinément
à Mexico. Il était accompagné du général Vidaurri qui
devait remplacer M. Lares comme ministre des finances
et président du conseil des ministres. Marquez prit aussitôt
les mesures les plus énergiques, décréta de nouveaux impôts
forcés auxquels ne purent même se soustraire les négociants
étrangers, et fit procéder dans les rues de Mexico à une
levée générale qui porta indistinctement sur toutes les
classes de la société.
Le 30 mars, il sortit avec une colonne de 1900 fantassins, Expédition
1600 cavaliers, et trois batteries, pour se porter au secours générai Marquez
de Puebla que Porfirio Diaz assiégeait depuis le 9. On pré-
tendit, plus tard, qu'il trahissait l'Empereur et cherchait à
se rapprocher de Santa-Anna qui était attendu à Vera-Cruz.
4o
706 n^ PARTIE. — CHAPITRE VII.
-ise? Cette allégation ne paraît pas justifiée. La conservation de
"~ Puebla était, en effet, assez importante pour que le général
Marquez crût de son devoir de sauver cette place ; mais il
marcha lentement, et Porfirio Diaz, averti de son approche,
brusqua l'attaque. Le 2 avril, il donna l'assaut, pénétra
dans la ville, fit fusiller les officiers tombés entre ses
mains, et menaça du même traitement le reste de la gar-
nison réfugiée dans les forts. Celle-ci capitula le 4 avril.
Les libéraux se portèrent aussitôt contre la colonne de
Marquez qui rebroussait chemin sur Mexico ; ils l'attei-
gnirent à l'hacienda de San Lorenzo le 9 avril, et lui bar-
rèrent la route.
Le général Marquez parvint à se frayer un passage par
Calpulalpan et Texcoco ; mais il dut abandonner ses ma-
lades et fdire précipiter dans les ravins ses bagages et son ar-
tillerie. Il s'enfuit jusqu'à Mexico avec son escorte, lais-
sant ses troupes dans la plus affreuse confusion, assaillies de
tous côtés par la cavalerie ennemie. Un bataillon autri-
chien, sous les ordres du colonel v. Hammerstein, réussit
cependant à couvrir la retraite, tandis que la cavalerie autri-
chienne, commandée par le colonel v. Khevenhiiller, char-
geait sans relâche, avec la plus brillante bravoure. Grâce au
sang-froid de ces officiers et du colonel v. Kodolitsch, com-
mandant le corps autrichien, deux mille hommes et deux
pièces de montagne furent sauvés et rentrèrent à Mexico, le
11 avril. Le désordre était si grand, que Porfirio Diaz aurait
pu, sans grandes difficultés, pénétrer immédiatement dans
la ville ; il ne l'osa pas et se contenta de l'investir.
Les enrôlements forcés permirent au général Marquez de
constituer une garnison d'environ 7,000 hommes. Après
un premier moment de défaillance, il avait bientôt retrouvé
cette énergie cruelle qui ne reculait devant aucune vio-
LE MARÉCHAL BAZAINE. 707
lence. Il fit fondre des boulets, fabriquer des munitions, et i867.
travailler aux fortifications. La famine ne tarda pas à se
faire sentir ; mais il inspirait à ses troupes une sorte de ter-
reur, et contenait la population affamée par les mesures
les plus rigoureuses.
Des impôts forcés furent décrétés. Les récalcitrants étaient
emprisonnés et privés de nourriture ; s'ils parvenaient à se
cacher, on occupait militairement leur domicile, et l'on
•privait éga^ement de nourriture leurs femmes et leurs en-
fants. Vidaurri se retira du gouvernement, ne voulant pas
prêter la main à ces mesures; les agents diplomatiques rom-
pirent toutes relations avec Marquez, mais celui-ci n'en
maintint pas moins cette situation ; il résista aux attaques
que l'ennemi menait du reste mollement, et put cacher
à tout le monde les tristes événements qui se déroulaient
alors à Queretaro.
La petite armée de l'empereur Maximilien avait d'abord
obtenu quelques succès. Le 27 avril, Miramon avait culbuté
l'ennemi et enlevé vingt canons ; le 1" et le 3 mai, on fit
des sorties heureuses ; le o mai, les assiégeants furent en-
core repoussés avec de grandes pertes ; cependant on souf-
frait de la faim, et comme le secours que devait amener
Marquez n'arrivait pas, il fut décidé, le 14 mai, que, le len-
demain, on ferait une trouée à travers les lignes ennemies ;
mais dans la nuit suivante, c'est-à-dire celle du 14 au
15 mai, le colonel Lopez, commandant le régiment de l'Im-
pératrice, livrait à l'ennemi une porte de la ville, située dans
le couvent de la Gruz où résidait l'empereur Maximilien.
Lopez introduisit lui-même les libéraux, à la tète desquels
entrèrent le général Vêlez et le colonel Rincon Gallardo.
Il leur eût été facile de faire immédiatement l'Em-
708 n' PARTIE. CHAPITKE Vil.
4867. pereur prisonnier ; ils y répugnèrent. Le général Vêlez,
tout en refusant de servir l'Empire , avait cependant
vécu à Mexico jusqu'au mois de février 1867, époque à
laquelle il avait rejoint l'armée libérale ; le père du colo-
nel Rincon Gallardo, le marquis de Guadalupe, avait accepté
une charge à la cour de l'empereur Maximilien. Ces deux offi-
ciers respectèrent le prince qu'une trahison leur livrait. On
ne toucha même pas à ses chevaux qui restèrent sellés.
Averti de l'entrée de l'ennemi, l'Empereur s'était levé.
Il sortit peu après avec le général Castillo, le prince Salm-
Salm ('), un otFicier d'ordonnance, et son secrétaire ; de-
vant la porte, il trouva un bataillon ennemi à la tête duquel
était le colonel Rincon Gallardo. Celui-ci le reconnut ;
mais cédant à un mouvement chevaleresque, il fit laisser
le passage libre à l'Empereur et à ceux qui l'accompa-
gnaient, disant : Que pasen son paisanos ! (Laissez passer,
ce sont des bourgeois). L'Empereur quitta le couvent de
la Cruz, et se dirigea rapidement vers le Cerro de la
Campana, où il fut rejoint par Mejia et Miramon ; ce der-
nier venait d'être blessé dans la rue.
Le général Mejia offrit à T'Empereur de gagner les
montagnes, ce qui n'était pas encore tout à fait impossible.
L'Empereur ayant refusé, le général Mejia ne voulut pas
partir seul et l'abandonner dans un moment aussi solennel;
il resta près de lui. Surprises dans leurs quartiers, les
troupes impériales n'avaient pu opposer aucune résistance ;
l'Empereur fit arborer le pavillon parlementaire pour ar-
rêter toute effusion de sang et rendit son épée àEscobedo.
(1) Lo prince de Salm-Salm étail ofllcitT prussien ; il avait servi dans la guerre
de la Sécession américaine et s'était ensuite attaclié à la l'orlmie do l'empereur
Maximilien. Il fut condamné à mort par une cour martiale, puis gracié. Il fut
tué à la bataille du 18 août 1870,
LE MAUÉCHAL BAZAmC. 709
Quinze généraux, vingt colonels, 357 officiers de tout igg?.
grade furent faits prisonniers (^) ; Mendez s'était caché, ~
mais il fut découvert et immédiatement passé par les armes.
Le siège de Queretaro avait duré soixante-dix jours,
pendant lesquels la garnison et les habitants firent preuve
d'une grande énergie. La dernière situation des troupes
assiégées présente un effectif de 5,637 hommes; les forces
de l'ennemi s'élevaient, assure-t-on, à plus de 40,000
hommes, et cependant la trahison seule lui livra la place.
L'Empereur se faisait d'étranges illusions sur les dis-
positions des libéraux à son égard. Il adressa même à
Juarez la dépêche télégraphique suivante (^) :
(jueretaro, 27 mai.
" Je désire m'entretenir avec vous sur des sujets graves et d'une
grande importance pour le pays. Comme vous en êtes un ami pas-
sionné, j'espère que vous ne me refuserez pas une entrevue. Je suis
prêt à me rendre près de vous malgré les fatigues de ma maladie. »
Cette dépêche ne reçut vraisemblablement aucune ré-
ponse.
Le gouvernement républicain décida que l'Empereur,
les généraux Miramon et Mejia comparaîtraient devant une
cour martiale spéciale. Trois autres tribunaux furent for-
més pour juger les principaux officiers et fonctionnaires.
Les officiers d'un rang inférieur furent condamnés à quatre,
cinq ou six ans de prison ; on laissa en liberté, sous la surveil-
lance de la police, les lieutenants ou sous-lieutenants d'ori-
gine mexicaine; ceux d'origine étrangère furent incarcérés
et soumis à d'odieux traitements. Dans les ditterentes villes
<*) Rapport du .wnéral Kscobedo, 30 mai.
(2) D'après une traduction anglaise publit-e dans les Exee. dotum., 1867-68.
710 II" PAKIIE. — CHAPITRE Vil.
1867. Qii ils furent transportés, à Morelia, à San Luis, à Zacate-
cas, à Perote, ils subirent le sort le plus dur, mais partout
aussi ils trouvèrent une généreuse assistance près des fa-
milles mexicaines et étrangères.
L'Empereur fut autorisé à faire venir de Mexico les mi-
nistres de Prusse, d'Autriche, et d'Italie; M.Forest, ancien
consul de France à Mazatlan, représentant la légation fran-
çaise, et le ministre de Belgique les accompagnèrent. Les
amis de l'Empereur avaient pensé que la présence de M.
Dano serait plus nuisible qu'utile à ses intérêts ; d'ailleurs,
le laisser-passerque le ministre de France avait très-vivement
sollicité par l'intermédiaire du consul desEtats-Unis, lui fut
refusé parPorfirio Diaz ('). L'Empereur avait demande l'as-
sistance de deux avocats de Mexico, M. MarianoRiva Palacio,
père du colonel républicain dont le nom a été fréquemment
cité dans le récit des opérations militaires du Michoacan, et
M. Rafaël Martinez de la Torre. Ils s'adjoignirent MM. Or-
tega, avocat de Mexico, et Vasquez, avocat de Queretaro.
La cour martiale chargée de juger l'Empereur fut com-
posée de sept membres : un lieutenant-colonel président,
deux capitaines gradués commandants, et quatre capitaines.
Elle se réunit le 13 juin. L'Empereur, étant malade, obtint
de ne pas comparaître devant ce conseil de guerre dont il
déclinait naturellement la juridiction.
La défense fut présentée par MM. Ortega et Vasquez,
tandis que MM. Riva Palacio et de la Torre se rendaient à
San Luis pour implorer la clémence de Juarez.
Le 14 juin, malgré les efforts de leurs avocats, l'Empe-
reur, les généraux Miramon et Mejia furent condamnés à
(1) Voir Exeeulive documents, 1867-1868, correspondance entre M. Dano et
M. Olterbourg.
LE 3rARÉCHAL BAZAINE. 711
mort par application de la loi du 23 janvier 1862, rendue
au début de l'intervention (^). Les supplications de leurs
défenseurs, celles des membres du corps diplomatique, en
particulier du baron de Magnus, ministre de Prusse, celles
des dames de San Luis qui, en vêtements de deuil, allèrent
se jeter aux pieds de Juarez et de son ministre Lerdo de
Tejada, furent impuissantes à obtenir la grâce des con-
damnés C^).
M. Lerdo de Tejada répondit aux défenseurs : «Le gou-
vernement a éprouvé un chagrin inexprimable en prenant
une décision de laquelle il fait dépendre la paix pour l'ave-
nir, La justice et la convenance publique l'exigeaient. Si
le gouvernement commet une erreur, elle ne sera le résul-
tat d'aucune pression ; nous l'aurons commise avec une
conscience tranquille. C'est là ce qui nous a dicté notre
pénible refus à vos suppliques. »
Juarez leur dit, de son côté : « Vous avez dû souffrir
cruellement de l'intlexibilité du gouvernement. On n'en
peut comprendre aujourd'hui la nécessité, pas plus que la
justice qui la dicte. Le temps se chargera de ce soin. La loi
et la sentence sont en ce moment inexorables, parce qu'ainsi
l'exige le salut public. »
4867.
Condamnalion
à mort
et exécution
de l'empereur
Maximilien
(i4juin-i9 juin).
<1) Les incidents du procès de l'empereur Maximilien, qui ne pouvaient entrer
dans le cadre de ce récit, se trouvent dans les publications faites par le gou-
vernement mexicain et par MM. Riva Palacio et de la Torre. Us sont très-
exactement résumés dans l'ouvrage Vlnlercenlion française au Mexique. — Amyot,
1868. — Les Executive documents de 1867-1868 contiennent également un grand
nombre de renseignements intéressants.
<2) Au mois d'avril, le bruit de la capture de l'empereur Maximilien avait été
répandu aux Etats-Unis. M. Seward lit immédiatement partir pour San Luis un
agent spécial, M. Whyte, chargé d'insister auprès de Juarez pour que sa vie fût
respectée. Les exécutions des prisonniers français de San Jacinto avaient déjà
péniblement ému le cabinet américain , aussi reconimandait-il vivement à
Juarez de s'abstenir de vengeances «jui devaient amoindrir la spupatliie pour
la cause républicaine. M. Lerdo de Tejada, dans une réponse écrite, contesta
712 11^ PARTIE. CHAPITRE VII.
4867. La princesse de Salm-Salm fit l'impossible pour sauver
l'Empereur. Ayant échoué auprès de Juarez, elle tenta
d'acheter une partie de la garnison de Queretaro, pour
favoriser l'évasion de l'empereur Maximilien et des autres
prisonniers. Ces menées ayant été découvertes, Escubedo
la fit partir immédiatement, ainsi que les ministres des puis-
sances étrangères -qu'il accusait d'y avoir prêté les mains.
La captivité de l'Empereur fut très-dure; il était gardé
à vue dans une cellule du couvent de LasCapuchinas. Bien
qu'il souffrît beaucoup de la dyssenterie, on ne lui témoi-
gnait aucun égard. On ne s'occupait même pas de sa nour-
riture ; elle lui était envoyée par quelques familles de la
ville, entre autres celle de M. Rubio, qui montra un grand
et affectueux dévouement.
L'Empereur s'était adressé directement au président
Juarez pour obtenir la grâce des généraux Mejia et Mira-
mon. Au dernier moment, il lui écrivit de nouveau :
« Près de mourir pour avoir voulu tenter si, par de nouvelles
instilutions politiques, je- pourrais mettre fin à la guerre civile san-
Ic droit de rcmpcreiir Maximilien et de ses partisans d'être couverts par les lois
de la guerre. Tout en ne faisant pas encore connaître la rcsolulion, bien arrêtée
déjà par le gouvernement de Juarez , de mettre Maximilien à mort, sa lettre ne
laissait que trop prévoir celte détermination. — M. Seward à M. Campbell, 6 avril
1867. — M. Campbell à M. Seward, 15 mai.
Lorsque la prise de Queretaro fut connue à Washington, le cabinet américain,
dont les gouvernements européens avaient réclamé les bons offices, renouvela ses
instances auprès de Juarez par l'intermédiaire de M. Romero, agent mexicain à
Washington. De plus, il envoya l'ordre formel à M. Campbell, désigné comme
ministre des États-Unis près de la République mexicaine, de se rendre à son poste.
M. Campbell était alors à la Nouvelle-Orléans; il allégua des raisons de santé,
des difficultés de voyage, on dut le relever de ses fonctions. Aucun représen-
tant américain ne se trouva donc près de Juarez en ce moment solennel ; il est
douteux d'ailleurs que celte intervention eût été assez influente pour faire préva-
loir les idées de clémence. — M. Seward à M. (Campbell, l"' juin, 15 juin. —
Execulioe documenlx, 1867-1808.
LE MARÉCHAL BAZALNE. 713
glante qui riiine depuis bien des années cet infortuné pays, je ferais 4867.
avec bonheur le sacriticc de ma vie, si ce sacrifice pouvait contri- "
buer à la paix et à la pi'ospérité de ma nouvelle patrie.
« Intimement convaincu que rien de solide ne peut se fonder sur
un sol arrosé de sang et agité par des secousses violentes, je vous
conjure de la faron la plus solennelle, et avec une sincérité que
m'inspirent les derniers moments qui me restent à vivre, de ne pas
faire couler d'autre sang que le mien. Je vous conjure aussi d'em-
ployer cette persévérance que j'ai su reconnaître et louer au milieu
de la prospérité, et avec laquelle vous avez défendu une cause qui
triomphe aujourd'hui, à la noble tâche de réconcilier les espriis,
afin de pouvoir fonder d'une manière stable et durable la paix el
la tranquillité dans ce malheureux pays. »
Le 19 juin, la sentence reçut son exécnlion. L'empereur
Maximilien tomba noblement en demandant encore que
son sang fût le dernier versé ; Miramon et Mejia donnèrent,
à ses côtés, le même exemple de courage et d'élévation
d'âme (').
L'émotion fut profonde dans le monde entier.
Juarez épargna la vie des autres prisonniers de Quere-
taro, déférés aux conseils de guerre. En mourant le pre-
mier, l'Empereur sauva sans doute bien des victimes.
('^ Les détails de cette exécution furent émouvants. Arrivé sur le Cerro de la
Campana , l'Empereur prononça quelques paroles d'une voix claire et ferme. Il
rappela que son seul désir avait été le bonheur du peuple mexicain, et finit
sa courte harangue par ces mots : « Je vais mourir pour une cause juste : celle
de l'indépendance et de la liberté du Mexique. Que mon san;,' termine les mallieurs
de ma nouvelle patrie. Vive le Mexique ! »
Miramon prit ensuite la parole ; Mejia retta silencieux.
L'Empereur reçut, dit-on, cinq balles dans le ventre et la poiUin>-. Il fut ren-
versé, mais il respirait encore. Deux soldats tirèrent à bout portant ; les deux
coups ratèrent. On fit tirer un troisième soldat ; la balle pénétra dans le côté
droit et enflamma ses vêtements. Son domestique lui jeta un peu d'eau ; enfin
une dernière balle finit ses souffrances.
Quelques mois après, les restes do l'empereur Maximilien furent rendus à l'a-
miral Tcgclhoff el ramenés en Autriche.
714 11" PARTIE. CHAPITRE VU.
1867. Après la prise de Queretaro, l'armée de siège de Mexico
Capitulation avait reçu des renforts considérables ; la position de Mar-
de Mexico i • i
(24 juin). quez dcvint de plus en plus difficile. Pendant longtemps, il
réussit à intercepter les nouvelles de l'extérieur ; toutefois,
il n'osa pas s'opposer au départ des avocats et des repré-
sentants diplomatiques demandés par l'Empereur, mais
il n'en laissa pas connaître la véritable raison. Le 15
juin, il fit publier que le général Ramirez Arellano, ar-
rivant de Queretaro , annonçait que l'Empereur avait
fait lever le siège et s'avançait au secours de la capitale.
En signe de réjouissance, on sonna les cloches et les
musiques des régiments parcoururent la ville.
Le général Ramirez Arellano, échappé de Queretaro,
était en effet à Mexico depuis quelques jours, mais Mar-
quez l'avait fait emprisonner, mettre au secret, et lui avait
rendu la liberté seulement à la condition qu'il se prêterait
au rôle qui lui serait imposé. Marquez se proposait sans
doute de donner le change à la population, afin de se mé-
nager plus facilement les moyens de disparaître. C'est ce
qu'il fit en effet le 19 juin, laissant tout le poids de cette
situation extrême au général Tavera.
Ce même jour, arinva une dépêche de M. Lago, agissant
comme ministre d'Autriche, et intimant l'ordre formel au
commandant des corps autrichiens de s'abstenir de toute
hostilité. Ces troupes se réunirent alors au palais, et
hissèrent le drapeau parlementaire. Un corps français
formé de déserteurs , d'isolés, de retardataires, déclara
aussi se retirer de la lutte.
La capitulation fut signée dans la nuit du 20 au 21 juin.
Le lendemain, les troupes libérales commandées par
Porfirio Diaz occupèrent la ville.
Tous ceux qui avaient rempli quelque fonction sous
LE MARÉCHAL BAZAIKL. ^ io
le gouvernement impérial durent se présenter à la pré- <867-
fecture. Plusieurs personnages préférèrent se cacher, le
général Vidaurri entre autres, mais il fut découvert le
8 juillet et immédiatement fusillé; le général O'Horan,
ayant été déféré à un conseil de guerre, subit le même
soit. Marquez ne fut pas découvert ; il se sauva et put quit-
ter le Mexique.
La place de Vera-Gruz, où commandaient le général Ta- capitulation
boada et le général Herran (gendre du général Almonte), "(28juiny!"^
résista encore quelque temps , enfm, le 28 juin, elle fut
occupée, après convention, par les troupes républicaines
d'Alejandro Garcia et de Benavides. Les autorités et toutes
les personnes compromises s'étaient embarquées la veille
sur des navires étrangers.
Santa-Anna s'était présenté devant Vera-Gruz, le 3 juin,
et l'on disait que, d'accord avec Marquez, il voulait relever
le drapeau conservateur; les autorités refusèrent de le
recevoir ; comme il continuait ses intrigues, les capi-
taines des stationnaires anglais et américain le firent arrêter
et le forcèrent à s'éloigner. Il se rendit alors au Yucatan,
dans l'espoir d'y trouver des partisans, mais il y fut éga-
lement arrêté et emprisonné par les autorités républi-
caines.
Le 15 juillet, Juarez rétablit à Mexico le siège de son
gouvernement ; tout le pays reconnaissait alors son auto-
rité, même la Sierra Gorda dont la soumission inespérée
fut négociée par le général Olvera, l'ancien ami et compa-
gnon d'armes de Mejia.
La plupart des soldats d'origine française et autrichienne
purent rentrer en Europe. Les résidents français furent
716 II* PARUE. CHAPITRE Vil.
4867. placés SOUS la protection des agents diplomatiques des
Etafs-Unis. M. Dano, ministre de France, quitta Mexico
le 8 août, emmenant avec lui un convoi de deux cents
Français, hommes, femmes et enfants, qui demandaient
à être rapatriés.
Les pouvoirs présidentiels de Juarez furent confirmés
par un vote général. Le pays sanctionnait ainsi, indirec-
tement, les condamnations à mort prononcées à Que-
retaro.
L'empereur Maximilien ne fut pas victime d'une pre-
mière explosion de vengeance du parti libéral. Sa mort,
froidement résolue, était une menace terrible jetée par
Juarez et les hommes de son parti à ceux qui, dans
l'avenir, seraient tentés de relever un trône au Mexique,
I
APPENDICE
■
APPENDICE
I.
AFFAIRE JECKER
Le 29 octobre 18o9, Miramon, alors présidonl de la république, avait
décrété une émission de 15 millions de piastres (7o millions de francs),
en bons destinés à amortir les anciens litres de la dctle publique, en gé-
néral discrédités et sans valeur. La conversion devait avoir lieu moyen-
nant une soulte en argent de 25 ou 28 p. %, selon les cas, et les nouveaux
bons devaient être admis dans la proportion de un cinquième en paie-
ment de toutes les contributions (*). Ils portaient un intérêt de 6 p. "/<»
dont la moitié était garantie pendant cinq ans par la maison Jecker,
chargée de l'émission.
Pour couvrir cette maison de la portion d'iiiLérèt qu'elle garantissait,
c'est-à-dire de 3 p. % pendant cinq ans ou de 13 p. °/o, il lui était fait
abanûon sur les primes de conversion de 10 p. % de couverture et de
5 p. °/o de commission. Il restait ainsi au gouvernement 10 à 13 p. 7„,
selon que la conversion était faite avec une soulte de 25 à 28 p. °« ; la
maison Jecker avait le reste. Cette opération lui permettait en outre de
se débarrasser des anciens bons qu'elle possédait et de spéculer sur le
paiement de l'intérêt des bons nouveaux, puisqu'elle touchait 13 p. "/<, au
moment de la conversion, tandis que ses propres paiements au taux de
3 p. "/o étaient répartis sur une période de cinq années.
(') Par exemple, on donnait un ancien Ijon d'um; valeur nominale de iOO [liaslces,
qui valait alors en réalité 10 à 42 piastres, et 2'j piastres en argent; en ccbange, on
recevait un bon nouveau de 100 piastres portant intérêt h 6 «/„, et accepté comnio ar-
gent comptant pour I/o" de toutes les conlrit)Ulions.
•
720 Ai'i'ENDicii:.
Le commerce dcvail aussi bénéficiiT de celte opération ; les bons qu'on
pouvait se procurer à 33 ou 33 p. Vo de leur valeu- nominale, étant ac-
ceptés au pair pour le paiement de I/o des droits de toute nature, il en
résultait, sur les douanes, un dégrèvement notable dont les légations
étrangères furent officiellement informées <i).
La maison Jecker convertit pour une somme de 14,378,700 piastres
d'anciens bons qui, pour la plupart, étaient dans ses caisses.
Sur la soulle de 23 p. %, la part du gouvernement étant de 10 p. %,
la maison Jecker devait payer environ 1,400,000 piastres, et annuler pour
14 millions d'anciens papiers, dont la valeur réelle n'était que de 1/10 de
leur valeur nominale. En échange, elle recevait 14 millions de piastres
en papier au pair, tandis qu'elle avait seulement déboursé 2,800,000
piastres ; cependant, cette opération ne procura au gouvernement de
Miramon que la moitié de la somme qui devait lui revenir; le reste
fut appliqué au remboursement d'avances déjà faites ou au paiement de
fournitures militaires.
Au mois de mai 1860, lorsque fut déclarée la faillite de la maison Jecker,
elle avait encore dans ses caisses la presque totalité des bons, c'est-à-
dire • . • • 13.678.249 36 piastres.
Elle avait vendu 700.430 64
14.378.700 piastresf»).
Quelque temps après, lorsque Juarez eut renversé Miramon, un de ses
premiers actes fut de déclarer nul et sans valeur le contrat Jecker, conclu,
disait-il, avec une autorité rebelle. Jecker prétendait,' de son côté, et non
sans quelque apparence de droit, qu'il n'avait pas eu à apprécier la légi-
timité du gouvernement de Miramon, alors reconnu par toutes les léga-
tions étrangères ; il demanda l'appui de la légation française, pour faire
étal)iir la validité de son contrat. C'était au mois de janvier 1861 ; vers
cette époque, une pétition ayant le même objet était présentée au gou-
vernement français ; cependant Jecker était Suisse et ne fut naturalisé
Français que le 26 mars 1862.
On pouvait considérer cette affaire à un double point de vue : celui des
intérêts particuliers de la maison Jecker, devenus ceux d'un grand nom-
bre de Français et de sociétés de bienfaisance, compromis par sa faillite,
et celui des intérêts généraux du connnerce qui, par les dispositions du
contrat Jecker , bénéticiait d'un dégrèvement de douanes assez im-
portant.
M. Jecker avait trouvé à Paris de puissants appuis. Plusieurs journaux
de la presse officieuse furent invités à lui prêter leur concours. Le duc de
(') Par exemple : pour 500 |tiastres de droits, on payait 400 piastres argent et 100
piastres en papiers, qu'on pouvait se procurer pour 33 ou 3o piastres; le dégrèvement
était donc de G-i pinsiros pouroOO piastres, c'est-à-dire d'environ 1/13.
(î) C''S chifTres ont été donms par M. Corta, député au Corps législatif, envoyé en
486V en mission au Mexique, pour régler les questions linancièrcs.
AFFAIRE JECKER. 721
Morny, lui-même, s'intéressait à sa cause, et des instructions furent don-
nées Il M. de Saligny pour qu'il poursuivît cette affaire O.
Les énergiques représentations du ministre de France décidèrent le gou-
vernement de Juarez à reconnaître la légalité des bons Jecker(*) ; « M. de Sa-
ligny menaçait le gouvernement mexicain d'une ruine certaine, si les propo-
sitions de M. Jecker n'étaient pas acceptées, » et il écrivait au ministre des
affaires étrangères que a se sachant protégé par la France, M. Jecker sen-
tait qu'il pouvait tout oser. »
M. de Saligny évaluait alors à To millions de francs la réclamation de
Jecker contre le gouvernement mexicain. Plus tard, il proposa d'en ré-
duire le chiffre à oO millions, amortissables au moyen d'un prélèvement
de 15p. % sur les douanes; or, les recettes du port de Yera-Cruz, le
plus important de la république, étaient déjà grevées de :
27 p. "lo pour les bons dits de Londres.
24 — pour la convention anglaise.
10 — pour arrérages de la convention.
10 — pour la créance de la mine de Guanajuata.
8 — pour la convention française.
Total: 79 p. °/o.
La quotité disponible n'était donc que de 21 p. 7o. Si l'on en déduisait
encore 15 p. 7„ et qu'on abaissât les tarifs, il ne restait pour ainsi dire
rien au gouvernement mexicain.
En 1864, lorsque M. Corta fut envoyé au Mexique pour examiner la
situation tinancière du pays, il s'occupa du règlement de la créance
Jecker ; il était d'avis d'en réduire le chiffre à 29 millions de francs, et
conseillait, pour amortir cette dette, de prélever un cinquième sur les
douanes dont on relèverait les tarifs, diminués de moitié par l'intervention
française. M. Ramirez, ministre des affaires étrangères, s'opposa formelle-
ment à cette combinaison ; enfin, après de nouveaux pourparlers auxquels
le ministrede France lui-même prit la part la plus active, cette question fut
définitivement réglée le 10 avril 186o. Le capital de chaque bon Jecker dut
.subir une réduction de 60 p. %? sans produire aucun intérêt, et une somme
de un million de piastres dut être réservée chaque année pour leur amortis-
sement par voie de rachat aux enchères publiques. M. Bonnefons, inspecteur
des finances en mission au Mexique, à qui cette affaire avait été spécialement
recommandée, annonça celte solution au ministre des finances à Paris :
a Je considère cette solution comme un triomphe pour la politique de
la France. Reste à savoir si le gouvernement mexicain pourra remplir ses
engagements avec les ressources bornées dont il dispose, en présence
(0 Dépêche du mois de mars, arrivée ea avril ^86^.
(*) Dépêche de M. de Saligay au miaistre des affaires étrangères, mai 'ISGt. (Ces
deux dépêches n'ont pas été publiées dans le recueil des documents diplomatiques.)
Xote de M. Zarco à M. de Saligny, 2 niar> 1801. Pétition adressée au ministre de
France i Mexico, 2-> juillet 4803.
46
722 APPENDICE.
d'un déficit qui ne peut être inférieur à cinquante millions de francs, sans
compter cette nouvelle charge qui pèsera sur ses finances.
« J'ai dit à V. Exe. que j'avais dû m'occuper de la créance Jecker,
pour me conformer à la volonté de l'Empereur, aux désirs de M. de Mon-
tholon, aux instances de nos nationaux. J'ai constamment marché d'accord
avec M. le ministre de France, qui tenait à vider cette question avant son
départ pour Washington ; je savais d'ailleurs que notre gouvernement
attachait le plus grand prix à ce que la réclamation Jecker ne fût pas
comprise avec celle de nos nationaux, à ce qu'elle fût traitée comme une
affaire mexicaireO...,» et en effet cette scandaleuse affaire recevaitune solu-
tion satisfaisante avant toute autre réclamation des indemnitaires français.
Ses droits ainsi reconnus, Jecker, qui ne comptait sans doute pas sur
l'avenir, s'efforça de les liquider le plus promptement possible. Profi-
tant du départ de M. Bonnefons, que sa santé obligeait à rentrer en
France, il conclut avec l'empereur Maximilien, à l'insu des agents fran-
çais, une convention par laquelle il cédait au gouvernement mexicain
l'hacienda de Michiapan, s'engageait à compléter le réseau télégraphique
dans l'intérieur du pays, et hypothéquait, en garantie de ces engage-
ments, des forges dont il évaluait la valeur à 400,000 fr. Il consentait en
outre à une réduction nouvelle sur le chiffre de sa créance et, en
échange, il obtenait, pour ce qui lui restait dû, des traites sur les
fonds disponibles de l'emprunt à Paris (2). Le gouvernement français
ne connut cet arrangement que lorsque les deux premières traites de
12,660,000 fr. furent présentées à la commission des finances mexicaines
à Paris. Il en témoigna un vif mécontentement et signifia que les autres
traites ne seraient pas payées et qu'à l'avenir le trésor français devait
être seul à recevoir des traites sur les fonds de l'emprunt.
La conclusion du dernier contrat de Jecker donna lieu « à des insinua-
tions graves contre la probité du ministre des finances mexicain » qui
l'avait signé (3). Malgré toutes ses réclamations, et bien que l'empereur
Maximilien eût été peiné de voir en quelque sorte protester sa signature,
M. Jecker n'obtint plus rien.
M. Langlais, conseiller d'Etat, homme fort estimé pour ses capacités
financières, était arrivé à Mexico pour remplacer M. Bonnefons. La rigidité
de son caractère et son inébranlable droiture firent échouer les tentatives
(') M. Bonnelons à M. Fould, ministre dus finances, -10 avril i86'6.
(2) Contrat signé par l'empereur Maximilien le 23 août 1865, acle notarié 26 août.
L'hacienda de Michiapan, située à 42 lieues de Cucrnavaca, a environ -12 mille hec-
tares (145,077,248 vares carrées).
(3) Jecker avait déjà reçu . . 1 ,543,770 fr.
On devait lui remettre :
Le 15 octobre 1865, en traites sur Paris 7,660,000
Le 15 décembre, id 5,000,000
Le 31 décembre, en argent ou en traites 10,000,000
24,203,770 Ir.
(M. de Maintenant, inspecleur des finances, an ministre des finances, 22sept. 1865.)
AFFAIRE JECKERi 723
que Jecker renouvelait sans cesse auprès du gouvernement mexicain pour
en obtenir de l'argent.
M. de Morny était mort le 10 mars 1805; Jecker avait ainsi perdu son
plus puissant appui.
Deux ans après le retour des troupes du Mexique, M. Jecker taisait en-
core des démarches auprès du gouvernement français. On lit dans une
lettre qu'il adressait à M. Conti, chef du cabinet de TEmpereur, le 8 dé-
cembre 1869 :
...« Vous ignorez sans doute que j'avais pour associé dans cette affaire
M. le duc de Morny, qui s'était engagé, moyennant 30 p. % des bénéfices
de cette affaire, à ia faire respecter et payer par le gouvernement mexi-
cain, comme elle avait été faite dès le principe.... En janvier 1861, on
est venu me trouver pour traiter cette atfaire... Aussitôt que cet arrange-
ment fut conclu, je fus parfaitement soutenu par le gouvernement français
(ît sa légation au Mexique. Celle-ci avait même assuré à mes créanciers, au
nom de la France, qu'ils seraient entièrement payés, et avait passé des
notes très-fortes au gouvernement mexicain sur l'accomplissement de mon
contrat avec lui, au point que l'ultimatum de 1862 exigeait l'exécution
pure et simple des décrets... L'affaire en resta là jusqu'à l'occupation du
Mexique par les Français. Sous l'empire de Maximilien, et aux instances
du gouvernement français, on s'occupa de nouveau du règlement de mon
allàire. En avril 1865, je parvins, aidé des agents français, à faire une
transaction avec le gouvernement mexicain. A la même époque, M. le duc
de Morny vint à mourir, de sorte que la protection éclatante que le gou-
vernement m'avait accordée cessa complètement...»
La lettre se termine par une menace de publier tous les documents re-
latifs à l'intervention de M. de Morny dans l'aiiaire des bons, dans le cas
oîi l'Empereur ne consentirait pas à favoriser la liquidation de la trans-
action conclue entre la maison Jecker et le gouvernement de l'empereur
Maximilien. 11 lui restait dû, comme on l'a vu plus haut, dix millions de
francs, les agents français s'étant opposés à ce qu"il lui fût délivré des
traites pour ce reliquat *').
Une partie de la correspondance adressée d'Europe à 31. Jecker, en
1862, fut interceptée par les Mexicains, et communiquée au gouvernement
des Etats-Unis, qui en ordonna la publication dans le recueil officiel des
documents présentés au Congrès. Plusieurs des renseignements qui
précèdent ont été extraits de cette correspondance. La lettre suivante,
entre autres, donne d'intéressants détails ;
New intercepted correspondence with Jecker (published with the authority of
the department of Foreign relations).
Paris, octoberâT, -1862.
Dear uiicie : My prédictions were correct in référence to the chùice of tlie
(') M. Jecker a été lusillé comme otage par les insurgés de la Commune de Paris,
en 1874.
724 APPENDICE.
chargé d'affaires of M. M. When I wrote my opinions lo you and the détails
which I had been able to collect from M. G... in référence to M. L..., Almonte's
aid and M. de Saligny's ambassador to His Majesty in July last, M. M... would
havô most anxiously desired tbat my studies had been finished, in order to in-
trust me personally with this mission with ail the influence and ail the recora-
mendations possible ; but papa, frightened at the sad fate of his agents (the
Marquis deP... is in his agony at this moment and when you receive this,
will certainly hâve ceased to exist), would not hâve consented but with the
greatest difïicuUy, especially in conséquence of the malady with which I am yet
convalescent ; moreover, I am distrustful of my expérience and of my aptitude
for so délicate a mission. To be brief, an intermediary course was adopted, as the
necessity for an cnvoy was apparent, especially in October or November, the
time of the entrance of the French into Mexico, when I should be at sea, M. de
M... resolved to intrust provisional power to M. L..., reserving to himself the
right of annulling his authority and transferring it to me if he did not attain his
object. This M. L... bas, to a certain extent, been made acquainled with my
ideas. He does not know M. de M... ; but the duke bas very warmly recommen-
ded him, saying that he was one who had thoroughly understood the mission
of M. P...^ and who was qualified to accomplish it, while he contented himself
with the advantages which were proposed to be granted, if influence and con-
fidence were accorded to him. I will tell you, in one word, who this personage
is. The confidence and the powers granted to him by M. de M.,, and which is
his credentials and his means of making himself known to you ; but he is a
rascal, an intriguer, and so be careful how you act with him. He is an adventurer,
who barked with bunger when he was recommended to M. de M... I copy below
the letter to which I refer ; he bas nothing else from M. M.,. ; he knows no olher
secrets than those contained in the letter itself, which in nowise compromise us ;
and if he tries lo persuade you of the contrary, ail that he may say beyond this
will be merely what his natural sagacity may bave enabled him to penetrate,
without any possibility on his part of showing his proofs. Do not permit your-
self to be swayed by him. I hâve hère the letter which M. M... bas transmitted
to me, with the request that I would transcribe it for you. It has been written
under the dictation of the duke and corrected by him,
€ Sir: Your letter dated at Vera-Cruz, August 30, lias reached me and I
hasten to reply to it. Filled with sentiments of benevolence towards you and me,
my friend and proteclor has thought that we mîghl be mutually useful to each
other, and he has spoken of our affairs in Mexico, which he knows only very
super ficially. Hère is in what they consist : Having had inlercourse for a consi-
dérable time with M. Jecker, whom Ihe unfortunatc afïairs of Mexico and the
hostility of some rival bouses hâve brought into discrédit, 1 find myself his
iTcditor for quite considérable sums : I bave, therefore, an iiiterest in aiding
him to rise, and I am so much the more interested as I believe him to be a very
able and a very honorable man ; as aiso because many French bouses and nearly
ail our countrymen in Mexico are, like myself, his creditors ; in fine, because
he is the victim of an arbitrary, injust and plundcring System of government.
î havp undertaken in concert with M. Elsesser, lirother-in-law of M. Jecker
AFFAIRE JECKER. 725
who has corne from Swilzerland to Paris for this purpose, to défend his iiiterests
by infonning the government and the public as to the validily of his claims
especially in that concerning the négociation of the bonds, known under the
name of the Jecker bonds the cause, in great measure of his failure, and uhich
may likewlse prove a reason for the re-establishement of his house and the
restoration of liis afifairs. Public opinion had totally gone astray in regard to
this affair. M. Elsesser has published a mémorial ^\hich I enclose to you, and
which sets the alTair in a new light. Hereafter, our diplomatie agents should
sustain it.
For your part, Sir, you can serve this cause, \vhich is tliat of an honorable
house odiously persecuted, in the like manner as is French and foreign com-
merce.
It -would be suitable in this case that you should put yourself in communi-
cation with M. Jecker, with much secrecy and discrétion, whenever it may be
necessary ; in regard to which tliis letter w ill be sufBcient to accredit you and to
bring you to such an understanding as to cause you to w ork together, as well in
référence to our minister in Mexico as to our gênerai.
If the issue crowns your efforts, \\e can do no less Ihan leave lo the benevo-
lent and trusty friend \vho has produced our intercourse, the duty of fixing the
rémunération •svhich is in justice due to you.
Receive, etc.
M. de C... whom his suspicion already designated to L... as his successor,
regarded him with evil eye and spoke to him wilh coidness. He told me that L...
departed from Mexico under very ùnfavorable auspi'^es of the French army, and
left there only most odious réminiscences. Whatever there be of exagération in
thèse words should be attributed to the -nounded susceptibility of M. de G...
In 1849 and 1830 in tlie time of the republic, L... was one of the editors of
the Corsaire, a petty bonapartist paper which every day appeared with a pro-
fusion of truisms and challenges to the republicans. Sometimes he had to support
his pen witli the sword, and he did it with courage. He is brave, intriguing,
unscrupulous. In one word, he has ail the qualities of a chevalier d'industrie.
He is a double-edged SMOrd that may be used with profit, but which must bc
handled very prudently. M. de M. T... would start at the idea of seeing the
doubloons that he might hâve in his chest in the hands of such a gentleman.
Thercfore it is that he authorizes me to entreat you to deliver nolhing to him
personally and to send to M. Hodgson or us whatever you may bave to transmit
in future.
I présume you bave received my last of the 15th of October. I should regret
very much if you had not, for it contained important matters. I acknowledge the
receipt of ail which you hâve sent to me. The manner in which youaddress thera
to us is so secure that I avail myself of it for the présent letter, the ténor of
which is of too serions a nature to be instrusted, without protection, to the
fidelity of the .Mexican mails. I told you in my last that I had a conversation
■with M. Hodgson and I mentioned to you Ihe pleasure and confidence which
were excited in him by my assurances that the house was onder a high pro-
tection.
726 APPENDICE.
I congratulate myself on having made to him spontaneously this act of half
confidence; because in the last visit ^vhich he made to me, M. F... secretary of
M. de M. T... came in, charged with a commission from him to me. After I had
presented him to M, Hodgson, he spoke to me very lightly of my approaching
présentation to my lord the duke, and other things of a formai nature calculated
to dispel the suspicions of M. Hodgson, if he had any remainmg ; but -which
fuUy confirmed the little story which I had already related to him.
The evening of the departure of M. Hodgson, the Moniteur announced the
appointment of M. Drouyn de Lhuys to the department of foreign affairs in place
of M. Thouvenel ; and lie manifested much agitation to tliis, and came to me to
see me immediately, in order to know the degree of intimacy that might exist
between our protectors and M. Drouyn de Lhuys ; because, said he to me, he is
unfortunately on intimate terms ^sith Lord John Russel, who represented
England in the congress of Vienna, and who showed himself very pliant of réfé-
rence to some points of secondary interest, in order to prove to M, Drouyn de
Lhuys the French ambassador in the same congress, the spirit of conciliation
with which he was animated. I could not satisfy him at the moment, because
those gentlemen are temporarily absent, but I promised to write to him as soon
as he should return to London. I took advantage of thisopportunityto address to
him, some days afterwards, a letter Mith an amplification of papa's defence, and
of your mémorial on the real interests of commerce in the négociation of bonds,
requesting liim to bave them translated into Englisli, and to seek an opportunity
to présent them to Lord John Russel, in order to destroy bis odious suspicions in
regard to our affair ; also to represent to him that the interests of English com-
merce were iikewise involved in it, and that 'bis house was very much interested
in its happy solution. In order to give more authority to my words and more
latitude to my counsels, I pretended that they had been inspired into me by
M. de G. . . in our comnaon interest. « M. Drouyn de Lhuys, said I to them, bas not
yet formed any opinion in regard to the bonds, but M. de G..., who is a very
intimate friend of bis and the Baron d'André, bis chief secretary, will probal)ly
be called in a short time to tlie Minister's house in order to give him some
explanations. No one is more suitable tiian he his to do so, and he will use ail
bis influence in the furtherance of our interests.
« The entrance of M. Drouyn de Lhuys into the cabinet is a very favorable omen
for the triumph of conservative ideas. It is a reaction against libéral ideas.
Let us bope that the new Minister will not diverge from his gênerai course of
policy in this affair only of tiic bonds. But you know very well, gentlemen, it
will be much more casy to form the opinion of M. Drouyn if it be not already
fixed, to turn it to our favour, if, perciiance, it should ])e unfavorable, when
now he is not yet beset by powerful solicitaticns, by hostile insinuations. In
order to effect this, it is necessay to combat calumny in its very source, to mako
an effort to enlighten John Russel. In view of an English interest he will hesitate,
The bitterness which he has manifested in persecuting us will, perhaps, be sonie-
what diminished, and that will bc an immense victory ; it will be to destroy
hostility — hoslility personified by the English minister ! ! — After John Russel
— public opinion — it would, in fact, be very useful to publish some articles
in the Times, in concurrence with our articles in Paris, when the time cornes, i-
AFFAIRE JECKER.
727
Thèse gentlemen replied lo me immediately, telling me that they hastencd to
do What I wrote to them, and that they had been translated as soon as my letter
had been received. They manifest much zeal and great confidence. I hope tliat
their zeal will be still further quickened by the letter \vhich I address to them
with tliis. I tell them that we hâve achieved a great triumph during thèse few
days past, but I do it in discret terms, because it is good to acquaint them with
the results in order to give them confidence and to incite them to assist in the
restoration of the house ; but it is useless to divulgue the means of them. As their
only objection against the prospérons issue of the efforts which they are going
to make is, that the affair of the bonds is a private interest, I insinuate to them
that it dépends on them to make it one of publie interest and to attain a double
object at the same time ; to secure its favorable setllement by cbanging the
English policy in référence to it, in considération of the interest that they and
other English bouses may take in it, and to realize great profits, since as you
say, it is an affair of two millions five hundred thousand dollars of duties to be
coUected at Vera-Cruz, with the entrance of merchandises in its port. I think
that a letter from you of a commercial and ar^umentative cliaracter would make
a great impression on thèse gentlemen now that the ground is prepared.
Perhaps the resuit which we havc obtained i.s the most décisive stroke of
policy that bas been achieved since thèse gentlemen hâve taken up the question
of the bonds. Under date of August 15 or 28, M. de Saligny bas addressed from
Orizaba to M. de P... a very important letter He says, likewise, that he bas
suffered so many calumnies on account of the affair of the bonds, that be will no
longer be able to act so directly as heretofore ; that it will be necessary to send
out there some safe and skilful person to walcli for the ripening of the fruit.
After some incidental words against N.. , he concludes by saying that formai
instructions are being sent to him in order to place him in a condition to ac*
and to regulate bis position propcrly. M. de M. T... gave it to me in order to
attend to it as far as concerned the house and Noël, and in order to présent the
affair as a French interest in concurrence with English interests, an interest mis-
represented by tlie disloyal course of Wyke, who, in order to increase the security
of the English creditors, whose interests were assured by the same pledges as the
bonds, was not afraid to reject this affair, notwithstanding its justice and to
make hiraself the officiai interpréter of ail the calumnies of Juarez and his
associâtes, etc.
I applied myself as best I could to the performance of this task, including the
greatest number of ideas in the fewest possible words, in order that it might not
be supposed that in expatiating at length on this affair, M. de Saligny gave i*
any other importance tlian that of indignation at seeing a dishonest infamy on
the part of Wyke thus gaincd, and the effort;; of French diplomacy frustrated in
an affair so just. I strove, moreover, to préserve in tiie style its tone of military
bruskness and manly indignation. The letter appeared very good to those gentle-
men, and M. de M. T... hesitated whether he should givo it the name of an
extract, or of a copy, or should make it pass as an original, when there arrived
by the last post a second letter from M. de Saligny, dated at Orizal)a, Septem-
ber 15, and no less important than the former one. Both were put together, and
on the following day my Lord Duke prcsented it to His Majesty, who read it with
728 APPENDICE.
mucli interest. His confidence in M. de Saligny already excessive was slill more
augmented. a M. ..y, said he to the duke, itis necessary tliat ail thèse diflBcultieS
in M. de Saligny's position sliould ceasc ; I ^vill inake my arrangements in regard
to it ; ))
I shall be presented to-morrow at midday (October 30) to JI. de M... y ; he
has desired to see me ; I do not know whether it is to judge whether I am fit for
some future mission. If my letter had not been despatched to-day, in order that
MMrs Hodgson and G" might hâve time to put it in their packet, I would wait
until to-morrow to tell you of it in the letter which I \\\l[ address to N. after
to-morrow (October 30) , but as it is necessary to be prudent, I shall designate
His Majesty as n" 1, M. de M... y as n» 2, M. de M. T... as n" 3
The creditors are well disposed. As soon as papa arrives within two or threedays,
we are going to présent a pétition entreating His Majesty to extend his protection
to the house in the name of French interests. This pétition, signed with the names
of your creditors, will be presented directly by n» 2 to nM ; judge of its impor-
tance! ! G... is somewhat slow and timorous ; he has an excessive dread of com-
promising himself if he is urged to exertion. M... bas acknowledged to me that
he shared half the profits of the bonds. I bave told him in reply that he had
some interest in the house ; he has promised me to tell it to him as if it came
from the count de P..., and to urge him on, because lie can be very useful to us
on account of his intimacy with Drouyn. I think that instructions will be sent to
M. de Sahgny. M... desires to serve you with His Majesty in respect to your lands
in Sonora. He has coUected ail the détails that I bave been ableto give to him...
Adieu, my dear uncle. Assnring you of ail my heart's love, I remain your
most affectionate nephew,
Luis ËLSESSER.
A true copy : Washington, March 31, 1863.
ROMERO t').
(') Traduit du français.
H.
CONVENTION DE LONDRES.
(Page 32.)
Sa Majesté l'Empereur des Français, Sa Majesté la Reine d'Espagne cl
Sa Majesté la Reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande, se trouvant pla-
cées, par la conduite arbitraire et \exatoire des autorités de la République
du Mexique, dans la nécessité d'exiger de ces autorités une protection
plus efficace pour les personnes et les propriétés de leurs sujets, ainsi que
l'exécution des obligations contractées envers Elles par la République du
Mexique, se sont entendues pour conclure entre elles une convention dans
le but de combiner leur action commune, et, à cet effet, ont nommé pour
leurs plénipotentiaires, savoir :
Sa Majesté l'Empereur des Français, Son Excellence le comte de Fla-
hault de la Billarderie, sénateur, général de division, grand-croix de
l'ordre impérial de la Légion d'bonneur, son ambassadeur extraordinaire
auprès de Sa Majesté la Reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande;
Sa Majesté la Reine d'Espagne, Son Excellence don Xavier de Isturiz y
Montero, chevalier de l'ordre insigne de la Toison d'or, grand-croix de
l'ordre royal de Charles III, grand-croix de l'ordre impérial de la Légion
d'honneur, sénateur du royaume, son envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire à la cour de Sa Majesté la Reine du royaume-uni de la
Grande-Bretagne et d'Irlande;
Sa Majesté la Reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande, le Irès-
lionorable Jean comte Russel , vicomte Amberley de Amberley et Art-
salla , pair du royaume-uni , conseiller de Sa Majesté en son conseil
privé, principal secrétaire d'Etat de Sa Majesté pour les affaires étrangères,
Lesquels, après avoir échangé leurs pouvoirs, sont tombés d'accord
pour arrêter les articles suivants :
Abt. i". Sa Majesté l'Empereur des Français, Sa Majesté la Reine
d'Espagne et Sa Majesté la Reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande s'en-
gagent à arrêter, aussitôt après la signature de la présente convention,
les dispositions nécessaires pour envoyer sui- les côtes du Mexique des
forces de terre et de mer combinées, dont l'eftcctif sera déterminé par
un échange ultérieur de communications entre leurs gouvernements,
mais dont l'ensemble devra être suffisant pour pouvoir saisir et occuper
les différentes forteresses et positions militaires du littoral mexicain.
Les commandants des forces alliées seront, en outre, autorisés à accom-
plir les autres opérations qui seraient jugées, sur les lieux., les plus jiroprc*
730 APPENDICE.
à réaliser le but spécifié dans le préambule de la présente convention, cl
notamment à assurer la sécurité des résidents étrangers.
Toutes les mesures dont il s'agit dans cet article, seront prises au nom
et pour le compte des Hautes Parties contractantes, sans acception de la
nationalité des forces employées à les exécuter.
Art. 2. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à ne rechercher
pour elles-mêmes, dans l'emploi des mesures coercitives prévues par la
présente convention, aucune acquisition de territoire, ni aucun avantage
particulier , et à n'exercer, dans les affaires intérieures du Mexique,
aucune influence de nature à porter atteinte au droit de la nation mexi-
caine de choisir et de constituer librement la forme de son gouvernement.
Art. 3. Une commission composée de trois commissaires, un nommé
par chacune des Puissances contractantes, sera établie avec plein pouvoir
de statuer sur toutes les questions que pourraient soulever l'emploi et la
distribution des sommes d'argent qui seront recouvrées au Mexique, en
ayant égard aux droits respectifs des parties contractantes.
Art. 4. Les Hautes Parties contractantes désirant, en outre, que les
mesures qu'elles ont l'intention d'adopter n'aient pas un caractère exclu-
sif, et sachant que le gouvernement des Etats-Unis a, de son côté, des
réclamations à faire valoir, comme elles, contre la République mexicaine,
conviennent qu'aussitôt après la signature de la présente convention, il en
sera communiqué une copie au gouvernement des Etats-Unis ; que ce
gouvernement sera invité à y accéder, et qu'en prévision de cette accession,
leurs ministres respectifs à Washington seront immédiatement munis
de leurs pleins pouvoirs, à l'effet de conclure et de signer collectivement
ou séparément, avec le plénipotentiaire désigné par le président des
Etats-Unis, une convention identique, sauf suppression du présent ar-
ticle, à celles qu'elles signent à la date de ce jour. Mais, comme les Hautes
Parties contractantes s'exposeraient, en apportant quelque retard à la
mise à exécution des articles 1 et 2 de la présente Convention, à man-
quer le but qu'elles désiraient atteindre. Elles sont tombées d'accord
de ne pas différer, en vue d'obtenir l'accession du gouvernement des
Etats-Unis, le commencement des opérations susmentionnées au delà de
l'époque h laquelle leurs forces combinées pourront être réunies dans les
parages de Vera-Cruz.
Art. 5. La présente convention sera ratifiée, et les ratifications en
seront échangées a Londres dans le délai do quinze jours.
En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs l'ont signée et y ont ap-
posé le sceau de leurs armes.
Fait à Londres, en triple original, le trente et unième jour du mois
d'octobre de l'an de grâce mil huit cent soixante et un.
Flahault.
Xavier de Isturiz.
RUSSELL.
ni
LISTE DE GRIEFS
ADRESSÉS AU GOIA'ERNEMF.NT FRANÇAIS PAR M. DE SALIGNT.
(Page 34.)
L. G..., tailleur à Mexico, blessé d'un coup de poignard devant la porte
de sa maison. — Le 20 janvier.
F. B..., cordonnier, assailli à sept heures du soir par six individus,
reçut un coup de poignard, puis fut volé de son argent et d'une partie
de ses vêtements. — Le 21 janvier.
L. M..., assassiné k Puebla. dans la rue; la police le ramassa baigné
dans son sang, refusa de le faire porter h son logement, sous prétexte
que la loi l'exigeait ainsi ; on le traîna en prison, puis à l'iiôpital, où il
fut retenu de force à la disposition des autorités judiciaires. Lorsqu'il
sortit, il trouva la chambre de l'auberge où il avait déposé ses bagages
entièrement dévalisée ; la porte ayant été fracturée, l'hôtelier accusa la
police et réciproquement.
A. G... etA. B..., maltraités et emprisonnés à Minalitlan.
P. M..., hôtelier à Rio Frio et à Palmar, enlevé de son domicile et
pillé deux fois consécutives en janvier et en avril.
P. L..., assassiné au Final, près de Puebla.
L. M. B..., propriétaire rural dans l'Etat de Durango, assassiné et tué
sur place, près de Durango, le 3 avril.
A. M..., conducteur de chariots ; enlevé plusieurs fois en avril et juillet,
toujours maltraité et mis à rançon.
M"* E. M..., se rendant en France, assassinée près de Cordova, le 12
mars, décédée après quarante jours de souffrances.
L. E..., régisseur, enlevé le 18 avril de son hacienda de Tautillan, mis
à rançon après deux jours do tortures.
732 APPENDICE.
P. L..., assassiné à 18 lieues de Mexico; tué sur place.
A. F. D..., maître meunier, assassiné le 48 mai, dans le moulin de
Batan, à 3 lieues de Mexico. Les assassins, qui furent reconnus même par
les chiens du moulin, appartiennent à trois bourgades voisines, y jouissent
tranquillement des fruits de leurs forfaits.
La mort de D... a dû leur rapporter b à 6,000 piastres.
B. J.... contre-maître du moulin de Batan, blessé grièvement par les
assassins de D..., qui l'ont laissé sans connaissance jusqu'au 19 mai.
Le jeune A..., enlevé de l'hacienda de son père, dans l'Etat de Puebla:
mis à rançon après quelques jours de torture morale : fin de mai.
L. G..., enlevé à une demi-lieue de Mexico ; relâché, après un jour de
détention, sans rançon. 26-27 juin.
J. L. T..., dépouillé et battu par les soldats à un quart de lieue de
Cuernavaca, sur la grand'route.
B. D..., de Temascaltepec, enlevé, emprisonné, maltraité, et torturé de
toutes façons.
J. B. D..., assassiné à Otumbilla, 8 lieues de Mexico. Les assassins sont
connus ; rien ne serait plus facile que de les arrêter.
P. D..., de Temascaltepec , enlevé le 28 juillet et relâché après troi?;
jours de souffrances.
H. H..., de Temascaltepec, a eu sa maison pillée de fond en comble.
J. B..., attaqué, frappé et blessé par quatre soldats, dans la rue Zuleta,
à Mexico.
P. D..., colporteur, assassiné sur la grand'route, à 2 lieues de Cuer-
navaca.
A. D..., attaqué et blessé dans la rue San Francisco, k Mexico.
IV.
ORGANISATION DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE
COMMANDÉ PAR LE CONTBE-AMIRAL JURIEN DE LA GRAVIÈRE.
(Page 53.)
Chef d'état-major : M. le capitaine de frégate Thomasset.
(M. Capitaa, capitaine d'élat-major, avait été attaché comme aide de camp mili-
taire à la personne de l'amiral Jurien de la Gravière; il secondait le chef d'étal-
major en ce qui conceroait le service des troupes de terre.)
Commandant du génie : le capitaine du génie Lebescoxd de Coatpont.
Commandant du parc d'artillerie et du convoi , faisant fonctions de grand-prévôt
le capitaine de frégate Lagk
Chef des services administratifs : le commissaire adjoint Di.val.
Régiment d'infanterie de marine : colonel He.\î<ique.
Un bataillon du 2' zouaves : commandant Cousin.
Un bataillon de marins-fusiliers : capitaine de frégate Allègre.
Un peloton de chasseurs d'Afrique : sous-lieutenant Paploré,
Une batterie d'artillerie de marine de 4 rayé : capitaine Mallat.
Une batterie d'obusiers de montagne, servie par les marins : lieutenant de vais-
seau Bruat.
Une section de 12 rayés, servie par les marins. (Cette section fut dissoute, son
organisation n'ayant pu être complétée.)
Un détachement de sapeurs du génie.
Id. du train d'artillerie.
Id. du train des écpiipages.
Id. d'ouvriers d'administration.
Id. d'infirmiers.
Un détachement de gendarmerie : capitaine de Chavannes de Chastel.
V.
TRAI^SPORT DES TROUPES
DE FRANCE AU MEXIQUE.
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VI.
COMPOSITION DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE
Sous les ordres du général FORE Y,
D'après la situation du 1" décembre 1862.
(Page 303.)
Commandant en chef : le général de division Fukiïv.
Chef d'étal-major général : le colonel d'état-major d'Auvebgxe.
Commandant l'artillerie : le général de brigade Verxhet de Lacmiére.
Chef d'état-major de l'artillerie : le chef d'escadron de L.uaille.
Commandant le génie : le colonel Yialla.
Chef d'état-major du génie : le chef de bataillon Corbin.
Chef des services administratifs : l'intendant militaire Wolf.
PUEMIÈRE DIVISION d'i.NFANTERIE,
Le général de division Bazaine.
Chef d'état-major : le lieutenant-colonel Lacroix.
ÎIS"- bataillon de chasseurs : commandant Lasjt.
1" régiment de zouaves : colonel Brincourt.
81« de ligne: colonel DE LA Canorgue.
S 20' bat. de chass. : commandant Lepage de Longchamps.
93" régiment de ligne : colonel Jolivet.
3" zouaves : colonel Mangi.v.
Tirailleurs algériens : commandant Cottret.
DEUXIÈME DIVISION D'iNFANTERIE.
Le général de brigade Douav, commandant provisoirement la division.
Chef d'étit-major : le chef d'escadron Capitan, faisant fonctions.
1" brigade : l 1" bataillon de chasseurs : X...
Colonel L'Hériller. < 99" de ligne : colonel L'Hériller.
-ommiDdint prorisoiremeDt. f 2' régiment de zouavcs : coloncl Gambier.
742 APPENDICE.
( 7^ bataillon de chasseurs : commandant d'Albici.
^ _*^ ' _ \ 51® régiment de ligne ; colonel Garnier.
62' régiment de ligne : colonel baron Aymard.
Général de Berthier.
BRIGADE DE CAVALERIE.
Général de brigade de Mirandol.
1" régiment de marclie : colonel de Brémond d'Ars.
2" régiment de marche : colonel du Barail.
troupes de LA marine.
Bataillon de marins fusiliers : le capitaine de frégate Bruat.
2' régiment d'infanterie de marine : le colonel IIenniqoe.
VII.
CONVENTION DE MIRAMAR
(10 AVRIL 1864).
(Page36i.)
Le gouvftrnemcnt de S. M. l'Empereur des Français et celui de S. M-
l'Empereur du Mexique, animés d'un désir égal d'assurer le rétablisse-
ment de l'ordre au Mexique et de consolider le nouvel Empire, ont résolu
de régler par une convention les conditions du séjour des troupes fran-
çaises dans ce pays, et ont nommé pour leurs plénipotentiaires à cet effet,
savoir :
Sa Majesté l'Empereur des Français, M. Cliarles-François-Edouard Her-
bet, ministre plénipotentiaire de 1^" classe, conseiller d'Etat, directeur
au ministère des affaires étrangères, grand officier de son ordre impérial
de la Légion d'honneur, etc.
Et Sa Majesté l'Empereur du ]\Iexique, M. Joaquin Yelasquez de Léon,
son ministre d'Etat sans portefeuille, grand officier de l'ordre distingué de
Notre-Dame de Guadalupe, etc.
Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs, trouvés en
bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :
Article 1'^. Les troupes françaises qui se trouvent actuellement au
Mexique seront réduites le plus tôt possible à un corps de 25,000 hommes,
y compris la légion étrangère.
Ce corps, pour sauvegarder les intérêts qui ont motivé l'intervention,
restera temporairement au Mexique dans les conditions réglées par les
articles suivants :
Art. 2. Les troupes françaises évacueront le Mexique au fur et à me-
sure que S. M. l'Empereur du Mexique pourra organiser les troupes né-
cessaires pour les remplacer.
Art. 3. La légion étrangère au service de la France, composée de
8,000 hommes, demeurera néanmoins encore pendant six années au
Mexique, après que toutes les autres forces françaises auront été rappelées
conformément à l'article 2. A dater de ce moment, ladite légion passera
744 APPENDICE.
au service et à la solde du gouvernement mexicain. Le gouvernement
mexicain se réserve la faculté d'abréger la durée de l'emploi au Mexique
de la légion étrangère.
Art. 4. Les points du territoire à occuper par les troupes françaises,
ainsi que les expéditions militaires de ces troupes, s'il y a lieu, seront
déterminés de commun accord et directement entre Sa Majesté l'Empereur
du Mexique et le commandant en chef du corps français.
Art. 5. Sur tous les points où la garnison ne sera pas exclusivement
composée de troupes mexicaines, le commandement militaire sera dévolu
au commandant français.
En cas d'expéditions combinées de troupes françaises et mexicaines, le
commandement supérieur de ces troupes appartiendra également au com-
mandant français.
Art. 6. Les commandants français ne pourront intervenir dans aucune
branche de l'administration mexicaine.
Art. 7. Tant que les besoins du corps d'armée français nécessiteront
tous les deux mois un service de transports entre la France et le port de
Vera-Cruz, les frais de ce service, fixés à la somme de 400,000 fr. par
voyage (aller et retour) seront supportés par le gouvernement mexicain
et payés à Mexico.
Art. 8. Les stations navales que la France entretient dans les Antilles
et dans l'Océan Pacifique enverront souvent des navires montrer le drapeau
français dans les ports du Mexique.
Art. 9. Les frais de l'expédition française au Mexique à rembourser
par le gouvernement mexicain sont iixés à la somme de 270 millions pour
tout le temps de la durée de cette expédition jusqu'au l*"" juillet 1864.
Cette somme sera productive d'intérêts à raison de 3 p. % par an.
A partir du 1" juillet, toutes les dépenses de l'armée mexicaine restent
à la charge du Mexique.
Art, 10. L'indemnité à payer à la France par le gouvernement mexi-
cain, pour dépense de solde, nourriture et entretien des troupes du corps
d'armée à partir du 1" juillet 1864, demeure fixée à la somme de 1,000 fr.
par homme et par an.
Art. 11. Le gouvernement mexicain remettra immédiatement au gou-
vernement français la somme de 66 millions en titres de l'emprunt au
taux d'émission, savoir : 54 millions en déduction de la dette mentionnée
dans l'article 9, et 12 millions comme à-compte sur les indemnités dues
à des Français en vertu de l'article 14 de la présente convention.
Art. 12. Pour le paiement du surplus des frais de guerre et pour l'ac-
quittement des charges mentionnés dans les articles 7, 10 et 14, le gou-
vernement mexicain s'engage à payer annuellement à la France la somme
de 23 millions en numéraire. Cette somme sera imputée : 1" sur les
sommes ducs en vertu desdits articles 7 et 10 ; 2° sur le montant, en in-
térêts et principal, de la somme fixée dans rarliclc 9 ; 3° sur les indem-
CONVENTION DE MIRAMAR. 74S
nités qui resteront dues à des sujets français en vertu des articles 14 et
suivants.
Art. 13. Le gouvernement mexicain versera, le dernier jour de chaque
mois, à Mexico, entre les mains du payeur général de Tarmée, ce qu'il
devra pour couvrir les dépenses des troupes françaises restées au Mexique,
conformément à l'article 10.
Art. 14. Le gouvernement mexicain s'engage à indemniser les sujets
français des préjudices qu'ils ont indûment soufferts et qui ont motivé
l'expédition.
Art. 15. Une commission mixte, composée de trois Français et de trois
Mexicains, nommés par leurs gouvernements respectifs, se réunira à
Mexico dans un délai de trois mois, pour examiner et régler ces réclama-
tions.
Art. 16. Une commission de révision, composée de deux Français et
de deux Mexicains, désignés de la même manière, siégeant à Paris, pro-
cédera à la liquidation définitive des réclamations déjà admises par la
commission désignée dans l'article précédent et statuera sur celles dont la
décision lui aurait été réservée.
Art. 17. Le gouvernement français remettra en liberté tous les pri-
sonniers de guerre mexicains, dès que l'Empereur du Mexique sera entré
dans ses Etats. *
Art. 18. La présente convention sera ratifiée et les ratitications en se-
ront échangées le plus tôt que faire se pourra.
Fait au château de Miramar, le 10 avril 1864.
Signé : Herbet.
JOAQUIN YeLASQUEZ DE LeON.
On prétend que le gouvernement français avait demandé à l'empereur
Maximilien de ratifier un traité relatif à la cession de la Sonora. conclu
entre M. le marquis de Montholon, ministre de France à Mexico, et
M. Arroyo, représentant la Régence de l'Empire mexicain ; l'empereur
Maximilien aurait refusé ; cette circonstance fut rappelée dans la défense
présentée par les avocats de l'Empereur devant la cour martiale de Que-
retaro.
VIII.
COMPOSITION ET RÉPARTITION
DE
L'ARMÉE FRAXCO-MEXICAINE
Au MOIS DE JUIN 1864.
(Page 382.)
Au mois de juin 1864, l'armée franco-mexicaine était composée de la manière
suivante :
Commandant en chef ; le général de division Bazaine.
Chef de l'ctat-major général : le colonel d'état-major Manèque O.
Commandant de l'artillerie : le général de division Courtois d'Hurbal.
Chef d'état-major de l'artillerie : le lieutenant-colonel de Lajaille.
Commandant du génie : le général de brigade Vialla.
Chef d'état-major du génie : le colonel Doutrelaine.
Chef des services administratifs : l'intendant militaire Wolf.
PREMIÈRE Dnnsiox d'infanterie.
Général de Castag.vy : quartier général à Queretaro.
Chef d'état-major : le lieutenant-colonel Lewai,.
1" brigade. — Colonel B"" Aymard; — à San Luis Potosi (2).
1" bataillon de chasseurs (commandant Bréart) ; — à San Luis Potosi.
51° régiment de ligne (colonel Garnier) ; — à Guanajuato, Silao, Lcon , Ira-
puato, Salamanca.
(0 Le colonel Maiièque avait remplacé le général d'Auvergne depuis le 28 février
1864; il quitta lui-même ses fonctions pour rentrer en France le ■l'"^ juillet 1804 et fut
remplacé par le colonel Osmont.
(2) Le colonel Aymard remplace le général de Berlier, rentré en France. (Ordre du
26 mars 1864.)
748 AM'ENDICE.
62' régiment de ligne (colonel B°" Aymard) ; — à San Luis Potosi.
Présents sous les armes : 4,755 hommes. — Effectif total : 5,250 Iiommes.
2» brigade. — Colonel du 3" zouaves Mangi.v : — à Queretaro.
20* bataillon de chasseurs (commundant de Franchessin) ; — à Queretaro, San
Luis de ia Paz.
95' de ligne (colonel de Camas) : — à Queretaro, San Juan del Rio, Arroyo Zarco^
Tepeji, Pachuca, San Luis de la Paz.
3' zouaves (lieufenant-colonel Tourre) ; — à Mexico.
Présents sous les armes : 4,535 hommes. — Effectif total : 5,189 hommes.
Total de la 1" division sous les armes : 9,290 hommes.
Effectif total : 10,439 hommes.
DEUXIEME DIVISION D INFANTERIE.
Général Douay : Quartier général à Guadalajara.
Chef d'état-major : le colonel Osmont.
1" brigade. — Général L'Hériller ; — à Zacalecas.
1" bataillon de chasseurs (commandant de Courcy) ; — à Zacatecas, Jerez.
2' régiment de zouaves ( lieutenant-colonel Martin ) ; — à Zacatecas , Malpaso ,
Salinas, Fresnillo.
99' de ligne ( colonel de Saint-Hilaire ) ; — à Aguascalientes , Lagos , Incar-
nacion.
Présents sous les armes : 4,583 hommes. — Effectif total : 5,096 hommes.
2' brigade. — Général baron Neigre ; — à Guadalajara (provisoirement
à Mexico).
18' bataillon de chasseurs (commandant Brincourt): — à Guadalajara.
!"■ régiment de zouaves (colonel Clixchaxt) ; — à Guadalajara et environs.
81' régiment de ligne (colonel de Potier) ; — à Guadalajara, Tepatitlan, San
Juan de los Lagos, Tololotlan.
Bataillon de tirailleurs algériens ( commandant Munier ) ; — en route vers
Acapulco.
Présents sous les armes : 4,689 hommes. — Effectif total : 5,080 hommes.
Total de la 2' division sous les armes : 9,272 hommes.
Effectif total : 10,176 hommes.
brigade de résehve.
Général de Maussion ; — à Orizaba.
7' régiment de ligne (colonel Giraud ; — à Orizaba, Cordova, La Canada, Telma-
can, Rio Frio, Chapultepcc. Mexico.
ARMÉE FRANCO-MEXICAINE. 749
2* bataillon d'infanterie légère d'Afrique (commandant d'Ornaxo); — à Paso del
Macho, Palo Verde, Camaron, Cotastla, Cordova.
Présenls sous les armes : 2,783 hommes. — Effectif total : 2,919 hommes.
Régiment étranger, non embrigadé (colonel Jeanningros) ; — à Puebla, San Juan
de los Llanos, Zacatlan, Tlaxcala, Tepeji de la Seda, Acatlan.
Présents sous les armes : 2,263 hommes — Effectif total : 2,682 hommes.
BRIGADE DE CAVALERIE,
Colonel DE Lascours (D. — Quartier général à Mexico.
/ 2 escadrons ; — à San Luis Potosi.
jer rég. de marche. j j escadron ; — à Puebla.
'(rotonlVnE LASCocRsr j ^ escadrons; — à Queretaro. Détachements aux contre-
\ guérillas, partisans, remontes, etc.
2« rég. de marche 1
{2« chass. d'Afrique el) ( 4 escadrons ; — à Mexico et dans les cantonnements
5« hussards. l voisins. Détachements divers,
(colonel Petit). J
iî' rég. de chasseurs ( 3 escadrons ; — à Guadalajara et environs,
(colonel DU Precil). ^ 1 escadron ; — ■ à Zacatecas.
Présents sous les armes : 2,206 hommes. — Effectif total : 2,449 iiorames,
artillerit;.
Répartie dans les différents postes.
Présents sous les armes : 2,534 hommes. •— Effeeiif total : 2,709 hommes.
GÉNIE.
Présents sous les armes : 643 hommes. — Effectif total : 681 hommes.
TROUPES d'administration ET SERVICES ADMINISTRATIFS.
Sous les arme». Effectif total.
Troupes du train 1,811 iiommes. 1,981 hommes.
Ouvriers d'administration. . 468 — 469 —
Infirmiers 540 — 540 ~
Officiers de santé 69 — 69
Officiers d'administration . . 99 — 99
Aumôniers. 6 — 6
Total 2,993 hommes. 3,164 Iiommes.
(0 Le général du Barail élait rentré f-n France.
750 APPENDICE.
TROUPES DE LA MARINE.
Deux compagnies du génie colonial ; — à Vera-Cruz, La Soledad.
Présents sous les armes : 147 hommes. — Effectif total : 159 liorames.
Total des troupes françaises sous les armes : 32,302 hommes.
Effectif total : 35,S53 honmies.
TROUPES MEXICAINES.
Division Marquez ; — Morelia et environs, Jalapa, Perote. . 6,099 hommes.
Division Mejia ; — San Luis Potosi, Venado, Matehuala, etc. 5,270 —
Brigade Vicario ; — Cuernavacca, Eguala, etc 1,876 —
Colonel Flo\ ; — Puebla, Tepeji 236 —
Colonel Trujèque ; — Puebla, Acatlan, Atlixco 419 —
Colonel Argdellez ; — Cordova, etc 304 —
Général Galvez ; — Orizaba, etc 291 —
Colonel Valdez ; — Toluca, etc 871 —
Colonel Navarrete ;, — Toluca, etc 356 —
Colonel Cano ; — Pachuca 99 —
Colonel Antonio Domingoez ; — Pachuca 205 —
Colonel Figuerrero ; — Vera-Cruz 153 —
Commandant Ribe IRA ; — San Martin; — Texmelucan .... 66 —
Commandant José de la Pena ; — Tula 207 —
Commandant Murcia ; — La Soledad 104 —
Bataillon d'invalides ; — Mexico 272 —
Colonel Chavez ; — Aguascalientes 625 —
Colonel Zermeno; — Lagos 318 —
Colonel Cuellar ; — Guadalajara 329 —
Colonel Oct. Castellanos ; — Tepatitlan 106 —
Colonel Renteria; — Guadalajara 582 —
Général Velarde ; — La Barca 562 —
Colonel Santiago Castellanos ; — Guadalajara 87 —
Colonel DupiN ; — contre-guérillas de Tampico et de Tamaulipas. 848 —
Total 20,285 hommes.
IX.
NOTE SUR LA COLONISATION
(Page 504.)
Il ne suffisait pas d'appeler des colons, il fallait avoir encore des terres
à leur distribuer. Or, bien qu'il existe au Mexique de grandes étendues
de territoire incultes, le domaine public est fort restreint; toute terre
a un maître dont les droits de propriété sont plus ou moins régu-
liers, mais dont il était difficile et peu opportun de reviser les titres (*>;
il fallait donc obtenir des grands hacenderos qu'ils abandonnassent vo-
lontairement une partie de leur terrain et leur faire comprendre les avan-
tages qu'ils en retireraient. Ces avantages, à leur point de vue tout per-
sonnel, étaient en définitive fort contestables.
Les terres qu'ils conserveraient obtiendraient, leur disait-on, une plus-
value considérable par le voisinage de celles mises en culture, mais que
leur importait après tout cette plus-value ? les produits de leur hacienda
n'en seraient pas augmentés, tandis qu'au contraire ils pourraient craindre
que leurs nouveaux voisins plus actifs et plus industrieux ne provoquassent
la désertion d'un grand nombre de leurs peones.
Une partie seulement de leurs vastes propriétés était cultivée ; mais sur
le reste vivaient en liberté de nombreux troupeaux , source considérable
de richesses ; pourquoi restreindre ces beaux domaines, origine de l'in-
fluence traditionnelle de leurs familles <»? Aussi les efforts de l'Empereur
et ceux des personnages des anciens Etats confédérés qui s'occupèrent de
l'immigration au Mexique, vinrent se heurter contre leurs mauvaises dis-
positions.
(1) Après la conqnêtc dcâ Espagnols, l'Empire de Montczuma fut partagé en an
certain nombre de lots ou encomiendas, donnas en toute propriété aux compagnons
de Cortez. Ceux-ci divisèrent leurs terrains en repart imientos donnes a leurs lieu-
tcnanls aux soldats, et entin aux chefs indiens, ou caciques ayant servi leur parti.
Telle est l'origine des haciendas, et la plupart de leurs propriétaires ont ainsi les
titres légaux. Quant aux terres possédées par les Indiens, elles proviennent soit de
donation, soit d'acquisition. .
(2) Parmi les plus belles haciendas du nord du Mexique, mais non encore des plus
crandes on peut citer l'hacienda de Cnstodio, près de San Luis Potosi, dont le terri-
toire est de 54i,586 hectares ; celle de Solcdad, qui possède 220 licucs carrées
(352,000 hectares); celle de Peotillos, qui compte 74 lieues carrées, -10,000 chevaui,
20,000 moutons, 8,000 bœufs.
752 APPENDICE.
Un homme d'une grande importance el dont les travaux scientifiques
avaient popularisé le nom dans les deux mondes, le commodore Maury,
était venu à Mexico pour traiter cette question ; si le programme qu'il
proposait à l'Empereur avait pu être rempli, nul doute que la face du
Mexique n'eût été changée en peu de temps ; ce programme est résumé
dans la lettre suivante, adressée par M. Maury, le 9 juin 1865, à l'amiral
Chabannes, préfet maritime à Toulon, et communiquée à l'empereur
Maximilien (i) :
« Notre cause est perdue ; mes nobles et courageux compatriotes baissent
la tête avec humiliation.
a Tous ceux qui le pourront s'expatrieront.
« Nous en avons assez avec les républiques ; nous aimons plus le
Mexique que toutes les autres contrées, à cause de sa proximité et par
conséquent de la facilité d'y parvenir avec nos femmes et nos enfants....
...Notre intention, si nous venons ici, est de nous identifier avec le pays,
de faire ce que des sujets loyaux et dévoués doivent faire pour établir
l'Empire, de nous dévouer à sa grandeur future, à sa gloire et à ses des-
tinées, aussi complètement que nous l'avons fait avec notre propre patrie,
qui maintenant est déchirée et foulée aux pieds de ses conquérants.
« Il y a dans la Virginie et le Sud environ deux cent mille familles
dont les chefs sont des hommes d'une grande influence, très-intelligents,
et de beaucoup de fortune;... sous leur administration et avec les travaux
qu'ils commandaient, ils ont changé les déserts du Sud en jardins....
« Il est au pouvoir de l'empereur Maximilien de transporter ces familles
avec leurs esclaves affranchis, de les convertir immédiatement en de
loyaux sujets, et, par leur concours, établir fermement et subitement
l'Empire. C'est pour cela que je suis ici...»
Il demandait pour favoriser l'immigration : la tolérance religieuse, la
franchise de douanes pour le matériel agricole, l'exemption d'impôt et de
service militaire pendant quelques années, une indemnité pour chaque
nègre libre amené par les anciens propriétaires d'esclaves, afin de leur per-
mettre de transporter le travailleur et sa famille, des concessions de terre»
quelque avance d'argent aux familles ruinées ou au moins le concours de
l'Etat, pour faciliter un emprunt spécialement affecté à l'exploitation des ter-
rains mexic;îins. L'Empereur était favorablement disposé k l'égard des pro-
jets du commodore Maury.
(1) L'empereur Maximilien nomma M. Maury directeur d'un observatoire qui n'existait
que de nom, afin de lui donner une liante position officielle, des appointements el lui
permettre de couvrir, sous le voile de ces prétendues fondions, les démarclics se-
crètes que les projets d'émigration nécessitaient de sa part, soit au palais, soit près des
ministres.
Plus tard, if fut naturalisé Mexicain et, par décret du 18 septembre, il reçut le titre
de conseiller d'Etat lionorairc, commissaire impérial chargé de la colonisation, avec la
faculté de nommer des agents d'émigration dans les Etats du Sud des Etats-Unis ;
un autre Américain, le général Magruder, fut mis à la tête d'un bureau rentrai des
terres alTertéo? à la colonisation. (Dérrel du 27 septembre 486f).)
NOTE SUR LA COLONISATION.
753
On se procura quelques lorrp>;, afin de former des colonies agricoles à
proximité du chemin de fer en voie de construction entre Vera-Cruz et
Cordova, dans des régions propres à la culture du coton ; plusieurs fa-
milles américaines y furent installées, mais le mauvais vouloir des auto-
rités mexicaines ne tarda pas à décourager les colons, tandis que les
bandes libérales les inquiétaient sans cesse; la plupart quittèrent bientôt le
pays et le grand courant d'émigration, que l'on ne sut pas amener au
Mexique, se dirigea vers le Brésil, où gouvernement et population rivali-
saient d'efforts pour attirer les étrangers.
Un grand projet de colonisation dans la Sonora avait été formé par le
D' Gwin, ancien sénateur de l'Etat de Californie. Il avait été accueilli avec
faveur par l'empereur Napoléon, mais il échoua autant par crainte des
remontrances du gouvernement des Etats-Unis, que par suite des dispo-
sitions peu favorables du cabinet de Mexico. Les Mexicains voyaient avec
une grande défiance l'installation de colons sous le patronage de la
France. Déjà, au début de l'expédition, M. Jecker, qui possédait de grands
territoires dans la Sonora, avait intéressé à cette question les personnes
qui le protégeaient près de l'empereur Napoléon (voir la lettre de M. Elses-
ser, citée à l'appendice I) ; plus tard, une convention avait été signée
entre M. le marquis de Montholon, ministre de France à Mexico, et M. Arroyo,
ministre des affaires étrangères du gouvernement de la Régence. L'empe-
reur Maximilien refusa, dit-on, à Miramar, de ratifier cette convention.
Quoi qu'il en soit, tous les projets d'établissement en Sonora, sous le pro-
tectorat français, furent abandonnés.
Au moment même où cette importante question de colonisation était
débattue au cabinet de l'Empereur, on s'occupait également d'un projet
de loi fort libéral, fort humanitaire, sur le poonage et la condition des
Indiens dans les haciendas.
Nous avons déjà indiqué combien était dur le servage imposé à cette
population si intéressante et si sjTupathique par sa soumission même. Les
Indiens des villes et des villages sont en général fort pauvres ; il leur est
difficile de s'élever jusqu'aux classes supérieures de la société d'où l'or-
gueil des créoles les repousse; mais entin, la plupart jouissent de leur
liberté ; les Indiens des haciendas, ceux des hauts plateaux surtout, car
dans les terres chaudes, le travail se faisant ordinairement à la tâche, la
condition du travailleur peut dépendre de sa propre activité, sont, au
contraire, de véritables serfs entièrement sous la dépendance d'un maître
dont le caprice peut les punir des fers, de la {)rison ou du fouet; ils sont
astreints à un pénible labeur, et ne reçoivent qu'un minime salaire (ordi-
nairement deux réaux (1 fr. 20) par jour), à peine sufiBsant pour leur
nourriture ; les hacenderos les amènent à s'endetter sans espoir de libé-
ration (J). D'autre part le clergé, en exigeant d'eux des sommes élevées,
Peonage.
Réformes
sur
la condition
des travailleurs
(1) La condition des ouvriers boulangera, charcutiers, et savonniers, à Mexico
même, était pncore pire que i-nlle des peoncs. Pour «e procurer de« nuuiers dans les
48
754 APPENDICE.
non -seulement pour les baptêmes, les mariages et les enterrements, mais
encore à chacune des innombrables têtes dont le calendrier mexicain est
encombré, l'Indien est obligé d'emprunter l'argent que son travail ne
saurait lui fournir; l'hacendero ne refuse jamais ces prêts qui lui garan-
tissent des travailleurs, et l'on dit avec raison que, plus il est dû à un
propriétaire, plus il est riche.
Une odieuse loi, rendant le fils responsable des dettes du père, perpétue
l'esclavage dans la famille.
Par décret du 10 avril 1865, l'Empereur avait institué une junte «l Pro-
tectrice des classes nécessiteuses, » dont la mission toute philanthropique
devait être de préparer les mesures propres à améliorer la condition des
Indiens et à réformer ces abus, afin, disait l'Empereur, d'affranchir les
sept millions d'Indiens opprimés par un million de blancs O. L'empe-
reur Maximilien se défiait avec raison du concours des ministres pour
cette œuvre si importante, et le travail avait été préparé à leur insu ; ce
fut l'Impératrice qui se chargea de faire passer le projet au conseil, pen-
dant une absence de l'Empereur. Elle avait mis, au succès de cette entre-
prise, toute l'ardeur, toute l'énergie de son caractère; elle réussit mieux
qu'elle ne l'espérait.
« Je viens de remporter le triomphe sur toute la ligne, tous mes pro-
jets ont passé ; celui des Indiens, après avoir excité un frémissement au
moment de la présentation, a été accepté avec une sorte d'enthousiasme.
Il n'y a eu qu'un seul avis contraire. Forte de ce succès, je leur ai déve-
loppé des théories sociales sur la cause des révolutions au Mexique, qui
ont procédé des minorités turbulentes s'appuyant sur une grande masse
inerte, sur la nécessité de rendre à l'humanité des millions d'hommes,
quand on appelle de si loin la colonisation, et de faire cesser une plaie à
laquelle l'indépendance n'avait porté qu'un remède inefficace, puisque,
citoyens de fait, les Indiens étaient pourtant restés dans une abjection
désastreuse.
« Tout cela a pris à mon grand étonnement, et je commence à croire
que c'est un fait historique <2). »
boulangeries, on leur prête une somme que généralement ils doivent et qu'il? ne
peuvent payer; des parents vendent leurs enfants. Une fois vendu soit par lui, soit
par les siens, l'ouvrier ne peut se suffire, bien que son salaire soit de 4 à lO réaux
par jour, parce qu'il lui est fait une retenue pour l'amortissement de sa dette, et que,
de plus, tout le pain brûlé est mis à sa charge. Il emprunte de nouveau, et le patron
l'encourage dans cette voie; c'est ainsi qu'il devient esclave pour toute sa vie.
Les ouvriers sont parqués dans des chambres étroites et malsaines, au grand pré-
judice de la morale et de la santé. Ils ne sortent que le dimanche matin pour aller à
la messe, et encore sont-ils escortés; on ne leur permet de voir leurs familles qu'à
travers une grille et en présence de témoins. La police intérieure est faite par un
majorai ou capataz, qui châtie la moindre faute à coups de bâton. (Note du maré-
chal à l'Empereur.)
(1) Lettre de l'empereur Maximilien, -17 août -1865.
(*) Lettre de l'Impératrice, 31 août 1865.
M. Burnouf, ingénieur français, était venu au Mexique pour diriger de grandes en-
NOTE SUR LA COLONISATION. 755
Le décret relatif à l'émancipation des Indiens, à la rédaction duquel le
maréchal prit une part des plus honorables <*), parut le 1" novembre
1865 ; il abolit les châtiments corporels, limita les heures de travail, ga-
rantit le paiement du salaire, réduisit à six piastres au maximum le
chiffre des prêts que les propriétaires étaient autorisés à faire à leurs
Indiens, déchargea le fils des dettes de son père et détruisit les entraves
ploitations agricoles. Consulté par l'Empereur sur les améliorations proposées, il lui
écrivait, le 19 aoûl tSGo :
« Sire, j'ai entre les mains un projet de règlement émanant de la Junta de las clases
menesterosas et relatif aux Indiens des haciendas. Ce projet me préoccupe beaucoup, et
sans l'assentiment de V. M. je n'ose formuler un décret, qui est toute une révolution,
mais une révolution utile, nécessaire et urgente. Pendant l'année entière que j'ai passé
dans les haciendas, j'ai vu les Indiens de très-près, j'ai vécu de leur vie, et si j'ai pleuré sur
leur sort, je me suis indigné contre la barbarie de leurs maîtres et les exactions de
toutes sortes exercées j)ar eux. J'ai vu des hommes nus frappés de verges jusqu'au sang,
j'ai littéralement mis mon doigt dans les cicatrices ; j'ai nourri des familles mourant de
faim et conduites au travail sous le fouet du majordome , j'ai vu des hommes mourant
d'épuisement, chargés de chaînes, se traînant au soleil pour achever leur vie sous l'oeil
de Dieu, puis jetés dans un trou, comme un chien mort I Eh bien, tout cela n'est rien !
L'haciendado spécule encore sur la nourriture de ces pauvres gens et sur le haillon
qui les couvre à demi. Il les oblige à acheter chez lui tous leurs aliments et à un prix
supérieur à celui du marché de la ville ; il leur vend avec usure toutes les pauvres
étoffes dont ils ont besoin, de sorte que, tout compte fait, l'Indien ne reçoit pas plus
de un réal pour un travail de quatorze heures. Il faut donc que l'Indien s'endette de
plus en plus ; en cela le maître est puissamment aidé par les prêtres, qui font, tous,
payer à un prix exorbitant les formules de la religion et exploitent à outrance la
crédulité superstitieuse de l'Indien.
« La liquidation de la semaine sainte se règle toujours en perte pour le peon, et sa
condition va en s'empirant. Par ce système, on est arrivé à ce qu'il n'existe pas une
famille indienne qui ne doive au moins cent piastres. — La dette générale des Indiens
d'une hacienda est au minimum de 20,000 piastres »
Personne ne contestait ces terribles abus de la domination des hacenderos sur leurs
malheureux peones, et cependant ceux-là mêmes qui faisaient le plus haut profession
de libéralisme étaient opposés aux idées d'émancipation de l'Empereur. Le ministre
de l'instruction publique, Siliceo, écrivit à l'Empereur, dès le -1'"' septembre, le len-
demain même du conseil présidé par l'Impératrice, pour lui remontrer à quel danger
on allait exposer le Mexique si l'on accomplissait la révolution sociale proposée.
« Los indigenas se conservan quietos por solo su abatimiento social, pero por caracter
y espiritu de raza tan luego como se les escite y se les den medios de ponerse trente
à trente de los blancos veran llegado el momento de la insurreccion y de las venganzas
y entonces : Desgraciado de Mexico t »
Les indigènes ne se tiennent tranquilles que par suite de leur abaissement social,
mais par caractère et esprit de race, aussitôt qu'on les excitera et qu'on leur donnera
les moyens de se placer face à face des blancs, ils verront le moment venu de s'insur*
ger et de se venger, et alors : Malheur au Mexique I
L'Empereur persista dans son projet.
(') Comparer le décret au projet soumis au raaréclial et aux modifications qu'il y
propose (Lettre au ministre, 9 octobre).
756 APPENDICE.
que les hacenderos apportaient h la libertc^de leurs peoncs. Néanmoins, ce
décret n'eut pas la portée que l'Empereur avait espérée; les hacenderos
refusaient d'employer les peones qui voulaient protiter de leur libération
légale, et le malheureux Indien, pour vivre et faire vivre sa famille, re-
prit la servitude à laquelle une loi bienfaisante, mais inefficace ou incom-
plète, n'avait pu le soustraire.
On voit, par la résistance qu'apportaient les Mexicains eux-mêmes à la
réalisation de ces deux grands projets de la colonisation étrangère et de
la colonisation par la race autochthone, conséquence de l'émancipa-
tion des peones, combien il était difficile de réorganiser la société mexi-
caine.
X.
CONVENTION DU 30 JUILLET 1866.
(Page 602.)
Sa Majesté l'Empereur des Français et Sa Majesté l'Empereur du
Mexique, animés du désir de régler, à leur satisfaction mutuelle, les ques-
tions financières pendantes entre leurs gouvernements, ont résolu de
conclure une convention dans ce but et désigné pour leurs plénipoten-
tiaires, savoir :
Sa Majesté l'Empereur des Français, M. Alphonse Dano, son envoyé
extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Mexico, commandeur de
l'ordre impérial de la Légion d'honneur, grand-croix de l'ordre de Guada-
lupe, etc., etc., etc., agissant en vertu de ses pleins pouvoirs généraux;
Sa Majesté l'Empereur du Mexique, M. Luis de Arroyo, sous-secrétaire
d'Etat, chargé du ministère des affaires étrangères, officier de l'ordre de
la Guadalupe, etc., etc., etc., autorisé à cet effet ;
Lesquels sont convenus des articles suivants :
Article 1". Le gouvernement mexicain accorde au gouvernement
français une délégation de la moitié des recettes de toutes les douanes
maritimes de l'Empire, provenant des droits ci-après mentionnés :
Droits principaux et spéciaux d'importation et d'exportation sur tous
objets.
Droits additionnels « d'internacion » et de « contra-registro. »
Droits de « mejoras materiales » lorsque ce dernier sera libéré de la
délégation actuellement consentie en faveur de la compagnie du che-
min de fer de Yera-Cruz à Mexico, délégation qui ne pourra être pro-
longée.
Toutefois, les droits d'exportation des douanes du Pacifique étant en-
gagés pour les trois quarts, la délégation attribuée au gouvernement
français sur ces droits sera réduite aux 23 p. 7o restant libres.
Art. 2. Le produit de la délégation stipulée par l'article précédent
sera attribué :
758 APPENDICE.
1° Au paiement des intérêts, de l'amortissement et de toutes les obliga-
tions résultant des deux emprunts contractés, en 1864 et 1865, par le
gouvernement mexicain ;
2° Au paiement des intérêts à 3 p. "/o de la somme de 216 millions de
francs, dont le gouvernement mexicain s'est reconnu redevable en vertu
de la convention de Miramar, et de toutes les sommes postérieurement
avancées par le Trésor français, à quelque titre que ce soit. Le montant
de cette créance, évaluée aujourd'hui au chiffre approximatif de 250
millions de francs, sera ultérieurement fixé d'une manière définitive.
Dans le cas d'insuffisance du prélèvement pour l'entier acquittement
des charges ci-dessus indiquées, les droits des porteurs des titres des
deux emprunts et ceux du gouvernement français demeureront entière-
ment réservés.
Art. 3. Le prélèvement résultant de la délégation de la moitié du
produit des douanes mexicaines s'élèvera proportionnellement à l'aug-
mentation des recettes et, dans le cas oîi ce prélèvement dépasserait la
somme nécessaire pour faire face aux charges spécifiées dans l'article,
l'excédant serait affecté à l'amortissement du capital dii au gouvernement
français.
Art. 4. La quotité des droits et le mode de perception actuellement en
usage ne pourront recevoir do modifications qui aient pour effet de dimi-
nuer le prélèvement concédé.
Art. 5. Le prélèvement de la délégation mentionnée dans l'art. !«'
sera opéré à Vera-Cruz et à Tampico, par des agents spéciaux placés sous
la protection du drapeau de la France.
Tous les droits perçus dans ces deux douanes, pour le compte du Tré-
sor mexicain, sans exception, seront affectés à l'acquittement de la délé-
gation française, sous la seule réserve de la partie afférente aux déléga-
tions actuellement reconnues, et au traitement des employés de ces deux
douanes. Le montant de cette dernière dépense, qui comprendra les
émoluments attribués aux agents français, ne pourra excéder cinq pour
cent du produit des droits précités.
Un règlement de compte trimestriel constatera le montant des prélève-
ments ainsi opérés par le gouvernement français, et le produit des droits
délégués pour toutes les douanes de l'Empire.
Ce règlement fixera la somme à verser immédiatement par le gouver-
nement mexicain pour parfaire le prélèvement concédé, en cas d'insuffi-
sance, ou la somme à lui restituer, de la môme façon, en cas d'excédant
de prélèvement.
Dans tous les ports autres que Vera-Cruz et Tampico, les agents
consulaires français viseront les états de situation des douanes de leur
résidence.
Art. 6. Il sera laissé à l'appréciation de l'Empereur Napoléon III de
fixer le temps pendant lequel les agents chargés d'opérer les recou-
CONVENTION DU 30 JUILLET 1866. 759
vrements seront maintenus à Vera-Cruz et à Tampico, ainsi que d'arrêter
les mesures propres à assurer leur protection.
Art. 7. Les dispositions ci-dessus spécifiées seront soumises à l'appro-
bation de l'Empereur des Français et applicables à partir du jour désigné
par Sa Majesté.
La convention signée à Miramar, le 10 avril 1864, sera dès lors abrogée
en tout ce qui a trait aux questions financières.
Art. 7. Il demeure convenu que les agents spéciaux, chargés par le
gouvernement français cVopêrer le prélèvement de la délégation accordée
par Vart. 1*% auront la direction des douanes des deux ports de Vera-Cruz
et de Tampico.
En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs ont signé la présente
convention, qu'ils ont revêtue du cachet de leurs armes.
Fait en double expédition à Mexico, le trente juillet de l'an de grâce
mil huit cent soixante-six.
Signé : Alph. Dano.
Luis de Arroyo.
RELEVÉ DES EMBARQUEMENTS
POUR LE RAPATRIEMENT DU CORPS EXPEDITIONNAIRE.
DATES
18 déc. 1866.
13 ,
anv. 1867.
20
id.
44 février.
n
id.
18
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18
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19
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24
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26
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27
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28
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1er
mars.
2
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4
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12
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12
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id.
12
id.
NOMS
des
La Floride (paquebot;
Impératrice-Eugénie (paquebot)
Ehône (transport). .
Nouveau-Monde (paquebot). . .
Yonne (transport)
Saône (id.)
Nièvre (id.)
Drame (id.)
Pomone (frégate)
Allier (transport).
Var (id.)
Tampico (paquebot)
Ardèche (transport) .
Calvados (frégate)
Aveyron (transport)
Tarn (id.)
Vera-Cruz i^paquebol)
Masséna (vaisseau)
Cher (transport)
Eure (id.)
Garonne (idj
Ville-de-Bordeaiix (vaisseau). .
Ville-de-Lyon (id.)
Fontenoy (id.)
Cérès (transport)
Mégère (aviso)
Duchayla (aviso)
Charente (transport) .
Intrépide (vaisseau)
Bayard (id.)
Durance (transport i
Souverain (vaisseau) ,
Aube (transport) ,
Castigliona (vaisseau)
Navarin (id;
Seine (transport)
La Floride (paquebot)
La France (id.).
Magenta (vaisseau)
Magnanime (vaisseau)
Flandre (frégate) ,
TOTADX
Trocfes embarquées
OFFICIERS
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16'J
1,264
28,
27,260
593
351
OBSERVATIONS.
Autrichiens.
Autrichien».
Matériel d'artillerie.
Pour ia .Nouv. -Orléans
.Matériel d'artillerie.
.Navires armés en guerre.
Vera-Cruz, le 12 mars 1867.
XI.
DÊPEI^SES
OCCASIONNÉES PAR l'eXPÉDITION DU MEXIQUE.
D'après une note qui fut communiquée à la commission du budget , du Corps
législatif, les dépenses occasionnées par l'expédition du Mexique se répartissent
de la manière suivante :
Ministère
Ministère
Ministère
TOT\L
de la guerre.
de la marine.
des finances.
1861. —
.
3,200,000 fr.
,
3,200,000 fr
1862. —
27,119,000 fr.
33,903,000
379,000 fr.
63,400,000
1863. —
72,012,800
24,606,000
1,001,000
97,619,000
1864. —
•bl, 732,000
15,667,000
1,675,000
69,074,000
1865. —
29,342,000
10,583,000
1,480,000
41,405,000
1866. —
41,792,000
13,798,000
9,567,000
65,147,000
1867. —
9,993,000
13,117,000
200.000
23,310,000
Total. 231,990,000 fr. 116,873,000 fr. 14,202,000 fr. 363,155,000 fr.
Les recettes furent, pour l'année 1864 :
Un semestre du remboursement stipulé par la convention
de Miramar 12,500,000 fr.
Remboursement des frais de construction du chemin de fer. 1 ,500,000
Vente de 47,625 obligations de l'emprunt mexicain pour
le compte de l'Etat 14,287,000
(Il resta en portefeuille 5,232 obligations).
Arrérages de l'emprunt mexicain 5,400,000
A reporter 33,687,000 fr.
764 APPENDICE.
Report 33,687,000 fr.
En 186S :
Remboursement stipulé à Miraraar 25,000,000
Arrérages de l'emprunt 2,700,000
27,700,000 27,700,000
En 1867':
Perçu sur les douanes mexicaines 5,880,000
Total des recettes 61,975,000 fr.
La différence entre les recettes et les dépenses s'élève à 301,190,000 fr., non
compris une somme de 13 millions environ, portée au budget extraordinaire; on
évaluait en outre le matériel perdu à 2,230,000 fr., et les frais de rapatriement
du corps expéditionnaire à 20 millions fr.
Pour avoir le bilan complet des sacrifices occasionnés par cette expédition,
il conviendrait d'ajouter encore les pertes subies par le commerce français et par
les souscripteurs des emprunts mexicains.
TABLE DES MATIÈRES
PREHUIERE PARTIE.
CHAPITRE PREMIER.
Pages.
Préliminaires de Vexpédition du Mexique. — Condition des Indiens après la
conquête du Mexique et sous le régime colonial. — Émancipation du
Mexique. — Iturbide proclame l'indépendance ; plan d'Iguala (24 fé-
vrier 1821). — Traité de Cordova (24 août 1821). — Iturbide empe-
reur. — République mexicaine; les partis au Mexique. — Guerre civile.
— Santa- Anna. — Comonfort , plan d'Ayotla (i"^ mars 18o4). —
Constitution de 1857. — D. Benito Juarez. — Plan de Tacubaya ;
Zuloaga. — Juarez établit le gouvernement constitutionnel à la Vera-
Cruz. — Miramon. — Cliute de Miramon ; le parti constitutionnel
maître de Mexico. — Attitude des ministres étrangers pendant la guerre
civile. — M. de Saligny nommé ministre de France à Mexico. — Sus-
pension du paiement de la dette publique (17 juillet 1861). — Rupture
DES MINISTRES DE FRANCE ET d' ANGLETERRE AVEC LE GOUVERNEMENT DE
Juarez (2b juillet 1861). — Les étrangers au Mexique. — Premiers
projets d'intervention. — Convention de Londres (31 octobre 1861).
— Dispositions des Etats-Unis i
CHAPITRE n.
Commandement du contre-amiral Jurien de la Gravière. — Organisation
des forces expéditionnaires. — Désignation des plénipotentiaires; le
général Prim, — Instructions données à l'amiral Jurien ; — aux com-
missaires anglais ; — au général Prim. — Formation du corps expédi-
tionnaire français ; départ de l'escadre. — Réunion de l'escadre à Sainte-
Croix-de-Ténériffe. — L'amiral complète l'organisation du corps expédi-
tionnaire. — Arrivée de l'escadre à la Havane. — Première réunion des
trois commandants des troupes alliées. — Les émigrés mexicains à la
Havane. — Juarez se prépare à la résistance. — Débarquement des
Espagnols à la Vera-Cruz. — Achat de chevaux à la Havane. — L'es-
766 TABLE DES MATIÈRES.
Pages,
[r cadre française quitte la Havane. — Effectif de la division espagnole.
— Manifeste des plénipotentiaires à la nation mexicaine. — Description
topograpliique sommaire. ~ Occupation de la Tejeria. — Occupation
de Medelin. — Première conférence, — Ultimatum des plénipotentiaires
français. — Deuxième conférence. — Envoi de délégués à Mexico. —
Arrestation ds Miramon. — Retour des délégués. — Réponse du gouver-
nement mexicain. — Deuxième note des commissaires alliés. — Loi du
25 janvier 1862. — Organisation du corps expéditionnaire. — Réponse
de Doblado à la deuxième note. — Troisième note. — Le général Za-
ragosa remplace le général Uraga. — Convention de la Soledad (19
février 1862). — Organisation du convoi. — Départ des troupes fran-
çaises pour Tehuacan (25 février 1862). — Réorganisation des moyens
de transport. — Situation de la Vera-Cruz et de l'escadre. 39
CHAPITRE III.
Impressions des gouvernements anglais et français en apprenant le débar-
quement des Espagnols à Vera-Cruz. — Envoi au Mexique d'une
brigade de renfort sous les ordres du général de Lorencez. — Le géné-
ral Almonte. — Exécution du général Roblès. — Débarquement et
mise en route des renforts. — Les troupes cantonnées à Tehuacan ré-
trogradent. — Instructions envoyées par les trois gouvernements à leurs
commissaires, motivées sur les divergences qui s'étaient produites entre
eux. — Jugement porté sur l'ultimatum proposé par M. de Saligny. —
Conférence du 9 avril. ■— Rupture de l'alliance. — Ecbange de notes
avec le gouvernement mexicain. — Proclamation des commissaires
français à la nation mexicaine, — Décret de Juarez, — Dispositions
des cbefs du parti conservateur. — Plan de Cordova. — Départ des
troupes anglaises et espagnoles. — Le général de Lorencez à Cordova,
— Lettre du général Zaragosa relative aux malades laissés à Orizaba.
— Le général de Lorencez se décide à marcher sur Orizaba. — Combat
du Fortin (19 avril). — Proclamation du général de Lorencez. — Le
Gouvernement français désapprouve la convention de la Soledad. —
Rappel de l'amiral. — Jugement porté sur la convention de la Soledad
par les gouvernements alliés. — Politique adoptée par les trois puis-
sances à la suite de la rupture de l'alliance 99
CHAPITRE IV.
Composition et situation du corps expéditionnaire. — Topographie du
pays entre Orizaba et Puebla. — Combat des Cumbres (28 avril 1862).
— Attaque de Puebla (5 mai). — Marche rétrograde de Puebla sur
Orizaba. — Combat de la Barranca-Seca (18 mai). — Mésintelligence
entre le général de Lorencez et M. de Saligny. — Le général de Lo-
rencez rétabht ses communications avec Vera-Cruz. — Difficultés pour
les approvisionnements de vivres. — Arrivée du général Douay. —
Situation politique. — Siège d'Orizaba par l'armée mexicaine. —
TABLE DES MATIÈRES. 767
Pages.
Combat du Gerro-Borrego (i4 juin). — Mesures gouvernementales du
général Almonte. — Marche des convois entre Orizaba et Vera-Gruz. —
Arrivée d'un premier renfort. — Lettre de l'Empereur au général de
Lorencêz. — Départ du général de Lorencez 153
CHAPITRE V.
Composition du corps expéditionnaire placé sous les ordres du général
Forey. — Instructions donnés au général Forey. — Le général Forey
dissout le gouvernement provisoire formé par le général Almonte. —
Proclamation aux Mexicains. — Ecliange de lettres entre le général
Ortega et le général Forey. — Pénurie des vivres et des transports. —
Marche de la brigade de Bertier sur Jalapa. — Opérations au sud de
Vera-Gruz. — Occupation d'Omealca. — Expédition sur Tampico. -^
Le corps expéditionnaire s'avance sur le plateau d'Anahuac. — Situa-
tion des forces alliées du général Marquez. — Marche du général Bazaine
de Jalapa sur Perote. — Combat de San José (18 février 1863). —
Organisation des postes sur la ligne de communication avec Vera-Cruz.
— Arrivée à Vera-Cruz d'un bataillon d'Egyptiens. — Reprise des opé-
rations contre Puebla. — - Dispositions défensives prises par le gouver-
nement mexicain 203
CHAPITRE VI.
Investissement de Puebla (16 mars 1863). — FortiOcations de Puebla. —
Combat de Cholula (22 mars). — Ouverture de la tranchée (23 mars).
— Prise du fort de San Javier (29 mars). — Attaque des cadres. —
Conseil de guerre (7 avril). — Combat d'Atlixco (14 avril). — Attaque
du couvent de Santa Inès (23 avril). — On change le système des
attaques. — Combat de San Pablo del Monte (5 mai). — Combat de
San Lorenzo (8 mai). — Ouverture de la tranchée devant '.e fort Toti-
mehuacan. — Reddition de la place (17 mai). — Evasion des prison-
niers faits à Puebla 233
CHAPITRE Vn.
Mesures politiques prises après la reddition de Puebla (mai 1863), —
Marche de l'armée sur Mexico. — Pronunciamiento à Mexico. — Entrée
du général Forey à Mexico (10 juin 1863). — Manifeste à la nation
mexicaine. — Formation d'un gouvernement provisoire. -?- Proclama-
tion DE l'Empire (10 juillet). — Opérations militaires. — Combat
de Gamaron (l*"^ mai). — Opérations sur les côtes. — Situation poli-
tique du pays. — Rappel du général Forey et de M. de Saligny (oc-
tobre 1863) 38o
DEUXIÈME PARTIE.
CHAPITRE PREMIER.
Pages.
Le général Bazaine (octobre 1863). — Ligne politique tracée au général
Bazaine. — Réception de la commission mexicaine par l'archiduc Maxi-
milien. — Forces militaires dont disposait le général Bazaine. — Armée
mexicaine alliée. — Préliminaires de la campagne de l'intérieur. — Les
colonnes expéditionnaires quittent Mexico. — Poursuite de la division
Doblado jusqu'à Aguascalientes. — Opérations du général Douay contre
le corps d'Uraga. — Opérations de la division Mejia. — Occupation et
défense de San Luis Potosi (23 et 27 décembre 1863). — Occupation
de Guadalajara (5 janvier 1864). — Difficultés suscitées par le clergé.
— Retour du général en chef à Mexico (4 février 1864). — Marche
de la division Douay sur Zacatecas, puis sur Guadalajara. — Situation
politicpie. — Acceptation officielle de la couronne par l'archiduc Maxi-
milien. — Emprunts. — Convention de Miramar (10 avril 1864). —
Arrivée de l'empereur Maximilien à Vera-Cruz (28 mai 1864). — Opé-
rations du général Douay aux environs de Guadalajara. — Destruction
des guérillas de l'Etat de Guanajuato. — Opérations dans la Sierra
Morones. — Combat de Matehuala (17 mai 1864). — Opérations aux
environs de Tampico. — Evacuation de Minatitlan (28 mars) et de San
Juan Bautista (27 février). — Occupation d'Acapulco (3 juin 1864) . . 323
CHAPITRE II.
Manifeste de l'empereur Maximilien à son arrivée au Mexique (29
mai 1864). — Voyage de l'Empereur dans les provinces de l'inté-
rieur. — Situation générale du pays. — Le nonce du pape. — Ques-
tions religieuses. — Opérations militaires. — Expédition dans la
Huasteca. — Combat de la Candelaria (1" août). — Opérations dans
le Nord. — Occupation de Durango (4 juillet). — Occupation de Sal-
tillo et de Monterey (20 et 26 août). — Combat du Cerro de la Majoma
(21 septembre). — Opérations de l'escadre à l'embouchure du Rio
Bravo del Norte. — Occupation de Matamoros (26 septembre). —
Opérations dans l'Etat de Jalisco. — Occupation de Cohma (5 novembre).
— Combat de Jiquilpan (22 novemlire). — Evacuation d'Acapulco
(14 d.H;.'mbre 1864) 379
TABLE DES MATIERES.
CHAPITRE m.
769
Pages.
Opérations militaires clans la province d'Oajaca. — Siège et prise d'Oajaca
(8 février 1863). — Opérations contre les guérillas de l'Etat d'Oajaca,
de la Huasteca, des terres chaudes de Vera-Cruz, du Michoacan. de
l'Etat de Jalisco. — Occupation de Mazatlan (13 novembre 1864). —
Marche de la division de Castagny de Durango à Mazatlan. — Combat
de TEspinazo del Diablo (1^"^ janvier 1863). — Combat de Veranos
(il janvier). — Occupation de Guaymas de Sonora (29 mars). — Agi-
tation dans les provinces du Nord. — Mouvement de Negrete, de Ghihua-
hua sur Saltillo, Monterey, et Matamoros. — Appréhensions d'une
intervention des Etats-Unis. — Forces militaires à la disposition du
maréchal Bazaine — Mésintelligence entre le gouvernement mexicain et
les autorités françaises. — Etat des finances. — Emprunts 439
CHAPITRE IV.
Politique des Etats-Unis. — Emigration des confédérés au Mexique. —
Création des divisions militaires et des grands commandements. —
Opérations militaires dans le Michoacan. — Premier combat de Tacam-
baro (11 avril 1865). — Combat d'Huaniqueo (23 avrilj. — Deuxième
combat de Tacambaro (11 juillet). — Combat de Santa Ana Amatlan
(12 octobre). — Menées du général Santa Anna. — Réoccupation
d'Acapulco (11 août). — Opérations des volontaires autrichiens dans la
province d'Oajaca et dans la Huasteca. — Expédition sur Chihuabua. —
Décret du 3 octobre 1863. — Opérations militaires en Sonora. — Opéra-
tions dans le Tamaulipas. — Opérations des colonnes françaises dans le
Nord-Est. — Voyage de l'impératrice Charlotte au Yucatan 499
CHAPITRE V.
Relations diplomatiques entre la France et les Etats-Unis. — Déclaration
du gouvernement français relative au rappel des troupes du Mexique. —
Organisation des forces militaires à la disposition de l'empereur Maxi-
milien. — Création des cazadores. — Détresse financière de l'Empire
mexicain. —Progrès dos forces républicaines dans le nord du Mexique.
— Opérations militaires dans les États de Nuevo-Leon et de Coahuila.
— Combat de Santa Isabel (1" mar.-^).— Combat de Camargo (13 juin).
— Capitulation de Matamoros (23 juin). — Note du 31 mai. — Mémoire
de l'empereur Maximilien à l'empereur Napoléon. — Nature des rela-
tions entre l'empereur Maximilien et le maréchal Bazaine. — Conven-
tion du 30 juillet 1866 343
CHAPITRE VI.
Le maréchal Bazaine transporte son quartier général à San Luis (juillet
1866). — Evacuation de Monterey ('26 juillet). — Combat de la Noria
49
770 TABLE DES MATIÈRES.
Pages,
de Custodio (8 août). — Mouvement de concentration sur Durango. —
Capitulation de Tampico (7 août). — Mesures prises pendant le ministère
de MM. Friant et Osmont. — Opérations dans le Michoacan et l'Ëtat
d'Oajaca. — On arrête l'embarquement. — Mission du général Castelnau.
— Projet d'abdication de l'empereur Maximilien; il part pour Orizaba.
— I Dispositions des Américains ; mission Campbell et Sherman. —
Conférences d'Orizaba. — L'empereur Maximilien se décide à rester au
Mexique 605
CHAPITRE YII.
Mouvements de retraite de l'armée française. — Évacuation de la So-
nora. — Combats autour de Mazatlan; évacuation. — Évacuation de
Guadalajara (12 décembre). — Combats autour de Matehuala. —
Évacuation de San Luis (23 décembre 1866). — Combat de Mia-
huatlan (3 octobre). — Prise d'Oajaca par Porfirio Diaz (30 octobre).
— Mouvements militaires entre Perote et Tehuacan. — Entrevue
de l'empereur Maximilien avec le général Castelnau et M. Dano à
Puebla (20 décembre). — Difficultés au sujet de la convention du
30 juillet. — Déclaration du maréchal à la conférence du 14 janvier
1867. — Mesures de rigueur ordonnées par le maréchal à Mexico. —
Rupture du maréchal avec le gouvernement mexicain et l'empereur
Maximilien. — Départ de Mexico du maréchal et de la dernière colonne
de troupes françaises (5 février). — Embarquement du corps expé-
ditionnaire. — Dernières opérations des troupes impériales mexicaines.
— Siège et prise de Queretaro, par les forces libérales (lo mai). —
Expédition du général Marquez sur Puebla. — Condamnation à mort
et exécution de l'empereur Maximilien (19 juin). — Capitulation de
Mexico (21 juin). — Capitulation de Vera-Cruz (28 juin) GGl
'
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
Poris. — Imp. J. Dumaine, rue Christine, 2,
ERRATA.
Page 233, ligne 2, — au lieu de auxquelles, lisez : à laquelle.
Page 328, — ajouter à la 2« brigade de la 1" division : un bnlaillon de tirail-
leurs algériens.
Page 41o, ligne 19, — au lieu de surprit, lisez : surfrirenl.
Page 467, ligne 1, — au lieu de attirait, lisez : attiraient.
Page 562, note 2, — au lieu de 1" avril, lisez : 26 février.
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